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Date : 20030417

Dossier : IMM-1594-02

Référence : 2003 CFPI 460

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 AVRIL 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU             

ENTRE :

                              SAMBA KALOMBO

                                                                demandeur

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                                                                         

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 25 février 2002 par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « SAI » ) a conclu que la mesure de renvoi prise contre le demandeur le 18 juillet 2000 par l'arbitre était valide en droit et que, eu égard aux circonstances de l'espèce, il n'y avait pas suffisamment de motifs pour ne pas renvoyer le demandeur du Canada.


[2]                 Le demandeur est un réfugié au sens de la Convention, originaire de la République démocratique du Congo ( « RDC » ) qui a reçu la résidence permanente au Canada le 13 juillet 1995. Entre le 14 mai 1998 et le 14 mars 2001, il a été reconnu coupable d'environ 11 infractions criminelles qui étaient pour la plupart liées à de la fraude. Il a écopé d'un total de plus de 15 mois d'emprisonnement pour ses crimes. Aucun avis de danger n'a été encore formulé à son sujet.

[3]                 Le 18 novembre 1999, un agent d'exécution a recommandé la tenue d'une enquête en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ) et le 18 juillet 2000, un arbitre a pris une mesure de renvoi contre le demandeur. Un appel a été interjeté de la mesure de renvoi au motif, premièrement, que cette mesure n'était pas valide en droit et, en second lieu, que son exécution devait néanmoins être suspendue eu égard aux circonstances de l'espèce.

[4]                 La SAI a conclu que la mesure était valide en droit et que l'enquête n'avait pas été instituée à d'autres fins que celles qui sont autorisées par la Loi. La Commission a notamment conclu ce qui suit :


[...] Compte tenu du fait que l'appelant n'était pas un témoin digne de foi, pour les raisons précitées, et que force nous est de constater qu'il n'y a pas de preuves crédibles devant le tribunal pour discréditer les notes prises par l'agent d'immigration. D'autre part, il n'y a pas lieu de douter de la bonne foi de l'agent d'immigration dans sa prise de notes lors de sa rencontre avec l'appelant, notes qui furent prises peu de temps après avoir rencontré l'appelant, par une personne qui n'a aucun intérêt personnel dans le résultat de cette affaire. Le tribunal trouve donc les notes prises et le contenu du rapport digne de foi et le tribunal les accepte en preuve.

[...] Demander d'exclure le contenu d'un rapport, qui ne nous est pas favorable, en soulevant la violation de ses droits linguistiques lorsqu'on n'a jamais demandé d'être servi dans la langue officielle de son choix n'apparaît pas être pour le tribunal un motif suffisant pour exclure les documents concernés et même pour les discréditer et ne pas les considérer, sauf si on satisfait le tribunal que le résultat équivaut à un déni de justice naturelle, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[...] Le tribunal reconnaît que l'objet de la Loi qui vise à référer des résidents canadiens à une enquête vise des objectifs précis, tel que, entre autres, les risques de récidives et menace à la sécurité publique que pose un résident au Canada. En l'espèce, nous constatons que les motifs émis par l'agent d'immigration pour recommander la tenue d'une enquête n'étaient pas uniquement de priver l'appelant de son droit de parrainer des membres de sa famille mais qu'il constituait aussi un danger pour commettre un acte violent compte tenu des voix mystiques qu'il entendait. Il est donc clair que l'agent d'immigration a pris en considération plusieurs facteurs, soit des facteurs humanitaires et de compassion, les possibilités de réhabilitation de l'appelant, de son degré d'établissement ainsi que la capacité pour l'appelant de respecter ses engagements en parrainant des membres de sa famille. Le tribunal trouve les conclusions et les recommandations émises par l'agent d'immigration raisonnables en l'espèce et que sa conclusion à l'effet que l'appelant représentait un danger de commettre des crimes dangereux était aussi raisonnable. Le tribunal ne trouve pas que l'agent d'immigration a agi de façon ultra vires ou qu'il a voulu pénaliser indûment l'appelant dans cette affaire, ou bien qu'il a agi illégalement, irrégulièrement ou même pour des motifs inavoués en recommandant une enquête devant la division d'arbitrage. L'agent d'immigration avait la discrétion de faire tenir une enquête afin qu'un arbitre détermine si oui ou non, l'appelant est effectivement une personne décrite à l'article 27 de la Loi, ce qu'il a correctement décidé de faire.

