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                                                                                                                   T-2869-92

 

 

OTTAWA (ONTARIO), le 8 octobre 1996

 

EN PRÉSENCE de Monsieur le juge McKeown

 

 

ENTRE :

 

 

                                           SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                             demanderesse,

 

                                                                 et

 

 

                                 TOM BAIRD & ASSOCIATES LTD.,

 

                                                                                                              défenderesse.

 

 

 

 

                                                       JUGEMENT

 

            L'appel de la demanderesse est rejeté et les dépens de l'action sont adjugés à la défenderesse.

 

 

 

                                                                                      W.P. McKeown          

                                                                                                Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                    

                                                                                    C. Bélanger, LL.L.

 


 

                                                                                                                   T-2869-92

 

 

ENTRE :

 

 

                                           SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                             demanderesse,

 

                                                                 et

 

 

                                 TOM BAIRD & ASSOCIATES LTD.,

 

                                                                                                              défenderesse.

 

 

 

 

                                           MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE McKEOWN

 

            La demanderesse, Sa Majesté La Reine, interjette appel de la décision par laquelle le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) a accueilli l'appel de la défenderesse Tom Baird & Associates Ltd. à l'égard de certains avis de détermination du ministre du Revenu national.  Le TCCE a statué que certains articles, ci-après appelés les «articles de représentation en question», étaient exempts de la taxe de vente fédérale aux termes du paragraphe 29(1) (devenu par la suite le paragraphe 51(1)) de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. (1970), ch. E-13 (la Loi) et de l'article 4, partie XIII, annexe III de la Loi.

 

            La question en litige concerne l'interprétation de l'article 4 se trouvant à l'annexe III de la partie XIII de la Loi, soit la question de savoir si les «articles de représentation en question ont été fabriqués ou importés par le fabricant ou producteur ou vendus à celui-ci pour servir exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés».

 

LES FAITS

            Les parties ont convenu des faits suivants dans l'exposé conjoint qu'elles ont produit.

 

            La défenderesse est une agence de publicité et, en tout temps pertinent, elle était un fabricant autorisé aux termes de la Loi.  De façon générale, la défenderesse élabore des stratégies de mise en marché pour ses clients.  Dans la présente affaire, le but de la défenderesse était de fabriquer des imprimés comme moyens de publicité pour ses clients.  À cette fin, elle a retenu les services de différents fournisseurs pour faire des photographies, des travaux de composition, des films, des illustrations prêtes à photographier et des négatifs monochromes dont chacun comportait une image destinée à être reproduite par impression (ci-après appelés les «articles de représentation»).

 

            Les articles de représentation peuvent servir à la fabrication d'imprimés;  dans certains cas, ils peuvent aussi être utilisés pour fabriquer d'autres articles qui ne comportent pas d'images destinées à être reproduites par impression, mais qui servent à d'autres fins, notamment des présentations télévisuelles et audiovisuelles.

 

            Les fournisseurs dont la défenderesse a retenu les services ont fabriqué des articles de représentation à l'aide de dessins, d'illustrations ou de films ainsi que des directives émanant de la défenderesse.  Les différents fournisseurs ont vendu les articles de représentation à la défenderesse sans facturer la taxe de vente fédérale, conformément à des certificats d'exemption que la défenderesse leur fournissait.  Celle-ci remettait les articles de représentation sans frais aux imprimeurs, qui s'en servaient pour fabriquer tant des imprimés assujettis à la taxe de vente fédérale (imprimés taxables) que des imprimés exempts de ladite taxe.

 

            Le présent appel concerne seulement les articles de représentation qui ont servi uniquement à fabriquer des imprimés taxables, appelés ci-après les «articles de représentation en question».  Les imprimés taxables fabriqués par les imprimeurs à partir des articles de représentation en question étaient ensuite vendus à la défenderesse par les imprimeurs, qui remettaient la taxe de vente fédérale sur le prix de vente facturé à la défenderesse à l'égard des imprimés taxables ainsi vendus.  Les articles de représentation en question ayant été fournis sans frais par la défenderesse aux imprimeurs, le prix de vente des imprimés ne comprenait aucun montant au titre du coût des articles de représentation en question.  La défenderesse revendait ensuite les imprimés taxables à ses clients sans verser la taxe de vente fédérale à l'égard de cette vente.  Elle a également vendu les articles de représentation en question à ses clients.  Jusqu'à ce que la défenderesse les vende à ses clients, les articles de représentation en question servaient à la fabrication d'imprimés taxables.  Lorsqu'elle vendait les articles de représentation en question à ses clients, la défenderesse remettait un montant identifié comme la taxe de vente fédérale, lequel montant était calculé sur la somme qu'elle facturait à ses clients à l'égard des articles de représentation en question.  Lorsque la défenderesse vendait les articles de représentation en question à ses clients, le traitement physique de ceux-ci variait.  Dans certains cas, ils étaient remis aux clients de la défenderesse;  dans d'autres, l'imprimeur les conservait ou les retournait à la défenderesse, qui les gardait en sa possession.

