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     Date : 19990127

     Dossier : T-2291-97

OTTAWA (Ontario), le 27 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

     JOHN FREZZA,

     demandeur,

ET :

     MAÎTRE CLAUDE LAUZON

     ET

     CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

     ET

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      La demande est rejetée.

     " P. Rouleau "

                                             juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990127

     Dossier : T-2291-97

ENTRE :

     JOHN FREZZA,

     demandeur,

ET :

     MAÎTRE CLAUDE LAUZON

     ET

     CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE

     ET

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande présentée sous le régime de l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue d'obtenir une ordonnance annulant la décision par laquelle l'arbitre Claude Lauzon a confirmé, le 24 juillet 1997, la décision de la défenderesse Canadien Pacifique Limitée de congédier le demandeur.

Faits tirés de la décision de l'arbitre et des affidavits déposés

[2]      John Frezza a travaillé comme employé de la société Canadien Pacifique Limitée (la société CP) de 1969 au mois de janvier 1995. Le 1er octobre 1990, il a été congédié pour ne pas avoir corrigé des lacunes dans son rendement. M. Frezza a interjeté appel. L'arbitre Daniel Lavery a conclu, le 15 juillet 1993, que l'attitude du demandeur posait un problème, mais qu'elle ne justifiait pas son congédiement. Il lui a plutôt infligé une suspension de trois mois sans paye. Le demandeur est retourné au travail en septembre 1993.

[3]      En juin 1994, le demandeur travaillait sous la direction de M. Barry Fielding, des services administratifs, en qualité de spécialiste du soutien technique pour le traitement des données. Il avait pour tâche d'accroître l'efficacité du personnel des services administratifs en explorant la possibilité d'informatiser les systèmes administratifs. Il travaillait au bureau de Montréal, mais ses fonctions l'obligeaient à se rendre à Toronto à l'occasion.

[4]      Le matin du 9 décembre 1994, le demandeur prétend avoir demandé un journal à Diane Renzo. Mme Renzo lui aurait remis un exemplaire de The Gazette, appartenant à Michel Bertrand, le directeur de la région de Québec. Après avoir lu le journal, le demandeur l'a rapporté dans le bureau de M. Bertrand. Raymond Sabourin, le directeur adjoint des services administratifs, a vu le demandeur entrer dans le bureau de M. Bertrand et entrer un mot de passe dans son ordinateur. Plus tard, MM. Sabourin et Bertrand ont demandé au demandeur de s'expliquer. Le demandeur a nié avoir touché à l'ordinateur de M. Bertrand. La société CP a suspendu le demandeur afin de mener une enquête.

[5]      Le 15 décembre, M. Fielding et M. Delaney, alors directeur des ressources humaines, ont soumis le demandeur à une séance de questions. Ils ont avisé le demandeur qu'une enquête informatique avait révélé qu'un mot de passe avait été introduit dans l'ordinateur de M. Bertrand à 12 h 31 le 9 décembre et qu'à partir de 12 h 34, quelqu'un avait consulté les dossiers de M. Bertrand, ainsi que des dossiers confidentiels d'autres membres de la direction, à partir de l'ordinateur du demandeur. Le demandeur a nié avoir été pour quelque chose dans ces incidents. Toutefois, pendant une pause, il aurait présenté des excuses à M. Delaney pour ce qu'il avait fait et il lui aurait dit s'inquiéter d'éventuelles poursuites criminelles. Il a ajouté avoir agi par simple curiosité. Le demandeur nie maintenant avoir fait cet aveu.

[6]      Le 16 décembre 1994, les policiers de la société CP ont exécuté un mandat de perquisition de la résidence du demandeur. Ils se sont emparés de son matériel informatique et de ses logiciels et ils ont fait une copie de son disque rigide.

[7]      Le 19 janvier 1995, le demandeur a rencontré M. Fielding, qui lui a remis une lettre de congédiement pour avoir manqué à la sécurité en utilisant sans autorisation et illégalement le système Merlin de la société CP. Pendant cette rencontre, le demandeur a reconnu avoir consulté les dossiers. Il a expliqué qu'il voulait vérifier si quelqu'un était en train de monter un autre dossier contre lui afin de le faire congédier. M. Fielding a consigné l'aveu du demandeur dans une note de service datée du 22 janvier 1995. Le demandeur nie maintenant avoir fait cet aveu.