[...] Le tribunal n'est pas d'accord avec [l'avocat]. La décision d'exécuter ou non une mesure de renvoi est laissée à la discrétion de l'intimé. Or, le tribunal ne trouve pas que le désir actuel énoncé par l'intimé de pas exécuter une mesure de renvoi contre l'appelant, le préclut ab initio de recommander et de référer l'appelant à une enquête par la division d'arbitrage de la Commission et peut aussi rendre nulle et illégale une mesure de renvoi.

Pour toutes les raisons précitées, le tribunal est d'avis que l'intimé a agi de façon intra vires en recommandant et en référant l'appelant à une enquête devant un arbitre. Par ailleurs, il est clair selon la preuve présentée que l'appelant est une personne visée à l'article 27(1)d)(ii) de la Loi. Le tribunal conclut donc la mesure de renvoi est valide en droit.


[5]                 De plus, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 70(1)b) de la Loi, la SAI a tenu compte des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la gravité des infractions et de la possibilité de réadaptation, du temps passé au Canada et du degré d'enracinement du demandeur, de la présence de membres de sa famille au Canada et des appuis sur lesquels il pouvait compter, de même que de la gravité des épreuves qu'il subirait s'il devait être renvoyé dans son pays d'origine. La SAI a estimé qu'il n'existait pas suffisamment de facteurs positifs en l'espèce pour accueillir l'appel ou pour accorder un sursis de la mesure de renvoi. Devant la juridiction pénale, le demandeur a admis sa culpabilité relativement aux actes contenus dans son dossier criminel, mais devant la SAI il a nié avoir commis ces actes et a plutôt attribué son comportement criminel à tout le monde sauf à lui-même, en affirmant qu'il était victime du système judiciaire et qu'il s'était trouvé aux mauvais endroits aux mauvais moments. La SAI a estimé que le demandeur n'était pas crédible et elle a fait observer ce qui suit : « L'appelant est apparu pour le tribunal comme une personne qui n'a aucune difficulté pour mentir et même se parjurer pour se sortir d'une situation inconfortable. À cet égard, il a prétendu sereinement s'être parjuré en cour criminelle, mentant à celle-ci en plaidant coupable aux crimes reprochés. Il affirme pourtant aujourd'hui, sous serment, qu'il n'a jamais commis aucune infraction criminelle » . En conséquence, la SAI a rejeté l'appel du demandeur et a conclu que la mesure de renvoi était conforme à la loi.

[6]                 Devant notre Cour, le demandeur conteste uniquement la conclusion de la SAI suivant laquelle la mesure était valide en droit. Le demandeur ne conteste donc pas le refus de la SAI de surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi pour des raisons d' « équité » .

[7]                 En premier lieu, le demandeur soulève le fait que la mesure de renvoi qui a été prise allait au-delà de l'objet et du but visé par la loi. Le demandeur invoque l'arrêt R. c. Bowles, [1998] H.L.J. no 16, dans laquelle la Chambre des lords a appliqué le critère de l'objectif principal posé par Wade et Forsyth dans leur ouvrage Administrative Law, 7e éd., à la page 436 :

[TRADUCTION]

Parfois, un acte peut viser plusieurs objectifs, dont certains sont autorisés et d'autres non, et il peut alors y avoir lieu de se demander si l'autorité publique a voulu faire d'une pierre deux coups. Le principe général est que l'acte sera légitime si l'objectif permis est l'objectif réel et principal visé, même si on peut aussi tirer certains avantages secondaires ou indirects répondant à un objectif qui déborde le cadre des pouvoirs de l'autorité concernée. Il y a lieu de faire une nette distinction entre la présente situation et la situation contraire, lorsque l'objectif autorisé n'est qu'un simple prétexte et que l'objectif principal est ultra vires.

[8]                 Le demandeur cite aussi l'extrait suivant des propos du juge Sharlow dans l'arrêt Wishart c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 4 C.F. 495 (C.A.F.) :

Il est également reconnu, et de fait il est de droit constant, que le ministre peut uniquement exercer le pouvoir qu'il possède en vue de délivrer un avis de danger aux fins auxquelles ce pouvoir est conféré. Ainsi, le ministre ne peut pas se fonder sur un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) pour soutenir que la revendication ne doit pas être étudiée. Jusqu'ici, il n'y a pas de controverse.


