Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030115

Dossier : T-2172-02

Toronto (Ontario), le 15 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

LA NORTH OF SMOKEY FISHERMEN'S ASSOCIATION

                                                                                                                                 demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

                                                                                                                                        défendeurs

ORDONNANCE

La requête que la demanderesse a présentée en vue d'obtenir une injonction interlocutoire est rejetée.

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030115

Dossier : T-2172-02

Référence neutre : 2003 CFPI 33

ENTRE :

LA NORTH OF SMOKEY FISHERMEN'S ASSOCIATION

                                                                                                                                 demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

                                                                                                                                        défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                 La demanderesse, la North of Smokey Fishermen's Association (la NOSFA), est un organisme doté de la personnalité morale qui représente les intérêts de ses membres, des pêcheurs, en Nouvelle-Écosse. Le 27 décembre 2002, la NOSFA a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre des Pêches et des Océans d'approuver une pêche d'hiver à la morue dans la zone 4Vn. La NOSFA demande l'annulation de la décision et elle demande en outre qu'il soit interdit au ministre de décider d'ouvrir une pêche d'hiver dans la zone 4Vn pour le motif que cette décision excède le pouvoir du ministre et qu'elle constitue un abus du pouvoir discrétionnaire conféré à celui-ci.

[2]                 Le 6 janvier 2003, la NOSFA, par un avis de requête, a demandé une injonction interlocutoire [TRADUCTION] « interdisant au ministre des Pêches et des Océans d'approuver une pêche d'hiver dans la zone 4Vn en attendant le contrôle judiciaire de la décision du ministre » .

[3]                 Les faits peuvent être brièvement énoncés. Le sud du golfe Saint-Laurent est désigné comme étant la division 4T de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du nord-ouest (l'OPANO). Le secteur situé à l'est du Cap-Breton est connu sous le nom de division 4Vn de l'OPANO (secteur de Sydney Bight). Deux stocks distincts de morue sont en cause dans la zone 4Vn. Il y a un stock de morue qui réside dans cette zone pendant toute l'année. Ce stock se mêle au stock migratoire du golfe 4T du mois de novembre au mois d'avril. Le stock de morue appelé 4TVn désigne le stock au sud du golfe Saint-Laurent. La pêche, en ce qui concerne le stock 4TVn, a été fermée pendant le moratoire, entre 1993 et 1999.


[4]                 Le ministre a annoncé le plan de gestion du poisson de fond du golfe Saint-Laurent (le plan) le 17 juin 2002. Ce plan fixe à 6 000 tonnes le total des prises admissibles pour le stock de morue du sud du golfe. Ce stock passe une partie de l'année (du mois de mai au mois d'octobre) dans la zone 4T de l'OPANO et le reste de l'année dans la zone 4Vn. Ce stock est désigné dans le plan comme étant le stock de morue 4TVn (du mois de novembre au mois d'avril). La demanderesse a été informée de l'existence du plan par une lettre du directeur régional en date du 3 décembre 2002. La saison de pêche pour ce stock va du 1er juin 2002 au 31 mai 2003. Le plan précise qu'au moins 83,3 p. 100 du total des prises admissibles doit être pêché pendant que le stock se trouve dans la zone 4T. Le reste, qui représente jusqu'à 16,7 p. 100 (860 tonnes cette année), peut être pêché pendant que le stock se trouve dans la zone 4Vn, pendant la période hivernale allant du mois de novembre au mois d'avril. La zone de pêche 4Vn a habituellement été allouée aux flottes côtières Scotia Fundy (moins de 65 pieds) et aux sociétés étrangères pêchant partout dans l'Atlantique. Les activités signalées dans le cadre du plan qui a été approuvé pour la pêche 2002-2003 au 2 janvier 2003 indique que 5 127 tonnes, sur les 6 000 tonnes dont est composé le total des prises admissibles, ont été pêchées dans la zone 4T, principalement par des flottes côtières. Une partie de la prise a été pêchée par les flottes Scotia Fundy, qui ont choisi de pêcher leur part 4Vn du contingent dans la zone 4T. Par conséquent, il reste encore à pêcher cet hiver 452 tonnes du contingent dans la zone 4Vn.


