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Date : 20040504

Dossier : T-305-02

Référence : 2004 CF 656

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                                ROY GAWLICK

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision du président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le président ou le comité d'appel), datée du 23 janvier 2002 (la décision). Dans la décision, le comité d'appel rejetait l'appel déposé par M. Roy Gawlick (le demandeur), en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 et modifications (LEFP), contre une décision du jury de sélection de la Commission de la fonction publique rendue au sujet d'une nomination au poste d'analyste des renseignements de sécurité, Citoyenneté et Immigration Canada.


LE CONTEXTE

[2]                Au printemps 2001, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a décidé de pourvoir un poste d'analyste des renseignements de sécurité dans la région C.-B/Yukon (le poste). Le poste devait être comblé de façon intérimaire jusqu'en mars 2002. CIC a préparé un énoncé de qualités en vue de la nomination.

[3]                CIC a annoncé la tenue d'un concours restreint en publiant une affiche de concours. Suite à cette annonce, le demandeur a présenté sa candidature. C'est Mme Goodwin Gosen, chef, renseignements, pour la région C.-B./Yukon, seul membre du jury de sélection de la Commission de la fonction publique, qui a tenu le concours.

[4]                Mme Gosen a examiné les demandes présentées par 17 candidats, au vu des exigences d'expérience et d'études annoncées pour le poste et elle a conclu que quatre candidats étaient qualifiés, y compris le demandeur. Elle a ensuite évalué ces quatre candidats pour leurs connaissances, capacités et qualités personnelles. En conséquence, deux candidats ont été placés au rang approprié sur la liste d'admissibilité. Les deux autres candidats, dont le demandeur, n'ont pas été placés sur la liste parce que Mme Gosen a décidé qu'ils avaient échoué au facteur des qualités personnelles.


[5]                Le principal outil d'évaluation utilisé par Mme Gosen était un questionnaire/référence, auquel venait s'ajouter sa connaissance personnelle et son expérience. Un répondant a été choisi pour chaque candidat, qui devait répondre par écrit à environ 25 questions. Chaque candidat avait un répondant différent. Lorsque les répondants ne pouvaient répondre de façon satisfaisante à une question donnée, Mme Gosen a cherché à combler les lacunes à partir de sa connaissance personnelle des candidats.

[6]                Mme Gosen n'a pu trouver de répondant approprié pour le demandeur et elle s'est donc chargée de cette tâche, étant donné qu'elle avait été son surveillant pendant une période d'à peu près six mois en 1995 et qu'ils avaient été collègues pendant six mois à une date ultérieure.

[7]                Mme Gosen n'a pas distingué les candidats au titre des connaissances et des capacités. Elle les a évalués sur la base réussite/échec et ils ont tous réussi. Selon Mme Gosen, [traduction] « ils étaient tous de bon à très bon » et ils ont tous reçu « la même évaluation » , savoir une réussite pour les facteurs connaissances et capacités. Par conséquent, ces facteurs n'ont eu aucun poids dans l'évaluation relative des candidats.


[8]                Quant aux qualités personnelles, les candidats ont été évalués sur une base comparative. Ce facteur comporte quatre facteurs secondaires : bonnes relations interpersonnelles, motivation, discernement et fiabilité. Mme Gosen n'a pas établi de barème chiffré, s'appuyant plutôt sur les descriptions fournies par les répondants, auxquelles venait s'ajouter sa connaissance personnelle des candidats.

[9]                C'est sur cette base que Mme Gosen a pris sa décision définitive. Elle a considéré que Mme Helen Sand était la plus qualifiée et l'a donc placée au premier rang. Mme Tammy Sigurdson a été placée au deuxième rang. Le demandeur et l'autre candidat n'ont pas été placés sur la liste d'admissibilité, puisqu'ils n'avaient pas obtenu la moyenne « satisfaisant » aux qualités personnelles. Selon Mme Gosen, la note du demandeur pour les bonnes relations interpersonnelles, la motivation et le discernement était « faible » , alors qu'elle était « satisfaisante » pour la fiabilité.

