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Date : 20030521

Dossier : IMM-377-02

Référence : 2003 CFPI 639

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 mai 2003

En présence de Monsieur le juge Campbell                          

ENTRE :

                                                               NASRULLAH ZAZAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Le demandeur, un citoyen afghan, a revendiqué en 1994 le statut de réfugié devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR). La SSR a rejeté la revendication du demandeur et a exclu ce dernier en application de la section (F)a) de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] Can. T.S. no 6, en raison de son appartenance au KHAD, la police secrète afghane. Le demandeur a fait l'objet d'un rapport en application de l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration (devenu le paragraphe 35(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés). À l'enquête présidée par un arbitre de la Section d'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, le demandeur a répudié son témoignage antérieur concernant son appartenance au KHAD. L'arbitre n'a pas accepté cette répudiation.

[2]                 La question dont était saisie l'arbitre - et qui est également au coeur de la présente demande de contrôle judiciaire - est celle de savoir si elle était liée par la décision antérieure de la SSR. Dans sa décision, l'arbitre renvoie à nombre de conclusions de la SSR, et déclare en particulier ce qui suit :

[traduction]

Dans l'ensemble, je suis convaincue que la preuve présentée à l'audience devant la SSR en 1994 et en 1995, ainsi que celle figurant dans la demande d'établissement que vous avez faite en 1996, est plus crédible que celle qui a été produite au cours de la présente enquête relative à votre implication au sein de l'organisation connue sous le nom de KHAD. Par conséquent, surtout à la lumière des commentaires des tribunaux dans Figueroa, je conclus que la preuve établit bel et bien que vous avez été complice de crimes contre l'humanité en Afghanistan en tant que membre du KHAD. (Décision de l'arbitre, à la p. 10).

[3]                 D'après les propos cités, je constate que l'arbitre jugeait qu'elle était liée par la décision de la SSR. La Cour a rendu des décisions contradictoires sur cette question. Tout récemment, dansCanada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Varela, [2002] A.C.F. no 230, Monsieur le juge Gibson a tenté de trancher la question de savoir si un arbitre était lié par la décision de la SSR; aux paragraphes 23 à 26, il s'exprime ainsi :


Je suis convaincu qu'il est certain que ni l'ancien alinéa 19(1)j) de la Loi ni la nouvelle disposition qui a été édictée à ce sujet n'indiquent à l'arbitre qu'une décision antérieure de la section du statut de réfugié d'exclure une personne du statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'il a été conclu qu'il existe des raisons sérieuses de penser que cette personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité est déterminante en ce qui concerne la question dont l'arbitre est saisi, à savoir si l'on peut penser, pour des motifs raisonnables, que cette personne a commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens de l'ancien paragraphe 7(3.76) du Code criminel, ou une infraction visée à l'un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Si le législateur avait voulu qu'une décision antérieure de la SSR lie l'arbitre, il aurait facilement pu le dire. La Loi sur l'immigration prévoit un certain nombre de cas dans lesquels le législateur est arrivé à un résultat similaire.

La décision que le juge Pinard a rendue dans l'affaire Figueroa, précitée, [(2002) 181 F.T.R. 242 (C.F. 1re inst.)], était fondée sur des faits différents et elle a été rendue dans le contexte d'une affaire mettant en cause un agent d'immigration plutôt qu'un arbitre. [Voir la note 10 ci-dessous] Comme il en a ci-dessus été fait mention dans ces motifs, la Cour d'appel fédérale, en appel de la décision rendue par le juge Pinard dans l'affaire Figueroa, avait pour le moins une attitude ambivalente en ce qui concerne l'avis exprimé par le juge Pinard au paragraphe [15] de ses motifs, à savoir que « [...] conclure à l'exclusion d'un réfugié de la protection de la Convention en vertu de l'alinéa 1Fa) démontre que le premier volet du test prévu à l'alinéa 19(1)j) de la Loi a été rempli » . Il peut tout au moins être soutenu que les motifs prononcés par le juge Desjardins dans l'affaire Figueroa, tels qu'ils ont été ci-dessus cités, laissent entendre qu'il est encore loisible à un agent d'immigration de rendre une décision eu égard aux faits de l'affaire Figueroa et, a fortiori, à la lumière des dispositions du paragraphe 80.1(1) de la Loi, lorsque l'arbitre est saisi de la question.

Je suis convaincu que l'avocat du ministre invite la Cour à attribuer un sens plus large que ce qui est justifié au refus de la Cour d'appel fédérale d'accorder l'autorisation de solliciter le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SSR au sujet du défendeur. Au moment pertinent, comme maintenant, le critère applicable à l'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire était celui qui avait été énoncé dans l'arrêt Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), où Monsieur le juge Mahoney a dit que l'unique question qui se pose dans une demande d'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire est de savoir si une « cause défendable » a été révélée en ce qui concerne la réparation que l'on se propose de solliciter dans le cadre du contrôle judiciaire. Le refus d'autorisation de la Cour d'appel fédérale ne nous disait pas si la décision de la SSR était correcte, s'il était raisonnablement loisible à la SSR de rendre cette décision, ou si la décision était manifestement déraisonnable. Plus précisément, le refus d'autorisation n'informait pas l'arbitre dont la décision est ici en cause que la Cour d'appel avait conclu que la décision de la SSR d'exclure le défendeur de la protection de la Convention en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier de la Convention était appropriée selon une norme de contrôle particulière.