[5]                 En 1993, le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (le CCRH) a été créé pour former un partenariat entre les milieux scientifiques et universitaires et tous les secteurs de l'industrie de la pêche. Le CCRH fait des recommandations publiques sur des questions telles que les taux de prises admissibles et les mesures de conservation. Lorsque la pêche a repris en 1999, sur la recommandation du CCRH, aucune pêche n'a été autorisée dans la zone 4Vn pendant l'hiver à cause des préoccupations liées au stock de morue résidant dans cette zone. Le CCRH a fait savoir que [TRADUCTION] « la pêche dans la zone 4TVn pendant que la morue hiverne dans la zone 4Vn (du mois de novembre au mois d'avril) devrait uniquement avoir lieu dans la mesure où l'on croit réellement que la prise pour la morue (résidant) dans la zone 4Vn sera minime » .

[6]                 En réponse aux préoccupations exprimées par le CCRH, le ministère des Pêches et des Océans (le MPO), avec le secteur de pêche hauturière, a procédé, en l'an 2000, à un relevé acoustique en vue d'examiner le mouvement et le croisement de la morue résidant dans la zone 4Vn. Selon les résultats de cette entreprise, qui ont été rendus publics au début de l'année 2002, cette pêche restreinte au cours de l'hiver aurait un impact minime sur le stock qui réside dans la zone en question. En l'an 2002, des consultations ont eu lieu au sujet de l'étude avec des pêcheurs locaux, y compris la demanderesse. Pendant ces consultations et par la suite, la NOSFA a exprimé ses préoccupations et son incertitude au sujet de l'intégrité du relevé acoustique et a recommandé au ministre de laisser fermée la pêche d'hiver dans la zone 4Vn.


[7]                 Le ministre a approuvé l'ouverture de la pêche pendant l'hiver 2003 dans la zone 4Vn pour le reste des contingents alloués dans la zone 4TVn (452 tonnes) sous réserve des plans de conservation de la récolte, en imposant des mesures de surveillance rigoureuses. Les plans de conservation de la récolte établissent des restrictions dans les zones de pêche et exigent une vérification à quai obligatoire ainsi que l'observation par un tiers en mer, et ce, en tout temps. La zone 4Vn est ouverte à la pêche sélective à la morue du 15 décembre 2002 au 31 mars 2003. Les examens scientifiques de l'année 2003 concernant la situation des stocks de morue dans le golfe (renfermant des données sur le niveau minimal de biomasse de stocks résidant dans la zone 4Vn) doivent être rendus publics à la fin du mois de mars 2003.

[8]                 La question, telle qu'elle a été définie par la NOSFA, est de savoir si la décision du ministre d'approuver une pêche d'hiver à la morue dans la zone 4Nv doit être annulée. Selon le défendeur, la réparation demandée est une injonction de faire. Pour les motifs ci-après énoncés, j'ai conclu que la requête doit être rejetée.

[9]                 Le premier obstacle auquel fait face la demanderesse, et ce, que la demande se rapporte à une injonction interlocutoire ou à une injonction interlocutoire de faire, consiste à l'emporter sur l'article 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, qui prévoit ce qui suit :

22. (1) Le tribunal ne peut, lorsqu'il connaît d'une demande visant l'État, assujettir celui-ci à une injonction ou à une ordonnance d'exécution en nature mais, dans les cas où ces recours pourraient être exercés entre personnes, il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties.

22. (1) Where in proceedings against the Crown any relief is sought that might, in proceedings between persons, be granted by way of injunction or specific performance, a court shall not, as against the Crown, grant an injunction or make an order for specific performance, but in lieu thereof may make an order declaratory of the rights of the parties.

2) Le tribunal ne peut, dans aucune poursuite, rendre contre un préposé de l'État de décision qu'il n'a pas compétence pour rendre contre l'État.

2) A court shall not in any proceedings grant relief or make an order against a servant of the Crown that it is not competent to grant or make against the Crown.

[10]            Le principe général est énoncé dans la décision Esquimalt Anglers' Assn. c. Canada (1988), 21 F.T.R. 304 (Esquimalt) et dans d'autres décisions du même genre. Dans la décision Esquimalt, Monsieur le juge Cullen a dit ce qui suit :

Il est clair que la Cour n'a pas le pouvoir de prononcer une injonction contre la Couronne ou contre les ministres de la Couronne lorsqu'ils agissent comme préposés de la Couronne et que leurs fonctions sont prévues par la loi. Cependant, la jurisprudence précise bien que lorsque des « préposés du gouvernement » s'acquittent d'une fonction en vertu d'une loi et qu'ils commettent un abus de pouvoir, ces « préposés du gouvernement » peuvent faire l'objet d'une injonction.

