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Date : 20031204

Dossier : T-2022-89

Référence : 2003 CF 1421

Calgary (Alberta), le jeudi 4 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

LE CHEF VICTOR BUFFALO, agissant en son propre nom et au nom des autres membres de la nation et bande indienne de Samson, et LA BANDE ET NATION INDIENNE DE SAMSON

                                                                                                  demandeurs

                                                        - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD et LE MINISTRE DES FINANCES

                                                                                                     défendeurs

LE CHEF JEROME MORIN, agissant en son nom et au nom de tous les MEMBRES DE LA BANDE DES INDIENS ENOCH ET DES RÉSIDENTS DE LA RÉSERVE INDIENNE NO 135 DE STONY PLAIN

                                                                                                   intervenants

                                                        - et -

EMILY STOYKA et SARA SCHUG

                                                                                                 intervenantes


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                Le 3 mars 2003, les demandeurs, le chef Victor Buffalo, agissant en son nom, et la Bande et la Nation indienne de Samson, ont présenté une requête sollicitant la comparution dans la présente instance du premier ministre actuel et du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à titre de témoins.

[2]                Cette requête a été contestée par la Couronne défenderesse au motif que le premier ministre et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien actuels ne peuvent être assignés à comparaître puisque, à titre de membres du Parlement, ils bénéficient d'un privilège parlementaire et ne peuvent offrir de témoignage utile ou recevable.

[3]                L'audition de cette requête s'est déroulée en 12 jours. Dans sa décision rendue le 12 août 2003, la Cour a conclu à l'application du privilège parlementaire et a ajouté que le privilège existe lorsque le Parlement est en session, durant 14 jours après sa prorogation ou sa dissolution et 14 jours avant le début des travaux. Je n'ai pas déterminé si les témoins proposés étaient en mesure de présenter des témoignages utiles et recevables.

[4]                En conséquence, la requête sollicitant la délivrance de subpoenas en vertu u paragraphe 41(4) des Règles de la Cour fédérale (1998) a été rejetée.

[5]                En raison des récents événements qui font en sorte que la session du Parlement est actuellement prorogée, la Première Nation de Samson présente maintenant une demande orale pour assigner le premier ministre et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien actuels à comparaître comme témoins et fait de nouveau valoir que ces deux personnes sont en mesure de présenter des témoignages utiles et recevables.

[6]                J'ai autorisé l'utilisation de la preuve par affidavit et des arguments antérieurs à l'appui de la présente demande orale.

[7]                Après lecture de l'affidavit de Florence Buffalo, souscrit le 28 février 2003, ainsi que des pièces jointes, et compte tenu des observations écrites et orales qui m'ont été soumises, et elles ont été nombreuses, je suis convaincu que l'on doit autoriser la Première nation de Samson à assigner le premier ministre actuel à témoigner dans le présent litige parce que j'estime qu'il pourrait être en mesure de fournir un témoignage utile et recevable susceptible d'aider la Cour à trancher certaines questions dont elle est saisie.

[8]                Dans la mesure où son témoignage est utile et recevable, le premier ministre peut, comme tout autre citoyen canadien, être appelé à témoigner dans le cadre d'un litige au Canada. Lorsque j'affirme qu'il peut être appelé à témoigner comme tout autre citoyen du Canada, je fais abstraction de la question du privilège parlementaire dont bénéficient les membres du Parlement.

[9]                Comme je l'ai indiqué précédemment, cette question est maintenant tranchée.

[10]            Au cours des nombreuses années où il a servi comme député de la Chambre des communes, le premier ministre actuel a occupé un grand nombre de postes que j'estime être des postes très influents au sein du gouvernement du Canada. Si je me souviens bien, il a été ministre de la Justice, ministre des Affaires indiennes et du Nord et ministre des Finances.

[11]            Au cours de la période où il a occupé le poste de ministre des Affaires indiennes et du Nord, il a été nommé chef honoraire de la Première nation de Samson, et ce, pendant les nombreuses années durant lesquelles des questions concernant les premières nations étaient débattues et tranchées.

[12]            J'estime qu'il a joué un rôle décisif en s'assurant de l'inclusion de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans la Constitution canadienne.

[13]            Comme l'a affirmé l'avocat de Samson, le nom du premier ministre figure sur de nombreux documents pertinents en l'espèce.

[14]            Par conséquent, je suis convaincu que le premier ministre actuel doit comparaître comme témoin pour rapporter à la Cour tous les faits pertinents pouvant l'aider à rendre justice aux parties.


[15]            Je désire toutefois ajouter les commentaires suivants.

