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                                                                                                                                           Date : 20030612

                                                                                                                                     Dossier : T-1888-01

                                                                                                                     Référence : 2003 CFPI 733

Ottawa (Ontario), le 12ième jour de juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                  LE MINISTRE DES TRANSPORTS                                                  

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                        DELCO AVIATION LIMITÉE

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par le comité d'appel du Tribunal de l'aviation civile (le comité d'appel). Le comité d'appel a accueilli en partie un appel interjeté contre la décision d'un conseiller du Tribunal de l'aviation civile (le conseiller du tribunal), par laquelle il avait déclaré la défenderesse coupable de quatre infractions en vertu du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433 (le Règlement).


Les faits

[2]                 La défenderesse, Delco, est une compagnie d'aviation canadienne qui s'occupe de vols touristiques à partir de sa principale place d'affaire située à Laval (Québec). Des accusations ont été portées contre Delco en vertu des paragraphes 601.04(2) et 602.13(1) du Règlement en rapport avec des événements qui se sont déroulés les 16 et 20 mai 1999.

[3]                 Le ministre a prétendu que, le 16 mai 1999, un aéronef appartenant à Delco, immatriculé C-FSSA, a atterri sur la rivière Welland (ville de Niagara Falls) puis en a décollé. Cet acte a été déclaré contraire au Règlement qui interdit i) l'atterrissage ou le décollage d'un aéronef à l'intérieur d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village à moins d'en avoir reçu l'autorisation [par. 602.13(1)], et ii) l'utilisation d'un aéronef dans l'espace aérien de classe F à statut réglementé, à moins d'en avoir reçu l'autorisation [par. 601.04(2)]. De même, le ministre a prétendu que, le 20 mai 1999, un aéronef appartenant à Delco, immatriculé C-GMJH, a atterri sur la rivière Welland puis en a décollé, et ce, en contravention des deux règlements susmentionnés. Le ministère des Transports a envoyé à Delco un avis d'amende pour contravention pour avoir enfreint le Règlement. L'avis prévoyait des amendes de 5 000 $ pour chacun des chefs 1 et 2, et de 2 500 $ pour chacun des chefs 3 et 4, pour un montant total de 15 000 $.

La décision du conseiller du Tribunal


[4]                 Une audience a été convoquée le 29 février 2000. Le 19 septembre 2002, le conseiller du Tribunal, M. Beauchamp, a conclu que les éléments constitutifs des infractions étaient présents et a imposé une amende de 500 $ pour les atterrissages et les décollages des 16 et 20 mai (chefs 1 et 2), et une amende de 1 000 $ pour l'utilisation sans autorisation d'un aéronef dans l'espace aérien de classe F, pour un montant total de 3 000 $.

La décision du comité d'appel

[5]                 Delco a interjeté appel devant le comité d'appel et une audience a été tenue le 16 janvier 2001. Le comité d'appel a confirmé les décisions du conseiller du Tribunal. Le comité d'appel a accepté l'analyse du conseiller et a souscrit à ses conclusions. Toutefois, le comité d'appel a annulé les deux amendes de 1 000 $ relatives aux chefs 3 et 4.

[6]                 Le comité d'appel a affirmé que les deux chefs d'accusation étaient fondés sur les mêmes actes : un vol le 16 mai ainsi qu'un vol le 20 mai. Il a conclu qu'à défaut de directives contraires de la part du législateur, le même acte ne peut donner lieu à deux infractions distinctes. Un tel résultat irait à l'encontre de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples énoncée dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, 30 C.C.C. (3d) 35.

[7]                 Le comité d'appel a fait remarquer que pour qu'il y ait dualité des poursuites pour les mêmes faits, il doit y avoir un lien juridique entre les chefs 1 et 3 ainsi qu'entre les chefs 2 et 4, de telle sorte qu'il n'y ait aucun élément additionnel ou distinctif qui touchent à la culpabilité dans la deuxième série d'infractions. Le comité d'appel a affirmé ce qui suit à la page 9 de ses motifs :