[11]            Vice versa, un ministre qui agit dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi n'est pas assujetti à une injonction : Glenview Corp. c. Canada (1990), 34 F.T.R. 304 (Glenview Corp.), juge Strayer (tel était alors son titre).

[12]            La demanderesse ne mentionne aucune disposition législative ou réglementaire que le ministre aurait violée. Il n'est pas non plus établi qu'en arrivant à sa décision, le ministre se soit fondé sur des considérations non pertinentes ou qu'il ait agi arbitrairement ou de mauvaise foi.


[13]            Le paragraphe 2(1) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F-15 constitue le MPO, placé sous l'autorité du ministre des Pêches et des Océans. Les pouvoirs et fonctions du ministre sont énoncés au paragraphe 4(1), qui prévoit ce qui suit :

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

4. (1) The powers, duties and functions of the Minister extend to and include all matters over which Parliament has jurisdiction, not by law assigned to any other department, board or agency of the Governement of Canada, relating to

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

b) aux ports de pêche et de plaisance;

c) à l'hydrographie et aux sciences de la mer;

d) à la coordination des plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans.

(a) sea coast and inland fisheries;

(b) fishing and recreational harbours;

(c) hydrography and marine sciences; and

(d) the coordination of the policies and programs of the Government of Canada respecting oceans.


[14]            La Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, sur laquelle la demanderesse s'est fortement fondée, précise dans son préambule que le Canada encourage l'application du principe de la prévention relativement à la conservation, à la gestion et à l'exploitation de ressources marines afin de protéger ces ressources et de préserver l'environnement marin et que le Canada estime que la conservation, selon la méthode des écosystèmes, présente une importance fondamentale. La partie II de la Loi traite de la stratégie de gestion des océans et prévoit que le ministre doit collaborer avec divers intéressés. Dans l'exercice de ses attributions, le ministre encourage les activités propres à promouvoir la connaissance, la gestion et la préservation des océans et des ressources marines. Les attributions ministérielles précises sont définies à l'article 43 et il est expressément prévu qu'elles sont assujetties à l'article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans. Le paragraphe 6(1) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53, édicté conformément à l'alinéa 43m) de la Loi sur les pêches, prévoit la modification des périodes de fermeture, des contingents ou des limites fixés par règlement pour une zone ou pour un secteur de zone. Il semblerait donc que le ministre a agi dans les limites des attributions qui lui sont conférées par la loi.

[15]            Comme c'était le cas dans l'affaire Glenview Corp., la demanderesse ici en cause n'a pas contesté sérieusement au moyen de sa preuve ou dans son argumentation, la capacité juridique du ministre ou de ses représentants d'ouvrir la pêche d'hiver à la morue dans la zone 4Vn. Par conséquent, la demande d'injonction interlocutoire doit être rejetée sur cette base. D'autre part, il n'a de toute façon pas été satisfait aux éléments du critère qui s'applique à l'octroi d'une injonction interlocutoire.

[16]            Les parties conviennent que le critère qu'il convient d'appliquer à l'octroi d'une injonction interlocutoire est tiré des décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Manitoba (PG) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110 (Metropolitan) et RJR-MacDonald Inc. c. Canada (PG), [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR-MacDonald). Il s'agit des éléments suivants :

a)          Il existe une question sérieuse à trancher;

b)          Un préjudice irréparable sera subi en cas de refus de redressement; et

c)          La prépondérance des inconvénients milite en faveur de l'octroi du redressement.

[17]            La NOSFA soutient que, pour satisfaire à l'élément de la « question sérieuse » , elle est uniquement tenue de démontrer que la demande n'est pas frivole ou vexatoire. Elle affirme que la viabilité possible à long terme des stocks de poisson dans la région du Canada atlantique avec tout ce que cela comporte pour le Canada atlantique et pour les Canadiens en général, va beaucoup plus loin que l'exigence préliminaire selon laquelle il doit exister une question sérieuse.

