Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030623

Dossier : T-829-01

Référence : 2003 CFPI 774

OTTAWA (Ontario), le 23 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                               RICK McELREA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (INDUSTRIE CANADA)

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de Mme Monica Sells, une agente d'enquête, de médiation et de conciliation de la Commission de la fonction publique (l'agente d'enquête) rendue en date du 18 avril 2001 et rejetant les plaintes de harcèlement et d'abus d'autorité présentées par le demandeur contre M. John Banigan, sous-ministre adjoint à Industrie Canada.


[2]         En 1995, Industrie Canada a créé le Centre des occasions d'affaires internationales (COAI) afin de faire la promotion du commerce et des investissements. Le demandeur, un employé d'Industrie Canada depuis 1986, était détaché auprès du COAI où il occupait un poste de gestionnaire depuis la création du Centre.

[3]                À la suite d'une plainte anonyme provenant d'un employé du COAI, le demandeur a octroyé, en 1996, un contrat à M. Jean-Marc Pellerin, un consultant auprès du Centre canadien de gestion, afin qu'il aide à régler des problèmes de communication et d'organisation au COAI. Le consultant a conclu que certains des agissements du demandeur pouvaient être « incorrects » et il a informé le sous-ministre adjoint, M. Banigan, au sujet de ses conclusions. Le 30 octobre 1996, le demandeur a rencontré M. Banigan afin de passer en revue les conclusions du consultant. M. Banigan a décidé de mener une enquête interne au sujet de la conduite du demandeur et lui a demandé de déménager son bureau à l'extérieur des bureaux du COAI pour la durée de l'enquête. Le demandeur a également accepté de suivre des cours de français, lesquels ont débuté en janvier 1997, puisqu'il s'agissait d'un préalable à l'obtention d'une promotion dans la catégorie d'emploi EX.


[4]                On a communiquer avec certains employés et anciens employés du COAI au cours de l'enquête et ont les a invités à déposer des plaintes. Deux plaignantes se sont présentées prétendant avoir été victimes de harcèlement. En décembre 1996, on a retenu les services d'enquêteurs externes. Dans un rapport daté du 8 mars 1997, les enquêteurs externes ont confirmé les allégations et, le 26 mai 1997, M. Bannigan a imposé au demandeur une sanction disciplinaire, soit une suspension de dix jours. Le demandeur a répondu à cette sanction en déposant un grief à l'encontre de la suspension auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). En juin 1999, le grief a été accueilli et la suspension de dix jours a été annulée.

[5]                Le demandeur a également déposé, auprès de la Commission de la fonction publique (la CFP), la plainte qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Cette plainte allègue que l'enquête menée par M. Banigan équivalait à du harcèlement et à de l'abus d'autorité, en vertu de la politique du Conseil du Trésor de 1994 intitulée Politique relative au harcèlement en milieu de travail (la politique). L'abus d'autorité est défini de la façon suivante dans la politique :

L'abus d'autorité est une forme de harcèlement et se produit lorsqu'une personne exerce de façon indue de l'autorité ou le pouvoir inhérent à son poste dans le dessein de compromettre l'emploi d'un employé, de nuire à son rendement au travail, de mettre son moyen de subsistance en danger ou de s'intégrer de toute autre façon dans sa carrière. Il comprend l'intimidation, la menace, le chantage ou la coercition

[6]                Le demandeur allègue que M. Banigan a contrevenu aux directives de la politique concernant les enquêtes au sujet d'une plainte en retenant les services d'un enquêteur biaisé et inexpérimenté, en omettant d'avoir eu tout d'abord recours à la médiation et en rejetant la plainte de harcèlement déposée par le demandeur contre M. Pellerin sans mener une enquête en bonne et due forme. De plus, le demandeur allègue que M. Banigan a commis plusieurs erreurs de procédure au cours de son enquête. Le demandeur prétend que les manquements à la politique et les manquements à l'équité en matière de procédure commis par M. Banigan équivalent à du harcèlement et à de l'abus d'autorité.

