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Date : 20030310

Dossier : T-194-97

Référence : 2003 CFPI 292

Toronto (Ontario), le lundi 10 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROTONOTAIRE ROGER R. LAFRENIÈRE

ENTRE :

LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

                                                                                                                                                  demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES

AYANT UN INTÉRÊT DANS LES NAVIRES LE CHÊNE No 1, L'ORME No 1,

LE SAULE No 1 et LE W.M. VACY ASH

                                                                                                                                                       défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Cette requête porte sur des réclamations opposées de la demanderesse, la Banque canadienne impériale de commerce (la banque CIBC), et le mécanicien en chef Donald MacKenzie (MacKenzie), visant le produit de la vente des navires LE CHÊNE No 1, L'ORME No 1 et LE SAULE No 1 (les navires défendeurs). La banque CIBC soutient avoir préséance au vu de ses hypothèques sur les navires défendeurs. MacKenzie réclame la préférence pour sa réclamation de salaires dus par suite de son contrat d'emploi avec le propriétaire des navires.


[2]                 À l'époque où MacKenzie a présenté sa requête, les sommes en litige totalisaient 73 286,84 $, moins les avantages reçus au titre de l'emploi, plus les intérêts et les dépens. Depuis lors, la portée des questions est devenue plus étroite. Premièrement, la banque CIBC ne conteste pas que MacKenzie a droit au paiement de vacances pour la somme de 9 878,40 $, ainsi que de dépenses personnelles pour la somme de 320 $. De plus, elle admet que ces sommes sont garanties par des privilèges maritimes et donc ont préséance sur ses hypothèques. Deuxièmement, la banque CIBC admet, au vu de la décision du juge Pratte (alors à la Section de première instance) dans Karamanlis c. Le Norsland, [1971] C.F. 487, que notre Cour est compétente pour accorder une indemnité pour licenciement abusif. Elle admet aussi, aux fins de cette requête, qu'en l'instance, huit mois était la période raisonnable pour l'avis de licenciement. Toutefois, la banque CIBC conteste le fait que MacKenzie aurait fait l'objet d'un licenciement abusif, ou qu'il aurait droit de récupérer les bonis annuels. De plus, la banque CIBC soutient que même si les réclamations étaient valables, elles n'ont pas droit à la protection d'un privilège maritime et, par conséquent, elles ne prennent pas préséance sur les garanties détenues par la banque CIBC.

[3]                 La question principale en litige consiste à savoir si les réclamations de MacKenzie pour une indemnité de départ ou une indemnité pour licenciement abusif (décrites globalement plus loin comme l'indemnité de départ) ont la protection du privilège maritime. Le point crucial du litige porte sur la nature du lien contractuel entre l'employeur et MacKenzie.


LE CONTEXTE

[4]                 Les navires défendeurs étaient la propriété de Socanav Inc. (Socanav), une grande société commerciale de Montréal qui exploite des pétroliers. MacKenzie, qui était jusqu'en 1977 mécanicien en second chez Gulf Canada Inc., a été engagé comme mécanicien en chef par Socanav le 4 juin 1985. Socanav engageait ses propres membres d'équipage sur les navires défendeurs, ainsi que sur les autres navires de sa flotte, y compris MacKenzie. Pour la période allant de 1985 à 1997, le contrat d'emploi de MacKenzie n'était pas lié à ses services sur un navire en particulier, même s'il travaillait principalement sur le navire LE CHÊNE No 1.

[5]                 Le 20 septembre 1996, Socanav a produit un Avis d'intention de présenter une proposition aux créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. La Cour supérieure du Québec, siégeant en matière de faillite (le tribunal des faillites), a accueilli la demande de Socanav visant à nommer un séquestre intérimaire, ayant compétence pour vendre certains actifs et pour réaliser la vente à une autre société commerciale. Toutefois, cette vente ne s'est pas réalisée après qu'un des navires de Socanav, le M.V. VACY ASH, a été saisi par des fournisseurs impayés dans un port français le 21 octobre 1996.