[10]            Suite à ce concours, Mme Helen Sand a été nommée au poste. Par la suite, sa nomination intérimaire a été prolongée.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[11]            Le demandeur a fait appel au comité d'appel en vertu de l'article 21 de la LEFP, alléguant que le processus de sélection était vicié et qu'il ne respectait pas le principe du mérite, tel que ce dernier est codifié au paragraphe 10(1) de la LEFP :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.


[12]            L'appel a été entendu le 16 janvier 2002 par le président, seul membre du comité d'appel. Dans une décision datée du 23 janvier 2002, le comité d'appel a rejeté l'appel du demandeur.

[13]            Le comité d'appel a conclu que le processus de sélection utilisé par Mme Gosen n'était pas très satisfaisant :

[L]es documents fournis ne permettaient pas d'établir un cadre d'évaluation adéquat. La façon dont les qualités personnelles des candidats ont été évaluées n'a pas été convenablement décrite.

[...] le jury de sélection aurait pu faire preuve de plus de transparence dans la documentation qu'il a préparée.

[14]            Toutefois, le comité d'appel a conclu que les lacunes qu'il avait identifiées ne constituaient pas « dans ce cas [...] une erreur fatale » , étant donné que « il n'est pas nécessaire que le cadre d'évaluation soit entièrement mis par écrit » et que la loi n'exige pas « qu'on ait recours au processus le plus juste ou qu'on adopte des méthodes infaillibles » [souligné dans l'original]. Le comité d'appel a conclu que, bien qu'imparfait, le processus de sélection « avait répondu aux simples exigences juridiques » énoncées dans la LEFP.


LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

Le comité d'appel a-t-il commis une erreur de droit en arrivant à la conclusion que le défaut d'une évaluation comparative des connaissances et capacités des candidats ne constituait pas une violation du principe du mérite?

Le comité d'appel a-t-il commis une erreur ouvrant droit à révision en arrivant à la conclusion que le processus utilisé dans l'évaluation des qualités personnelles des candidats ne violait pas le principe du mérite?

ANALYSE

Quelle la norme de contrôle applicable à la décision du comité d'appel?

[16]            Dans plusieurs affaires, l'approche pragmatique et fonctionnelle a été utilisée par rapport aux décisions de comités d'appel de la Commission de la fonction publique, avec des résultats variables.

[17]            Le même comité ou tribunal peut être confronté à la fois à des questions de droit, de fait, et des questions mixtes de fait et de droit. Je suis d'avis que dans chaque cas, la nature de la question est importante lorsqu'il s'agit de décider quelle est la norme de contrôle applicable.


[18]            En l'espèce, je considère que la première question soulevée par le demandeur est une question de droit : le principe du mérite exige-t-il une évaluation comparative de chacune des composantes des connaissances et capacités, ou une évaluation réussite/échec est-elle suffisante? Cette question porte sur la détermination du principe juridique à appliquer et, selon moi, il s'agit d'une question de droit.

[19]            S'agissant d'une question de droit, je suis d'avis que la jurisprudence nous indique que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Boucher c. Canada (Procureur général) (2000), 252 N.R. 186, au paragraphe 7 (C.A.F.); Hains c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1238, au paragraphe 25 (QL) (1re inst.).

[20]            La deuxième question soulevée par le demandeur consiste à savoir si le processus utilisé en l'espèce par le jury de sélection pour évaluer les qualités personnelles violait le principe du mérite, et si le comité d'appel est arrivé à des conclusions correctes à ce sujet. En d'autres mots, au vu des faits, a-t-on violé le principe du mérite. Je considère que cette question en est une mixte de fait et de droit et mon examen de la jurisprudence m'indique que l'analyse pragmatique et fonctionnelle nous amène à choisir comme norme applicable celle de la décision raisonnable simpliciter. Voir Hains, précité; La Reine c. Khan et autre, [1981] 2 C.F. 454 (C.A.); A.B. c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique) (1996), 115 F.T.R. 54 (1re inst.); et Canada (P.G.) c. Pearce, [1989] 3 C.F. 272 (C.A.).