[9]                 Le demandeur signale que l'agent d'immigration a reconnu dans son rapport criminel circonstancié que les infractions reprochées au demandeur [traduction] « n'étaient pas des infractions de violence » et qu'elles [traduction] « ne font pas de lui un danger pour le public » . Ceci étant dit, l'agent d'immigration a par ailleurs ajouté que [traduction] « si le [demandeur] continue à entendre des voix mystiques, la situation peut changer » . L'agent d'immigration a précisé, toujours dans son rapport criminel circonstancié, que l'objectif déclaré de sa recommandation concernant la tenue d'une enquête en vertu de l'alinéa 27(1)d) de la Loi était [traduction] « que le [demandeur] fasse l'objet d'une mesure pour l'empêcher de parrainer les membres de sa famille » . L'agent d'immigration poursuit en ajoutant : [traduction] « Qui sait à l'avenir si les voix mystiques qu'il entend ne diront pas [au demandeur] de commettre des actes violents qu'il ne... S'il commet des actes violents, nous demanderons alors qu'il soit considéré comme constituant un danger pour le Canada en vertu de l'article 53 et ce, même après qu'une mesure aura été prise contre lui » .

[10]            Deuxièmement, à titre de proposition corollaire tirée de l'argument relatif aux objectifs illicites, le demandeur affirme aussi que la mesure de renvoi est plus ou moins légale étant donné qu'elle lui impose maintenant des conditions.


[11]          Troisièmement, le demandeur soutient aussi que le Ministère n'a pas l'intention de procéder à son renvoi, comme le démontre le fait que le représentant du ministre a ultérieurement reconnu que le demandeur - qui a été arrêté et est détenu par suite de l'exécution de la mesure de renvoi - est un citoyen de la RDC (l'ex-Zaïre), qui est [traduction] « un pays vers lequel Citoyenneté et Immigration Canada ne renvoie personne » . De fait, le ministre (qui a demandé la révision anticipée des motifs de la détention) a reconnu que le demandeur [traduction] « ne peut être expulsépour le moment » et qu'il [traduction] « faut obtenir l'attestation prévue au paragraphe 53(1) de la Loi sur l'immigration pour procéder à un renvoi » et que le ministre [traduction] « ne demandera pas cette attestation » . Le ministre a par ailleurs reconnu qu'il n'y avait [traduction] « aucune raison justifiant la poursuite de sa détention, de sorte que la révision anticipée des motifs de sa détention [...] en vue de recommander sa mise en liberté est demandée » .

[12]            Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI n'a pas commis d'erreur en décidant que la mesure de renvoi était valide en droit.

[13]            L'objectif et l'intention ne sont pas les facteurs décisifs en l'espèce. Dans le cas qui nous occupe, la mesure d'expulsion découlait de l'application de la loi. Le 14 mai 1998, le demandeur a été reconnu coupable de s'être frauduleusement fait passer pour une personne avec l'intention d'obtenir un avantage pour lui-même, en violation de l'alinéa 403a) du Code criminel. Cette infraction est passible d'une peine n'excédant pas dix ans d'emprisonnement. En conséquence, le demandeur tombe automatiquement sous le coup de l'alinéa 27(1)d). En raison du libellé impératif de cette disposition, l'agent d'immigration était tenu de faire parvenir au sous-ministre un rapport écrit précisant que le demandeur avait été déclaré coupable au Canada d'une infraction pour laquelle l'emprisonnement de plus de six mois a été infligée ou qui est punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans.


[14]         Le sous-ministre a seulement à décider si la tenue d'une enquête s'impose. Aux termes du paragraphe 27(3) de la Loi, après avoir examiné ce rapport, le sous-ministre doit, « au cas où il estime que la tenue d'une enquête s'impose » , adresser à un agent d'immigration supérieur une copie de ce rapport et il peut « dans tous les cas [...] ordonner à l'agent principal de faire tenir une enquête » (mon soulignement). En pareil cas, l'agent d'immigration est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête.