[18]            Il existe deux exceptions à l'exigence préliminaire peu rigoureuse nécessaire pour qu'il soit satisfait à l'élément de la « question sérieuse » ; elles sont toutes les deux énoncées dans l'arrêt RJR-MacDonald. La première exception est le cas où le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de la demande. La deuxième exception porte sur des questions de constitutionnalité et ne s'applique en l'espèce. Si la réparation constitue un règlement définitif de l'instance principale, une norme plus rigoureuse s'applique et le demandeur doit présenter une preuve prima facie.

[19]            La NOSFA allègue la violation du principe de la prévention relativement à la conservation. Aucune violation de quelque disposition législative ou réglementaire précise n'est invoquée à l'appui de cette allégation. C'est la Loi sur les océans qui préconise le principe de la prévention, et, comme il en a ci-dessus été fait mention, il est expressément prévu que les pouvoirs et fonctions relevant du ministre en vertu de la Loi sur les océans sont assujettis aux pouvoirs conférés à celui-ci en vertu de la Loi sur les pêches.


[20]            À ce stade, il existe une divergence d'opinions au sujet du bien-fondé de la décision d'autoriser la pêche d'hiver dans la zone 4Vn. La preuve fournie par la demanderesse soulève des questions, pour ce qui est du résultat du relevé acoustique, laissant entendre ce qui suit : [TRADUCTION] « Il serait possible de soutenir que cette hypothèse n'est peut-être pas correcte » (non souligné dans l'original) et « Toute pêche sélective dans la zone 4TVn peut viser beaucoup plus que les 3 à 5 p. 100 des stocks résidant dans la zone 4Vn, en particulier si l'évaluation actuelle de 1 659 t est inexacte » (non souligné dans l'original). Dans son avis, l'expert dit que le MPO a [TRADUCTION] « omis d'examiner adéquatement les effets néfastes possibles de l'ouverture sur le poisson de fond commercial et sur les invertébrés » . Une divergence d'opinions, sans plus, ne constitue pas une question de droit. La qualité de la décision du ministre (en l'absence de quelque indication que celui-ci n'avait pas compétence pour prendre pareille décision ou qu'il s'était fondé sur des considérations non pertinentes ou avait agi d'une façon arbitraire ou de mauvaise foi) ne constitue pas une question sérieuse, et ce, que l'exigence préliminaire relative à la « question sérieuse » soit faible ou qu'une preuve prima facie soit nécessaire. Même selon une appréciation préliminaire du bien-fondé de l'affaire, compte tenu du dossier tel qu'il existe à l'heure actuelle, je ne puis conclure à l'existence d'une question sérieuse.

[21]            En ce qui concerne le préjudice irréparable, la demanderesse soutient que c'est la nature ou la qualité, par opposition à la quantité, du préjudice qui importe. La NOSFA maintient que non seulement le préjudice ne peut pas être compensé par des dommages-intérêts, mais aussi qu'il est important. Le problème, affirme-t-elle, est qu'on ne sait pas encore si le stock est au-dessus, près ou au-dessous du niveau de biomasse critique. De plus, cette pêche pourrait avoir un effet négatif sur d'autres stocks de morue de la plate-forme Scotian et sur d'autres espèces, plus précisément la merluche blanche. Si l'un de ces stocks est à un niveau où sa récupération n'est pas certaine, la pêche d'hiver à la morue dans la zone 4Vn pourrait l'amener à un point où il ne pourrait pas récupérer.


[22]            Le problème, en ce qui concerne la viabilité future à long terme des stocks de poisson dans la région du Canada atlantique, tout en étant réel, est, compte tenu de la preuve dont je dispose, de nature conjecturale et fondé sur une opinion. En outre, il n'est pas allégué que la demanderesse subira directement un préjudice. La situation ressemble à celle qui existait dans l'affaire Esquimalt, où il n'avait pas été satisfait au deuxième élément du critère parce que l'association n'avait pas établi que la [demanderesse] subirait un préjudice irréparable. Dans l'arrêt RJR-MacDonald, on dit bien que ce sont les propres intérêts du demandeur qui doivent être touchés d'une façon négative. Or, il n'existe aucun élément de preuve au sujet de la façon dont la NOSFA sera directement touchée si la réparation n'est pas accordée. En outre, et malgré les préoccupations qui ont été exprimées, il n'est pas non plus établi qu'une perte permanente de ressources naturelles sera subie si l'activité contestée n'est pas prohibée. La NOSFA n'a pas satisfait à la charge qui lui incombait d'établir qu'il en résultera un préjudice irréparable.

