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Date : 20030919

Dossier : T-2036-95

Référence : 2003 CF 1087

ENTRE :

                                              TOMMY HILFIGER LICENSING, INC.,

                                                 TOMMY HILFIGER CANADA INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                                                INTERNATIONAL CLOTHIERS INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MacKAY


[1]                 Les demanderesses reprochent à la défenderesse d'avoir fait passer ses marchandises pour les leurs et d'avoir contrefait deux de leurs marques de commerce déposées, toutes deux à l'égard du même Crest Design (dessin d'écusson), mais chacune relativement à différentes marchandises et à différents articles de vêtement. Elles lui reprochent également d'avoir porté atteinte à leur droit d'auteur enregistré à l'égard du même dessin d'écusson. Elles sollicitent à l'égard des contrefaçons reprochées un jugement déclaratoire, une injonction, des dommages-intérêts et une restitution des bénéfices, des intérêts avant jugement et après jugement et une ordonnance contraignant la défenderesse à leur remettre ou à détruire les marchandises contrefaites et le matériel connexe se trouvant en sa possession, ainsi que les dépens.

[2]                 La défenderesse nie toute contrefaçon et soutient qu'aucun droit des demanderesses n'a été violé. De plus, les enregistrements des marques de commerce et du droit d'auteur en litige seraient invalides. La défenderesse demande non seulement que l'action soit rejetée avec dépens, mais également, par demande reconventionnelle, que l'enregistrement des marques de commerce relatives à l'écusson et l'enregistrement du droit d'auteur connexe soient radiés de leurs registres respectifs et sollicite aussi des dépens avocat-client.

[3]                 Aux fins de la présente action, les parties se sont entendues sur un exposé des faits détaillé, que j'invoque en grande partie dans les présents motifs pour décrire le contexte général ou les faits relatifs aux questions particulières à trancher. Lorsqu'il semble important de souligner qu'un fait est admis, je l'indique.

Les demanderesses, leurs marchandises et leurs ventes


[4]                 Les demanderesses sont des filiales en propriété exclusive de Tommy Hilfiger USA Inc. (THUSA), société de New York. La demanderesse Tommy Hilfiger Licensing Inc. (THLI), société constituée et située dans l'État du Delaware, est le titulaire des droits de propriété intellectuelle du groupe de sociétés Hilfiger dont elle permet par licences l'utilisation par des tiers, y compris la demanderesse Tommy Hilfiger Canada Inc. (THC), qui est constituée sous le régime des lois du Canada et dont le principal établissement se trouve à Montréal. THC distribue et vend, par l'entremise d'autres détaillants, des articles de vêtement en liaison avec les marques de commerce de THLI, y compris le dessin d'écusson des demanderesses.

[5]                 Les droits enregistrés de THLI dont il est question en l'espèce et que THC est autorisée à utiliser au Canada en vertu d'une licence comprennent la marque de commerce relative au dessin d'écusson des demanderesses, qui porte le numéro TMA 426,595 et qui a été enregistrée le 29 avril 1994 en vue d'être utilisée en liaison avec des vêtements pour hommes et garçons, notamment des chemises, chandails, manteaux sport, pantalons, shorts, blousons sport, parkas, paletots et cols roulés, et la marque de commerce TMA 430,742 qui a été enregistrée le 8 juillet 1994 en vue d'être utilisée en liaison avec des chapeaux, casquettes, blazers, costumes de bain, pulls d'entraînement et chaussettes. THLI est également propriétaire du dessin d'écusson connexe, qui fait l'objet de l'enregistrement du droit d'auteur canadien n ° 448012, enregistré le 29 novembre 1995, et à l'égard duquel elle a accordé une licence autorisant THC à l'utiliser au Canada. Cet enregistrement comporte simplement une description d'une oeuvre artistique sous le titre « Crest Design » (dessin d'écusson) sans représentation ou reproduction. Il est attesté dans l'enregistrement que l'auteur de l'oeuvre est Tommy Hilfiger « c/o THUSA, New York » , la société dont M. Hilfiger était un employé et que l'oeuvre appartient à Tommy Hilfiger Licensing Inc. et a été publiée pour la première fois en août 1986 à New York. THLI possède d'autres marques de commerce, mais seules ces deux marques de commerce déposées et le droit d'auteur afférent au dessin d'écusson sont en litige dans la présente action.


[6]                 Le dessin d'écusson des demanderesses est représenté comme suit dans ses marques de commerce déposées :

[7]                 En vertu d'ententes conclues entre différentes sociétés faisant partie du groupe Tommy Hilfiger, THUSA travaille de concert avec les titulaires de licence, y compris THC, afin de préciser les caractéristiques de conception et de fabrication des marchandises destinées à être vendues sous les marques de commerce Hilfiger, d'approuver des échantillons de toutes les marchandises avant d'en autoriser la vente et de permettre la fabrication desdites marchandises uniquement par les entrepreneurs qui adhèrent à un programme de conformité qu'elle supervise avec THC. Pour sa part, THC est tenue, en vertu de sa licence, de protéger le marché canadien à l'encontre des vêtements contrefaits et ses employés doivent faire parvenir tout produit douteux à son siège social.

[8]                 En janvier 1990, THC a commencé à vendre des marchandises, dont des chemises, portant le dessin d'écusson des demanderesses, en vue de les livrer à ses clients détaillants du Canada. De façon générale, ces vêtements comportaient également des étiquettes sur lesquelles figurait la marque de commerce TOMMY HILFIGER des demanderesses; de plus, la marque de commerce Flag Design (dessin de drapeau) des demanderesses apparaissait souvent sur les étiquettes volantes ou les emballages (exposé conjoint, paragraphe 21).

[9]                 Les demanderesses vendent leurs marchandises en partie dans leurs propres magasins, mais surtout par l'entremise de grands magasins ou d'autres détaillants qui respectent les normes qu'elles ont établies au plan de la commercialisation, de la qualité, du prix et de la présentation. Bon nombre de magasins qui vendent les marchandises des demanderesses le font en utilisant des accessoires ou panneaux spéciaux que les demanderesses fixent elles-mêmes et sur lesquels figurent marque de commerce TOMMY HILFIGER ainsi que le dessin de drapeau ou le dessin d'écusson ou les deux. Les accessoires ou panneaux visent à inciter les clients qui entrent dans le magasin à se diriger vers les vêtements que vendent les demanderesses.