Le comité d'appel a-t-il commis une erreur de droit en arrivant à la conclusion que le défaut d'une évaluation comparative des connaissances et capacités des candidats ne constituait pas une violation du principe du mérite?

[21]            Sur cette question, le comité d'appel est arrivé aux conclusions essentielles suivantes :

[...]

8. En ce qui a trait aux connaissances et aux capacités, les candidats pouvaient seulement réussir ou échouer, étant donné que pour le portefeuille du crime organisé, l'accent était mis sur les qualités personnelles. Selon son témoignage, Mme Gosen était convaincue que tous les candidats dépassaient les exigences au chapitre des connaissances et des capacités, alors elle leur a tous attribué la cote « Réussi » . Pour ce qui est des qualités personnelles, les candidats obtenaient l'une des cotes « faible » , « satisfaisant » ou « bon » pour chacun des quatre facteurs secondaires. Aucun facteur secondaire n'était obligatoire; ainsi pour réussir le critère Qualités personnelles, il suffisait d'obtenir un ensemble de cotes « satisfaisant » .

[...]

23. Dans ce concours, l'évaluation des connaissances et des capacités était inhabituelle à deux égards. D'abord, il n'existait pas de moyen de déterminer la compétence relative des candidats à l'égard de ces facteurs. Je ne suis pas d'accord, toutefois, avec l'affirmation que cette situation est analogue à celle qui s'est produite dans Tiefenbrunner ou Boucher et McBride. Dans le premier cas, le jury de sélection n'a pas tenu compte du facteur Connaissances du tout dans son évaluation. Dans le second cas, les connaissances ont été prises en compte, mais échouer au facteur Connaissances ne signifiait pas que le candidat ne pouvait pas réussir le concours. Dans le cas qui nous occupe, il a été tenu compte des connaissances et des capacités et les candidats devaient réussir chacun de ces aspects.

24. Le second aspect inhabituel de l'évaluation des connaissances et capacités était qu'il reposait entièrement sur les vérifications de référence et les connaissances personnelles du jury, plutôt que sur des outils de sélection comme des examens et des entrevues exigeant que les candidats fassent la preuve de leurs qualités devant le jury de sélection. Les outils de sélection utilisés étaient faibles, mais je suis convaincu que l'approche était raisonnable compte tenu de l'importance relative des qualités personnelles pour ce poste et de la conviction personnelle de la présidente du jury de sélection que chacun des quatre candidats avait les connaissances et les capacités requises.

[...]


[22]            Après être arrivé à ces conclusions, le comité d'appel a déclaré que le principe du mérite n'avait pas été violé en l'espèce.

[23]            La première question soulevée au sujet de ces conclusions du comité d'appel est qu'on ne trouve nulle part dans l'énoncé de qualités du poste ou dans l'affiche qui le concerne la notion de « l'importance relative des qualités personnelles pour ce poste » . Mon examen du dossier indique que Mme Gosen était convaincue que les quatre candidats dépassaient les exigences au chapitre des connaissances et des capacités, et donc elle leur a tous attribué la cote « réussite » . Ensuite, elle a procédé à faire son choix définitif au vu d'une évaluation comparative des qualités personnelles.

[24]            Par conséquent, selon moi le comité d'appel a clairement conclu que le jury de sélection n'avait procédé à aucune évaluation relative ou comparative des candidats sous les facteurs connaissances et capacités. Seul le facteur qualités personnelles a fait l'objet d'une notation et de l'établissement d'un rang.


[25]            Le demandeur soutient que cette façon de procéder viole le principe du mérite en ce qu'il ne permet pas d'évaluer le mérite relatif des candidats : [traduction] « Si deux candidats ou plus ne reçoivent qu'une évaluation 'réussite', il n'est pas possible de savoir lequel des deux est le meilleur et pourquoi. » Pour appuyer cette allégation, le demandeur renvoie à la jurisprudence, les décisions les plus pertinentes et significatives étant les suivantes : Tiefenbrunner c. Canada (Procureur général), [1992] A.C.F. no 1021 (QL) (1re inst.); Boucher c. Canada (Procureur général), (2000), 252 N.R. 186 (C.A.F. ); et Carroll c. Canada (Procureur général) [2000] A.C.F. no 1439 (QL) (1re inst.).