 

            Par la suite, la défenderesse a soumis au ministre du Revenu national des demandes de remboursement à l'égard de la partie du montant qu'elle a versé au titre de la taxe de vente fédérale attribuable à la différence entre le prix qu'elle facturait à ses clients pour les articles de représentation en question et le coût de ceux-ci pour elle (parfois appelée «marge sur coût d'achat») et a effectivement obtenu ce remboursement.  La défenderesse demande maintenant un remboursement de la partie de la taxe de vente fédérale versée à l'égard des articles de représentation en question, calculée sur le coût de ceux-ci pour elle.

 

            Les remboursements ont été demandés au moyen de la demande de remboursement 206934 datée du 22 avril 1988 et de la demande de remboursement 207077 datée du 3 mai de la même année.  Dans les avis de détermination PAC 39684 et PAC 39701 datés du 17 juin 1988, le ministre du Revenu national a rejeté les demandes de remboursement de la défenderesse, qui a déposé en date du 14 septembre 1988 des avis d'opposition à cet égard.  Dans les avis de décision 80688RE et 80689RE datés du 15 mars 1990, le ministre du Revenu national a confirmé les avis de détermination.  Par lettre en date du 1er juin 1990, la défenderesse a interjeté appel des décisions du ministre du Revenu national devant le Tribunal canadien du commerce extérieur.

 

            Compte tenu du paragraphe 44(6) de la Loi qui était en vigueur avant le 1er mai 1986 et de l'article 44 de la Loi qui s'est appliqué depuis cette date, les parties ont convenu devant le TCCE et admettent encore aujourd'hui que les remboursements visés par la demande 206934 sont prescrits dans le cas de la taxe de vente fédérale versée entre le 1er mars 1984 et le 21 avril 1984 et entre le 24 mai 1985 et le 31 mars 1986, ainsi que les remboursements visés par la demande 207077 en ce qui a trait à la taxe de vente fédérale versée entre le 24 mai 1985 et le 2 mai 1986.

 

            Les périodes pertinentes aux fins de la présente action vont donc du 22 avril 1984 au 23 mai 1985 et du 3 mai 1986 au 30 avril 1988.  Dans une décision rendue le 28 juillet 1992 dans l'appel AP-90-037, le TCCE a accueilli l'appel de la défenderesse à l'égard des périodes pertinentes.  La demanderesse a interjeté appel de la décision du TCCE devant la Cour fédérale sous le régime de l'article 81.24 de la Loi.

 

            Les parties admettent également que la seule question à trancher en l'espèce concerne la responsabilité de la défenderesse à l'égard du paiement de la taxe de vente fédérale dans les circonstances du litige et que le montant de la dette fiscale de la défenderesse, le cas échéant, sera déterminé par les parties après le jugement de la Cour et l'appel s'y rapportant au moyen d'une vérification que les mandataires de la demanderesse feront auprès de la défenderesse.

 

ANALYSE

            La défenderesse a reçu un remboursement de la taxe versée sur la différence entre le coût pour elle des articles de représentation en question et le montant facturé plus tard à ses clients (ci-après «marge sur coût d'achat»), mais demande maintenant un remboursement de la taxe versée sur le coût de ces articles pour elle, apparemment au motif que les articles de représentation servant exclusivement à la fabrication d'imprimés taxables sont exempts de taxe sans autre condition.

