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Date : 19991206

Dossier : IMM-555-99 Ottawa (Ontario), le lundi 6 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

MALAR NAVARATNAM également connu
sous le nom de MALAR SUMITHIRAN

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION

défendeur


La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l"agent d"immigration qui fait l"objet du contrôle, datée du 28 octobre 1998, est annulée et la demande d"établissement présentée par la demanderesse au Canada pour motifs d"ordre humanitai re est renvoyée au défendeur pour qu" un autre agent d" immigration rende une nouvelle décisi on . Aucune question n"est certifiée. Aucune ordonnance de dépens n"est décernée.

" FREDERICK E. GIBSON "

JUGE Traduction certifiée conforme

Philippe Méla

Date : 19991206 Dossier : IMM-555-99 ENTRE :

MALAR NAVARATNAM également connue

sous le nom de MALAR SUMITHIRAN

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs font suite à une décision d"un agent d"immigration de rejeter la demande de la demanderesse d"être exemptée des exi gences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l"immigration1 (la " Loi ") qui exige que le demandeur fasse une demande de visa d"i mmigrant et obtienne ce visa avant de venir au Canada à titre de résident permanent. La décision de rejeter la demande d"exemption de la demanderesse fondée sur des motifs d"ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est datée du 28 octobre 1998 et a fait suite à une entrevue avec la demanderesse et son époux à la même date.

[2]         La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka. Elle est arrivée au Canada le 4 juin 1995 et a revendiqué le statut de réfugié. En juillet 1995, la demanderesse a fait la connaissance d"un citoyen canadien avec lequel elle s"est mariée peu de temps après.

[3]         La demanderesse et son époux se sont mariés lors d"une cérémonie religieuse dirigée par un prêtre i ndou, le 27 août 1995. Apparemment, le mari age n" a pas été correctement enregistré. La demanderesse et son époux ont vécu ensemble comme mari et femme. Le 9 avri l 1996, leur fille Jerusha est née. Elle est, par naissance, citoyenne canadienne.

[4]         La revendi cation du statut de réfugi é au sens de la Convention, présentée par la demanderesse, a été rejetée et la demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée en novembre 1996. L"examen du dossier de la demanderesse à ti tre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada a été rejeté en mars 1997.

[5]         L"époux de la demanderesse a eu du mal à trouver et à conserver un emploi à Toronto. En conséquence, en février 1998, il a déménagé à Calgary où il a trouvé un emploi, même si celui-ci n"était que pour une courte durée. La demanderesse et Jerusha ont rejoi nt leur époux et père quelque quatre moi s plus tard.

[6]         En jui llet 1998, la demanderesse et son époux ont eu une entrevue avec un agent d"i mmigration à Calgary. L"entrevue avait pour objet le renvoi du Canada de la demanderesse. C"est pendant cette entrevue que pour la première fois, la demanderesse et son époux ont été avisés qu"ils n"étaient légalement pas mariés du fait de n"avoir pas fait enregistrer le mariage correctement. Un jour où deux après, la demanderesse et son épouse ont procédé à une forme civile de mariage. L"époux de la demanderesse a cherché à parrainer la demande d"établissement présentée par la demanderesse au Canada . Le résul tat de cette demande d"établissement présentée au Canada et i nvoquant des motifs d"ordre humanitaire est la décision qui fait ici l"objet du contrôle.

[7]         Les notes de l"agent d" immigration pri ses durant l"entrevue avec la demanderesse et son époux relativement à la demande d"établissement présentée au Canada, au moi ns une partie de l"entrevue s"étant déroul ée avec chacun d"eux séparément, révèlent de graves i ncohérences dans

les réponses aux questions concernant les ci rconstances de leur rencontre, les ci rconstances de leur premi er mariage et quelques-unes des ci rconstances entourant leur vie commune. Les notes indiquent par ailleurs que l"agent d"immigration a demandé si la demanderesse et son époux avaient des enfants et il lui a été répondu qu"ils avaient un enfant. Un certificat de naissance est venu étayer cette réponse. Les notes font état que Jerusha est restée à Toronto avec sa mère après que l"époux de la demanderesse a déménagé à Calgary pour trouver un emploi et cela, jusqu"à ce que la demanderesse et Jerusha rejoignent l"époux de la demanderesse à Calgary.

[8]         Les notes de l" entrevue ne révèlent absolument aucune analyse des documents dont l"agent d"i mmigration disposait ni les résultats de l"entrevue. Aucun affidavit n"a été déposé par l"agent d"i mmigration dans la présente demande de contrôle j udiciaire, qui aurait pu dévoiler le cheminement de l"analyse qui a été suivi pour parvenir à la décision de rejet de la demande d"établissement présentée au Canada

[9]           Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)2 , la Cour suprême du Canada a déterminé que la norme de contrôle d"une décision telle que celle qui fait ici l"objet du contrôl e est cell e de la décision " raisonnabl e simpliciter ".

[10]       Quant à la question de l"obligation d"équité, la Cour a conclu au paragraphe 28 :

Les valeurs qui sous-tendent l"obligation d"équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d"un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[11]       Après avoir reconnu que des réserves ont été émises quant à l"utilité d"une règle de common law qui exigerait la production de motifs écrits, le j uge L"Heureux-Dubé a écrit au paragraphe 40 :

À mon avis, cependant, on peut répondre à ces préoccupati ons en veill ant à ce que toute obligation de moti ver la décisi on en raison de l"obligation d"équi té laisse aux décideurs assez de latitude, en acceptant comme suffi sants divers types d"expl i cati ons écri tes.

