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Date : 20031222

Dossier : T-1372-03

Référence : 2003 CF 1513

Toronto (Ontario), le 22 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

ENTRE :

                                          MAGIC SPORTSWEAR CORP. et

                                                          BLUE BANANA

                                                                                                                      demanderesses

                                                                       et

OT AFRICA LINE LTD., OT AFRICA LINE,

et les propriétaires et affréteurs ainsi que toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « MATHILDE MAERSK »

et sur le navire « SUZANNE DELMAS »

                                                                                                                              défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                Ces motifs découlent de l'ordonnance qui a été rendue oralement à l'audition de la requête, le 15 décembre 2003; l'ordonnance rejetait la requête que les défendeurs avaient présentée en vue de faire suspendre l'action intentée par les demanderesses.

[2]                La présente action découle d'une demande se rapportant à la perte partielle d'une cargaison de marchandises qui avaient été expédiées par mer dans un conteneur. Les demanderesses, Magic Sportswear Corp. et Blue Banana, étaient respectivement chargeur et consignataire des marchandises. Les défenderesses, OT Africa Line Ltd. et OT Africa Line, étaient les transporteurs.

[3]                Cette requête a été présentée par les défenderesses, qui cherchaient à faire suspendre l'action en se fondant sur la clause d'élection de for figurant dans le connaissement se rapportant à l'expédition des marchandises ainsi que sur la doctrine du forum non approprié. Les demanderesses affirment qu'elles ont droit à ce que leur demande soit tranchée par la présente cour compte tenu de l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime ou, subsidiairement, compte tenu de la doctrine du forum non approprié.

Les faits

[4]                La demanderesse Magic Sportswear Corp. est une société constituée aux États-Unis qui a expédié 170 caisses de marchandises par conteneur de la ville de New York à la société demanderesse Blue Banana, à Monrovia, Libéria. Les demanderesses affirment que, lorsque le conteneur est arrivé à Monrovia, 99 des 170 caisses manquaient.


[5]                La résolution d'un litige factuel concernant la cargaison manquante dépend de la preuve soumise par les témoins présents lorsqu'on a ouvert le conteneur, à Monrovia. Les demanderesses affirment que tous ces témoins sont au Libéria. D'autres témoins des demanderesses, venant de New York, peuvent être cités.

[6]                La défenderesse OT Africa Line a délivré un connaissement en vue de l'expédition le 5 février 2002, à Toronto, Canada. Le fret maritime était payable à Toronto, Canada. Compte tenu de certains éléments de preuve, je conclus qu'en fait, la défenderesse OT Africa Line a des bureaux, maintient un centre téléphonique et exploite son entreprise depuis des bureaux situés dans la région de Toronto et exploite cette entreprise par l'entremise d'une agence (Seabridge International Shipping Inc., ou OTAL North America) dans la Région du Grand Toronto.

[7]                Les demanderesses ont intenté leur action en dommages-intérêts, d'un montant de 30 000 $, devant la présente cour le 1er août 2003 et ont signifié un avis à OT Africa Line, à son bureau de la région de Toronto, le 15 août 2003. La demande est en fait une demande en subrogation d'une compagnie d'assurance établie à Toronto, qui avait versé une indemnité aux demanderesses pour la perte des marchandises conformément à leur police.

[8]                Le 3 septembre 2003, OT Africa Line a engagé des procédures devant la Haute cour de justice, en Angleterre, en vue d'obtenir une décision l'exonérant de toute responsabilité à l'égard de la perte subie par les demanderesses. L'avis y afférent a été signifié aux demanderesses qui, le 28 octobre 2003, ont déposé un accusé de réception de la signification indiquant qu'elles contesteraient la compétence des tribunaux anglais. Toutefois, les demanderesses n'ont pas pris d'autres mesures à cet égard; elles soutiennent qu'elles attendaient le résultat de la présente requête.

[9]                Le 8 septembre 2003, à la suite de la présentation d'une requête ex parte devant le tribunal anglais, les défendeurs ont obtenu une [TRADUCTION] « injonction interdisant les poursuites » empêchant les demanderesses d'aller de l'avant dans la présente action et, le 9 septembre 2003, les défendeurs ont présenté la requête ici en cause visant la suspension des procédures canadiennes.

Analyse

[10]            Les défendeurs se fondent sur la clause d'élection de for suivante, qui figure dans le connaissement :

[TRADUCTION] Les demandes ou litiges découlant du transport visé par le connaissement sont exclusivement régis par le droit anglais et tranchés par la Haute cour de Londres.


[11]            Les défendeurs notent également que leurs sièges sociaux sont situés en Angleterre et qu'elles publient des états financiers en Angleterre, et elles affirment que, dans l'ensemble, l'Angleterre est un forum plus commode et plus approprié pour la conduite du procès.

[12]            Les demanderesses se fondent sur l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, qui est ainsi libellé :

46.(1) Lorsqu'un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l'arbitrage en un lieu situé à l'étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitraire au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l'une ou l'autre des conditions suivantes existe:

a) le port de chargement ou de déchargement - prévu au contrat ou effectif - est situé au Canada;

b) l'autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

c) le contrat a été conclu au Canada.


