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Date : 20000531


T-2799-96

                            

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE E. HENEGHAN


E n t r e :

     KIRKBI AG et

     LEGO CANADA INC.

     demanderesses

     - et -


     RITVIK HOLDINGS INC./GESTION RITVIK INC.,

     et RITVIK TOYS INC./JOUETS RITVIK INC.

     défenderesses



     MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN


[1]      La Cour est saisie d"une requête présentée par Kirkbi A.G. et par Lego Canada Inc. (les requérantes) en vue d"interjeter appel de l"ordonnance prononcée le 4 février 2000 par le protonotaire Roger R. Lafrenière. Dans sa décision, le protonotaire Lafrenière a ordonné à Ritvik Holdings Inc./ Gestion Ritvik Inc. et à Ritvik Toys Inc. / Jouets Ritvik Inc. (les intimées) de répondre à plusieurs questions auxquelles elles avaient refusé de répondre ou au sujet desquelles elles avaient reporté à plus tard leur décision. Ces questions faisaient suite à l"interrogatoire préalable de M. Marc Bertrand, un représentant des défenderesses (les intimées à l"instance). Cet interrogatoire préalable a eu lieu les 8 et 9 septembre 1999. Lors de cet interrogatoire, les intimées ont affirmé que les questions restées sans réponse étaient protégées par un privilège de non-divulgation. Dans son ordonnance, le protonotaire Lafrenière n"a pas ordonné aux intimées de répondre à toutes les questions auxquelles elles avaient refusé de répondre ou au sujet desquelles elles avaient reporté à plus tard leur décision. Il leur a plutôt ordonné de répondre à certaines questions.

[2]      Dans la présente requête, les requérantes sollicitent une ordonnance faisant droit à l"appel qu"elles interjettent de l"ordonnance du protonotaire ainsi qu"une ordonnance enjoignant aux intimées de répondre par écrit aux questions auxquelles elles ont refusé de répondre au cours de l"interrogatoire préalable de leur représentant, M. Marc Bertrand.

[3]      Les requérantes invoquent les moyens suivants au soutien de leur requête. Premièrement, les requérantes affirment que chacune des questions énumérées à l"annexe A est légitime, étant donné que chacune d"entre elles se rapporte à des faits allégués et non admis contenus dans les actes de procédure ou qu"elle est autrement pertinente. Les requérantes ajoutent que les questions énumérées ne sont pas protégées par un privilège de non-divulgation et qu"elles ne sont ni déraisonnables ni inutiles. Les requérantes maintiennent qu"il ne serait pas trop onéreux pour les intimées de répondre à ces questions au sens de l"alinéa 242(1)d) des Règles de la Cour fédérale (1998). Finalement, les requérantes soutiennent que le protonotaire a commis une erreur en refusant d"ordonner aux intimées de répondre aux questions au motif que celles-ci étaient protégées par un privilège de non-divulgation et que les intimées n"avaient pas renoncé à ce privilège.

[4]      La norme de contrôle applicable dans le cas de l"appel d"une décision d"un protonotaire a été énoncée dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 25 (C.A.F.). Dans cet arrêt, le juge en chef Isaac écrit ce qui suit :

     [...] la norme de révision des ordonnances discrétionnaires des protonotaires de cette Cour doit être la même que celle qu'a instituée la décision Stoicevski pour les protonotaires de l'Ontario. J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants :
         a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,
         b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.
     Dans ces deux catégories de cas, le juge des requêtes ne sera pas lié par l'opinion du protonotaire ; il reprendra l'affaire de novo et exercera son propre pouvoir discrétionnaire1.

[5]      Les questions pour lesquelles les requérantes réclament une réponse se rapportent toutes à un certain Me Léger, qui a déjà occupé pour les intimées. Les requérantes soutiennent que les réponses aux questions ne sont pas protégées par un privilège de non-divulgation et que le protonotaire a commis une erreur en refusant d"ordonner aux intimées d"y répondre. Le protonotaire Lafrenière n"a pas motivé son ordonnance, mais il a effectivement ordonné aux intimées de répondre à certaines questions auxquelles elles avaient refusé de répondre ou au sujet desquelles elles avaient reporté à plus tard leur décision.