[10]            Les demanderesses et leurs titulaires de licence ont annoncé leurs marchandises et leurs marques de commerce non seulement à l'aide d'enseignes, de présentoirs et de bandes vidéo utilisés dans les magasins, mais également au moyen de la publicité imprimée, des panneaux publicitaires et de la télévision. En 1995, les marques de commerce TOMMY HILFIGER et le dessin de drapeau étaient devenus bien connus en liaison avec les articles de vêtement que les demanderesses vendent au Canada. La marque de commerce du dessin d'écusson a été et est toujours une marque de commerce majeure aux fins des activités de THC liées à la vente de vêtements sport pour hommes et elle figure sur de nombreux vêtements de base très populaires, dont les polos piqués pour hommes, l'article de la marque Hilfiger qui se vend le mieux au Canada, ainsi que les chemises Oxford et les chemises en denim, les chandails à encolure ras du cou, les jeans, les blousons, les tee-shirts, les chinos et les slips de bain, sur des vêtements que les demanderesses considèrent comme des vêtements classiques pour hommes et garçons de tous âges.

[11]            Malgré l'usage répandu qu'elles font du dessin d'écusson, les demanderesses ne connaissent personne qui achète leurs marchandises en raison de l'apparence de ce dessin. Pourtant, celui-ci figure sur bon nombre de vêtements et d'accessoires vendus sous la marque Tommy Hilfiger, comme l'indiquent les estimations de la part des ventes de THC, soit 50 p. 100 au cours de la période allant de 1990 à 1993, 35 p. 100 de 1994 à 1996 et 20 p. 100 de 1997 à 2000. Pendant cette même période, le total des ventes est passé progressivement de 10 000 000 $ en 1994 à 25 000 000 $ en 1996 et à 90 000 000 $ en 1998.

La défenderesse, ses marchandises et ses ventes


[12]            La défenderesse, International Clothiers Inc. (INC), qui est constituée sous le régime des lois du Canada et dont le principal établissement se trouve à Toronto, vend des vêtements au public uniquement dans ses propres magasins, dont le nombre s'élevait à 94 en 1999. Exploités sous différents noms commerciaux, ces magasins se trouvent en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Québec, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. INC vend des marchandises élégantes et en vogue par l'entremise de ses magasins International Clothiers et d'autres boutiques de vêtements désignées. Elle achète ces vêtements à des fournisseurs qui fournissent généralement des produits fabriqués à son gré, ainsi que le concept de base. De plus, elle achète des lots de marchandises lorsque les ententes de vente que les fournisseurs ont conclues avec des tierces parties ne se sont pas concrétisées.

[13]            INC ne vend pas de vêtements par l'entremise d'autres détaillants. Elle cherche à atteindre des consommateurs jeunes, qui désirent acheter des vêtements élégants tout en se préoccupant des prix. Les parties estiment que ces marchandises sont vendues à des prix plus bas que celles des demanderesses et à un secteur de la clientèle dont le niveau est moins élevé que celui des clients de Hilfiger. Les demanderesses ne croient pas que les ventes d'INC font concurrence aux leurs et, de façon générale, la défenderesse partage cet avis.

[14]            INC est le titulaire de la marque de commerce canadienne « GARAGE U.S.A. » et n'a pas de licence l'autorisant à vendre les marchandises des demanderesses ou des marchandises liées aux marques de commerce ou au droit d'auteur enregistré de celles-ci.


[15]            En novembre 1994, INC a établi un bon de commande à l'égard d'un lot de 7 200 chemises pour hommes, qui comportaient des rayures aux couleurs vives ainsi qu'un écusson brodé à l'avant. Les vêtements n'étaient ni fabriqués ni conçus par INC. Ils portaient à l'origine l'étiquette « Ash Creek » qui, d'après l'acheteuse de la défenderesse, correspond à l'étiquette de Wal-Mart. INC a fait enlever ces étiquettes et a demandé au fournisseur d'apposer des étiquettes comportant sa marque de commerce GARAGE U.S.A. Lors de l'achat, l'acheteuse de la défenderesse n'a pas considéré l'écusson comme davantage qu'un signe héraldique général et ne l'a pas associé aux marchandises des demanderesses ou à celles d'un autre commerçant.

[16]            De l'avis des demanderesses, l'écusson de la défenderesse se compose d'un insigne ovale sur lequel apparaissent un visage de lion ainsi que des branches et feuilles de laurier à droite et à gauche et un bandeau brodé aux couleurs or, rouge et bleu sous l'ovale, le tout étant semblable à la marque de commerce correspondant au dessin d'écusson de THLI. Aucune couronne n'apparaissait sur la partie supérieure de l'écusson de la défenderesse, alors que cet élément était visible sur celui des demanderesses et constituait probablement une caractéristique de leur dessin d'écusson visé par un droit d'auteur.

[17]            Le dessin d'écusson apparaissant sur les chemises d'INC est représenté comme suit dans l'exposé conjoint des faits :


[18]            INC a reçu les chemises en question au début de l'année 1995 et les a vendues par l'entremise de ses magasins International Clothiers entre février ou mars et septembre de la même année. Ces ventes se sont poursuivies malgré une lettre que la défenderesse a reçue le 18 avril 1995 et dans laquelle les avocats américains de THLI soutenaient que les chemises constituaient une contrefaçon des marques de commerce de THLI ainsi que de la marque de commerce correspondant au dessin d'écusson des demanderesses. Jusqu'à ce moment, l'acheteuse et le personnel d'INC n'avaient pas réalisé que l'écusson brodé apparaissant sur les chemises était un dessin-marque des demanderesses, même s'ils ont admis que la marque de commerce TOMMY HILFIGER et celle du dessin drapeau de celles-ci étaient bien connues.

[19]            Selon la lettre, INC était sommée de mettre immédiatement fin à la vente des chemises. En juin 1995, l'avocat d'INC a répondu à la lettre en disant que les marchandises avaient été achetées de manière innocente à un fournisseur étranger, que la défenderesse ne commanderait plus de vêtements affichant le dessin-marque et qu'elle s'abstiendrait d'utiliser cette marque une fois que le lot de marchandises serait vendu. De l'avis de l'avocat d'INC, la portée du dessin-marque de l'écusson des demanderesses était restreinte et tout risque de confusion était éliminé du fait qu'INC avait apposé sa propre marque de commerce GARAGE U.S.A. sur les étiquettes de ses chemises. De plus, les profits pouvant provenir de la vente des chemises seraient vraisemblablement minimes et, en tout état de cause, ne découleraient pas de l'inclusion de l'emblème héraldique ou du dessin sur la chemise.