 

            La demanderesse soutient que les articles de représentation sont exempts de taxe dans la présente affaire uniquement lorsqu'ils sont vendus au fabricant qui les utilise exclusivement pour fabriquer des imprimés et que, étant donné que la défenderesse n'est pas un fabricant d'imprimés, elle est redevable de la taxe déjà remise et non remboursée, notamment sur le coût pour elle des articles de représentation en question.  La demanderesse ajoute que ceux-ci ont servi non seulement à la fabrication d'imprimés taxables, mais que la défenderesse en a également vendu une certaine partie à ses clients.  En conséquence, la demanderesse estime que les articles de représentation en question n'ont pas servi «exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés», parce que la vente des articles de représentation par la défenderesse constituait un usage différent.

 

            Voici le libellé des dispositions pertinentes de la Loi :

27.(1)  Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente... sur le prix de vente de toutes marchandises,

 

a)   produites ou fabriquées au Canada ...

b)   importées au Canada ...

         

...

 

29.(1)  La taxe imposée par l'article 27 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des articles mentionnés à l'annexe III ...

 

            Pour bien comprendre le texte actuel des dispositions législatives concernées, il importe de passer en revue l'évolution de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III.

 

            L'article 4 de la partie XIII de l'annexe III a été introduit le 2 août 1963 par le paragraphe 7(10) de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. 1963, ch. 12, sous la rubrique «Impressions et matières pour l'enseignement», et devait s'appliquer rétroactivement au 14 juin 1963.  Conformément à l'article 8 de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. 1966, 14-15 Elizabeth II, ch. 40, cette disposition a été reprise sans changement en 1966 à l'article 3 de la partie XIII, sous la rubrique «Matériel de production et matières de conditionnement», et prévoyait ce qui suit :

 

                                                            PARTIE XIII

 

                             MATÉRIEL DE PRODUCTION ET MATIÈRES

                                                DE CONDITIONNEMENT

 

1.      Tous les objets suivants, lorsqu'ils doivent servir aux fabricants ou aux producteurs directement à la fabrication ou à la production de marchandises :

 

          a)les matrices, gabarits, brides et moules;

 

          b)les patrons de matrices, gabarits, brides et moules;  et

 

          c)les outils destinés aux machines de production ou à leurs dispositifs qui servent à travailler les matières par tournage, fraisage, meulage, polissage, perçage, poinçonnage, alésage, profilage, cisaillement, emboutissage ou rabotage.

 

2.      Matières (à l'exclusion de la graisse, des huiles de graissage ou du carburant à utiliser dans les moteurs à combustion interne) consommées ou utilisées directement dans la fabrication ou production de marchandises.

 

3.      Composition typographique, planches métalliques, cylindres, matrices, film, oeuvres d'art, dessins, photographies, matériel en caoutchouc, matériel en plastique et matériel en papier, lorsqu'ils portent l'empreinte d'une image destinée à la reproduction par impression, ou mettent en vedette ou comportent une telle image, et qu'ils sont fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur, ou vendus à un fabricant ou producteur, pour servir exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés.

 

            L'article 9 du même chapitre prévoyait l'ajout à la Loi de l'annexe V, qui comportait la disposition suivante :

                                                             ANNEXE V

 

Les articles suivants :

 

          a)les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux et destinés à être utilisés par eux directement dans la fabrication ou la production de marchandises;

 

            Enfin, le 1er septembre 1967, la rubrique de la partie XIII est devenue «Matériel de production, matières de conditionnement et plans», lors de l'ajout d'un nouvel article 3, «Plans et dessins ...», par le paragraphe 11(10) de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. 1967-68, ch. 29;  par suite de cette modification, l'ancien article 3 est devenu l'article 4 et est demeuré inchangé jusqu'à l'abrogation de la taxe de vente fédérale le 31 décembre 1990.  La partie XIII reprenait notamment toutes les dispositions de l'annexe V, laquelle a elle-même été abrogée par l'article 12 de la Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, S.C. 1967-68, ch. 29.

 

            Comme l'indique la rétrospective qui précède, l'article 4 sous sa forme actuelle a toujours été une disposition distincte de l'annexe et a toujours été formulé différemment de la disposition concernant le matériel de production (c'est-à-dire l'alinéa 1a) de la version actuelle de la partie XIII).