[6]      À l"audience, l"avocat des requérantes a fait valoir que, par suite de la fin de non-recevoir invoquée par les intimées et du moyen qu"elles tirent de l"acte de confiance préjudiciable, l"état d"esprit des intimées, ainsi que leur compréhension de la correspondance échangée entre les anciens avocats des parties étaient mis en litige. Les requérantes affirment que les intimées ont expressément ou tacitement renoncé au privilège de non-divulgation en mettant présumément en litige la question de leur état d"esprit. Je ne suis pas de cet avis.

[7]      Voici le texte des paragraphes 41 à 44 de la défense modifiée :

     [TRADUCTION]
     41. Les demanderesses et leurs prédécesseurs ont, par le biais des avocats canadiens qui agissaient en leur nom et avec l"autorisation des prédécesseurs en titre des demanderesses à l"époque, admis, dans une lettre datée du 3 janvier 1990, que les demanderesses et leurs prédécesseurs ne pouvaient s"opposer à ce que les défenderesses [TRADUCTION] " commercialisent et vendent un produit visé par la portée des brevets expirés et des certificats de dessins industriels d"Interlego. " Les demanderesses sont donc irrecevables à adopter maintenant un autre point de vue. Qui plus est, les défenderesses se sont fiées à leur détriment à cette affirmation faite au nom des demanderesses et de leurs prédécesseurs en titre et avec leur autorisation, de sorte que les demanderesses sont maintenant irrecevables à prétendre maintenant autre chose.
     42. Au cours de la période de 1990 et de 1991, les prédécesseurs des demanderesses se sont plaints de l"emploi que les défenderesses faisaient à ce moment-là de l"expression [TRADUCTION] " mots comprenant les termes LEGO ou DUPLO " sur leur emballage. Après avoir été informées de cette plainte, les défenderesses ont, sans reconnaître le bien-fondé de cette plainte, modifié de leur plein gré leur emballage en en supprimant la mention [TRADUCTION] " mots comprenant les termes LEGO ou DUPLO " et en la remplaçant par la mention [TRADUCTION] " mots incorporant d"autres marques connues ". Par lettre en date du 19 février 1991, les mêmes avocats que ceux dont il est question au paragraphe 41 et qui agissaient au nom des demanderesses et de leurs prédécesseurs en titre et avec leur autorisation ont accusé réception d"échantillons du nouvel emballage des défenderesses portant la mention [TRADUCTION] " mots incorporant d"autres marques connues ". Les avocats canadiens ont écrit ce qui suit : [TRADUCTION] " Cette mesure semble répondre aux objections formulées par notre cliente à cet égard en vertu des droits enregistrés qu"elle possède sur les mots LEGO et DUPLO ". Les demanderesses sont par conséquent maintenant irrecevables à faire valoir un point de vue différent. Les défenderesses se fondent en particulier sur les déclarations que les demanderesses et leurs prédécesseurs en titre ont faites à leur détriment. Les demanderesses sont donc maintenant irrecevables à se plaindre de l"emploi que les défenderesses font des expressions [TRADUCTION] " mots incorporant d"autres marques connues " ou [TRADUCTION] " mots incorporant d"autres marques ".
     43. Les demanderesses et leurs prédécesseurs en titre ne se sont jamais plaintes depuis le lancement par les défenderesses en 1989 et 1991 de leurs gammes de produits MNI et MICRO de cubes pour jeux de construction MEGA BLOKS et accessoires connexes. Elles ont attendu en décembre 1996 pour affirmer qu"elles ou leurs prédécesseurs en titre avaient des droits sur les marques de commerce incorporant le mot " LEGO ". Le cabinet d"avocats mentionné au paragraphe 41 qui occupait pour les demanderesses et leurs prédécesseurs en titre entre 1989 et 1993 n"a jamais attiré l"attention des défenderesses au sujet des présumés droits des demanderesses sur les marques de commerce incorporant le mot " LEGO " et ce, malgré la correspondance qu"ils s"échangeaient régulièrement. Comme les demanderesses et leurs prédécesseurs en titre ont attendu le dépôt de la déclaration en décembre 1996 pour s"élever contre les agissements des défenderesses, les défenderesses ont conclu, à juste titre, que toutes les présumées réclamations des demanderesses et de leurs prédécesseurs en titre étaient désormais réglées ou du moins qu"elles n"y donneraient pas suite. Les défenderesses se sont donc fiées à leur détriment aux actions et inactions des demanderesses et de leurs prédécesseurs en titre, de sorte que les demanderesses sont maintenant irrecevables à faire valoir quelque droit d"action que ce soit en l"espèce.
     44. Qui plus est, par lettre datée du 29 novembre 1990, le cabinet d"avocats mentionné au paragraphe 41 précité qui occupait pour les demanderesses et leurs prédécesseurs en titre a dit aux défenderesses que la question des droits afférents à la " forme du produit " des demanderesses était en litige dans une instance pendante devant la Cour fédérale qui concernait Tyco Industries (no du greffe T-2779-84). Les avocats ont écrit ce qui suit : [TRADUCTION] " Nos clients tiennent à réserver leurs droits à cet égard. Ils sont toutefois disposés à s"engager à ne pas invoquer ce moyen contre votre cliente s"ils n"obtiennent pas gain de cause dans l"action qu"ils ont introduite contre Tyco, ou s"ils se désistent de cette action ".Par jugement de consentement daté du 25 mars 1997 prononcé dans l"action T-2779-84, la Cour a rejeté l"action et toutes les demandes reconventionnelles contre Tyco, sauf en ce qui concerne l"emploi des marques Lego et Duplo, notamment sur l"emballage. Les demanderesses sont maintenant irrecevables à invoquer contre les défenderesses tout droit d"action fondé sur la marque de commerce incorporant le mot LEGO.
                                 [Non souligné dans l"original.]