[20]            Le 30 juin 1995, les avocats canadiens de THLI ont écrit aux avocats d'INC afin de réitérer la demande formulée par les avocats américains à la mi-avril. Le 27 juillet 1995, l'avocat d'INC a répondu en disant qu'il restait peu de chemises à écouler et que le stock serait bientôt épuisé.

[21]            En passant, je souligne que les chemises en question avaient déjà été portées à l'attention des avocats américains de THLI lorsque, au début de 1994, ceux-ci ont été avisés que des polos comportant le dessin d'écusson des demanderesses et des étiquettes de prix destinées à Wal-Mart étaient fabriqués au Pakistan. Peu après, les chemises ASH CREEK portant une étiquette « ASH CREEK » , soit un nom commercial de Wal-Mart, ont été achetées aux États-Unis et comportaient alors un écusson sur la poitrine et des rayures presque identiques à ceux dont le groupe Tommy Hilfiger s'était servi au cours de la saison précédente.

[22]            THLI et THUSA ont engagé une action contre Wal-Mart devant la Cour fédérale du district sud de New York. Elles ont également demandé et obtenu une injonction préliminaire interdisant la vente des chemises par Wal-Mart. L'affaire ne s'est pas rendue à l'instruction, mais un accord de règlement confidentiel a été conclu entre les parties et la cour a rendu une injonction permanente sur consentement afin d'interdire à Wal-Mart de vendre les chemises à l'avenir.

[23]            Par la suite, les chemises produites à l'origine pour Wal-Mart ont fait partie du lot de marchandises dont la défenderesse INC a fait l'acquisition après avoir donné au fournisseur l'ordre de remplacer l'étiquette ASH CREEK par sa propre étiquette GARAGE U.S.A. Peu après avoir reçu les chemises au printemps 1995, son acheteuse principale qui avait passé la commande a appris l'existence d'un problème juridique à l'égard de l'écusson figurant sur les chemises. Aucun avis du problème n'a été donné à l'interne en vue d'informer l'ensemble du personnel à ce sujet. INC a continué à vendre les chemises, malgré les demandes de THLI et de la demanderesse THC, jusqu'à ce que le stock soit complètement vendu en septembre 1995.

[24]            Le 27 septembre 1995, la déclaration des demanderesses a été déposée dans la présente action. Elle a subséquemment été modifiée à deux occasions avant le dépôt de la défense et demande reconventionnelle de la défenderesse le 7 février 1996, lequel acte de procédure a lui-même été modifié le 1er août 1996.


[25]            C'est après la vente des chemises par INC et l'introduction de la présente action que le droit d'auteur de la demanderesse THLI sur son dessin d'écusson a été enregistré à titre d'oeuvre artistique en novembre 1995; selon l'enregistrement, Tommy Hilfiger est l'auteur du dessin d'écusson, tandis que THLI est le titulaire du droit d'auteur. Il est également attesté dans cet enregistrement que l'oeuvre a été publiée pour la première fois à New York en 1986. Le certificat d'enregistrement du droit d'auteur ne comporte aucune représentation du dessin, mais décrit plutôt l'oeuvre artistique comme un [traduction] « dessin d'écusson » . Après l'enregistrement du droit d'auteur, la déclaration déposée en l'espèce a été modifiée en décembre 1995 par l'ajout, pour la première fois, de l'allégation d'atteinte au droit d'auteur.

[26]            En 1998, après l'introduction de l'action, un mandataire des demanderesses a acheté à l'une des boutiques de la défenderesse un polo à fermoir éclair pour garçons comportant sur la poitrine un motif ajouré de drapeau semblable au dessin de drapeau correspondant à la marque de commerce des demanderesses. Il a également acheté un autre polo comportant des rayures peintes en rouge, le nom « Tommy Sports » ainsi que les lettres « T » et « H » écrites en gros caractères, de même qu'une robe marine pour fillette sur laquelle figurait un motif ajouré de drapeau rouge et blanc sur la poitrine.

[27]            Vers la même période, des ensembles shorts pour garçons, que la défenderesse a appelés des pyjamas, ont été achetés à une boutique d'INC. Ces vêtements comportaient un écusson qui, d'après les demanderesses, était semblable au dessin visé par leur marque de commerce et leur droit d'auteur. Voici le dessin d'écusson figurant sur les ensembles shorts d'INC :

[28]            Après les avoir acquis plus tôt pendant l'année, la défenderesse a vendu les ensembles shorts avant la mi-1998, malgré l'action déjà engagée par les demanderesses. L'achat de quelques centaines d'ensembles shorts, en vue de les vendre par l'entremise des boutiques International Kids de la défenderesse, a été fait par un acheteur à l'emploi d'INC après l'introduction de la présente action; cet acheteur serait décédé depuis les ventes survenues en 1998 et n'était apparemment pas au courant des allégations des demanderesses dans la présente action.

[29]            Les ventes par INC des chemises en 1995 et des ensembles shorts en 1998 sont à l'origine des allégations de contrefaçon que les demanderesses ont formulées en l'espèce quant à leurs marques de commerce et à leur droit d'auteur. J'examine maintenant ces allégations, en commençant par celles qui concernent les marques de commerce et l'imitation frauduleuse, y compris la défense et la demande reconventionnelle de la défenderesse à l'égard de ces allégations; je m'attarderai ensuite aux allégations et défenses se rapportant aux allégations des demanderesses quant à l'atteinte à leur droit d'auteur.

Les allégations des demanderesses au sujet de la contrefaçon de marques de commerce

[30]            Les demanderesses formulent quatre allégations concernant la contrefaçon de leurs marques de commerce :

(i)          la défenderesse a violé les droits des demanderesses en vertu de l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi);


(ii)         la défenderesse a violé les droits afférents aux marques de commerce des demanderesses en vertu de l'article 20 de la Loi en utilisant son écusson qui prête à confusion;

(iii)        la défenderesse a utilisé son écusson d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché aux marques de commerce des demanderesses, contrairement à l'article 22 de la Loi;

(iv)        en raison de l'utilisation de son écusson, la défenderesse a fait passer ses marchandises pour celles des demanderesses et est donc tenue de dédommager celles-ci des préjudices qu'elles ont subis de ce fait.