[26]            Cet argument a été soulevé devant le comité d'appel, sans succès. Le comité d'appel a distingué ces affaires au vu de leurs faits. Par exemple, dans Tiefenbrunner, un des facteurs annoncés comme une exigence pour se qualifier pour le poste, savoir les connaissances, n'avait pas été pris en compte dans le processus de sélection. Le juge Hugessen a conclu que le fait de ne pas tenir compte d'un des facteurs annoncés dans l'évaluation du mérite des candidats constituait une violation du principe du mérite. De la même façon, dans l'arrêt Boucher, précité, des candidats avaient échoué au facteur des connaissances, mais on les avait jugés qualifiés nonobstant ce fait. La Cour a déclaré, au paragraphe 8, que le comité d'appel « ne peut changer les qualifications annoncées en éliminant une ou plusieurs d'entre elles [...] » .

[27]            Toutefois, en l'espèce le comité d'appel a constaté que les facteurs des connaissances et des capacités n'avaient pas été négligés. Le processus de sélection en a tenu compte et les candidats devaient réussir pour être placés sur la liste d'admissibilité.


[28]            Le demandeur soutient que ce n'est pas suffisant. Il déclare que le principe du mérite exige une évaluation précise et une analyse comparative de chacun des facteurs secondaires des connaissances et capacités et que l'évaluation réussite/échec qu'on dit avoir utilisée en l'espèce ne satisfait pas au critère établi par la jurisprudence à ce sujet.

[29]            Le demandeur renvoie la Cour à diverses décisions qui appuient son point de vue que le mérite relatif est au coeur même du système qui vise à assurer que les meilleures personnes possibles sont identifiées pour occuper les divers postes de la fonction publique. Au vu des faits de la présente espèce et de l'énoncé des qualités affiché pour ce poste, ceci veut dire que les candidats devaient réussir chaque facteur mentionné dans l'affiche et donc être évalués pour chacun d'entre eux.


[30]            Certaines des décisions importantes sur lesquelles le demandeur s'appuie peuvent être distinguées de l'espèce présente. Dans Laberge c. Canada (Procureur général), [1988] 2 C.F. 137 (C.A.), la question visait à déterminer « si un ministère qui a établi les fonctions rattachées à un poste peut, à l'occasion d'un concours tenu pour remplir ce poste, demander au comité de sélection chargé d'administrer le concours de n'apprécier la valeur des divers candidats qu'en regard de certaines des exigences du poste » . Il est clair que cette question doit recevoir une réponse négative. Mais le fait de dire que certaines exigences ne peuvent être ignorées n'équivaut pas à dire qu'il faut faire une évaluation et déterminer le rang au niveau des facteurs secondaires. En l'espèce, la preuve indique que Mme Gosen a tenu compte de chacun des facteurs secondaires sous les connaissances et capacités, mais qu'elle est arrivée à la conclusion qu'elle ne pouvait distinguer le mérite relatif des candidats dans ces catégories de façon significative. Elle leur a donc tous accordé une réussite et elle est passée aux qualités personnelles. Le comité d'appel n'a pas conclu qu'elle avait omis de tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs. Il a conclu que pour les connaissances et capacités « il n'existait pas de moyen de déterminer la compétence relative des candidats à l'égard de ces facteurs » et que « dans le cas qui nous occupe, il a été tenu compte des connaissances et des capacités et les candidats devaient réussir chacun de ces aspects » .

[31]            La question posée à la Cour est donc celle de savoir si, en droit, il est suffisant de simplement tenir compte des connaissances et capacités et d'accorder une réussite, ou s'il y a lieu aussi de procéder à une évaluation comparative des facteurs secondaires.