[16]            Je ne permettrai pas qu'une partie pose des questions à l'aveuglette. Toutes les questions posées au témoin devront viser à obtenir des faits utiles pour trancher les questions dont la Cour est saisie.

[17]            Je ne permettrai pas non plus que les avocats entament un débat politique avec un témoin. Comme j'ai auparavant refusé d'admettre en preuve le rapport d'expert de M. James Youngblood Henderson concernant le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (C.R.P.A.) parce qu'il constituait un débat politique, je ne permettrai pas de débat politique entre avocat et témoin.

[18]            Je suis en partie d'accord avec l'allégation de l'avocat de la Couronne en ce qui concerne l'affidavit de Mme Florence Buffalo. Comme on peut facilement le constater à la lecture du contre-interrogatoire de cette dernière, cet affidavit est à tout le moins bien inadéquat.

[19]            Néanmoins, comme je l'ai indiqué, je suis convaincu que le témoignage du premier ministre sera utile à la Cour en raison de ses connaissances et de son expérience en matière de questions autochtones.

[20]            L'avocat de la Couronne peut s'opposer aux questions posées au premier ministre qu'il estime être « illégales » ou relever du « débat politique » .

[21]            En ce qui concerne la délivrance d'un subpoena à l'honorable Robert D. Nault, le ministre actuel des Affaires indiennes et du Nord canadien, j'estime que la délivrance de ce document n'aiderait pas la Cour à trancher les questions dont elle est saisie.

[22]            Le ministre actuel n'était pas ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien lorsque la présente déclaration a été déposée à l'origine. En conséquence, tous les faits pertinents ayant mené au présente litige, sinon la majorité d'entre eux, étaient connus    avant que M. Nault ne devienne ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[23]            Je souscris à l'affirmation de l'avocat de la Couronne lorsqu'il affirme que [traduction] « les ministres ne devraient être tenus de témoigner que lorsque leur témoignage est essentiel, et non pas à des fins inappropriées comme de faire valoir des programmes politiques, d'engager les ministres dans des débats ou d'exiger des explications ou leur avis personnel sur des questions de droit ou de politique » .


[24]            Après lecture de l'affidavit et du contre-interrogatoire de Mme Florence Buffalo, je suis convaincu que l'objet principal de l'assignation à comparaître du ministre Nault serait d'engager celui-ci dans un débat politique. Comme je l'ai souligné précédemment, le ministre Nault n'est devenu ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien que bien après que les présentes procédures aient été intentées.

[25]            En conclusion, si le premier ministre actuel est appelé à témoigner dans le cadre du présent litige, son témoignage sera assujetti aux interdictions énoncées dans la décision du 12 août 2003 en ce qui concerne le privilège parlementaire. En conséquence, l'autorisation est accordée conformément à l'alinéa 41(4)b) des Règles de la Cour fédérale (1998) pour la délivrance d'un subpoena.

[26]            Le ministre actuel des Affaires indiennes et du Nord canadien ne peut être assigné à comparaître en l'espèce.

                                                                ORDONNANCE

Pour les motifs énoncés, la demande d'autorisation présentée en vertu de l'alinéa 41(4)b) concernant la délivrance d'un subpoena au très honorable premier ministre Chrétien est accueillie.

Le demande concernant la délivrance d'un subpoena à l'honorable ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est rejetée.        


                                                                                                             « Max M. Teitelbaum »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.


                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-2022-89

INTITULÉ :                                       CHEF VICTOR BUFFALO ET AL c.

                                                           SA MAJESTÉ LA REINE ET AL

                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :               CALGARY

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 3 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

DATE :                                              LE 4 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

James O'Reilly,

Ed Molstad, c.r.,

David Sharko                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Marvin Storrow, c.r.,

Joseph McArthur                                                     POUR LE DEMANDEUR T-1254-89

Allan Macleod, c.r.,

Brenda Armitage                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Frank Foran, c.r.,

Michael Marion                                 POUR LE TRÈS HONORABLE PREMIER MINISTRE CHRÉTIEN

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

O'REILLY & ASSOCIÉS

PARLEE MCLAWS s.r.l.                                                          POUR LE DEMANDEUR

BLAKE, CASSELS & GRAYDON s.r.l.               POUR LE DEMANDEUR T-1254-89

MACLEOD DIXON s.r.l.                                                             POUR LE DÉFENDEUR

BORDEN LADNER GERVAIS s.r.l.                                    POUR LE TRÈS HONORABLE PREMIER MINISTRE CHRÉTIEN


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