[31]            Avant d'examiner chacune de ces allégations, il convient de souligner que la défenderesse soutient, dans sa défense et sa demande reconventionnelle, que le dessin d'écusson de THLI n'est pas valablement enregistré comme marque de commerce parce qu'il n'a pas été utilisé pour distinguer les marchandises des demanderesses des autres marchandises. Les demanderesses auraient plutôt utilisé leurs marques TOMMY HILFIGER et les marques de dessin de drapeau à cette fin. De plus, étant donné que le dessin d'écusson n'était pas distinctif lors de l'introduction des procédures visant à en contester la validité, c'est-à-dire lors du dépôt de la défense et de la demande reconventionnelle dans la présente action, les enregistrements sont invalides en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi.


[32]            À mon avis, les facteurs que la défenderesse invoque à l'appui de ses allégations ne justifient pas les conclusions qu'elle demande à la Cour de tirer. Ainsi, le fait que les demanderesses utilisent d'autres marques de commerce, et le font généralement avec leur dessin d'écusson, et même le fait qu'elles n'indiquent pas sur leurs marchandises ou dans leur publicité que le dessin en question est visé par une marque de commerce ne permettent pas de conclure qu'elles n'utilisent pas ce dessin comme marque de commerce. Le dessin d'écusson a longtemps figuré et continue à figurer sur une partie importante des marchandises des demanderesses non seulement comme élément décoratif, mais pour distinguer leurs marchandises de celles des autres. De plus, tel qu'il est mentionné ailleurs, malgré l'existence d'autres dessins d'écusson utilisés comme marques de commerce ou simplement comme emblèmes ou éléments décoratifs par d'autres au moment du dépôt de l'action des demanderesses ainsi que de la défense et de la demande reconventionnelle, le dessin d'écusson des demanderesses avait acquis un caractère distinctif en raison de son utilisation prolongée et continue.

[33]            Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les marques de commerce relatives au dessin d'écusson des demanderesses ont été enregistrées de manière invalide ou avaient perdu leur caractère distinctif lorsque la validité de leur enregistrement a été mise en doute par la défense et la demande reconventionnelle d'INC. En conséquence, cette demande reconventionnelle doit être rejetée.


[34]            L'article 19 de la Loi confère au propriétaire d'une marque de commerce déposée le droit exclusif d'utiliser ladite marque dans tout le Canada à l'égard des marchandises ou services qui y sont associés, à moins qu'il ne soit établi que l'enregistrement est invalide. L'article 19 de la Loi s'applique à une action lorsqu'il est prouvé qu'une personne autre que le propriétaire enregistré ou son titulaire de licence utilise une marque de commerce enregistrée à l'égard de marchandises ou de services similaires à ceux qui sont associés à ladite marque. Dans la présente affaire, la défenderesse soutient que le dessin-marque figurant sur ses marchandises, notamment sur ses chemises, n'est pas identique au dessin d'écusson correspondant à la marque de commerce enregistrée des demanderesses.

[35]            À mon avis, le dessin d'écusson de la défenderesse qui figurait sur les chemises d'INC n'est pas identique au dessin d'écusson enregistré des demanderesses, bien qu'il puisse comporter des similitudes avec celui-ci. Contrairement au dessin d'écusson des demanderesses, l'écusson figurant sur les polos de la défenderesse ne comporte aucune couronne au-dessus de l'ovale et le lion ou l'animal au centre de l'ovale n'est pas muni d'une épée brandie vers le haut. Il n'y a pas lieu de dire que la défenderesse a utilisé la marque de commerce déposée des demanderesses, du moins sur ses chemises (voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. 3d (3) (C.A.F.)). Sur l'écusson des ensembles shorts ou pyjamas, on peut voir une année écrite en chiffres romains à l'intérieur du bandeau à la base, caractéristique qui n'existe pas dans le dessin d'écusson des demanderesses. Cependant, l'écusson de la défenderesse présente un animal qui brandit une épée et qui ressemble à celui des marques de commerce des demanderesses. De façon générale, l'écusson figurant sur les ensembles shorts est semblable à celui des demanderesses.


[36]            La défenderesse ajoute qu'elle n'a pas porté atteinte aux droits des demanderesses qui découlent de l'article 19 ou 20, parce qu'elle n'a pas utilisé son écusson comme marque de commerce, mais plutôt comme un simple élément décoratif sur ses marchandises. De l'avis de la défenderesse, il ne s'agissait pas d'une utilisation visée par les articles 2 et 4 de la Loi, c'est-à-dire que l'écusson ne figurait pas sur ses marchandises comme marque de commerce et qu'il n'était pas destiné à faire la distinction entre les marchandises de la défenderesse et celles des autres. Pour qu'il y ait contrefaçon en vertu des articles 19 et 20, il est nécessaire de prouver qu'INC a employé l'écusson comme marque de commerce (voir Cie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. T.C.A.-Canada et al. (1996), 71 C.P.R. (3d) 348, aux pages 357 à 362 (C.F. 1re inst.), décision du juge Teitelbaum).

[37]            L'article 20 de la Loi prévoit que la contrefaçon d'une marque de commerce déposée est réputée survenir lorsqu'une « personne non admise à l'employer ... vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion » (sous réserve de certaines exceptions qui ne s'appliquent pas en l'espèce). Pour que cette disposition s'applique, la défenderesse INC doit avoir employé son écusson, lequel créerait apparemment de la confusion avec la marque déposée, à titre de marque de commerce, c'est-à-dire à titre de marque pour « distinguer ou de façon à distinguer les marchandises d'INC de celles vendues ... par d'autres » (définition de la marque de commerce énoncée à l'article 2 de la Loi).


[38]            À mon avis, il n'est pas établi que la société INC a employé son dessin d'écusson comme marque de commerce pour distinguer ses marchandises de celles des autres. Toute conclusion selon laquelle elle voulait que le dessin soit une marque de commerce ne peut être déduite que du fait que tant les chemises achetées à des fins de vente en 1995 que les ensembles shorts achetés en 1998 comportaient un dessin d'écusson similaire à celui qu'employaient les demanderesses sur des chemises pour hommes et ensembles shorts pour garçons généralement similaires. Cette déduction n'est pas appuyée par d'autres facteurs.