[15]            Dans l'arrêt Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 344 (C.A.F.), le juge MacGuigan a expliqué ce processus dans les termes suivants au paragraphe 9 :

[...] que l'on considère la décision du sous-ministre d'adresser une directive prévoyant la tenue d'une enquête à un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(3), ou la décision subséquente prise par un agent d'immigration supérieur conformément au paragraphe 27(4) de faire tenir cette enquête, ou la décision parallèle prise par un tel agent conformément à l'article 28 de faire tenir une enquête, la décision examinée a un caractère purement administratif. L'agent d'immigration supérieur n'a même pas à réfléchir au sujet de la question en jeu; il est simplement l'intermédiaire qui, selon la Loi, déclenche la tenue de l'enquête. Le sous-ministre a seulement à décider que la tenue d'une enquête s'impose, ce qu'il peut faire sur le fondement d'une preuve prima facie. Sa décision est analogue à celle d'un procureur de la poursuite concluant qu'il poursuivra une accusation devant les tribunaux.

(Mon soulignement)


[16]            Notre Cour a également écrit, dans le jugement Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1427, que « l'ordre d'enquête participe directement du pouvoir discrétionnaire du sous-ministre. Aux termes de l'alinéa 27(3)b), il "peut ordonner à l'agent principal de faire tenir une enquête". Il s'ensuit que, de même, il peut choisir de ne pas ordonner la tenue de cette enquête. Les deux possibilités coexistent logiquement et se complètent dans les limites du pouvoir discrétionnaire du sous-ministre » (le juge Denault, au par. 14).

[17]            En l'espèce, à l'issue de l'enquête qui a eu lieu, l'arbitre a conclu que les allégations dont le demandeur faisait l'objet étaient véridiques. Par conséquent, l'arbitre a pris le 18 juillet 2000 une mesure de renvoi contre le demandeur en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi, qui dispose qu'après avoir conclu que la personne faisant l'objet d'une enquête est un résident permanent visé au paragraphe 27(1), l'arbitre doit prononcer son expulsion. Comme on peut le constater, l'expulsion découle de l'effet de la loi. Dans le même ordre d'idées, « s'il conclut que l'intéressé relève d'un des cas visés par le paragraphe 27(2), l'arbitre prend une mesure d'expulsion à son endroit » (paragraphe 32(6) de la Loi). Dans les deux cas, l'arbitre n'a aucune latitude.

[18]            Ainsi que la Cour l'a souligné dans l'arrêt Kindler, précité, au paragraphe 15 :

Il est vrai que la seule question en litige devant l'arbitre de l'immigration lors de l'enquête serait celle de savoir si les allégations de fait présentées contre l'intimé sont vraies. Dans l'affirmative, l'expulsion doit s'ensuivre, puisque le paragraphe 32(6) de la Loi empêche l'arbitre de prendre en considération des circonstances spéciales lorsqu'il décide s'il prononcera une ordonnance d'expulsion dans une affaire comme celle-ci. Cependant, à cet égard, l'arbitre ne se trouve pas dans une situation différente de celle de tout autre juge des faits, comme le juge instruisant une affaire de meurtre, par exemple, qui n'a d'autre choix que d'imposer l'emprisonnement à vie si les faits sont établis. L'obligation de l'arbitre consiste à respecter scrupuleusement le principe de l'équité en prenant sa décision fondée sur les faits.


[19]            L'arbitre a, dans le cas qui nous occupe, examiné les allégations de fait et il a conclu que les faits relatés étaient véridiques et que le demandeur relevait d'un des cas visés par le paragraphe 27(1) de la Loi. L'arbitre a par conséquent pris une mesure d'expulsion valide et licite en se conformant aux dispositions impératives de la Loi.

[20]            Le demandeur semble dire que la mesure d'expulsion a été prise dans le but de lui imposer certaines conditions. Cependant, les faits n'appuient pas cette thèse. Ainsi qu'il a déjà été expliqué, la mesure d'expulsion découle de l'application de la loi et, dès que l'arbitre conclut que le demandeur appartient à l'une des catégories de personnes visées à l'alinéa 27(1)d), l'arbitre doit, selon les dispositions impératives du paragraphe 32(2) de la Loi, ordonner son expulsion.