 

            À mon avis, le sens clair du libellé de l'article 4 de la partie XIII de l'annexe III de la Loi est celui que propose la défenderesse et la demanderesse voudrait ni plus ni moins convaincre la Cour de modifier le texte législatif en ajoutant le mot «lui» avant le mot «servir» de l'article 4.  Le sens de l'article 4 ne peut être déterminé de façon isolée.  Selon les principes d'interprétation législative, il faut tenir compte des autres parties de la Loi pour interpréter une disposition de celle-ci.  Comme l'a dit lord Herschell dans l'arrêt Colquhoun v. Brooks (1889), 14 A.C. 493, p. 506 (H.L.):

[TRADUCTION] Il est également indubitable que nous avons le droit et que nous sommes même tenus, lorsque nous interprétons une disposition législative, d'examiner toute autre partie de la Loi qui peut nous éclairer sur l'intention du législateur et établir que la disposition en question ne devrait pas être interprétée comme si elle était seule et ne faisait pas partie de la Loi.

 

            Voici les dispositions pertinentes de l'annexe III :

                                                               PARTIE I

 

                                         ENVELOPPES OU CONTENANTS

 

1.      Enveloppes ordinaires ou contenants ordinaires achetés ou importés par un fabricant ou producteur devant lui servir exclusivement à envelopper ou à contenir des marchandises qu'il a fabriquées ou produites et qui ne sont pas assujetties à la taxe de consommation ou de vente, mais à l'exclusion des enveloppes ou contenants conçus pour la distribution de marchandises lors de la vente ou conçus pour un usage répété.

 

...

 

                                                             PARTIE III

 

                                   ÉDUCATION, TECHNIQUE, CULTURE,

                                           RELIGION ET LITTÉRATURE

 

2.      Tableaux à inscription à la craie, tableaux à affichage par punaises, pupitres, tables et chaises, à l'exclusion des chaises rembourrées, lorsqu'ils sont vendus à des institutions d'enseignement, ou importés par ces dernières, pour leur propre usage et non pour la revente, y compris les articles et les matières destinés exclusivement à la fabrication des marchandises exemptes de la taxe mentionnées au présent article.

 

...

 

                                                           PARTIE VIII

 

                                                                 SANTÉ

 

24.    Articles et matières devant être incorporés dans toutes les marchandises exemptes de taxe mentionnées dans la présente partie, ou en former un élément constitutif ou un composant, lorsqu'ils sont vendus à un fabricant ou producteur, ou importés par l'un ou l'autre, et devant lui servir pour la fabrication ou la production de telles marchandises exemptes de taxe.

 

...

 

                                                            PARTIE XII

 

                                                       MUNICIPALITÉS

 

1.      Certains produits vendus aux municipalités ou importés par elles pour leur propre usage et non pour la revente, savoir :

 

...

 

                                                           PARTIE XIII

 

                               MATÉRIEL DE PRODUCTION, MATIÈRES

                                      DE CONDITIONNEMENT ET PLANS

 

1.      Tous les articles suivants :

 

a)      les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux pour être utilisés par eux directement :

 

          (i)soit dans la fabrication ou la production de marchandises,

 

          (ii)soit dans la mise au point de procédés de fabrication ou de production devant être utilisés par eux,

 

          (iii)soit dans la mise au point de marchandises devant être fabriquées ou produites par eux;

 

b)      les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux et destinés à être directement utilisés par eux pour la détection, la mesure, le traitement, la réduction ou l'élimination des polluants de l'eau, du sol ou de l'air qui sont attribuables à la fabrication ou la production de marchandises, ou pour la prévention de la pollution qu'ils causent;

 

b.1)   les machines et appareils destinés à être principalement et directement utilisés pour le traitement ou la transformation des déchets toxiques dans une usine destinée à ces fins;

 

c)      le matériel vendu aux fabricants ou producteurs ou importé par eux et destiné à être utilisé par eux pour le transport des déchets ou des rebuts des machines et appareils qu'ils utilisent directement pour la fabrication ou la production de marchandises ou destiné à être utilisé par eux pour aspirer la poussière ou les émanations nocives produites par leurs opérations de fabrication ou de production;

 

d)                les dispositifs et matériels de sécurité vendus à des fabricants ou producteurs ou importés par eux et destinés à être utilisés par eux pour la prévention des accidents dans la fabrication ou la production de marchandises;       [non souligné dans l'original]

 

            L'absence de termes restrictifs comme «lui servir» ou «pour son propre usage» à l'article 4 démontre de façon non équivoque que le législateur désirait que cette disposition reçoive une interprétation large.  Expressio unius est exclusio alterius.  Dans l'arrêt Lor-West Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), le juge MacGuigan a conclu comme suit à la page 354 :

En l'espèce, les mots «surtout pour l'exploitation forestière» ne sont pas suivis des mots «par lui» ou d'un quelque autre qualificatif ayant pour effet de restreindre le bénéfice de cet article aux cas où le contribuable corporatif lui-même a les droits de coupe.