[32]            Dans l'affaire Tiefenbrunner c. Canada (Procureur général), [1992] A.C.F. no 1021, le facteur connaissances n'avait pas été pris en compte du tout. Il n'est donc pas surprenant que la Cour d'appel fédérale ait conclu à l'existence d'une erreur de droit.

[33]            Dans Carroll c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 1439, la juge Tremblay-Lamer a conclu que, comme dans l'affaire Tiefenbrunner, « compte tenu des fonctions et de l'énoncé de qualités correspondant au poste, le comité de sélection était tenu de procéder à une évaluation comparative du mérite des candidats concernant un élément essentiel du poste » .


[34]            Ceci nous amène bien sûr à poser la question de savoir quels sont les éléments « essentiels » du poste. Si les études et les capacités sont examinées sans qu'on procède à une évaluation relative des facteurs secondaires, peut-on dire qu'un élément essentiel n'a pas été évalué et, en évaluant un élément essentiel, peut-on simplement dire, comme il semble que Mme Gosen l'ait fait en l'espèce, qu'il n'y avait pas grand-chose permettant de distinguer les candidats au vu de ces facteurs et que le choix pouvait donc être fondé sur les qualités personnelles.

[35]            Ce point a été traité directement dans Nelson c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 694 (1re inst.), où le juge Muldoon déclare, au paragraphe 28 :

28. Les défendeurs soutiennent que le critère à utiliser consiste à déterminer si le jury de sélection est raisonnablement arrivé à la conclusion que les candidats satisfaisaient aux connaissances de façon globale, et non s'ils répondaient à chacun des sous-facteurs. Ce n'est pas le cas. Le fait que les qualités soient mentionnées sous les rubriques « Connaissances » ou « Qualités personnelles » ne diminue en rien l'importance de chacune. Chaque qualité doit être évaluée, chacune étant essentielle et indépendante des autres.

[36]            Ceci me semble fonder clairement le point de vue du demandeur qui veut que le principe du mérite porte que « chaque qualité doit être évaluée » . Ceci a été réitéré récemment par la juge Snider dans Carty c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. no 1712, 2003 CF 1338 (1re inst.), qui a conclu « que l'on doit évaluer chaque qualité » .


[37]            En l'espèce, le défendeur soutient que Mme Gosen a dans les faits répondu à cette exigence, puisqu'elle a préparé des questions liées à chacun des facteurs secondaires et qu'elle a accordé une réussite à chacun des candidats au vu des réponses données par les répondants et de ses propres connaissances. Le défendeur soutient qu'en fait Mme Gosen a examiné chacun des facteurs secondaires et qu'elle a donné la même note à tous les candidats.

[38]            Mais la décision soumise au contrôle est celle du comité d'appel. Or, ce dernier présume clairement, selon moi, qu'il « n'existait pas de moyen de déterminer la compétence relative des candidats » à l'égard des facteurs connaissances et capacités et qu'en l'espèce, les connaissances et capacités ont été examinées et il suffisait que les candidats obtiennent une réussite.

[39]            À mon avis, la jurisprudence citée apporte simplement des exemples de l'application du principe directeur suivant : le comité d'appel est-il arrivé à la conclusion, au vu des qualifications établies pour le poste, que le processus de sélection comprenait une évaluation du mérite relatif des candidats?

[40]            En l'espèce, le comité d'appel a déclaré qu'au vu des faits de l'affaire, le mérite relatif avait été déterminé sans évaluation comparative des facteurs secondaires au vu des connaissances et capacités, et qu'il était suffisant que Mme Gosen ait jugé que les candidats avaient réussi ces facteurs.

[41]            Rien dans l'énoncé des qualités du poste n'indique que les connaissances et capacités seront traitées de cette manière et qu'à condition qu'on réponde aux exigences de base de ces facteurs, le jury de sélection fera porter son attention sur les qualités personnelles.


[42]            À mon avis, la situation aurait été différente si le jury de sélection avait examiné et comparé les candidats sous chacun des facteurs secondaires et était arrivé à la conclusion qu'ils étaient tous de même valeur dans ces domaines, suite à une analyse significative et pertinente. Mon examen de la preuve m'indique que ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce et le comité d'appel semble être du même avis.