[13]            À coup sûr, il est satisfait aux alinéas 46(1)b) et c) dans ce cas-ci. Les défendeurs ont au Canada un établissement, une succursale ou une agence, et il n'est pas contesté que le contrat d'expédition et de transport relatif aux 170 caisses a été conclu au Canada. Cela étant, et compte tenu des remarques incidentes qui ont été faites dans les arrêts Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] A.C.S. no 23 et Incremona-Salerno Marmi Affini Siciliani (I.S.M.A.S.) s.n.c. c. Caster (Le), [2003] 3 C.F. 220 (C.A.), les demanderesses soutiennent que la Cour n'a plus le pouvoir discrétionnaire voulu pour ordonner la suspension des procédures en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, que ce soit pour le motif que la demande est en instance devant un autre tribunal ou dans un autre ressort, ou parce que, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

[14]            L'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime supprime clairement l'effet déterminant ou obligatoire d'une clause d'élection de for qui est stipulée dans un connaissement ou dans un contrat de transport de marchandises par mer. Toutefois, contrairement à ce qu'affirment les demanderesses, je n'interprète pas les remarques incidentes qui ont été faites par la Cour suprême du Canada ou par la Cour d'appel fédérale comme voulant dire que, pour d'autres motifs, la présente cour ne peut pas, le cas échéant, ordonner la suspension des procédures si l'intérêt de la justice l'exige. Si l'on tirait une autre conclusion et si l'on adoptait les arguments des demanderesses, cela voudrait dire que, s'il a été satisfait à une disposition de l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, la Cour ne pourrait jamais ordonner la suspension des procédures. La Cour perdrait donc la capacité d'exercer un contrôle sur les procédures qui ont été engagées devant elle.


[15]            Au paragraphe 37 de l'arrêt Z.I. Pompey, la Cour suprême dit que « le paragraphe 46(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prive la Cour fédérale, en présence de l'une ou l'autre des conditions énoncées aux alinéas 46(1)a), b) ou c), du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale de suspendre les procédures pour donner effet à une clause d'élection de for » (non souligné dans l'original). De même, au paragraphe 13 de l'arrêt Incremona-Salerno, la Cour d'appel fédérale dit ce qui suit :

Cette disposition a pour effet de retirer à la présente Cour le pouvoir discrétionnaire conféré à l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'il s'agit de suspendre les procédures en raison de l'existence d'une clause de compétence ou d'arbitrage s'il est satisfait aux exigences des alinéas 46(1)a), b) ou c). En l'espèce, si l'avis exprimé par le juge des requêtes est exact, l'alinéa 46(1)a) empêcherait les appelants d'obtenir une suspension fondée sur la clause 25 du connaissement [qui prévoyait que tout litige serait tranché à Hambourg, en Allemagne] étant donné que le déchargement a eu lieu au port de Halifax. Par conséquent, si le paragraphe 46(1) s'applique à l'instance ici en cause, les demandes de suspension présentées par les appelants seront probablement rejetées.

                                                                                                                 [Non souligné dans l'original.]

[16]            Ces passages montrent clairement que l'article 46 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime annule l'effet déterminant des clauses d'élection de for en vertu desquelles une décision devrait être rendue dans un ressort autre que le Canada. Cela n'écarte pas la compétence qui est conférée à la Cour par l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour pouvant exercer son pouvoir discrétionnaire, le cas échéant, en vue d'ordonner la suspension des procédures et tenir notamment compte de la doctrine du forum non approprié.


[17]            En déterminant si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'ordonner la suspension dans ces types de procédures, un certain nombre de facteurs doivent entrer en ligne de compte, y compris le ressort dans lequel se trouve la preuve, l'application du droit étranger, le pays avec lequel chaque partie est liée, la question de savoir si le défendeur cherche à obtenir un avantage procédural en invoquant la clause d'élection de for et la question de savoir si le demandeur subit un préjudice s'il se voit obligé de poursuivre sa demande dans un autre ressort.

[18]            En l'espèce, compte tenu des faits dans l'ensemble et des circonstances relatives à l'expédition des marchandises de New York à Monrovia, y compris la valeur des marchandises, le fait que les véritables demanderesses sont au Canada, que les défendeurs ont des intérêts commerciaux au Canada, et plus particulièrement, que presque tous les témoins importants, sinon tous, doivent venir de Monrovia ou de New York (facteur ne favorisant ni l'Angleterre ni le Canada), je conclus que la présente cour est le forum le plus commode et le plus approprié aux fins de la détermination de la demande des demanderesses, y compris l'interprétation et l'application du droit anglais.


[19]            Quant à l'argument des défendeurs selon lequel les demanderesses s'en sont remises à la compétence de la Haute cour de justice en Angleterre, je ne retiens pas cet argument. L'avis d'accusé de réception qui a été signé et déposé par les demanderesses devant la Haute cour exigeait qu'elles déposent les documents en vue de contester la compétence dans les 28 jours suivant le dépôt, mais les commentaires accompagnant les Règles de procédure anglaises indiquent que la question peut être tranchée à une date ultérieure. Il peut également y avoir une raison pratique pour laquelle les demanderesses ne se défendent pas devant les tribunaux anglais, à savoir que le coût associé à la poursuite d'une demande de 30 000 $ dans ce ressort l'emporte sur l'avantage que comporterait un résultat fructueux.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête que les défendeurs ont présentée en vue d'obtenir la suspension des présentes procédures est rejetée.

2.          Les défendeurs signifieront et déposeront leur défense dans les trente (30) jours qui suivent la date de la présente ordonnance.

3.          Les dépens de la présente requête suivront l'issue de la cause.

« Martha Milczynski »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1372-03

INTITULÉ :                                                    MAGIC SPORTSWEAR CORP. et

BLUE BANANA

c.

OT AFRICA LINE LTD., OT AFRICA LINE, et les propriétaires et affréteurs ainsi que toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « MATHILDE MAERSK » et sur le navire « SUZANNE DELMAS »

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 15 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

C. William Hourigan                                         POUR LES DEMANDERESSES

Marc D. Issacs                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin LLP                      POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

Strathy et associés                                             POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)

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