 

            Le principe d'interprétation législative fondamental selon lequel les tribunaux ne sont pas autorisés à insérer des mots dans les textes de loi a été énoncé de façon éloquente dans l'arrêt Mangin v. I.R.C., [1971] A.C. 739, p. 746 (H.L.) :

[TRADUCTION] En deuxième lieu, ... il suffit de regarder simplement le texte, qui est clair.  Il n'y a pas de place pour des sous-entendus.  Il n'existe aucun principe d'équité et aucune présomption au sujet d'une disposition fiscale.  Il n'y a rien à ajouter ou à sous-entendre dans cette disposition.  Il faut se contenter d'examiner équitablement les termes utilisés :  opinion du juge Rowlatt dans l'arrêt Cape Brandy Syndicate v. Inland Revenue Commissioners, [1921] 1 K.B. 64, p. 71, approuvée par le vicomte Simons L.C. dans Canadian Eagle Oil Co. Ltd. v. The King, [1946] A.C. 119, p. 140.

 

            Le juge Major a également appuyé ce principe dans l'arrêt Friesen c. La Reine, [1995] 3 R.C.S. 103, à la page 121 :

Selon un principe fondamental en matière d'interprétation des lois, un tribunal ne devrait pas accepter une interprétation qui nécessite l'ajout de mots, lorsqu'il existe une autre interprétation acceptable qui ne requiert aucun ajout de cette nature.  L'ajout de mots dans une définition qui figure dans une loi est encore moins acceptable lorsque les termes qui doivent être ajoutés figurent dans plusieurs autres définitions de cette même loi.

 

            Le juge Lamer s'est également prononcé dans le même sens dans l'arrêt R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624, à la page 631 :

Un autre indice militant en faveur de l'application générale des al. a) et b), à supposer qu'il soit nécessaire, se trouve à l'al. 443(1)e) qui nous montre que lorsque le législateur a voulu restreindre l'application de l'art. 443, il l'a fait expressément.  En effet, à l'al. 443(1)e), le législateur a expressément prévu une restriction à l'application générale de cet alinéa en précisant «sous réserve de toute autre loi du Parlement».  Comme le suggère la maxime expressio unius est exclusio alterius, la présence d'une telle restriction dans un alinéa renforce la thèse selon laquelle le législateur n'entendait pas restreindre la portée des al. a) et b).  Je conclus par conséquent que les al. 443(1)a) et b) (aujourd'hui les al. 487(1)a) et b)) s'appliquent à toute loi fédérale, que cette loi fasse ou non mention de pouvoirs de perquisition et de saisie.

                                                                                             [non souligné dans l'original]

 

            La demanderesse a soutenu que les articles de représentation sont les mêmes que ceux qui sont utilisés comme matériel de production.  Elle a expliqué que le matériel de production sert à fabriquer des accessoires, par exemple, et n'est pas vendu au client.  Cependant, les articles de représentation sont fabriqués selon les exigences d'un client donné.  Lorsqu'une entreprise désire obtenir un dépliant publicitaire, elle s'adresse à une maison d'arts graphiques et l'image que celle-ci produira sera unique pour l'acheteur.  Dans bien des cas, le client veut avoir son propre article de représentation ou désire que l'agence de publicité le conserve en sa possession.  Les articles de représentation sont exclusifs au client concerné.  Par conséquent, l'agence de publicité qui vend les articles de représentation à l'entreprise ayant demandé le dépliant publicitaire ne participe pas à une transaction artificielle.

 

            Après avoir examiné les autres parties de l'annexe III, j'ai constaté que les termes «lui servir» ou «pour son propre usage» figurant dans d'autres dispositions de cette annexe ne se trouvent pas à l'article 4.  Cette absence ne se traduit pas par un manque d'harmonie avec le reste de la Loi ou avec l'objet et l'esprit de celle-ci.  Comme le juge Estey l'a fait remarquer dans l'arrêt Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, aux pages 575-576 :

Ainsi, la Loi [la Loi de l'impôt sur le revenu] est à la fois un outil de politique économique et de politique fiscale.  L'élément de politique économique de la Loi prend quelquefois la forme d'une incitation du contribuable à s'engager dans une activité précise ou à la réorganiser.

