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                                                                                                                                 Date : 20050210

Dossier : T-1694-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 214

ENTRE :

                                                          KONA CONCEPT INC.

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                    GUIMOND BOATS LIMITED

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]                Dans la présente requête en radiation, la défenderesse a soulevé des questions quant à savoir si la déclaration est nulle et si la Cour a compétence maritime concernant un jugement étranger qui n'a pas rapport à une affaire maritime.


[2]                Kona Concepts Inc. (Kona), une société de pêche hawaïenne, a intenté une poursuite devant la Cour, lui demandant de déclarer, au moyen d'un jugement sommaire, qu'un jugement pour un montant de 402 213,48 $US rendu par la cour de district des États-Unis, district de Hawaii, soit reconnu et exécuté comme un jugement de la Cour ou que, subsidiairement, la Cour condamne la défenderesse Guimond Boats Limited (Guimond), une société de construction navale du Nouveau-Brunswick, à payer à Kona l'équivalent en dollars canadiens du montant en dollars américains.

[3]                Le jugement américain provient d'une procédure par défaut dans laquelle Guimond a d'abord comparu dans la cour de district des États-Unis, puis s'est retirée de la poursuite après avoir perdu une contestation de la compétence.

[4]                Dans la déclaration, Kona plaide qu'elle a conclu un contrat avec Guimond pour la conception, la fabrication et la vente d'un navire de pêche au ton. L'essence de sa prétention est que Guimond a contrevenu aux termes du contrat et que Kona a obtenu un jugement à cet effet de la cour de district des États-Unis.

[5]                Guimond présente la présente requête en radiation au motif que : a) Kona était une société dissoute lorsque la déclaration a été déposée et b) la Cour n'a pas compétence pour reconnaître et exécuter le jugement américain.

DÉCLARATION NULLE


[6]                Si on se fie au dossier, il ne fait aucun doute que Kona a été dissoute. Toutefois, il ne fait également aucun doute que Guimond a traité avec Robert Morgan et a été payée par lui. Celui-ci se présentait comme étant le responsable de Kona Concepts. D'après le dossier, Guimond traitait indifféremment à la fois avec une personne et à la fois avec une société.

[7]                Alors que Guimond cite de nombreuses autorités quant au principe qu'une société dissoute n'a pas la qualité requise pour intenter des recours en justice, je crois, en toute déférence, que la présente cause cadre plus avec les décisions qui ont trait à la mauvaise identification d'une partie.

[8]                À cet égard, les facteurs examinés dans L & A Management Ltd. c. Gentra Inc., [1999] O.J. no 3862 conf. par [2001], O.J. no 2850 sont pertinents. Plus particulièrement, la défenderesse savait à qui elle avait affaire - M. Morgan/Kona Concepts; la défenderesse ne subit aucun préjudice; la défenderesse n'a pas présenté sa défense. Il s'agit en l'espèce d'une situation où l'équité demande que la Cour permette la substitution quant à la partie pertinente.

[9]                Quel effet peut avoir une telle substitution sur un jugement américain est une question distincte qu'il n'est pas nécessaire de trancher dans la présente requête.

L'ABSENCE DE COMPÉTENCE

[10]            La défenderesse affirme que la Cour n'a pas compétence pour reconnaître et exécuter le jugement de la cour de district des États-Unis. Par conséquent, la défenderesse demande à la Cour de radier la totalité de la déclaration.


[11]            Il est reconnu que, en droit américain, un contrat de construction navale ne relève pas du droit maritime et, par conséquent, le jugement de la cour de district des États-Unis n'est pas un jugement d'une cour exerçant sa compétence en droit maritime.

[12]            La défenderesse affirme que, sous réserve d'exceptions limitées figurant à l'article 326 des Règles de la Cour fédérale (dont aucune ne s'applique en l'espèce), la Cour fédérale n'a pas compétence pour reconnaître et exécuter un jugement étranger. Ce rôle est réservé aux provinces et chacune possède son propre régime pour traiter avec les jugements étrangers.