[traduction] « Nous estimons qu'il existe un lien juridique dans ces déclarations de culpabilité multiples, lesquelles figurent toutes dans les textes désignés. Après avoir examiné les autorisations préalables exigées, nous croyons que si une autorisation préalable avait été obtenue du ministre concernant le vol dans l'espace aérien de classe F, alors il est peu probable que le ministre aurait continué de prétendre que l'aéronef avait volé dans une zone bâtie et vice versa. Essentiellement, lorsque les similitudes de faits exigées retrouvées dans le même acte commis par l'accusé sont le motif pour chacune des accusations, à défaut d'une intention contraire clairement exprimée de la part du législateur, la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples empêchera que l'on prononce une déclaration de culpabilité pour les deux effractions qui découlent de la même situation factuelle. Nous croyons que les infractions dont il est question dans les chefs 1 et 3 sont des inculpations de remplacement comme le sont d'ailleurs celles que l'on retrouve dans les chefs 2 et 4. Par conséquent, lorsqu'il y a chevauchement entre les infractions, comme c'est le cas en l'espèce, à moins qu'il n'y ait des éléments additionnels ou distinctifs, une déclaration de culpabilité relative aux deux infractions ne devrait pas être maintenue » .

[8]                 Par suite de cette analyse, le comité d'appel a conclu que Delco a été placée dans une situation de dualité de poursuite pour un même fait et a suspendu les accusations portées quant aux chefs 3 et 4. Par conséquent, les amendes de 500 $ imposées pour les chefs 1 et 2 ont été confirmées et les amendes imposées pour les chefs 3 et 4 ont été suspendues. Le comité d'appel a déclaré que le[Traduction] « vol à l'intérieur d'une zone bâtie est l'accusation principale et englobe des éléments qui ont donné lieu à l'accusation de vol dans l'espace aérien de classe F » .

La question en litige

[9]                 Le comité d'appel a-t-il commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'il existait un lien de droit entre les infractions mentionnées aux paragraphes 602.13(1) et 601.04(2) du Règlement de telle sorte qu'on se trouvait à contrevenir à la règle interdisant la dualité des poursuites pour un même fait si on portait des accusations en même temps quant au deux infractions?

La norme de contrôle


[10]            Le demandeur souligne que la méthode pragmatique et fonctionnelle dont parle la Cour suprême dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, devrait régir l'analyse quant à la norme de contrôle. Le demandeur fait remarquer que la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2 (la Loi), prévoit la clause privative suivante au paragraphe 37(9) :


La décision rendue en appel par le Tribunal est définitive.

A decision of the Tribunal on an appeal under this Act is final and binding on the parties to the appeal.;


[11]            Malgré l'existence de la clause privative, le demandeur prétend que la question en litige en l'espèce - l'application du principe de l'arrêt Kienapple - est une question de droit et, par conséquent, la norme de contrôle appropriée devrait être celle de la décision correcte. Le demandeur souligne que la Cour est mieux placée que le comité d'appel et renvoie aux propos tenus par le juge Major dans l'arrêt Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 100, [2001] A.C.S. No 37 (QL), para. 32 :

« Le critère fondé sur l'expertise du décideur et la nature du problème sont étroitement liés (Pushpanathan, précité, para. 33). Il faut "examiner la question de droit en litige pour déterminer si elle relève de la compétence du tribunal et s'il y a lieu de faire preuve de retenue" (Pezim, précité, p. 596) » .

[12]            Je suis d'avis que la présente instance soulève une question de droit qui relève de la compétence de la Cour plutôt que de celle du comité d'appel. Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle est celle de la décision correcte.


Le cadre réglementaire

[13]            Le Règlement énumère les infractions en litige dans la présente instance. Le paragraphe 602.13(1), qui traite de [Traduction] « l'infraction relative à la zone bâtie » , est ainsi libellé :


À moins d'indication contraire du présent article, de l'article 603.66 ou de la partie VII, il est interdit d'effectuer le décollage, l'approche ou l'atterrissage d'un aéronef à l'intérieur d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village, à moins que le décollage, l'approche ou l'atterrissage soit effectué à un aéroport ou à un aérodrome militaire.

Except if otherwise permitted under this section, section 603.66 or Part VII, no person shall conduct a take-off, approach or landing in an aircraft within a built-up area of a city or town, unless that take-off, approach or landing is conducted at an airport or a military aerodrome.