[8]      Le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injustifié le 10 février. M. Claude Lauzon a été désigné arbitre et saisi de la plainte. L'audience devant l'arbitre a débuté le 12 novembre 1996. Le demandeur n'était pas représenté par un avocat. Après deux jours d'audience, le demandeur a voulu retenir les services d'un avocat. L'audience a repris le 24 avril 1997 et s'est poursuivie le 25 avril ainsi que les 9, 16 et 17 juin. Elle s'est donc échelonnée sur sept jours au total.

[9]      À l'audience, M. Raymond Sabourin a témoigné avoir vu le demandeur entrer un mot de passe d'accès partagé à l'écran de mise à jour du mot de passe dans l'ordinateur de Michel Bertrand.

[10]      M. Michel Bertrand a témoigné que le demandeur n'était pas autorisé à entrer dans son bureau ni à effectuer quelque tâche que ce soit sur son ordinateur.

[11]      M. Dominic Ricchio, un spécialiste en informatique qui a témoigné pour le défendeur, a produit en preuve devant l'arbitre, avec les explications appropriées, plusieurs pièces composées de journaux faisant état de l'utilisation des ordinateurs du demandeur et de M. Bertrand. Ces documents ot révélé les renseignements suivants :

(a) le mot de passe d'accès partagé " HHELP " a été programmé dans l'ordinateur de M. Bertrand au moment où le demandeur a été aperçu dans le bureau du premier;

(b) au cours des minutes qui ont suivi, l'ordinateur du demandeur a été utilisé pour consulter les dossiers de M. Bertrand et pour essayer, avec ou sans succès, d'avoir accès à des dossiers d'autres employés ou membres de la direction;

(c) les journaux étaient exacts et n'avaient pas été trafiqués.

[12]      En contrepreuve, M. Ricchio a produit des journaux faisant état de l'utilisation de l'ordinateur du demandeur le matin du 9 décembre 1994. Ils révélaient que le demandeur avait eu accès à des dossiers de la direction au moyen de mots de passe d'accès partagé, y compris le mot de passe " HHELP ". Cette contrepreuve était nécessaire pour réfuter le témoignage du demandeur quant à ce qu'il avait fait ce matin-là.

[13]      L'affidavit de Michael Hallam donne plus de détails quant à la portée de l'acte fautif : au même moment, quelqu'un a tenté d'avoir accès ou a eu accès, à partir de l'ordinateur du demandeur, à des dossiers de Barry Fielding et de Raymond Sabourin, ainsi qu'à des dossiers de M. Warner et de Mme Linda Smith, des supérieurs du demandeur. Un mot de passe d'accès partagé a été programmé non seulement dans l'ordinateur de M. Bertrand, mais dans ceux de M. Sabourin, M. Fielding, M. Warner et M. Zaparaniuk, Mme Raphael et Mme Smith, sans leur autorisation et à leur insu. M. Fielding, M. Zaparaniuk et Mme Raphael travaillent à Toronto. Au moment où le mot de passe a été programmé dans leur ordinateur, le demandeur se trouvait à Toronto.

[14]      M. Barry Fielding a témoigné relativement aux fonctions assignées au demandeur et à ses rapports avec ses collègues; il a aussi témoigné quant au rôle qu'il a joué dans le congédiement du demandeur, et notamment à la séance de questions. Dans ce contexte, M. Fielding a produit des notes de service que lui ont adressées Mme Raphael, Mme Smith, M. Zaparaniuk et M. Warner. Il a ajouté que le demandeur avait avoué, le 19 janvier 1995, avoir consulté, sans en avoir le droit, des dossiers de la direction. Enfin, M. Fielding a expliqué les motifs du congédiement.

[15]      M. Paul Delaney a témoigné sur les antécédents professionnels récents du demandeur, ses rapports avec les autres employés, les facteurs qui ont mené à son congédiement et l'aveu que le demandeur lui a fait au cours de la séance de questions.

[16]      Le demandeur a témoigné en son propre nom et nié les événements.

[17]      M. Tom Traynor, un employé du service de la sécurité informatique, a témoigné que des manquements à la sécurité s'étaient produits dans l'ordinateur du demandeur en juin, en août et en septembre 1994. Toutefois, ni le but ni la cause de ces manquements ne pouvaient être déterminés avec certitude et il était possible de les attribuer à l'oubli, par le demandeur, de son propre mot de passe. En conséquence, aucun lien ne pouvait être établi entre ces violations du mot de passe et les actes pour lesquels le demandeur a été congédié.

[18]      M. Lauzon a rejeté la plainte dans une décision rédigée en français le 24 juillet 1997. Par la suite, le demandeur en a reçu une traduction anglaise.