Par conséquent, conformément à la norme de contrôle relative à la décision correcte, je suis convaincu que l'arbitre n'a commis aucune erreur de droit, et de fait aucune erreur susceptible de révision, en concluant, dans la décision ici en cause, qu'il n'était pas lié par la décision antérieure de la SSR. Cela ne veut pas dire qu'il ne serait pas loisible à cet arbitre, ou de fait à tout autre arbitre, de tenir compte de la décision antérieure de la SSR. Cela veut simplement dire que l'arbitre n'a commis aucune erreur susceptible de révision dans sa décision.

Je souscris à la conclusion de droit du juge Gibson. Or, puisque j'ai statué que l'arbitre n'est pas lié par la décision antérieure de la SSR, je conclus par le fait même qu'en l'espèce, l'arbitre a commis une erreur de droit susceptible de révision.

ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de l'arbitre et je renvoie l'affaire à un autre arbitre pour nouvelle décision.

Dans Varela, le juge Gibson a certifié une question dont la Section d'appel a été saisie mais qui n'a pas été tranchée du fait que la demande de contrôle judiciaire dont elle découlait a été jugée prématurée (référence neutre : 2003 CAF 42). À mon avis - auquel les avocats du demandeur et du défendeur adhèrent -, la certification de la question formulée par le juge Gibson est tout à fait indiquée en l'espèce. Je certifie donc la question d'importance générale suivante pour qu'elle soit soumise à la Section d'appel :


L'exclusion d'un réfugié au sens de la Convention en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention relative au statut des réfugiés signifie-t-elle qu'il a été établi qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'intéressé revendiquant le statut de réfugié a commis des infractions au droit international au sens de l'alinéa 19(1)(j) de la Loi sur l'immigration, de telle sorte que l'arbitre qui enquête sur les allégations fondées sur l'alinéa 19(1)j) de la Loi serait lié par l'exclusion prononcée par la section du statut de réfugié en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention?

Dans une lettre en date du 16 mai 2003, l'avocat du défendeur a également demandé la certification d'une autre question en s'appuyant sur l'argumentation suivante :

[traduction]

L'alinéa 19(1) j) de l'ancienne Loi sur l'immigration est libellé ainsi:

19.(1)       Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie inadmissible :

j)              celles dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué, au Canada, une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration;

La Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre définit ainsi les crimes contre l'humanité :

« crime contre l'humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait -- acte ou omission -- inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

Cette question est d'une grande importance pour les affaires présentes et futures en ce que les dispositions portant sur l'inadmissibilité qui sont contenues tant dans la Loi sur l'immigration antérieure que dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, renvoient directement à cette définition. Il est donc important que le sens de cette définition soit clair puisque celui-ci n'a pas encore été contesté de la sorte devant les tribunaux.

L'arbitre a conclu que le demandeur ne pouvait être admis au Canada parce qu'il avait été complice de crimes contre l'humanité au sens du paragraphe 4(3) de la Loisur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. S'il est jugé que le fait d'être complice est implicitement visé par cette définition, la conclusion de l'arbitre serait exacte.

Par conséquent, je certifie la question proposée, à savoir :


[traduction]

La définition de « crime contre l'humanité » figurant au paragraphe 4(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre vise-t-elle le fait d'être complice de ces crimes?

Enfin, toujours en matière de certification, l'avocat du défendeur fait également valoir l'argument suivant :

[traduction]

Monsieur le juge Campbell a statué que le fait pour l'arbitre de se croire liée par la décision de la SSR constituait une erreur de droit selon la décision du juge Gibson dans Varela, précité. Or, la décision de l'arbitre a été rendue le 16 janvier 2002 et celle du juge Gibson le 14 février 2002. L'arbitre ne pouvait nullement connaître l'issue de l'affaire Varela, précitée. Puisque le juge Campbell a conclu à une erreur au plan de l'application du droit, lequel ne pouvait être connu de l'arbitre, nous soumettons que cela soulève une question de grande importance puisque les décisions de la Cour ont une incidence directe sur les décisions des tribunaux inférieurs. Non seulement la question intéresse-t-elle les parties en cause, mais l'application rétroactive des décisions aurait des répercussions importantes sur l'administration de la justice et la procédure suivie par ces tribunaux.

Par conséquent, je certifie également la question suivante :

Le juge siégeant en révision peut-il appliquer rétroactivement les principes dégagés dans un arrêt de la Section de première instance à la décision d'un arbitre rendue à une date antérieure à cet arrêt?

« Douglas R. Campbell »

                                                                                                                              Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-377-02

INTITULÉ :                             NASRULLAH ZAZAI

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                                         L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MERCREDI 7 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :           LE MERCREDI 21 MAI 2003

COMPARUTIONS :

                                                   Lorne Waldman

Pour le demandeur

Marcel Larouche

Jillian Siskind    

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                   Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada       

Pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                                               Date : 20030521

                                                Dossier : IMM-377-02

ENTRE :

NASRULLAH ZAZAI

                                                                          demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                          défendeur

                                                   

MOTIFS

DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                   

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