[6]                 Étant donné que Socanav avait toujours des difficultés financières, elle a conclu une entente à court terme avec une société à numéros le 21 novembre 1996. Cette entente portait sur l'exploitation des navires défendeurs et elle prévoyait le paiement de tous les coûts liés à leur entretien. Cette entente a expiré au début de janvier 1997 et l'emploi de MacKenzie a pris fin peu de temps après. Quelques semaines plus tard, le tribunal des faillites a prononcé la faillite de Socanav, rétroactivement à la production de son avis.

[7]                 Les navires défendeurs ont été saisis par le créancier hypothécaire, la banque CIBC, et ils ont fait l'objet d'une ordonnance de vente de notre Cour le 10 mars 1997. Leur vente a eu lieu le 7 avril 1997 et elle a rapporté 2,7 millions de dollars. Le produit de la vente a été versé à la Cour, en attente du règlement des réclamations des tiers. Toutes les réclamations des tiers, sauf une, sont maintenant réglées et plusieurs versements ont été faits. MacKenzie est le seul réclamant qui vise le solde des fonds en cette affaire, qui est de 120 000 $ plus les intérêts accumulés. Ces argents n'ont pas été versés à la banque CIBC en attente de la détermination du montant de la réclamation de MacKenzie, ainsi que de son ordre de préséance par rapport à la banque CIBC. Au vu du solde négatif important suite à la liquidation de Socanav, il est essentiel pour MacKenzie que sa réclamation soit protégée par un privilège maritime.

ANALYSE

[8]                 Avant d'examiner la question de savoir si MacKenzie a droit à un privilège maritime pour son indemnité de départ, je vais traiter de deux questions : premièrement, la réclamation de MacKenzie pour les bonis impayés et, deuxièmement, son droit de réclamer une indemnité pour licenciement abusif.


La réclamation pour bonis annuels

[9]                 Selon MacKenzie, de 1986 à 1991 les employés recevaient des bonis annuels allant jusqu'à 5 000 $. Par conséquent, MacKenzie réclame 12 500 $, ce qui représente la moyenne des bonis annuels qu'il soutient qu'on aurait dû lui payer au cours des cinq dernières années d'opération de la société. Toutefois, cette réclamation n'est pas appuyée par la preuve. Dans son affidavit, MacKenzie admet que son employeur n'a plus versé de bonis après 1991. Bien que les dirigeants de la compagnie semblent avoir informé les employés à l'occasion qu'ils récupéreraient leurs bonis annuels l'année suivante, la preuve ne suffit pas à démontrer l'existence d'un engagement ferme de la part de l'employeur de verser à nouveau des bonis annuels. Le fait que les employés n'ont pas logé de griefs suite au défaut de leur employeur de leur verser les bonis au fil des ans indique qu'ils reconnaissaient que ces versements étaient totalement discrétionnaires. Étant donné qu'on n'a pas démontré que MacKenzie avait droit aux bonis en vertu de son contrat d'emploi, ou de toute autre considération (voir Llido c. Le Lowell Thomas Explorer, [1980] 1 C.F. 339), je conclus que cette partie de sa réclamation doit être rejetée.

L'indemnité pour licenciement abusif


[10]            MacKenzie soutient que parmi les conditions implicites de son emploi il y en a une qui prévoit un avis raisonnable, ou un versement de substitution, en cas de licenciement. Il n'y a pas de litige quant au fait que la déclaration de faillite de Socanav est venue mettre fin à l'emploi de MacKenzie. La réclamation de MacKenzie pour obtenir une indemnité à ce titre trouve sa source dans le fait que l'employeur ne lui a pas donné un avis adéquat de cessation d'emploi. La banque CIBC soutient qu'on ne peut reprocher à Socanav de n'avoir pas donné un tel avis à ses employés, étant donné que le fait de rendre ses difficultés financières publiques aurait eu pour conséquence d'accélérer sa chute. Elle soutient que Socanav a agi de façon raisonnable dans une tentative d'éviter la faillite et de continuer ses opérations et, par conséquent, que MacKenzie n'a pas été licencié volontairement mais bien plutôt en vertu de la législation. Je ne suis pas de cet avis.