[19]      M. Lauzon explique d'abord que le tribunal ne peut tenir compte que des motifs de congédiement mentionnés dans la lettre du 19 janvier 1995. Il a conclu que M. Frezza avait été aperçu en train de programmer un mot de passe dans l'ordinateur de M. Bertrand. Plusieurs membres de la direction ont rapporté que des mots de passe semblables avaient été programmés dans leur ordinateur. La preuve a révélé que quelqu'un utilisait ces mots de passe pour avoir accès à des dossiers confidentiels à partir de l'ordinateur du demandeur.

[20]      M. Lauzon a conclu que M. Sabourin n'avait aucune raison de mentir : il n'y avait pas d'animosité entre les deux hommes. La preuve technique a corroboré le témoignage de M. Sabourin. Il était hautement improbable que quelqu'un d'autre que M. Frezza ait utilisé son ordinateur pour consulter les dossiers confidentiels, car tous les ordinateurs sont protégés par des mots de passe personnels. Aucune preuve ne laissait croire que la preuve informatique avait été trafiquée de quelque façon que ce soit. De plus, l'arbitre a conclu que M. Frezza avait avoué sa faute à MM. Delaney et Fielding. Il était improbable qu'ils aient mal interprété ses propos et ils n'avaient aucune raison de mentir à ce sujet. M. Lauzon a donc conclu que le demandeur avait bel et bien commis la transgression qu'on lui reprochait.

[21]      L'arbitre a ensuite examiné la question de savoir s'il devait modifier la sanction. Il a fait remarquer que le demandeur avait planifié cette transgression et consulté les dossiers à plusieurs reprises. Il savait que ce qu'il faisait était illégal. Malgré la preuve accablante produite contre lui, il a toujours nié avoir eu quelque chose à voir avec ces incidents. L'arbitre ne pouvait pas ordonner à l'employeur de conserver dans ses effectifs un employé qui avait trahi sa confiance de cette façon. Il a donc conclu que le congédiement était justifié.

[22]      Voici les questions que je dois trancher :

1.      La transcription d'un procès criminel distinct peut-elle être admise en preuve devant le juge qui procède au contrôle judiciaire?

2.      L'arbitre a-t-il manqué d'impartialité dans son appréciation de la preuve, existe-t-il des éléments pouvant fonder une crainte raisonnable de partialité de sa part ou a-t-il enfreint les principes de justice naturelle?

3.      L'arbitre a-t-il rendu une décision manifestement déraisonnable en regard de la preuve qui lui a été soumise?

[23]      Le demandeur a dû répondre à des accusations criminelles relativement aux événements en cause. Le procès criminel a eu lieu avant la fin de l'audience tenue devant l'arbitre. Le demandeur veut faire admettre en preuve la transcription du procès criminel aux fins de la présente instance. Il soutient que ces témoignages étaient pertinents à l'arbitrage, notamment ceux de Mme St. James et de Mme Cortina, qui n'ont pas été entendues par l'arbitre. Cet argument a été rejeté au début de l'audience. Selon moi, il ne revenait pas à l'arbitre de demander que la transcription du procès criminel soit produite à l'audience. C'était au demandeur de la produire. Il était représenté par un avocat. Il lui suffisait de la produire, sous réserve de la décision de l'arbitre quant à son admissibilité. S'il voulait que Mmes Cortina et St. James témoignent à l'audience d'arbitrage, il pouvait les assigner à témoigner. Quoi qu'il en soit, la recevabilité de la transcription était au mieux incertaine. Un témoignage rendu dans une instance antérieure est admissible lorsque les questions en litige et les parties sont essentiellement les mêmes dans les deux instances, et lorsque la partie opposée a eu la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire1. Les questions dont le juge est saisi en matière criminelle ne sont pas les mêmes que celles que l'arbitre doit trancher. Le premier devait se prononcer sur une seule question, celle de l'utilisation illégale de l'ordinateur de M. Bertrand, alors que le dernier devait examiner des manquements répétés à la sécurité. Le fardeau de la preuve était différent. La société CP n'était pas partie à l'instance criminelle et elle n'avait pas le droit de contre-interroger les témoins.

[24]      Le demandeur prétend que l'arbitre a manqué d'impartialité ou autrement enfreint les principes de justice naturelle en rédigeant sa décision en français, bien qu'il sache que le demandeur ne comprenait que l'anglais. Cet argument a lui aussi été rejeté à l'audience. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 prévoient :

Définition de "tribunal"

3(2) Pour l'application du présent article et des parties II et III, est un tribunal fédéral tout organisme créé sous le régime d'une loi fédérale pour rendre la justice.

