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Date : 20030728

Dossier : T-2279-01

Référence : 2003 CF 926

ENTRE :

                      CANADIAN FREIGHTWAYS LIMITED

                                                             demanderesse

                                    et

                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et WESTERN CANADA COUNCIL OF THE TEAMSTERS

                                                               défendeurs

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  Les avocats des parties conviennent que, dans la présente requête en prorogation du délai imparti au Procureur général du Canada pour interjeter appel de l'ordonnance d'adjudication des dépens rendue par le juge Dawson, le litige porte d'abord sur la question de savoir si une explication raisonnable justifiant le délai a été fournie et, en second lieu, sur le bien-fondé apparent de la requête. Il s'agit d'une forme abrégée du critère posé dans l'arrêt Canada c. Hennelly, (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.), la question de l'intention constante de poursuivre la demande et celle du préjudice causé par le délai ne se posant pas.


ANALYSE

Explication justifiant le délai

[2]                  L'avocat de la demanderesse Canadian Freightways Limited cite le jugement Chin c. Canada (M.E.I.), (1993), 69 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), dans lequel la Cour a déclaré, à la page 80, que, pour obtenir une prorogation de délai, l'avocat doit invoquer une raison qui échappe à son contrôle. L'avocat du Procureur général du Canada cite pour sa part un autre extrait du jugement Chin, tiré de la page 79, et souligne que la question en litige dans l'affaire Chin, qui portait sur la prorogation du délai fixé pour faire appel, tenait à l'emploi du temps de l'avocat et non à « une question qui aurait dû être traitée et qui a été oubliée ou omise involontairement » , reprenant ainsi le libellé du paragraphe 337(5) des anciennes Règles, qui correspond à l'alinéa 397(1)b) des Règles de 1998. L'avocat du procureur général soutient que ce qui s'est passé en l'espèce, c'est qu'on a oublié ou omis d'envisager la possibilité d'une condamnation aux dépens du procureur général, qui n'a pas acquiescé à la demande et ne l'a pas contestée, mais qui n'a tout simplement pas comparu à l'audience. La difficulté que soulève cette façon d'envisager la question réside dans le fait que, pour qu'une partie puisse se prévaloir de l'alinéa 397(1)b) des Règles et ait ainsi droit au réexamen de la décision, l'erreur d'inattention doit être celle de la Cour et non celle des parties (voir, par exemple, l'arrêt Boateng c. Canada (M.E.I.), (1990), 112 N.R. 318, à la page 319 (Cour d'appel fédérale)).



[3]                  La disposition qui s'applique en l'espèce n'est pas l'article 397, mais bien l'alinéa 399(2)a), qui permet à la Cour de modifier une ordonnance lorsque « des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue [...] » La notion de « faits nouveaux » est vaste : elle ne se limite pas aux nouveaux éléments de preuve. Je songe à cet égard à certaines décisions, notamment à l'arrêt Saywack c. Canada (M.E.I.), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.F.), au jugement Zolfigar c. Canada (M.C.I.), (1998), 48 Imm. L.R. (2d) 149 (C.F. 1re inst.) et à l'arrêt Canada (M.E.I.) c. Chung, [1993] 2 C.F. 42 (C.A.F.), qui appuient toutes le principe que, pour obtenir la modification d'une ordonnance en vertu de cette disposition des Règles, le requérant doit démontrer qu'il n'aurait pas pu, même en agissant avec diligence raisonnable, découvrir les faits nouveaux qui sont survenus depuis le prononcé du jugement. La Cour a précisé la portée de ce concept dans le jugement Jebanayagam c. Canada (M.E.I.), (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Muldoon a débouté le demandeur de sa requête en annulation de toute l'ordonnance. Le juge Muldoon a refusé de retenir une solution qui solliciterait à ce point le libellé des Règles en qualifiant une ordonnance de fait nouveau survenu depuis le prononcé de l'ordonnance, surtout lorsque l'avocat perd sa cause parce qu'il l'a mal préparée. La situation présente diffère de celle de l'affaire Jebanayagam, car le procureur général ne cherche pas en l'espèce à obtenir l'annulation de toute l'ordonnance. D'ailleurs, le procureur général ne s'est jamais opposé aux démarches entreprises par Canadian Freightways; il s'est simplement dit surpris d'être condamné aux dépens. À mon avis, on ne peut accuser de manque de diligence raisonnable celui qui omet une chose à laquelle il ne s'attend absolument pas. Je tiens ici à signaler qu'alors que le procureur général affirme avoir été pris au dépourvu par l'adjudication des dépens, il faut peut-être se rappeler que, dans sa demande de contrôle judiciaire, Canadian Freightways précise bien qu'elle réclame les dépens. Le procureur général ne dispose peut-être pas de l'argument le plus solide pour justifier le délai, mais, selon l'arrêt Grewal c. Canada (M.E.I.), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), je dois mettre en balance les forces et les faiblesses de la requête en prorogation de délai.

Bien-fondé apparent

[4]                  Quant à la seconde question en litige, il incombe au procureur général de démontrer le bien-fondé de sa requête. Le procureur général avance deux principaux arguments pour démontrer que, jusqu'à preuve du contraire, il ne doit pas être condamné aux dépens. En premier lieu, il soutient qu'un office fédéral indépendant n'est normalement pas condamné aux dépens et, en second lieu, il rappelle qu'il ne s'est pas opposé aux prétentions de la demanderesse.