[7]                L'agente d'enquête, Mme Sells, a mené des entretiens auprès de neuf personnes au cours de l'enquête et elle a rédigé un rapport de 41 pages dans lequel elle a conclu que les quatorze allégations du demandeur étaient sans fondement. Elle reconnaît que M. Banigan a violé le contenu de la politique et qu'il a refusé au demandeur le droit à l'équité en matière de procédure, mais que ces erreurs n'équivalaient pas à du harcèlement ou à de l'abus d'autorité. Elle conclut, à la page 41 de son rapport :

[TRADUCTION]

Selon les renseignements recueillis et présentés dans le présent rapport, les quatorze allégations sont sans aucun fondement. Cela étant dit, je note que les allégations numéros cinq, douze et treize contenaient des erreurs, lesquelles ont été explicitées dans les sections connexes. Bien que les erreurs relevées n'aient pas eu de conséquences négatives dans le présent contexte, il pourrait y avoir de sérieuses conséquences à l'avenir si les erreurs ne sont pas corrigées. Le défendeur, en sa qualité d'administrateur général, et le Ministère auraient intérêt à revoir de façon attentive la politique du Conseil du Trésor concernant le harcèlement en milieu de travail afin de s'assurer que les membres du personnel qui mènent enquête ont une compréhension très claire de la politique et des règles d'équité en matière de procédure.                    

[8]                Le demandeur demande que la décision soit annulée pour trois motifs. Premièrement, l'agente d'enquête aurait commis une erreur de droit en concluant qu'un manquement à la politique ne constituait pas un abus d'autorité. Deuxièmement, elle aurait commis une erreur de droit en concluant que le manquement à l'équité en matière de procédure ne constituait pas un abus d'autorité. Troisièmement, elle aurait évalué les faits de manière manifestement déraisonnable.


[9]                Il n'est pas contesté que la norme de contrôle appropriée pour les questions de droit est la norme de la décision correcte. Pour ce qui est des questions de faits et des questions mixtes de faits et de droit, le juge MacKay dans l'affaire Adams c. Canada (Procureur général), 216 F.T.R. 190, 2002 CFPI 80 aux paragraphes 14 à 17 a déclaré que la norme de contrôle applicable était celle de décision manifestement déraisonnable lorsqu'il s'agit de réviser la décision d'un agent de la CFP.

[10]            Les parties divergent d'opinion sur ce qui constitue une question de droit. Le demandeur soutient que l'agente d'enquête a commis une erreur de droit en décidant que M. Banigan n'avait pas respecté la politique et les règles d'équité en matière de procédure et en concluant, malgré tout, que la plainte était sans fondement. Je ne suis pas d'accord. Le corollaire de la position du demandeur est qu'il faudrait obligatoirement conclure à un abus d'autorité en cas de non-respect de la politique ou des règles d'équité en matière de procédure au cours d'une enquête. La politique ne contient aucune obligation à cet effet, et cela ne peut s'inférer du texte de la politique. Si un administrateur général omet de mener une enquête en suivant les règles prévues, cela peut démontrer un abus d'autorité, mais il ne s'agit pas d'une preuve concluante. Une telle décision est clairement du ressort de l'agent d'enquête, tel que l'a énoncé le juge MacKay au paragraphe 16 de l'affaire Adams, et cette décision doit être prise en prenant en considération toutes les circonstances pertinentes. Un manquement à la politique ne constitue pas une infraction à la loi. Ainsi, la norme de contrôle applicable eu égard aux manquements à la politique n'est pas celle de la décision correcte tel que le prétendait le demandeur.