Compte tenu des faits présentés à la Cour dans Baker, la Cour a conclu au paragraphe 44 :

J"esti me, toutefois, que cette obligation a été remplie en l"espèce par la production des notes de l"agent Lorenz à l"appelante. Les notes ont été remi ses à M me Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu"il n"existe pas d"autres documents i ndiquant les motifs de la décision, les notes de l"agent

subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision.

Comme dans Baker, les notes du préposé à l" entrevue dans la présente affaire ont fi nalement été fourni es à la demanderesse. Cependant, ces notes ne nous éclairent en ri en quant à savoi r comment et pour quels motifs le préposé à l"entrevue est arrivé à sa décision. Les notes ne consi stent en ri en de plus qu" un compte rendu manuscri t des questions et des réponses. Un


document connexe intitulé [TRADUCTION] " résumé du cas ", qui a également été divulgué, daté du 3 févri er 1999, fournit quelques éléments d"analyse. Cell e-ci se concentre totalement sur la question de savoir si le mariage entre la demanderesse et son époux était [TRADUCTION] " ...solide, à même de durer et conclu de bonne foi ". La brève analyse ne fait aucune mention de l"effet sur Jerusha du rejet de la demande présentée pour des motifs d"ordre humani taire.

[12]                     La décisi on Baker se concentre en grande parti e sur les i ntérêts des enf ants comme Jerusha. Le juge l"Heureux-Dubé a conclu, au paragraphe 65 :

À mon avis, la façon dont elle traite l"intérêt des enfants montre que cette décision était déraisonnable au sens de l"arrêt Southam3, préci té.

Le j uge l" Heureux-Dubé a conti nué, au paragraphe 65 :

L"agent n"a prêté aucune attention à l"i ntérêt des enfants de M me Baker. [...] j"esti me que le défaut d"accorder de l"importance et de la considération à l"intérêt des

enf ants consti tue un exercice déraisonnable du pouvoi r di scréti onnaire conféré par l "arti cle [le paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration], même s"il faut exercer un degré élevé de retenue envers la décision de l"agent d"immigration.

Je suis convaincu qu"en l"occurrence, comme dans Baker , compte tenu des documents présentés à la Cour, l"agent d" i mmi grati on " .. .n"a prêté aucune attention à l"i ntérêt [de Jerusha] ".

[13]                     Le j uge l" Heureux-Dubé a conti nué, au paragraphe 67 :

À mon avis, l"exercice raisonnable du pouvoir conféré par l"article exige que soit prêtée une attention mi nutieuse aux i ntérêts et aux besoi ns des enfants. Les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs d"ordre humanitaire centrales dans la société canadi enne.

Au paragraphe 73, madame la juge l"Heureux-Dubé a conclu :

Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l"attention parti cul i ère à prêter à l"enf ance sont des valeurs i mportantes à consi dérer pour i nterpréter de façon raisonnable les raisons d"ordre humani taire qui gui dent l"exercice du

pouvoi r di scréti onnaire. Je conclus qu"étant donné que les motifs de la décision n" i ndi quent pas qu"elle a été rendue d" une mani ère récepti ve, attentive ou sensible à l"i ntérêt des enfants de M me Baker, ni que leur i ntérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel i mportant, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoi r conféré par la loi et doi t donc être i nfi rmée.

Je suis convaincu que la même chose peut être dite des faits de l"espèce et que le même résultat doit en découler.


[14]                     Cela ne veut pas dire qu"il n"était pas loisible à l"agent d"immigration de rendre la décision qui fait l"objet du contrôle mais plutôt, qu"en rendant cette décisi on, son défaut de souligner les droits, intérêts et besoins de Jerusha et de porter une attention particulière à la question de l"enfance dans les motifs fi nalement donnés de la décision, a résulté en une décision qui, quel que soi t son ul time fondement, n"a si mpl ement pas été rendue d" une mani ère "...réceptive, attentive ou sensible " aux i ntérêts de Jerusha ou qui i ndi que que " [son i ntérêt] ait été considéré comme un facteur décisi onnel i mportant ", avec pour résul tat que, compte tenu de l"analyse qu"il a faite, il n"était pas loisible au décideur de rendre cette décision.

[15]                     Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l"agent d"immigration qui fait l"objet du contrôle est annulée et l"affaire est renvoyée au défendeur pour qu" une nouvelle décision soit rendue.

[16]                    Aucune questi on n"est certifi ée. A ucune ordonnance de dépens n"est décernée. FREDERICK E. GIBSON

Juge Ottawa (Ontario)

Le 6 décembre 1999.

Traduction certifiée conforme

Philippe Méla


DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :             IMM-555-99

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

                    MALAR NAVARATNAM également connue

sous le nom de MALAR SUM ITHIRAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :          CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L"AUDIENCE :         LE 22 NOVEMBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE GIBSON EN DATE DU :                  6 DÉCEMBRE 1999

ONT COMPARU :

M. TONY CLARK                                               POUR LA DEMANDERESSE

M. BRAD HARDSTAFF                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DUNPHY CALVERT                                           POUR LA DEMANDERESSE

CALGARY (ALBERTA)

M. MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA   POUR LE DÉFENDEUR


1         L.R.C. (1985), ch. I-2.

2         [1999] J.C.S. no 39 (QL).

3 Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 dans lequel le j uge Iacobucci a écrit au paragraphe 56 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l"ensemble, n"est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôl e une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s"il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s"il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appli qué pour ti rer les concl usions de cette preuve.

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