[43]            Par conséquent, je conclus sur cette question que le comité d'appel a commis une erreur de droit en arrivant à la conclusion qu'on avait répondu « aux simples exigences juridiques » en l'espèce, même si la compétence relative des candidats n'avait pas été évaluée au vu des facteurs connaissances et capacités, et qu'il était suffisant que les candidats aient réussi.

Le comité d'appel a-t-il commis une erreur ouvrant droit à révision en arrivant à la conclusion que le processus utilisé dans l'évaluation des qualités personnelles des candidats ne violait pas le principe du mérite?

[44]            Les candidats ont été évalués sur une base comparative pour chacune des quatre composantes des qualités personnelles : bonnes relations interpersonnelles; motivation, discernement et fiabilité. Le demandeur soutient que cette évaluation est viciée par suite de l'absence de critères et de notations clairs, ainsi que d'un cadre d'évaluation clair. Le demandeur souligne notamment certains problèmes liés au processus d'évaluation de Mme Gosen.


[45]            Le demandeur soutient qu'il n'est pas clair quelle échelle de notation Mme Gosen a utilisée dans son évaluation des candidats au vu de chacune des quatre composantes des qualités personnelles.

[46]            De plus, le demandeur soutient que la preuve est confuse lorsqu'il s'agit de l'aspect obligatoire (ou non) de l'évaluation de chacune des quatre composantes des qualités personnelles. Le demandeur soutient que Mme Gosen s'est contredite sur la question de savoir si une évaluation moins que satisfaisante pour l'une des composantes pouvait être compensée par une évaluation plus que satisfaisante pour les autres composantes.

[47]            De plus, le demandeur fait remarquer que Mme Gosen n'a pas noté de façon formelle (selon une échelle de notation) les résultats de son évaluation. Rien dans la preuve documentaire ne démontre que Mme Gosen aurait utilisé une échelle de notation, ou de quelle façon les descriptifs des répondants ont été utilisés pour établir le rang des candidats.

[48]            Dans de telles circonstances, le demandeur soutient [traduction] « qu'on ne peut trouver un dénominateur commun qui assurerait que tous les candidats ont été évalués avec les mêmes critères et en utilisant la même échelle de notation » . En conséquence, il n'y a pas eu d'approche cohérente et équitable au classement des candidats.


[49]            Le comité d'appel renvoie à la décision de la juge McGillis dans Field c. Canada (Procureur général) (1995), 93 F.T.R. 158, citant directement l'énoncé suivant :

En l'espèce, le dossier ne fait état d'aucune preuve convaincante, orale ou écrite, indiquant la manière dont le Comité de sélection a évalué la compatibilité personnelle des candidats. En raison de l'absence d'éléments de preuve constitués et pertinents, la Commission d'appel ne pouvait pas correctement déterminer que le principe du mérite avait été respecté dans l'évaluation des candidats au sujet de leur compatibilité personnelle. [Non souligné dans l'original.]

[50]            Le comité d'appel semble être arrivé à la conclusion qu'en l'espèce, la preuve convaincante au sujet de la façon dont le jury de sélection a évalué le mérite des candidats sous le facteur des qualités personnelles, et le cadre d'évaluation clair utilisé pour démontrer que le principe du mérite avait été appliqué, se trouve dans le témoignage de Mme Gosen à l'audience, où elle a expliqué sa façon de procéder.

[51]            Le défendeur soutient que la situation en l'espèce diffère de celle qui existait dans Field, précité, puisque nous avons l'analyse de Mme Gosen à laquelle s'ajoute son témoignage devant le comité d'appel et que, si l'on examine cet ensemble, on trouve la preuve convaincante et le cadre d'évaluation clair qui indiquent de quelle façon le mérite a été évalué. Le défendeur soutient aussi qu'il n'est pas nécessaire de ramener le processus d'évaluation à un pur exercice de mathématiques, puisque ceci n'aurait pas donné plus d'éléments au comité d'appel pour son examen du processus utilisé par Mme Gosen et de la question de savoir si elle avait répondu aux exigences juridiques en utilisant l'approche narrative qu'elle déclare avoir empruntée.