[21]            Dans l'arrêt Hoang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] A.C.F. no 1096 ( « Hoang » ), la Cour d'appel fédérale a conclu ce qui suit :

Mais nous ne traitons pas ici d'une disposition exigeant l'imposition d'une peine sévère pour une infraction donnée. En effet, le paragraphe 32(2) n'impose pas de peine. Cette disposition est le corollaire nécessaire des limites imposées par l'article 4 de la Loi au droit des résidents permanents d'entrer au Canada et d'y demeurer. Lorsqu'il est établi qu'un résident permanent est une personne appartenant à l'une des catégories visées au paragraphe 27(1), cette personne n'a plus le droit de demeurer au pays. Il n'est donc pas exagéré ni déraisonnable d'exiger qu'une ordonnance d'expulsion soit rendue contre cette personne. L'expulsion est en effet le seul moyen pratique de forcer un étranger qui se trouve illégalement au Canada à quitter le pays. De plus, le Parlement peut et doit imposer des limites aux droits qu'ont les résidents permanents de demeurer au pays. Et, à mon avis, on ne peut soutenir sérieusement qu'il est cruel, inusité ou déraisonnable de prescrire que les résidents permanents perdront le droit de demeurer au pays s'ils sont déclarés coupables d'une infraction que le Parlement juge en elle-même une infraction grave.

[22]            Ce sont donc les agissements du demandeur qui ont donné lieu à la mesure d'expulsion qui a été prise à son endroit. La mesure d'expulsion n'avait pas pour objet de lui imposer des conditions.

[23]            Le demandeur conteste aussi la validité de la mesure d'expulsion en faisant valoir que le ministre n'a pas l'intention d'exécuter cette mesure, car il y a un moratoire sur le renvoi des immigrants vers la République démocratique du Congo. Il cite également l'alinéa 53(1)d) de la Loi, qui prévoit que la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu « ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si [...] d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada » (mon soulignement). En l'espèce, aucun avis de danger n'a été réclamé.


[24]            Toutefois, ainsi qu'il a déjà été expliqué, la Loi ne subordonne pas la validité de la mesure de renvoi à son exécution ou à son caractère exécutoire. Par exemple, le paragraphe 50(1) de la Loi prévoit que la mesure de renvoi ne peut être exécutée dans certains cas, notamment lorsque son exécution irait directement à l'encontre d'une autre décision rendue par une autorité judiciaire. De plus, l'article 51 dispose que « la mesure de renvoi est imprescriptible jusqu'à exécution » . Il y a donc sursis à l'exécution de la mesure. La Loi sépare nettement les deux processus. Le demandeur soutient également que le ministre n'a pas cherché à éliminer la possibilité qu'un appel soit interjeté en vertu de l'alinéa 70(5)c) de la Loi en obtenant un avis de danger. Cette question n'a rien à voir avec celle de la validité de la mesure de renvoi. La présence ou l'absence d'avis de danger ne permettait pas de savoir à l'avance si la SAI rejetterait ou accueillerait l'appel.

[25]        Lorsque la SAI confirme une mesure de renvoi, la question de savoir quand et où la personne visée sera renvoyée relève du ministre, ainsi que la Cour suprême du Canada l'a récemment rappelé dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, [2002] A.C.S. no 1, au paragraphe 74. La Cour d'appel fédérale a elle aussi reconnu cette distinction entre la validité d'une mesure d'expulsion et son exécution subséquente dans l'arrêt Hoang, précité, dans lequel elle a bien précisé que lorsqu'elle est saisie de l'appel d'une ordonnance d'expulsion, la CAI ne peut statuer que sur la validité de cette ordonnance. Comme la Cour d'appel fédérale l'a précisé, en cas de rejet de l'appel, le lieu vers lequel l'appelant peut être expulsé est une question à part, qui ne relève pas de la compétence de la Commission. Malgré le fait qu'il a fourni spontanément les éléments d'information se rapportant aux « voix mystiques » qu'il affirmait entendre, il n'en demeure pas moins que le demandeur répond à la définition de l'alinéa 27(1)d) et que l'arbitre a recommandé la tenue d'une enquête. Je conclus que la SAI n'a pas commis d'erreur de droit ou de compétence ou qu'elle a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.


[26]            Finalement, le demandeur a proposé la certification des questions suivantes :

1.         Le ministre peut-il faire ordonner l'expulsion d'un résident permanent du Canada (c.-à-d. lui faire perdre son statut de résident permanent) s'il n'a pas l'intention d'exécuter la mesure de renvoi pour expulser cette personne?