[23]            La NOSFA soutient que le dernier élément du critère, à savoir la prépondérance des inconvénients, milite en faveur de la demanderesse, et ce, parce que, si l'injonction n'est pas accordée, le succès, pour ce qui est du contrôle judiciaire, aura vainement été remporté si la flotte hauturière a déjà pêché son contingent. La chose peut avoir pour effet d'amener les stocks à un point où leur récupération est peu probable et où les intérêts à court terme de la flotte hauturière auront été respectés au détriment, à long terme, de l'écosystème, des stocks de poisson et d'autres secteurs de l'industrie de la pêche. Si, d'autre part, l'injonction est accordée et si les rapports sur la situation des stocks de 2003 montrent que la NOSFA se trompe, la flotte hauturière sera simplement retardée en ce qui concerne la prise de son contingent.


[24]            Les mesures prises par la Couronne sont à première vue réputées être prises dans l'intérêt public : Bande indienne de Tsartlip c. Pacific Salmon Foundation (1988), 24 F.T.R. 304. Lorsqu'un particulier allègue que l'intérêt public est en danger, le préjudice doit être démontré, et ce, parce que pareil demandeur est normalement réputé agir dans son propre intérêt plutôt que dans celui du grand public. Lorsque la prépondérance des inconvénients et l'intérêt public sont appréciés, cela n'aide pas le demandeur d'affirmer qu'une autorité gouvernementale donnée ne représente pas l'intérêt public. Le demandeur doit plutôt convaincre le tribunal des avantages, pour l'intérêt public, qui découleront de l'octroi du redressement demandé : RJR-MacDonald.

[25]            Lorsqu'on empêche un organisme public d'exercer les pouvoirs que la loi lui confère, on peut alors affirmer que l'intérêt public, dont cet organisme est le gardien, subit un tort irréparable : Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of British Columbia, [1985] 1 C.F. 791 (C.A.). En règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si un préjudice réel sera subi, car cela amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien puisque l'on se trouverait implicitement à laisser entendre que l'action gouvernementale n'a pas pour effet de favoriser l'intérêt public et que l'interdiction ne causerait donc aucun préjudice à l'intérêt public : RJR-MacDonald.

[26]            Étant donné le rôle et la responsabilité qui incombent au ministre, lorsqu'il s'agit d'autoriser une certaine pêche et compte tenu de l'intérêt public inhérent à la décision du ministre, l'élément « intérêt public » de la décision du ministre est primordial et doit l'emporter sur les préoccupations particulières, et jusqu'à maintenant plutôt conjecturales, de la demanderesse.


[27]            En l'espèce, la NOSFA demande en fait à la Cour de gérer ou de diriger la pêche. Or, telle n'est pas la fonction de la Cour. En outre, l'examen d'une décision ministérielle de cette nature ne peut pas être accompli au moyen d'une réparation interlocutoire. C'est le ministre qui possède le pouvoir légal de prendre une décision. Dans le cadre de la requête ici en cause, la Cour n'est pas en mesure de statuer sur les positions contradictoires des parties.

[28]            Puisqu'elle n'a pas satisfait aux éléments nécessaires du critère qui s'applique aux injonctions interlocutoires, la NOSFA ne peut pas avoir gain de cause. La requête est rejetée. Le ministre n'a pas demandé que les dépens lui soient accordés; eu égard aux circonstances, aucuns dépens ne sont adjugés.

« Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 15 janvier 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-2172-02

INTITULÉ :                                                 NORTH OF SMOKEY FISHERMEN'S ASSOCIATION

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :                         HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 9 JANVIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                               LE 15 JANVIER 2003

COMPARUTIONS :

M. ANDREW N. MONTGOMERY                                    POUR LA DEMANDERESSE

M. REINHOLD ENDRES, c.r.                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

METCALF & COMPANY                                                  POUR LA DEMANDERESSE

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

M. MORRIS ROSENBERG                                                  POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.