[39]            Selon l'exposé conjoint des faits modifié, INC n'a pas participé à la création ou à la conception des chemises pour hommes ou de l'écusson brodé et elle a demandé au fournisseur de faire apposer des étiquettes comportant sa propre marque de commerce GARAGE U.S.A. après le retrait du nom commercial appartenant à Wal-Mart. La défenderesse n'a utilisé aucune marque comparable à d'autres marques des demanderesses, à l'exception de l'écusson. Aucun élément de preuve n'indique que le dessin d'écusson des demanderesses ou un dessin d'écusson pouvant être considéré comme un dessin prêtant à confusion avec celui-ci n'a été brodé ou apposé sur d'autres marchandises vendues par INC, exception faite des deux lots de chemises et d'ensembles shorts.

[40]            J'en conclus que les écussons figurant sur les chemises et ensembles shorts en litige ne faisaient pas partie de ces marchandises et que la défenderesse INC ne s'en est pas servie dans le cadre de la vente desdites marchandises pour distinguer celles-ci de celles d'autres commerçants. La défenderesse n'a pas employé les marques à titre de marques de commerce.


[41]            Si j'en étais arrivé à une autre conclusion, soit que la société INC a employé son dessin d'écusson comme marque de commerce, la question qu'il faudrait trancher en ce qui concerne l'allégation de contrefaçon en vertu de l'article 20 serait de savoir si l'emploi de cette marque créerait de la confusion avec la marque de commerce des demanderesses. Cette question a été débattue à fond et, pour le cas où ma conclusion serait erronée et où il serait jugé que le dessin d'écusson d'INC a été utilisé à titre de marque de commerce, je commenterai brièvement la question de la confusion.

[42]            Selon la Loi, l'emploi d'une marque de commerce crée de la « confusion » avec une autre lorsque cet emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées ou vendues par la même personne, que ces marchandises soient ou non de la même catégorie générale (voir le paragraphe 6(2)). Pour trancher cette question, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles qui sont mentionnées aux alinéas a) à e) du paragraphe 6(5), dont voici le libellé :

6.(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

6.(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

(c) the nature of the wares, services or business;

d) la nature du commerce;

(d) the nature of the trade; and

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[43]            Voici mon analyse et mes conclusions au sujet des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) :

(1)         Il n'y a pas lieu de dire que les marques de commerce ont un caractère distinctif inhérent, compte tenu de la multitude de marques et de symboles d'armoiries comportant quelques-uns des éléments de la marque des demanderesses. Néanmoins, en 1995, lorsque le premier incident est survenu, c'est-à-dire l'achat et la vente par INC de chemises comportant l'écusson d'INC, les marques correspondant au dessin d'écusson des demanderesses avaient acquis un caractère distinctif en raison de leur emploi continu sur le marché depuis une décennie, notamment sur les polos, c'est-à-dire les marchandises qui se vendaient le plus depuis près de 20 ans avant 1995. Il appert de la preuve que le dessin d'écusson brodé des demanderesses figurait sur ces chemises et sur de nombreuses autres marchandises de celles-ci depuis 1985 aux États-Unis et depuis le début des années 1990 au Canada. Ces marchandises ont été vendues sur une grande échelle sur un marché qui a connu un essor rapide.


(2)         Même si l'acheteuse d'INC a dit au cours de son témoignage que, lorsque les chemises ont été commandées et reçues, le dessin d'écusson qui y figurait ne lui rappelait pas le dessin d'écusson enregistré des demanderesses, tel n'est pas le critère à appliquer. Il s'agit plutôt de savoir si le consommateur sur le marché, qui connaît la marque de commerce des demanderesses, mais ne se la rappelle pas de façon précise, aurait jugé que les marques prêtaient à confusion. À mon avis, la réponse à cette question est positive, car malgré quelques différences mineures, les marques brodées sur les chemises étaient à peu près de la même grosseur; leurs couleurs étaient similaires et elles étaient apposées à l'avant des chemises, à peu près au même endroit. À mon avis, ce consommateur penserait à première vue, sans examiner plus à fond les marques, que celles-ci prêtent à confusion, c'est-à-dire qu'elles donnent l'impression que les marchandises proviennent de la même source ou du même fournisseur. J'en arrive à la même conclusion dans le cas de l'utilisation d'un écusson semblable à celui du dessin d'écusson de la marque de commerce des demanderesses sur les ensembles shorts achetés en 1998 car, même si cet écusson comportait des chiffres romains au bas, à l'intérieur du bandeau, il ne présentait pas dans l'ensemble des différences majeures par rapport au dessin d'écusson correspondant à la marque de commerce des demanderesses.


(3)         Les marchandises associées aux dessins d'écusson des parties étaient différentes au plan de la qualité et étaient apparemment destinées à des secteurs différents du marché des vêtements pour hommes et pour garçons; cependant, lorsqu'elles sont examinées ensemble, les deux marques ne sont pas différentes l'une de l'autre à mon avis au plan visuel. Elles sont plutôt similaires de façon générale et aucun dessin d'écusson de l'une n'est vraiment différent de l'autre. De façon globale, les marchandises auxquelles elles sont associées, notamment les polos pour hommes et les ensembles shorts pour garçons, appartiennent à la même catégorie de marchandises, c'est-à-dire des vêtements pour hommes et garçons, soit le marché général que les demanderesses et INC desservaient. Ces marchés étaient peut-être différents au plan de la richesse ou des intérêts comparatifs des consommateurs éventuels. Les marchandises des demanderesses sont décrites comme des marchandises haut de gamme, destinées à tous les groupes d'âge, tandis que celles de la défenderesse sont décrites comme des marchandises élégantes, en vogue, au goût du jour et à prix modéré. Les parties ne considèrent pas leurs marchandises comme des marchandises comparables au plan de la qualité ou de la conception et ne se considèrent pas non plus comme des concurrents directs; cependant, à mon sens, la nature des marchandises est généralement similaire et les parties exercent une seule activité commerciale, soit la vente de vêtements, dont des vêtements pour hommes et pour garçons. À mon avis, l'utilisation du dessin d'écusson de la défenderesse comme marque de commerce dans les circonstances prêterait à confusion.