[11]            En common law, la possibilité pour un employé d'obtenir une indemnité pour licenciement abusif d'un employeur en faillite est directement liée à la procédure utilisée pour la mise en faillite. Si la mise en faillite est le fait d'un créancier, le droit de l'employé à une indemnité peut être inexistant. Toutefois, lorsque la mise en faillite est volontaire, au sens où c'est l'employeur qui a décidé de déclarer faillite, ce dernier met effectivement fin à l'emploi : Re Kemp Products Ltd. (1978), 27 C.B.R. (N.S.) 1; Re Penningtons' Stores Ltd. (1996), 21 C.C.E.L. (2d) 318; et In Re Bryant, Isard and Co. (1922), 3 C.B.R. 352. Au vu de la preuve qui m'est présentée, je conclus que la relation d'emploi entre la société et MacKenzie a été terminée du fait de l'employeur. Étant donné que le licenciement n'était pas motivé et qu'il a été fait sans préavis, MacKenzie a droit à une indemnité pour licenciement abusif.


La protection du privilège maritime

[12]            Je vais maintenant examiner la principale question en litige dans cette requête, savoir la prétention de MacKenzie qu'il a droit à la protection d'un privilège maritime à l'appui de sa réclamation d'indemnité de départ contre les navires défendeurs. Le privilège maritime traditionnel a un statut unique en common law. Il constitue une réclamation privilégiée sur toute propriété maritime. Comme toutes les autres réclamations, il est sanctionné par la voie d'une action réelle. Le privilège maritime trouve sa source dans le droit maritime canadien et il vise un nombre limité de réclamations, y compris celles relatives au salaire des marins. La possibilité de faire sanctionner un privilège maritime est reconnue à l'alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale, appuyée par le paragraphe 43(3) de cette même Loi. L'alinéa 22(2)o) de la Loi sur la Cour fédérale porte que la Section de première instance a compétence dans le cas d'une demande d'un capitaine, un officier ou un autre membre de l'équipage d'un navire relativement au salaire, à l'argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement.


[13]            Le privilège maritime pour les salaires couvre maintenant toutes les formes de rémunération qu'on décrit généralement par le terme « salaires » : The Tacoma City, [1991] 1 Lloyd's Rep 330 (C.A.), aux p. 335 et 336, et The Halcyon Skies, [1976] 1 All ER 856, aux pages 864 à 862. À première vue, il semblerait qu'une indemnité de départ, y compris toute indemnité pour licenciement abusif, peut être protégée par un privilège maritime. Toutefois, un marin doit démontrer l'existence d'un lien entre l'indemnité de départ et le navire sur lequel le privilège est exercé. À ce sujet, je renvoie à la décision du juge Clarke dans The Ever Success (1999), 1 QB 824, à la page 832 :

[traduction]

« Selon moi, la jurisprudence démontre qu'un capitaine ou un marin a droit à son salaire, ainsi qu'au privilège maritime qui s'y rattache, s'il a assumé les fonctions appropriées à son rang, savoir comme capitaine, mécanicien en chef ou marin. Il doit faire partie de l'équipage du navire, sans nécessairement toutefois assurer son service sur ce navire ou y résider, mais son service doit être réellement lié au navire et il doit être exécuté lors d'une période durant laquelle le réclamant peut être décrit comme faisant partie de l'équipage du navire. »

[14]            L'exigence que le salaire soit « lié au navire » est au coeur même du privilège maritime. Après tout, le privilège s'applique au navire seulement si les salaires en cause sont liés à ce même navire. Dans The Tacoma City, précité, la raison fondamentale pour laquelle on a exclu l'indemnité de départ du privilège était que le droit au paiement n'était pas lié au navire, ou au contrat de voyage, avec le propriétaire du navire en cause, mais bien à un contrat de service avec une société de gestion distincte. Il y a donc lieu d'examiner avec soin le contrat d'emploi en cause, ou toute autre circonstance qui donne droit aux sommes réclamées.