PARTIE III - ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

Langues officielles des tribunaux fédéraux

14. Le français et l'anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux; chacun a le droit d'employer l'une ou l'autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent.

Précision

20(4) Les décisions de justice rendues dans une seule des langues officielles ne

sont pas invalides pour autant.

[25]      Dans l'arrêt Lomer c. Corporation de l'hôpital Bellechasse de Montréal (1994) R.J.Q. 2431, à la page 2436 (C.A.), on dit :

         ... la jurisprudence me paraît très claire à l'effet que c'est au juge que (l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867) confère le droit constitutionnel d'utiliser à son choix la langue française ou anglaise dans la rédaction de son jugement, alors que cette même disposition n'impose aucune obligation à l'État de fournir une traduction authentifiée.         

[26]      À mon avis, le fait que l'arbitre ait rédigé sa décision en français ne démontre pas un manque d'impartialité de sa part, ni un manquement à un principe de justice naturelle. La loi et la jurisprudence le lui permettaient. Quoi qu'il en soit, le demandeur a reçu la traduction anglaise du jugement.

[27]      Le demandeur reproche à l'arbitre d'avoir admis en preuve des notes de services rédigées par Mme Raphael, M. Zaparaniuk, M. Warner et Mme Smith, sans exiger que ces personnes soient présentes pour être contre-interrogées. Le demandeur ne s'est pas opposé à la production de ces documents en preuve. L'argument du demandeur est non seulement tardif, mais frivole. Ces personnes n'ont jamais été assignées comme témoins par l'une ou l'autre des parties et le demandeur n'a jamais demandé à les contre-interroger à l'audience.

[28]      Le demandeur se plaint aussi que l'arbitre ne l'a pas laissé contre-interroger M. Sabourin relativement à la lettre qui constitue la pièce portant la cote A-1, document 11. Dans son affidavit, Michael Hallam déclare que M. Sabourin a été cité comme témoin à deux reprises, soit le 12 novembre 1996, par le défendeur, et le 25 avril 1997, par le demandeur. Le 12 novembre, l'arbitre a permis au demandeur de procéder à un contre-interrogatoire complet de M. Sabourin. Cette prétention n'est pas fondée.

[29]      Selon le demandeur, l'arbitre aurait commis une erreur en ne vérifiant pas son alibi et la possibilité d'une erreur sur la personne. Il a fait valoir que Mme Renzo n'a jamais été appelée à témoigner pendant l'enquête ni devant l'arbitre. Si le demandeur voulait que Mme Renzo témoigne, il devait l'assigner à témoigner.

[30]      L'arbitre a conclu que le demandeur avait consulté des dossiers sans y être autorisé, à partir de son ordinateur, le 9 décembre 1994, de 10 h 43 à 12 h 31, en se fondant sur le témoignage de M. Ricchio et sur les journaux qui constituent la pièce 56. Le demandeur estime que le recours à ces éléments de preuve était irrégulier, parce qu'on ne l'a pas avisé de ces reproches lors de la séance de questions et dans sa lettre de congédiement. Il soutient en outre que l'arbitre ne lui a pas donné la possibilité de prendre vraiment connaissance de cette preuve et de donner des instructions à son avocat relativement au contre-interrogatoire de M. Ricchio.

[31]      Il ressort du dossier que la production de ces éléments de preuve était nécessaire pour réfuter le témoignage du demandeur relativement à ce qu'il avait fait le matin du 9 décembre 1994. Le demandeur a eu pleinement la possibilité de contre-interroger M. Ricchio et rien n'indique qu'il s'est opposé à la production de cette preuve à l'audience présidée par l'arbitre.

[32]      L'arbitre Lauzon a conclu, en se reportant à une lettre rédigée par D. W. Chapman le 16 avril 1990, que le demandeur avait été mis formellement en garde contre l'accès non autorisé aux dossiers. Le demandeur plaide que l'arbitre Lauzon a tiré cette conclusion en ne tenant aucun compte de la portée de la décision rendue par l'arbitre Lavery. M. Lavery a conclu, en 1990, que D. W. Chapman n'aimait pas le demandeur et avait manqué d'objectivité dans l'évaluation de son rendement. En conséquence, il avait conclu que les allégations contenues dans cette lettre n'étaient pas prouvées.