[44]            D'après l'exposé conjoint des faits, aucune des demanderesses n'est au courant d'un cas où il y a eu confusion réelle découlant des ventes des chemises ou ensembles shorts par la défenderesse, et celle-ci ne connaît aucun cas de confusion selon la preuve. Toutefois, aucune preuve de confusion réelle n'est nécessaire pour que la Cour en arrive à la conclusion qu'un risque de confusion existe. La défenderesse soutient que ce risque n'est pas prouvé en l'espèce, parce que les demanderesses n'ont produit aucune donnée d'enquête faisant état de ce risque, mais l'absence de preuve de cette nature n'indique pas de façon concluante qu'il n'y avait aucun risque de confusion. La Cour a pour tâche de déterminer l'existence d'un risque de confusion à la lumière de l'ensemble de la preuve dont elle est saisie et non seulement de l'absence de certaines données.

[45]            Comme je l'ai mentionné plus haut, eu égard à l'ensemble des circonstances, si la défenderesse a utilisé son dessin d'écusson comme marque de commerce à l'égard des chemises et ensembles shorts, cet emploi aurait créé un risque de confusion dans l'esprit du consommateur qui connaissait la marque de commerce correspondant au dessin d'écusson des demanderesses, mais ne se la rappelait pas de manière précise. À mon avis, le consommateur croirait, du moins dans un premier temps, que les marchandises de la défenderesse proviennent de la même source que celles des demanderesses.

[46]            J'en arrive à l'allégation des demanderesses selon laquelle les dessins d'écusson figurant sur les polos et ensembles shorts de la défenderesse ont eu pour effet d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à leurs marques de commerce déposées au sens du paragraphe 22(1) de la Loi. Voici le texte de cette disposition :

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.


Les demanderesses admettent que l'ensemble de la jurisprudence a pour effet de restreindre l'application du paragraphe 22(1), comme dans le cas des revendications fondées sur les articles 19 et 20, aux situations où la défenderesse a utilisé la marque de commerce déposée des demanderesses conformément aux articles 2 et 4, bien qu'il ne soit pas nécessaire de prouver que la marque est employée comme marque de commerce pour distinguer les marchandises de la défenderesse de celles d'autres personnes (voir Clairol International Corp. et al. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 176 (C. É.), jugement du juge Thurlow, aux pages 195 et 196, qui concerne une version antérieure de l'article 22, et Cie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie, 71 C.P.R. (3d), aux pages 362 à 364, où le juge Teitelbaum a confirmé l'application du jugement Clairol, précité, aux situations visées par la version actuelle de l'article 22).

[47]            Je conclus à la lumière de la jurisprudence que le paragraphe 22(1) ne couvre pas la présente affaire où la défenderesse aurait employé la marque de commerce correspondant au dessin d'écusson enregistré des demanderesses sur ses marchandises, alors qu'aucun élément de preuve n'indique qu'elle l'a fait pour distinguer ses marchandises de celles d'autres personnes, même dans le cas du dessin d'écusson figurant sur ses ensembles shorts.

[48]            La dernière allégation des demanderesses en ce qui concerne la contrefaçon des marques de commerce porte sur l'alinéa 7b) de la Loi, soit le fait que la défenderesse aurait appelé « l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada » , lorsqu'elle a commencé à « y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise » et ceux des demanderesses.


[49]            Pour établir l'infraction de la commercialisation trompeuse, les demanderesses doivent prouver qu'elles avaient une bonne idée de la valeur ou de la renommée dans l'esprit du public consommateur, de leurs marchandises associées à leur dessin d'écusson faisant l'objet de leur marque de commerce, que la défenderesse créerait vraisemblablement de la confusion dans l'esprit du public consommateur au Canada en vendant ses marchandises alors que celles-ci comportent le dessin d'écusson et que les demanderesses ont subi de ce fait ou sont susceptibles de subir un préjudice. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si ces éléments sont établis. Les demanderesses ajoutent que la confusion créée après la vente chez les observateurs des marchandises de la défenderesse comportant le dessin d'écusson constitue un fondement reconnu d'une action aux États-Unis et ouvre également droit à une action au Canada.


[50]            La défenderesse fait valoir que les demanderesses n'ont pas prouvé qu'en 1995, elles-mêmes et leurs marchandises avaient acquis une valeur ou une renommée importante dans l'esprit du public consommateur. Tel n'est pas mon avis. À mon sens, il appert clairement de la preuve que les demanderesses avaient acquis une renommée ou une valeur importante à l'égard de leurs différentes marques de commerce déposées, compte tenu de leurs ventes élevées, tant au Canada qu'aux États-Unis, sur le marché des vêtements modes pour hommes et garçons. Ces ventes avaient rapidement augmenté, y compris les ventes de marchandises portant le dessin d'écusson de la marque de commerce. La défenderesse soutient que, puisque le dessin n'était pas apposé seul, c'est-à-dire sans d'autres marques de commerce déposées des demanderesses, TOMMY HILFIGER ou le dessin de drapeau, il n'y a pas lieu de dire qu'il avait une signification particulière en soi. À mon avis, il est évident que les demanderesses l'ont employé abondamment en liaison avec des marchandises qu'elles considéraient comme des marchandises « classiques » . Cet emploi ne peut être ignoré pour la simple raison qu'il s'agissait d'un emploi en liaison avec d'autres marques de commerce figurant sur les marchandises désignées. S'il en était autrement, l'apposition de plus de plusieurs marques de commerce sur des marchandises aurait pour effet d'en nier l'emploi comme marques de commerce.

[51]            De plus, en utilisant un dessin d'écusson semblable de façon générale à celui des demanderesses sur les polos acquis et vendus en 1996 et semblable au dessin d'écusson enregistré des demanderesses sur les ensembles shorts acquis et vendus en 1998, la défenderesse a agi d'une manière susceptible de créer de la confusion dans l'esprit du consommateur qui connaissait le dessin de l'écusson des demanderesses, mais se le rappelait de façon imprécise. Je suis de cet avis pour les motifs exposés plus haut au sujet du risque de confusion concernant l'allégation de contrefaçon au sens de l'article 20.