[5]                  L'avocat du procureur général affirme qu'il est contre-indiqué de condamner aux dépens un office fédéral indépendant créé par la loi, en l'occurrence le Bureau des appels en matière de santé et de sécurité au travail. Il convient de rappeler que la présente demande de contrôle judiciaire a été introduite par suite d'une décision ou d'une directive émanant du ministère canadien du Développement des ressources humaines. L'office fédéral en question n'ayant pas été régulièrement constitué partie à la présente instance, le procureur général a été désigné comme défendeur à sa place. Je tiens à rappeler qu'aux termes du paragraphe 303(3), le procureur général a la faculté de refuser d'agir comme défendeur.

[6]                  Ce n'est pas l'office fédéral, qui n'est pas partie à l'instance et qui ne peut d'ailleurs l'être en raison de l'alinéa 303(1)a), qui a été condamné aux dépens, mais bien le procureur général. En principe, je ne vois pas pourquoi une condamnation aux dépens ne pourrait pas être prononcée contre le Procureur général du Canada, lorsqu'il est constitué défendeur à une instance en contrôle judiciaire conformément au paragraphe 303(2) des Règles. Il y a lieu de rappeler que le tribunal peut condamner aux dépens Sa Majesté et, partant, le procureur général, dans un procès au criminel, comme c'était le cas dans l'arrêt R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568. Dans cet arrêt, sous la plume du juge Beetz, la Cour suprême a rappelé que le vieux principe de common law suivant lequel Sa Majesté ne verse ni ne reçoit de dépens, n'est pas une règle absolue. Il convient toutefois de rappeler que, dans l'arrêt Ouellette, la Cour suprême est partie du principe que les dispositions du Code criminel en matière de dépens visaient à mettre le procureur général et l'accusé sur un pied d'égalité en matière de dépens.

[7]                  Le procureur général a déjà été condamné aux dépens dans une situation semblable à la présente. Voir, à cet égard le jugement Griffiths c. Canada (Procureur général) (2000), 182 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.), une instance en contrôle judiciaire d'une décision du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique dans laquelle le procureur général agissait comme défendeur. D'ailleurs, dans l'arrêt La Reine c. James Lorimer & Co. Ltd., [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.F.), le juge Mahoney a relevé qu'il fut un temps où la « dignité » empêchait l'État de demander ou de payer des dépens, mais que cette époque est révolue et que cette question n'était « pas plus pertinente que ne l'est la couleur des cheveux d'une des parties » (à la page 1077).


[8]                  Le second moyen qu'avance Sa Majesté pour démontrer le bien-fondé apparent de sa requête est que le procureur général ne s'est pas opposé aux prétentions de la demanderesse. Elle fait valoir que, si le procureur général ne conteste pas la demande principale, mais se contente d'exiger que Canadian Freightways, en tant que demanderesse, comparaisse devant l'office fédéral en vue d'obtenir l'annulation de la décision de cet office en invoquant des motifs solides, on ne devrait pas s'attendre à ce que le procureur général soit condamné aux dépens. Sa Majesté ajoute que le procureur général devrait pouvoir économiser ses ressources et qu'il ne devrait pas être contraint de se présenter devant la Cour au sujet d'une question sur laquelle il n'a pas pris position. D'ailleurs, en l'espèce, le procureur général a informé Canadian Freightways qu'il ne comparaîtrait pas à l'audience. Cet argument est de toute évidence fallacieux à plusieurs égards. Premièrement, en raison du point de vue adopté par le procureur général, Canadian Freightways a été pratiquement forcée de faire juger la présente demande de contrôle judiciaire. Deuxièmement, si le procureur général estimait qu'il n'avait pas le moindre intérêt à faire confirmer la décision, il aurait pu demander à se faire mettre hors de cause en vertu du paragraphe 303(3) des Règles ou aurait tout simplement pu consentir à l'annulation de la décision. Troisièmement, en forçant Canadian Freightways à faire juger la demande sans aborder la question des dépens et sans prendre certaines des mesures qui s'imposaient avant l'audience, le procureur général a sciemment pris le risque d'être condamné aux dépens, d'autant plus qu'il savait, au vu de la demande de contrôle judiciaire, que Canadian Freightways réclamait les dépens.

[9]                  À tout prendre, le procureur général n'a pas démontré le bien-fondé apparent des arguments

qu'il a invoqués pour obtenir que la Cour réexamine la façon dont le juge qui a présidé l'audience a exercé son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les dépens.

CONCLUSION

[10]            Le procureur général a avancé à tout le moins une excuse qui a un certain fondement pour justifier le délai. L'argument que le procureur général n'aurait pas dû être condamné aux dépens est toutefois mal fondé selon moi. Le procureur général n'a donc pas invoqué d'arguments de prime abord assez solides pour appuyer sa requête en prorogation de délai. Il n'y a rien à mettre en balance, comme la Cour d'appel l'a exigé dans l'arrêt Grewal, précité. La requête en prorogation du délai imparti pour interjeter appel de l'ordonnance et des motifs d'ordonnance rendus par le juge Dawson le 2 avril 2003 est par conséquent rejetée. Comme les dépens suivent le sort du principal, Canada Freightways se verra adjuger les dépens de la présente requête, qui sont fixés à la somme globale de 550 $ en vertu de la colonne III du tarif B.

           John A. Hargrave

                                                                                               Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE

                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                 AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                           T-2279-01

INTITULÉ:                         Canadian Freightways Limited c. Procureur général du Canada et autre

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le protonotaire Hargrave

DATE :                               28 juillet 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES:    

Paul Fairweather             

Ward Bansley et Paul Partridge

POUR LA DEMANDERESSE

                 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris A Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice     

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

                 

                 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                 


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