[11]            Dans la présente affaire, il faut décider si l'agente d'enquête a tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu'elle a décidé que la conduite de M. Banigan ne constituait pas de l'abus d'autorité. Je ne trouve aucune raison d'infirmer cette décision. Lorsque je lis la définition d'abus d'autorité contenue à la politique, cela exige la présence de l'intention de nuire à un employé. La définition stipule qu'un abus d'autorité survient lorsque l'autorité ou le pouvoir inhérent à un poste est exercé de façon à « compromettre l'emploi d'un employé... » . La définition n'associe pas la conduite incorrecte « qui pourrait avoir pour effet de compromettre l'emploi d'un employé » à un abus d'autorité. L'utilisation des expressions « intimidation, menace, chantage ou coercition » renforce l'idée selon laquelle un acte, pour constituer de l'abus d'autorité, doit représenter plus qu'une décision administrative manquant de rigueur. Bien que M. Banigan ait pu commettre des erreurs au cours de l'enquête, il n'existe aucune preuve qu'il ait entrepris l'enquête avec l'intention de nuire au demandeur. De plus, l'agente d'enquête est parvenue à la décision que les erreurs de M. Banigan, quoique sérieuses, n'ont pas eu d'incidence négative dans ce cas.

[12]            Comme cela a été mentionné précédemment, le demandeur prétend que l'agente d'enquête a évalué les faits de manière manifestement déraisonnable. La première erreur alléguée se trouve à la page 12 de sa décision :

[TRADUCTION]

Dans le premier cas, la preuve corrobore que le plaignant a été « temporairement retiré » du COAI pour la durée de l'enquête et, bien qu'il ait continué d'occuper ses fonctions au COAI, il n'était pas physiquement présent à ce lieu de travail. Le plaignant avait été temporairement réaffecté à une formation en français, ce qui constituait un préalable pour l'obtention d'un poste EX. [Non souligné dans l'original]

Il est allégué que cette conclusion est incompatible avec l'affirmation qui se trouve plus loin à la page 12 :

[TRADUCTION]


Je ne suis pas d'avis que le défendeur ait commis un acte d'abus d'autorité lorsqu'il a décidé de retirer le plaignant de ses fonctions pour la durée de l'enquête, comme mentionné précédemment, il agissait à l'intérieur du cadre fixé par les directives.

[Non souligné dans l'original]

Le demandeur prétend qu'il n'a pu être « retiré de ses fonctions » s'il a été « temporairement réaffecté » . En concluant qu'il a été à la fois retiré de ses fonctions et temporairement réaffecté, l'agente d'enquête aurait commis une erreur manifestement déraisonnable.

[13]            La Cour est d'accord avec le défendeur, cette citation reflète simplement le retrait physique du lieu de travail au COAI. Cela est compatible avec la politique qui stipule :

S'il est déterminé par l'employeur qu'il y va de l'intérêt de toutes les parties, la personne contre laquelle une plainte a été logée et la victime présumée qui entretiennent un rapport hiérarchique de surveillant à subalterne, devraient être séparées l'une de l'autre physiquement et hiérarchiquement, pendant la durée de l'enquête.

[14]            Le demandeur allègue également que l'agente d'enquête a tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu'elle a dit qu'il avait été retiré de ses fonctions « pendant la durée de l'enquête » . Il a été relocalisé en novembre 1996, mais l'enquête n'a débuté qu'en décembre 1996. Dans l'intervalle, l'agente d'enquête a sollicité des plaintes auprès du personnel du COAI.

[15]            Le demandeur coupe les cheveux en quatre à ce sujet. Il était tout à fait raisonnable, pour l'agente d'enquête, de considérer les événements de novembre 1996 comme constituant des étapes préparatoires à la tenue de l'enquête formelle. Cela ne constitue pas une erreur manifestement déraisonnable qui justifierait d'annuler la décision.


[16]            En terminant, la Cour souligne que la décision de 41 pages de l'agente d'enquête était soigneusement rédigée en termes précis. De plus, le grief du demandeur a déjà été accueilli, et la sanction disciplinaire a été annulée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

                                                                                                              « Michael A. Kelen »        ______________________________

           Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-829-01

INTITULÉ :                                        RICK McELREA

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 17 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

AINSLIE BENEDICT POUR LE DEMANDEUR

DEREK RASMUSSENPOUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE s.r.l.POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERGPOUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                         Date : 20030623

                                         Dossier : T-829-01

ENTRE :

RICK McELREA

                                                                  demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(INDUSTRIE CANADA)                   

                                                                                   

                                                                   défendeur

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                       

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.