[13]            Il est important de tenir compte du fait que la question, dans la présente demande de radiation, consiste à savoir si l'absence de compétence est « claire et évidente » . Je fais miens le raisonnement suivant du juge Reed dans l'arrêt Hodgson c. Bande indienne d'Ermineskin no 942, [2000], A.C.F. no 313 :

Le critère de savoir si la chose est « claire et évidente » s'applique à la radiation d'actes de procédure pour absence de compétence de la même façon qu'il s'applique à la radiation de tout acte de procédure au motif qu'il ne fait état d'aucune cause raisonnable d'action. L'absence de compétence doit être « claire et évidente » pour justifier la radiation d'actes de procédure à ce stade préliminaire.

[14]            Dans la présente demande, la défenderesse demande la radiation de la totalité de la déclaration au motif que l'une des réparations demandées ne relevait pas de la compétence de la Cour. Il ne s'agit pas d'une demande de radiation de certains paragraphes dans un acte de procédure.


[15]            La défenderesse renvoie la Cour à la décision rendue par le juge Dubé dans Eurobulk Ltd. c. Wood Preservation Industries, [1980] 2 C.F. 245. Cette décision doit toutefois être appliquée avec prudence. Elle a été rendue avant l'apparition de l'article 326 actuel. Elle a également été rendue avant que ne soit rendu l'arrêt de la Cour suprême du Canada Antares Shipping Corp. c.    Capricorn (Le), [1980] 1 R.C.S. 553, dans lequel la Cour a rejeté l'approche américaine au droit maritime et a adopté une interprétation plus large de la compétence de la Cour fédérale en droit maritime en vertu de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale. Je ne crois pas que cette question de compétence soit axée sur l'arrêt City of Mecca de 1879 ou sur l'arrêt Weir de 1608.

[16]            La Cour fédérale a compétence dans le cas d' « une demande fondée sur un contrat de construction, de réparation ou d'équipement d'un navire » (Loi sur la Cour fédérale, alinéa 22(2)n)). La demanderesse a plaidé qu'il y avait suffisamment de faits pour que l'on puisse contester la compétence de la Cour. À cette fin, la question n'est pas de savoir si la cour de district des États-Unis exerçait une compétence maritime mais de savoir si la présente demande en vertu du droit canadien relève du droit maritime canadien. J'estime que, compte tenu de la disposition de la Loi sur la Cour fédérale ainsi que des faits plaidés, du moins peut-on le prétendre, elle relève du droit maritime canadien.


[17]            Pour ce qui est de la réparation précise de la reconnaissance et de l'exécution du jugement de la cour de district des États-Unis, il est préférable de traiter cette question dans le cadre de la requête en jugement sommaire demandée. L'état du jugement américain suscite un doute compte tenu de la dissolution de la demanderesse nommée et on ne sait pas quel effet la renaissance de la personne morale peut avoir sur ce jugement. Depuis l'audience, la Cour a été informée que le jugement américain avait été modifié pour nommer comme demandeurs, Robert Morgan et Kona Concepts Inc. Pour les motifs qui précèdent, on pourra traiter de l'importance de ce jugement modifié dans une autre procédure.

[18]            Pour ces motifs, la requête sera rejetée. La demanderesse disposera d'un délai de trente (30) jours pour signifier et déposer une déclaration modifiée identifiant, probablement, le demandeur pertinent.

[19]            Advenant qu'aucune modification ne soit déposée, la défenderesse a droit aux dépens de la présente requête (en dépit de son issue) à l'encontre de Langlois Gaudreau O'Connor. À défaut, comme il était raisonnable que la défenderesse dépose la présente requête en raison des erreurs commises par le demandeur américain, les dépens suivront l'issue de la cause.

[20]            Les parties peuvent juger utile d'examiner si la présente cause devrait être placée sous le régime de gestion des instances.

                                                                                                                                 Michael L. Phelan          

      Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.                                                                                                                        


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-1694-04

INTITULÉ :                                                                KONA CONCEPT INC.

c.

GUIMOND BOATS LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          FREDERICTON (N.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 13 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                               LE 10 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

John G. O'Connor                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Richard J. Scott, c.r.                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Langlois Gaudreau O'Connor    POUR LA DEMANDERESSE

Québec (Québec)                                                                                                                                 

Allen Dixon Smith Townsend     POUR LA DÉFENDERESSE

Fredericton (Nouveau-Brunswick)                                                                                                        

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