[52]            Je crois qu'il est utile d'examiner le témoignage de Mme Gosen qui porte sur la façon dont elle a traité le demandeur sous ce facteur :


[traduction]

Le président :           Existe-t-il une notation avec des chiffres ou des mots, ou quelque chose?

Mme Allard :            Nous n'avons pas utilisé de chiffres. Nous avons utilisé une approche narrative, savoir si la cote était excellent, bon, satisfaisant, acceptable ou faible.

Le président :           Trouve-t-on ceci dans ces documents?

Mme Gosen :            Je ne crois pas avoir utilisé ces mots dans mon rapport. J'ai tout simplement indiqué qu'il n'était pas qualifié dans ces domaines.

Le président :           S'agit-il de ceci?

Mme Gosen :            Il s'agirait de la pièce D-5.

Le président :           Peut-être ai-je quelque chose de différent. Ceci indique seulement que Roy Gawlick ne s'est pas qualifié.

Mme Gosen :            Ne s'est pas qualifié, oui. Il s'agit d'une évaluation globale d'échec sous les qualités personnelles. Étant donné le total de toutes les vérifications, il ne répondait pas aux exigences de base pour les trois premiers facteurs secondaires et était satisfaisant pour le quatrième.

Le président :           Les trois premiers sont les bonnes relations interpersonnelles, le discernement et la motivation?

Mme Gosen :            Et la motivation, oui.

Le président :           Est-ce que chacune de ces composantes ont reçu une note réussite/échec, ou s'agit-il tout simplement d'une note globale?

Mme Gosen :            Il s'agit d'une note globale. Nous n'avons pas déclaré que l'une ou l'autre de ces composantes était obligatoire. Chacune a été évaluée séparément pour déterminer s'il s'agissait de bon, satisfaisant, acceptable ou faible. Ce sont les catégories que j'ai utilisées. En ajoutant le tout, il a obtenu la note globale de faible pour les trois et de satisfaisant pour la dernière.

Le président :           Donc aucune de ces composantes n'était obligatoire. Que fallait-il pour réussir?

Mme Gosen :            Il fallait obtenir une note globale satisfaisante.

Le président :           Ceci se fonde sur la pondération des notes reçues pour chacune des quatre composantes.

Mme Gosen :            Pour chacune des quatre, oui.


Le président :           Qu'a-t-il obtenu comme note pour chacune des quatre?

Mme Gosen :            Faible pour la première. Faible pour la deuxième. Faible pour la troisième et satisfaisant pour la quatrième.

Le président :           Lorsque vous faites une pondération globale, vous obtenez faible.

Mme Gosen :            Faible, oui.

Le président :           Il vous faut un satisfaisant.

Mme Gosen :            Il nous faut un satisfaisant, oui.

M. Gawlick :            Quelle était la composante satisfaisant?

Mme Gosen :            La fiabilité.

Le président :           Ce que vous pensiez à l'époque au sujet de cette échelle de faible, satisfaisant et ainsi de suite, n'a pas été décrit comme tel. C'est ce que vous avez décidé au moment où vous êtes arrivée à la conclusion qu'il n'était pas qualifié.

Mme Gosen :            C'est ce que j'ai pensé à ce moment-là, oui.

[53]            Mme Gosen a ensuite expliqué pourquoi elle avait donné la note faible au demandeur sous les bonnes relations interpersonnelles, le discernement et la motivation (il a reçu la note satisfaisant sous la fiabilité), et pourquoi elle lui avait accordé une note globale de « faible » . Elle a expliqué que le demandeur n'avait pas suivi les procédures prescrites par la législation et la politique dans le cadre du programme de saisie du courrier, et qu'il n'avait pas fait sa part du travail de saisie du courrier. Elle a aussi déclaré avoir entendu des commentaires négatifs de la part de personnes qui travaillaient avec lui au sujet de ses relations avec ses collègues.