    

[8]      Dans ces paragraphes, les intimées font valoir des moyens de défense fondés sur l"irrecevabilité et sur un acte de confiance préjudiciable. Les requérantes soutiennent que, parce que ces paragraphes mentionnent la correspondance échangée entre les anciens avocats des demanderesses et des défenderesses, les défenderesses (les intimées à l"instance) ont de ce fait soulevé la question de leur état d"esprit, particulièrement en ce qui concerne les opinions juridiques relatives à cette correspondance. Je suis d"avis que la question de l"état d"esprit n"a pas été mise en litige.

[9]      Je suis également d"avis que les moyens de défense tirés de l"irrecevabilité et de l"acte de confiance préjudiciable reposent sur la correspondance et non sur les avis juridiques échangés entre les intimées et leurs procureurs. Il n"y a donc pas eu renonciation expresse ou tacite au privilège du secret professionnel de l"avocat.

[10]      En conséquence, appliquant la norme de contrôle judiciaire qui vaut dans le cas des appels interjetés des décisions du protonotaire, norme qui a été définie dans l"arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd ., précité, je suis convaincu que les demanderesses n"ont pas établi que la décision du protonotaire était manifestement erronée ou que le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire " sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige ".


     DISPOSITIF

[11]      L"appel est rejeté avec dépens.





     " E. Heneghan "

     J.C.F.C.





OTTAWA (Ontario)

Le 31 mai 2000





Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-2799-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      KIRKBI INC. et autre c. RITVIK HOLDINGS INC. et autre

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 9 mars 2000

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE prononcés par Mme le juge Heneghan en date du 31 mai 2000


ONT COMPARU :

Me Christina M. Pallota                      pour les demanderesses
Me Henry Lue                              pour les défenderesses

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Bereskin & Parr                          pour les demanderesses

Toronto (Ontario)

Dimock, Stratton Clarizio                      pour les défenderesses

Toronto (Ontario)

__________________

1 Idem, à la page 454.

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