[52]            En dernier lieu, la défenderesse soutient qu'aucun élément de preuve n'indique que les demanderesses ont été lésées par suite de la vente de ses marchandises portant son dessin d'écusson. Je conviens que la preuve n'est pas étoffée, mais il y a des éléments indiquant que les demanderesses ont subi un préjudice. Ces éléments ont été présentés par le dirigeant de THC responsable des ventes de Hilfiger au Canada, qui recevait des comptes rendus des détaillants offrant le produit Hilfiger. Ces détaillants ont cherché à restreindre les ventes de marchandises qui étaient apparemment semblables à celles de Hilfiger et comportaient des marques semblables, parce que ces ventes touchaient le marché et créaient de la confusion sur celui-ci. Aucun élément de preuve quantifiant le préjudice qu'ont subi les demanderesses n'a été présenté; cependant, dans la présente affaire, où l'infraction de la commercialisation trompeuse a touché les ventes d'un nombre relativement restreint de marchandises, soit 7 200 polos et « quelques centaines » d'ensembles shorts, il ne serait pas difficile de calculer le préjudice en question.

[53]            Je n'examine pas l'allégation des demanderesses à l'égard de l'infraction de la commercialisation trompeuse découlant de la confusion postérieure aux ventes, laquelle allégation est reconnue en vertu du droit américain. Il me semble évident que l'alinéa 7b) de la Loi porte sur le risque de confusion qui existait au moment où la défenderesse a commencé à vendre les marchandises en question. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'examiner une allégation relative à des pertes découlant d'une confusion créée à un moment postérieur, c'est-à-dire après la vente des marchandises de la défenderesse.


[54]            J'en arrive à la conclusion que l'allégation des demanderesses est établie, soit que la défenderesse, lorsqu'elle a commencé à vendre ses chemises en 1995 ou, à tout le moins, lorsqu'elle a continué à les vendre après avoir reçu la lettre d'interdiction de THLI en avril de cette même année et, plus tard, lorsqu'elle a vendu les ensembles shorts pour garçons en 1998, a appelé l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux des demanderesses. Ce faisant, la défenderesse a contrevenu à l'interdiction énoncée à l'alinéa 7b) de la Loi.

L'allégation d'atteinte au droit d'auteur des demanderesses

[55]            Conformément au paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. 42, et ses modifications, les demanderesses revendiquent le droit exclusif de produire ou de reproduire leur dessin d'écusson, l'oeuvre artistique enregistrée et certifiée sous le n ° d'enregistrement 448012. Compte tenu de l'alinéa 34.1(1)a), un droit d'auteur est réputé exister sur l'oeuvre et l'originalité de celle-ci, qui constitue un élément essentiel du droit d'auteur, est également présumée (voir Blue Crest Music Inc. c. Canusa Records Inc. (1975), 17 C.P.R. (2d) 149, à la page 155 (C.S.C.). Un droit d'auteur peut également exister sur les logos-marques (voir les décisions Canadian Tire Corporation Ltd. c. Retail Works Union Local 1518 of United Food and Commercial Workers Union et al. (1985), 7 C.P.R. (3d) 415, (C.F. 1re inst.); Cie Générale des Établissements Michelin - Michelin & Cie c. T.C.A.-Canada, précitée).

[56]            Voici le texte de l'article 27 de la Loi sur le droit d'auteur, qui a été modifiée en 1997 :

27. (1) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d'un acte qu'en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d'accomplir.

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.



(2) Constitue une violation du droit d'auteur l'accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l'exemplaire d'une oeuvre, d'une fixation d'une prestation, d'un enregistrement sonore ou d'une fixation d'un signal de communication alors que la personne qui accomplit l'acte sait ou devrait savoir que la production de l'exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l'exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l'a produit :

(2) It is an infringement of copyright for any person to

a) la vente ou la location;

(a) sell or rent out,

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

c) la mise en circulation, la mise ou l'offre en vente ou en location, ou l'exposition en public, dans un but commercial;

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

d) la possession en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c);

(d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

e) l'importation au Canada en vue de l'un ou l'autre des actes visés aux alinéas a) à c).

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c),

a copy of a work, sound recording or fixation of a performer's performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.


[57]            Bien qu'il ne soit pas nécessaire de prouver l'intention ou la connaissance pour qu'il y ait violation au sens du paragraphe 27(1), selon le paragraphe 27(2), seule la personne ayant une connaissance réelle ou imputée de la violation du droit d'auteur est responsable de la contrefaçon de l'oeuvre. La défenderesse INC soutient que son écusson n'est pas une copie du dessin d'écusson visé par le droit d'auteur des demanderesses, qu'aucun élément de preuve n'établit qu'elle connaissait le droit d'auteur en question, que ce soit à l'égard des chemises vendues avant l'enregistrement de ce droit ou des ensembles shorts pour garçons vendus en 1998 et, enfin, qu'aucune preuve n'indique que Tommy Hilfiger lui-même a créé le dessin d'écusson.

[58]            Je conviens que la vente des chemises portant l'écusson de la défenderesse en 1995 ne constituait pas une violation du droit d'auteur. Cependant, lorsque les demanderesses ont modifié leur déclaration en 1995 en y ajoutant une allégation de violation du droit d'auteur, INC, la défenderesse, était au courant de l'existence du droit d'auteur afférent au dessin d'écusson des demanderesses. Que l'acheteur responsable des achats pour le compte d'INC ait été au courant ou non du dessin en question, cette connaissance est manifestement attribuable à INC, que ce soit de manière directe ou implicite.

[59]            Le droit de propriété des demanderesses sur le droit d'auteur n'est pas touché par le fait qu'elles n'ont présenté aucun élément de preuve au sujet de la création du dessin. Il appert du certificat d'enregistrement que M. Hilfiger est l'auteur. Le certificat doit être considéré comme un document valide à sa face même à l'égard des éléments de preuve qu'il renferme, à moins que des renseignements visant à en contredire le fondement ne soient présentés (voir l'article 34.1 de la Loi sur le droit d'auteur, précitée).


[60]            Le dessin d'écusson figurant sur les ensembles shorts est similaire pour l'essentiel au dessin d'écusson visé par le droit d'auteur des demanderesses et j'en arrive à la conclusion qu'en vendant lesdits ensembles, INC a vendu ou distribué des copies de l'oeuvre alors qu'elle aurait dû savoir que cette vente constituait une violation du droit d'auteur en question. Un droit d'auteur continue d'exister sur le dessin d'écusson des demanderesses qui est visé par le certificat d'enregistrement.