[14]            Le paragraphe 702.22(1) est ainsi libellé :


Pour l'application du paragraphe 602.13(1), une personne peut effectuer le décollage, l'approche ou l'atterrissage d'un aéronef à l'intérieur d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village à un endroit qui n'est pas situé à un aéroport ou à un aérodrome militaire, si la personne respecte les conditions suivantes :

a) elle en a reçu l'autorisation du ministre ou elle y est autorisée aux termes d'un certificat d'exploitation aérienne;

b) elle satisfait aux Normes de service aérien commercial.

    For the purposes of subsection 602.13(1), a person may conduct a take-off, approach or landing in an aircraft within a built-up area of a city or town at a place other than an airport or a military aerodrome, if the person

(a) has an authorization from the Minister or is authorized to do so in an air operator certificate; and

(b) complies with the Commercial Air Service Standards.


[15]            Le paragraphe 601.04(2), qui traite de [Traduction] « l'infraction relative à l'espace aérien réglementé » , est ainsi libellé :



Il est interdit d'utiliser un aéronef dans l'espace aérien de classe F à statut spécial réglementé, à moins d'en avoir reçu l'autorisation de la personne indiquée dans le Manuel des espaces aériens désignés.

No person shall operate an aircraft in Class F Special Use Restricted airspace unless authorized to do so by the person specified for that purpose in the Designated Airspace Handbook.


Analyse

[16]            Le demandeur prétend que le comité d'appel a commis une erreur en droit lorsqu'il a conclu que la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples ou le principe de l'arrêt Kienapple, s'appliquait en l'espèce. Le demandeur prétend que l'on retrouve certains éléments dans l'une des accusations alors qu'on ne les retrouve pas dans l'autre et, par conséquent, le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce. De plus, le demandeur affirme que les deux dispositions prévoient des procédures d'autorisation différentes et, à ce titre, elles doivent être considérées comme comprenant des éléments distincts.   

[17]            Dans l'arrêt R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, [1986] A.C.S. No 63 (QL), la Cour suprême a énoncé les principes régissant la règle de l'arrêt Kienapple. Cette règle vise à empêcher qu'une seconde déclaration de culpabilité soit prononcée i) lorsque les infractions tirent leur origine de la même opération et ii) lorsqu'il existe un lien entre les éléments juridiques des infractions en litige : arrêt Prince, précité, p. 490 et 493. En ce qui concerne le deuxième élément, le juge Dickson a affirmé à la p. 498 :

« [...] [O]n ne satisfait à l'exigence d'un lien suffisamment étroit entre les infractions que si l'infraction à l'égard de laquelle on tente d'éviter une déclaration de culpabilité en invoquant le principe de l'arrêt Kienapple ne comporte pas d'éléments supplémentaires et distinctifs qui touchent à la culpabilité » .


[18]            Dans l'arrêt Krug c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 255, la Cour suprême s'est concentrée sur la présence d'éléments distinctifs plutôt que sur la présence d'éléments communs pour déterminer l'applicabilité de l'arrêt Kienapple : voir arrêt Prince, précité, p. 497.

[19]            Le demandeur concède que les exigences du premier volet du critère énoncé dans l'arrêt Kienapple ont été satisfaites et que les éléments factuels sur lesquels les deux séries d'accusations sont fondées sont identiques : l'avion de la défenderesse a décollé de la rivière Welland les 16 et 20 mai 1999 et ces actes constituent le fondement des accusations portées en vertu des paragraphes 602.13(1) et 601.04(2) du Règlement. Je suis d'accord avec le demandeur. Par conséquent, j'examine maintenant s'il existe un lien entre les éléments juridiques des infractions réglementaires.

[20]            Les éléments de l'infraction relative à la zone bâtie sont les suivants : i) effectuer le décollage, l'approche ou l'atterrissage; ii) à l'intérieur d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village; iii) sans avoir reçu l'autorisation du ministre et sans satisfaire aux Normes de service aérien commercial. Si le décollage, l'approche ou l'atterrissage est effectué à un aéroport ou à aérodrome militaire, alors il n'y a pas d'infraction.