[54]            Par ailleurs, Mme Gosen a expliqué qu'elle avait reçu des commentaires positifs des répondants des deux candidats qu'elle a placés sur la liste d'admissibilité, commentaires qui venaient confirmer sa connaissance personnelle des trois candidats. Il n'y a pas eu d'entrevues comme telles.

[55]            Sur cette question, le comité d'appel a conclu spécifiquement que « les documents fournis ne permettaient pas d'établir un cadre d'évaluation adéquat » , et que « la façon dont les qualités personnelles des candidats ont été évaluées n'a pas été convenablement décrite » .

[56]            Néanmoins, le comité d'appel a dit être d'avis que ces problèmes trouvaient leur réponse dans le témoignage de Mme Gosen à l'audience.

[57]            Je partage l'avis du défendeur que Mme Gosen a expliqué l'approche narrative adoptée et les avis négatifs qui l'ont amenée à accorder une note globale « faible » au demandeur sous les qualités personnelles. Mais il y a deux aspects troublants dans la méthodologie qu'elle a utilisée. Les deux candidats qualifiés ont été évalués par des répondants différents, qui semblent avoir eu le loisir d'observer les personnes qu'ils évaluaient. Pour sa part, le demandeur a été évalué par Mme Gosen seulement, qui avait été son surveillant en 1995 et qui avait travaillé avec lui pendant une courte période dans un passé plus récent.


[58]            Deuxièmement, le comité d'appel semble dire dans sa décision que les lacunes du processus utilisé pour évaluer les qualités personnelles dans le cas du demandeur peuvent être excusées ou compensées du fait que « les valeurs de la dotation, notamment la compétence, l'impartialité, l'équité et la transparence doivent être pondérés par les jurys de sélection en regard des principes de gestion que sont la souplesse et la capacité financière/l'efficience pour pouvoir atteindre les objectifs de la Loi » .

[59]            Ma lecture de Field, précité, ainsi que de la LEFP, ne me laisse aucunement l'impression que l'exigence d'une preuve convaincante et d'un cadre d'évaluation adéquat peut être mise en cause par des valeurs de gestion lorsqu'un jury de sélection doit prendre une décision de cette nature. Il doit y avoir de la souplesse, mais l'absence de preuve convaincante ne peut être excusée au vu des exigences du contexte. Je constate que le comité d'appel ajoute ensuite qu'il « est clair, en examinant la Loi et la jurisprudence, que les jurys de sélection ont une vaste marge de manoeuvre dans la conception des procédés et des outils de sélection » , mais je trouve dans la décision du comité d'appel la suggestion peu reluisante qu'il était disposé à excuser les lacunes dans la preuve convaincante et l'absence d'une description claire de l'évaluation au vu de valeurs de gestion dont il fallait tenir compte.

[60]            Au vu de tous ces facteurs, je suis d'avis que la preuve convaincante nécessaire pour justifier la décision du jury de sélection en l'espèce n'est pas présente et que rien ne démontre que, pour le facteur qualités personnelles, les candidats ont été évalués avec les mêmes critères et qu'on serait arrivé à un classement cohérent et équitable. Je suis convaincu que le comité d'appel a pris connaissance de ce fait, mais qu'il a voulu l'excuser au vu des exigences du contexte dans lequel on a tenu le concours.


[61]            En conséquence, je suis arrivé à la conclusion que le comité d'appel a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le processus d'évaluation des qualités personnelles des candidats ne violait pas le principe du mérite. Sur cet aspect, on n'a pas satisfait aux simples exigences juridiques du principe du mérite.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La décision du 23 janvier 2002 est annulée et la question est renvoyée à un comité d'appel différemment constitué pour qu'il l'examine en conformité des motifs de la Cour.

3.          Le défendeur paiera les dépens du demandeur dans cette demande.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-305-02

INTITULÉ :                                                                ROY GAWLICK

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 8 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                                                          POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron Ballantyne et Yazbeck                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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