[61]            Par conséquent, la défense de la défenderesse quant à l'allégation d'atteinte au droit d'auteur et sa demande reconventionnelle visant à obtenir une ordonnance de radiation de l'enregistrement du droit en question des registres du Bureau du droit d'auteur sont rejetées.

Conclusions et réparations

[62]            Je résume mes conclusions comme suit :

(1)         Les demandes des demanderesses sont accueillies en partie en ce qui a trait à leur allégation selon laquelle la défenderesse s'est rendue coupable de commercialisation trompeuse en appelant l'attention du public sur ses marchandises, soit des chemises en 1995 et des ensembles shorts en 1998, et en apposant ses dessins d'écusson sur ces marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre lesdites marchandises et celles des demanderesses.

(2)         L'allégation que les demanderesses ont formulée contre la défenderesse quant à l'atteinte au droit d'auteur est admise dans le cas des ventes par INC d'ensembles shorts pour garçons en 1998.


(3)         La demande des demanderesses en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que leurs deux marques de commerce en litige à l'égard de leur dessin d'écusson ont été contrefaites est accueillie; je conclus également que le droit d'auteur sur ledit dessin, qui appartient à THLI et est enregistré au moyen du certificat n ° 448012, daté du 29 novembre 1995, continue à exister.

(4)         La demande reconventionnelle de la défenderesse en vue d'obtenir des ordonnances portant rejet de l'action des demanderesses et lui accordant les dépens avocat-client est rejetée de même que ses demandes d'ordonnances portant que les enregistrements de marque de commerce nos 426,595 et 430,112 des demanderesses sont invalides et devraient être radiés du registre des marques de commerce et que le droit d'auteur enregistré sous le n ° 448012 est invalide et devrait être radié des registres du Bureau canadien du droit d'auteur. À mon avis, aucune des allégations que la défenderesse a invoquées au soutien des réparations qu'elle demande n'est établie.

(5)         Je suis disposé à accueillir la demande d'injonction des demanderesses, qui entrera en vigueur à compter de la date du jugement rendu aux présentes, soit le 16 septembre 2003, selon les conditions dont les parties conviendront ou, faute d'entente, selon les conditions que la Cour ordonnera après avoir examiné les observations supplémentaires des avocats, afin d'interdire à la défenderesse ou à ses mandataires d'appeler l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer vraisemblablement de la confusion au Canada entre lesdites marchandises et celles des demanderesses.


(6)         La demande de dommages-intérêts des demanderesses au titre du préjudice causé par la défenderesse est accueillie selon le montant que la Cour déterminera par une ordonnance supplémentaire à la lumière d'une entente entre les parties ou, faute d'entente, à la lumière des observations respectives des avocats, à moins que les demanderesses ne réussissent à convaincre la Cour qu'une restitution des bénéfices par la défenderesse est justifiée.

(7)         Les demanderesses ont droit à des intérêts avant jugement et après jugement, conformément aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications, selon le montant que la Cour déterminera par ordonnance supplémentaire après avoir examiné les observations des parties à ce sujet.

(8)         La demande des demanderesses en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à la défenderesse de leur remettre ou de détruire sous serment toutes les marchandises et le matériel connexe dont l'utilisation irait à l'encontre de leurs droits est rejetée, car il n'a pas été établi en l'espèce qu'une ordonnance de cette nature convient dans des circonstances où les ventes irrégulières reprochées à la défenderesse concernaient deux lots particuliers de marchandises et ont eu lieu en 1995 et 1998, soit cinq ou huit ans plus tôt.


[63]            Je souligne qu'en ce qui concerne l'injonction demandée, la défenderesse a fait valoir que cette ordonnance ne conviendrait pas, compte tenu de l'absence d'éléments de preuve ou de plainte au sujet d'activités qu'elle continuerait d'exercer et du fait que les fautes constatées remontent à plusieurs années déjà. Cependant, l'injonction est une réparation normale lorsque l'infraction de commercialisation trompeuse ou de contrefaçon de marque de commerce ou de droit d'auteur est établie. Elle indique que toute autre activité de la défenderesse qui porte atteinte aux droits afférents aux marques de commerce ou au droit d'auteur des demanderesses pourrait être considérée comme un outrage au tribunal sans qu'il soit nécessaire d'établir les détails complets de la contrefaçon reprochée. À mon avis, les circonstances de la présente affaire, notamment la vente par la défenderesse d'ensembles shorts en 1998 alors que la présente action était en cours et qu'un avis de l'allégation d'atteinte au droit d'auteur des demanderesses avait été donné, justifient l'octroi d'une injonction permanente selon des conditions satisfaisantes.

[64]            Enfin, en ce qui concerne les dépens, les deux parties ont demandé à l'origine des dépens avocat-client, mais les demanderesses ont expressément retiré leur demande à l'instruction quant à ce type de dépens; en conséquence, la Cour accorde aux demanderesses les dépens partie-partie selon le montant qu'elle déterminera ou qui sera taxé conformément aux règles de la Cour, compte tenu des observations des parties.

[65]            Le jugement rendu le 16 septembre 2003 sera complété après la présentation des observations des parties en ce qui concerne les conditions de l'injonction accordée, les dommages-intérêts ou une restitution des bénéfices, les intérêts avant et après jugement et le montant des dépens attribués aux demanderesses ou la façon de déterminer ceux-ci.

                                                                                                                              _ W. Andrew MacKay _            

                                                                                                                                                                 Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 19 septembre 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-2036-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         TOMMY HILFIGER LICENSING, INC.,

TOMMY HILFIGER CANADA INC.

c.

INTERNATIONAL CLOTHIERS INC.

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le lundi 4 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE: LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                                    Le vendredi 19 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Glen A. Bloom                                        POUR LES DEMANDERESSES

Jennifer A. Ross-Carriere

John R. Morrisey                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Mark K. Evans

Arnold T. Ceballos

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler Hoskin & Harcourt                                    POUR LES DEMANDERESSES

50, rue O'Connor

Bureau 1500

Ottawa (Ontario)

K1P 6L2

Smart & Biggar                                        POUR LA DÉFENDERESSE

438 University Avenue

Suite 1500, Box 111

Toronto (Ontario)

M5G 2K8


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