[33]      L'arbitre Lauzon n'a pas outrepassé sa compétence. Cette lettre n'a pas été considérée comme une preuve d'une transgression antérieure, mais plutôt comme la preuve que le demandeur savait que ses actes étaient fautifs. Cette lettre n'a pas joué un rôle déterminant dans la décision. En ce qui concerne les transgressions antérieures, l'arbitre Lauzon a, à juste titre, déclaré que le demandeur avait été suspendu trois mois parce que son attitude posait un problème.

[34]      L'arbitre a également conclu que le demandeur avait avoué sa culpabilité à MM. Delaney et Fielding. Le demandeur prétend maintenant que ces aveux concernaient les événements survenus en 1990 et que l'arbitre, en retenant cette preuve, a tenté de réexaminer la question déjà tranchée par un arbitre. À l'appui de cette prétention, le demandeur invoque la décision de l'arbitre Lavery qui a conclu que certains des collègues du demandeur ne l'aimaient pas.

[35]      Je suis d'avis que cet argument est totalement dépourvu de fondement. Plus particulièrement, les notes rédigées par M. Fielding concernant les aveux du demandeur révèlent clairement qu'ils visaient les événements survenus en 1994.

[36]      Le demandeur soutient que l'arbitre a mal interprété la décision Morgan (27 janvier 1989) (C.R.O.A.). Dans cette affaire, un employé des chemins de fers canadiens a été congédié pour abus de confiance délibéré après avoir consulté les dossiers confidentiels de la société sans y être autorisé. L'employeur n'a prouvé qu'une transgression. L'arbitre a annulé le congédiement et infligé une suspension de deux semaines. Pour rendre cette décision, il a tenu compte du bon dossier de Mme Morgan et du fait qu'elle ignorait à l'époque que ce qu'elle faisait était interdit. Elle n'avait pas enfreint une politique expresse de la société. Mme Morgan avait manifesté des remords.

[37]      L'arbitre a conclu, à juste titre selon moi, que la présente affaire n'a rien en commun avec l'affaire Morgan. M. Frezza a commis plusieurs manquements intentionnellement et en toute connaissance de cause.

[38]      Il est bien établi que la Cour doit permettre aux tribunaux administratifs d'exercer les fonctions que leur assigne leur loi habilitante et doit faire preuve de retenue lorsqu'elle contrôle leurs décisions. Cela vaut plus particulièrement dans les cas où la loi habilitante comporte une disposition privative sévère, telle celle figurant à l'article 243 du Code canadien du travail. Voici ce que prévoit cet article :

243(1) Every order of an Adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition or quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator made under section 242.

243(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaire.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

[39]      Comme je l'ai dit dans la décision Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. c. Kmet (1998) A.C.F. no 740 :

         Pareille disposition privative signifie que la décision d'un arbitre n'est pas susceptible de contrôle judiciaire sauf si elle est à ce point déraisonnable qu'elle ne puisse rationnellement s'appuyer sur la loi habilitante et que l'équité exige l'intervention de la Cour.         
         [...]         
         Qu'importe, par conséquent, que la Cour soit ou non d'accord sur la conclusion tirée par le tribunal dans la cause qui lui est soumise; elle n'interviendra que si la décision est entachée d'une erreur de droit telle qu'elle constitue une interprétation fautive des dispositions législatives sur lesquelles elle s'appuie, si elle se fonde sur des conclusions de fait dénuées de preuve ou si le tribunal a outrepassé sa compétence d'une autre façon. Pour que la décision d'un arbitre soit tenue pour manifestement déraisonnable, il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie.         

[40]      Après avoir lu attentivement la décision de l'arbitre et entendu les arguments des deux parties, je ne puis conclure qu'une telle erreur a été commise en l'espèce. M. Lauzon a tenu compte de la preuve produite devant lui par les deux parties et il a rendu sa décision comme la loi l'exigeait. Je ne décèle aucune lacune d'ordre procédural ni aucun manquement dans la façon dont il a apprécié la preuve et tiré sa conclusion. Il a tiré une conclusion qui relevait entièrement de sa compétence et qui était étayée par la preuve produite devant lui. En conséquence, aucun motif ne justifierait l'intervention de la Cour.

[41]      La demande est rejetée.

     " P. Rouleau "

                                             juge

OTTAWA (Ontario)

27 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2291-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      John Frezza c. Maître Claude Lauzon et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      14 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :          27 janvier 1999

ONT COMPARU :

Me Fraser Baird              pour le demandeur

Me Louise Béchamp              pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Fraser Baird              pour le demandeur

Martineau Walker              pour les défendeurs

Montréal (Québec)

__________________

1      Walkerton (Town) c. Erdman (1894), 23 R.C.S. 352.

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