2.         Le ministre peut-il faire ordonner l'expulsion d'un résident permanent du Canada (c.-à-d. lui faire perdre son statut de résident permanent) dans le but d'imposer des conditions à cette personne?

3.    Si la décision administrative repose à la fois sur des motifs acceptables et sur des motifs inacceptables, la décision est-elle valide? Le critère de l' « objectif principal » énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt R. c. Bowles, [1998] H.L.J. no 16 s'applique-t-il en droit canadien?


[27]        La première question du demandeur repose sur l'argument que le ministre n'a jamais la faculté de prendre une mesure de renvoi, ou que la SAI ne peut confirmer une telle mesure, si le ministre n'a pas effectivement l'intention de renvoyer le demandeur. Cependant, la prise et la validité d'une mesure de renvoi ne dépend pas de l'intention de procéder à son exécution. La prise d'une mesure de renvoi et son caractère exécutoire ou son exécution sont deux concepts distincts qui ne sont pas interchangeables. C'est la loi qui déclenche la mesure de renvoi et celle-ci n'est pas tributaire de l'intention. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Kindler, précité, et notre Cour, dans Moreno, précité, ont confirmé que la décision d'adresser une directive prévoyant la tenue d'une enquête a un caractère purement administratif et ne satisfait pas aux critères d'une décision de nature judiciaire ou quasi judiciaire. Suivant la Cour d'appel autant que notre Cour, la décision d'ordonner la tenue d'une enquête constitue simplement une décision prise au sujet du demandeur, et non contre lui. La directive prévoyant la tenue d'une enquête a pour effet de traduire le demandeur devant la Section d'arbitrage, maintenant la Section de l'immigration selon la LIPR, où un arbitre décide s'il y a lieu ou non de prendre une mesure d'expulsion. Si le demandeur relève d'un des cas visés à l'alinéa 27(1)d) de la Loi, l'arbitre n'a d'autre choix que de prendre une mesure d'expulsion. La Loi ne lui confère aucune latitude à cet égard et elle ne subordonne certainement pas la prise de cette mesure d'expulsion à l'intention de l'exécuter. La mesure d'expulsion est par conséquent une mesure valide en droit qui découle de l'application de la loi.


[28]            En ce qui concerne la deuxième question proposée, comme la Cour suprême du Canada l'a établi dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 734, l'expulsion des résidents permanents qui ont commis des crimes au Canada ne constitue pas un châtiment, étant donné qu'ils ont « manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada [...] Une ordonnance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste » . La prémisse sur laquelle repose la deuxième question, c'est-à-dire l'imposition de conditions à une personne, est dénuée de toute pertinence étant donné que les conditions assortissant une mesure d'expulsion ne sont que des conséquences découlant de l'application de la loi.

[29]        Finalement, en ce qui concerne la troisième question proposée par le demandeur, il s'agit d'une version différente de la première question, dans la mesure où l'argument fondamental est qu'il n'est jamais acceptable de prendre une mesure d'expulsion lorsqu'on n'a pas l'intention de l'exécuter. Ainsi qu'il a déjà été expliqué, les mesures de renvoi découlent de l'application de la loi, indépendamment de toute question d'intention.

[30]            En conséquence, comme le législateur et les tribunaux ont tranché la question de façon concluante, je conclus qu'aucune des questions proposées par le demandeur ne soulève de question grave de portée générale.

                                           ORDONNANCE


LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 25 février 2002 par laquelle la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que la mesure de renvoi prise contre le demandeur le 18 juillet 2000 par l'arbitre était valide en droit et que, eu égard aux circonstances de l'espèce, il n'y avait pas suffisamment de motifs pour ne pas renvoyer le demandeur du Canada. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

                                        « Luc Martineau »                                       

                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-1594-02

INTITULÉ :                              SAMBA KALOMBO

                                                                                                                         demandeur

                                                        - et -

                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                   ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MARDI 1er AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE LUC MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :           LE 17 AVRIL 2003

COMPARUTIONS:

Michael Crane                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos                                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michael Crane

Toronto (Ontario)                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                                            POUR LE DÉFENDEUR


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