[15]            La réclamation de MacKenzie pour huit mois de salaire à titre d'avis est fondée sur ses 31 années de service en mer comme officier, dont 12 à l'emploi de Socanav. MacKenzie a été engagé à temps plein le 1er juillet 1985, en vertu d'un contrat écrit portant le versement d'un salaire quotidien, payable 365 jours par an, ainsi que certains avantages sociaux, y compris une assurance-vie, une assurance-santé et un régime de retraite. Son contrat d'emploi à long terme est semblable au contrat de service examiné par la Cour d'appel de l'Angleterre dans The Tacoma City. Comme le lord juge Ralph Gibson l'explique à la page 336, l'objectif de ces contrats de service est le suivant :


[traduction]

« ... de fournir une alternative supérieure au système actuel en vertu duquel la plupart des marins étaient couverts par un nouveau contrat chaque fois qu'ils s'engageaient sur un nouveau navire, ce qui fait qu'ils n'avaient pas de service continu et, notamment, qu'ils étaient privés des avantages auxquels ils auraient pu s'attendre par suite de longs états de service. En vertu du nouveau système, un marin qui signait un contrat de service était employé aux mêmes conditions durant toute la durée du contrat, même s'il était appelé à servir sur plusieurs navires différents appartenant à diverses sociétés à l'intérieur d'un groupe donné. »

[16]            De tels contrats de service assuraient un emploi continu, quels que soient les navires ou les voyages en cause. Il serait toutefois contraire à la justification du privilège maritime de l'appliquer aux indemnités de départ liées à un tel contrat de service, plutôt qu'à un navire donné.

[17]            Si la source réelle de l'indemnité de départ n'est pas un contrat lié à un navire donné, mais un contrat de service plus général, le lien nécessaire entre l'indemnité de départ et le navire n'existe pas. Dans de telles circonstances, le licenciement n'est pas dû au fait que le marin n'est plus requis pour l'opération du navire, mais plutôt au fait qu'on n'a plus besoin de ses services dans le cadre plus général de son contrat de service. C'est la situation décrite dans The Tacoma City, précité, et je me range sans réserves à ce raisonnement. Selon moi, les circonstances qui ont donné naissance à la réclamation de l'indemnité sont liées au contrat de service et non à un contrat spécifiquement lié aux navires défendeurs.


CONCLUSION

[18]            En résumé, même si MacKenzie a travaillé huit de ses 12 années de service avec Socanav au sein des équipages des navires défendeurs, je ne peux arriver à la conclusion que sa réclamation d'indemnité de départ ou d'indemnité de licenciement est liée aux services qu'il fournissait sur les navires défendeurs. Pour ces motifs, je conclus que le salaire réclamé à titre d'avis d'indemnité de licenciement abusif ne donne naissance à aucun privilège portant sur les navires défendeurs, sauf pour le salaire de vacances et les dépenses personnelles acceptées par la banque CIBC.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.                    La somme de 10 198,40 $, comprenant le salaire de vacances de 9 878,40 $ et les dépenses personnelles de 320 $, plus les intérêts courus sur cette somme sera versée au mécanicien en chef Donald MacKenzie.

2.         Le solde des sommes consignées à la Cour, plus l'intérêt couru, sera versé à la Banque canadienne impériale de commerce.


3.          Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

« Roger R. Lafrenière »

                                                                                                Protonotaire                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                              COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-194-97

                                                         

INTITULÉ :                                              BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

                                                                                               demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN INTÉRÊT DANS LES NAVIRES LE CHÊNE No 1, L'ORME No 1, LE SAULE No 1 et le W.M. VACY ASH

                                                                                                    défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE MARDI 10 JUILLET 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE             LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

ET ORDONNANCE :                               

DATE DES MOTIFS :                 LE LUNDI 10 MARS 2003

COMPARUTIONS:

M. Nigel H. Frawley                                                                                                  pour la demanderesse

M. Edouard Baudry                                                                                                   pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

BORDEN LADNER GERVAIS LLP                                                                          pour la demanderesse

Avocats

Scotia Plaza                                                           

40 ouest, rue King

Toronto (Ontario)

M5H 3Y4

LAVERY, DE BILLY                                                                                                  pour les défendeurs

Avocats

Suite 4000

1, Place Ville Marie

Montréal (Québec)

H3B 4M4


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

         Date : 20030310

                  Dossier : T-194-97

ENTRE :

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE

                                      demanderesse

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES AYANT UN INTÉRÊT DANS LES NAVIRES LE CHÊNE No 1, L'ORME No 1, LE SAULE No 1 et le W.M. VACY ASH

                                             défendeurs

                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                          

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