[21]            Les éléments de l'infraction relative à l'utilisation d'un aéronef dans un espace aérien réglementé sont les suivants : i) utiliser un aéronef; ii) dans l'espace aérien de classe F à statut spécial réglementé; iii) sans avoir reçu l'autorisation de la personne indiquée dans le Manuel des espaces aériens désignés.


[22]            J'estime que les éléments juridiques compris dans l'infraction relative à la zone bâtie et l'infraction relative à l'espace aérien réglementé sont différents.

[23]            L'infraction relative à la zone bâtie exige qu'il y ait un décollage, un atterrissage ou une approche, et, par conséquent, diffère de l'expression « utiliser un aéronef » , mentionnée dans l'infraction relative à l'espace aérien réglementé. La seule utilisation d'un aéronef à l'intérieur d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village peut fort bien établir les éléments de l'infraction relative à l'espace aérien réglementé, mais n'établit pas nécessairement les éléments exigés dans l'infraction relative à la « zone bâtie » , notamment « le décollage, l'atterrissage ou l'approche » .

[24]            Une autre élément distinctif parmi les éléments exigés dans les infractions est que la zone comprise dans l'espace aérien de classe F à statut spécial réglementé (en l'espèce CYR518, une zone située près de Niagara Falls) diffère de la zone visée par l'expression « une zone bâtie d'une ville ou d'un village » . L'utilisation d'un aéronef dans un espace aérien réglementé n'entraîne pas nécessairement l'utilisation d'un aéronef dans une « zone bâtie d'une ville ou d'un village » . Il s'ensuit également que l'espace aérien à l'intérieur d'une « zone bâtie d'une ville ou d'un village » n'est pas nécessairement un espace aérien réglementé. Par conséquent, les éléments de l'infraction relative à la zone bâtie diffèrent des éléments de l'infraction relative à l'espace aérien réglementé.


[25]            En outre, je conclus que le respect des Normes de service aérien commercial ou que le décollage, l'approche ou l'atterrissage à un aéroport ou à un aérodrome militaire empêchent qu'une accusation soit portée en vertu de l'infraction relative à la zone bâtie.

[26]            Je suis d'avis que ces éléments distinctifs m'empêchent de conclure qu'il existe un lien juridique entre les infractions en question. Par conséquent, je conclus que le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce et que le comité d'appel a commis une erreur lorsqu'il a décidé que les chefs 3 et 4 devraient être suspendus.

Conclusion

[27]            Le principe de l'arrêt Kienapple ne s'applique pas en l'espèce de telle sorte que l'on peut prononcer une déclaration de culpabilité concernant le décollage et l'atterrissage à l'intérieur d'une zone bâtie en vertu du paragraphe 602.13(1) du Règlement, même si une déclaration de culpabilité a été prononcée contre la défenderesse pour avoir pénétré dans l'espace aérien réglementé aux termes du paragraphe 601.04(2). La règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples ne s'applique que lorsqu'il existe un lien factuel et juridique entre les infractions. Il existe un lien juridique entre les infractions si l'infraction à l'égard de laquelle on tente d'éviter une déclaration de culpabilité ne comporte pas d'éléments supplémentaires et distinctifs qui touchent à la culpabilité en invoquant le principe de l'arrêt Kienapple. Bien qu'elles tirent leur origine de la même opération, des infractions distinctes sont créées par les deux paragraphes, précités, lesquels comportent chacun leur propre sanction. Par conséquent, la décision rendue par le comité d'appel doit être annulée et la décision du conseiller du Tribunal est rétablie.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE

                        la décision rendue par le comité d'appel soit annulée et que la décision rendue par le conseiller du tribunal soit rétablie.

                                                                                                                              « Edmond P. Blanchard »                  

                                                                                                                                                                 Juge                             


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1888-01

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DES TRANSPORTS c.

DELCO AVIATION LTÉE

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal(Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 23 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                      le 12 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Bernard Letarte                                                                         POUR LE DEMANDEUR

M. Édouard Baudry                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DEMANDEUR

sous-ministre de la Justice

Ottawa (Ontario), K1A 0H8

M. Édouard Baudry                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Lavery, De Billy

4000 - 1 Place Ville-Marie

Montréal (Québec)    H3B 4M4

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