 

            La Cour suprême du Canada a récemment reformulé la question en ces termes dans l'arrêt Québec (Communauté Urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la page 18 :

Avec égards, adhérer à l'acception voulant que la taxe soit indubitablement la règle et l'exemption, l'exception, ne répond plus aux réalités du droit fiscal actuel.  Une telle façon d'envisager les choses était certes soutenable à une époque où l'objectif de la loi fiscale était limité à la levée de fonds pour faire face aux dépenses du gouvernement.  Or il a été reconnu que, de nos jours, la loi sert d'autres objectifs et se présente comme instrument d'intervention économique et sociale.  En soumettant la loi fiscale à une interprétation téléologique, on constate que rien n'empêche qu'une politique générale de levée de fonds soit assujettie à une politique secondaire d'exemption des oeuvres sociales.  Il s'agit là de deux buts légitimes qui expriment également l'intention du législateur et, à ce titre, on voit difficilement pourquoi l'un devrait primer l'autre.

 

            À mon sens, l'article 4 de la Loi est clair et n'exige aucune autre interprétation;  comme l'a dit succinctement le professeur P.A. Côté dans son ouvrage Interprétation des lois au Canada (Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1984), à la page 2 :

Lorsque la loi est claire, dira-t-on, point n'est besoin de l'interpréter :  il suffit alors de la lire.

 

            J'ai déjà mentionné qu'à mon avis la disposition ne va pas à l'encontre de l'objet de la loi;  quoi qu'il en soit, même si tel était le cas, lorsque le libellé est spécifique, la disposition doit être appliquée indépendamment de son objet (voir l'opinion du juge Major dans l'arrêt Friesen c. La Reine, précité, aux pages 113 et 114).

 

            Selon la demanderesse, retenir la position de la défenderesse aurait pour effet de rendre les mots de l'article 4 «fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur ou vendus à un fabricant ou producteur» redondants ou superflus.  Cependant, si ces termes étaient supprimés, la personne qui n'est pas un fabricant pourrait manifestement importer des articles de représentation admissibles sans être assujettie à la taxe de vente fédérale.  Vu le libellé actuel de l'article 4, cette personne ne peut importer d'articles de représentation admissibles sans payer la taxe de vente fédérale.  Il est indubitable que le texte actuel de l'article 4 n'est pas superflu et qu'il atteint un résultat qui n'aurait pu être obtenu si les mots «fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur ou vendus à un fabricant ou producteur» ne s'y trouvaient pas.

 

            La demanderesse a ajouté que les mots articles de représentation «fabriqués ou importés par un fabricant ou producteur ou vendus à un producteur pour servir exclusivement à la fabrication ou à la production d'imprimés» sous-entendent nécessairement que le seul usage pour lequel les articles de représentation sont fabriqués, importés ou vendus doit être la fabrication ou la production d'imprimés;  lorsque les articles de représentation sont destinés à un autre usage, l'exemption ne s'applique pas.  Dans le présent cas, en plus d'utiliser les articles de représentation pour fabriquer des imprimés taxables, la défenderesse en a vendu à ses clients.  Les deux parties ont convenu que la taxe de vente fédérale est une taxe relative à un seul événement qui doit être payée à la date de la première vente ou lors de l'importation de marchandises taxables.  C'est également la date à laquelle l'application des exemptions décrites à l'annexe III de la Loi est déterminée conformément au paragraphe 29(1) de la Loi.  Par conséquent, c'est la vente des articles de représentation en question par les fournisseurs de Baird à celle-ci qui est la vente pertinente aux fins de la taxe de vente fédérale.  La vente subséquente des articles de représentation en question par Baird à ses clients est une vente qui n'est pas visée par la Loi et qui n'est pas pertinente aux fins de la taxe de vente fédérale.  Par conséquent, l'argument concernant les termes «servir exclusivement» ne peut être retenu, puisque la deuxième vente n'est pas pertinente.

 

            De toute évidence, l'article 4 porte sur la production physique de marchandises car, si tel n'était pas le cas, l'exemption ne s'appliquerait jamais.  Même s'il y a certainement des cas dans lesquels une vente peut constituer un usage, il est certain que, en ce qui concerne l'article 4, une vente ne peut équivaloir à un usage physique.  Une vente équivaut à un  usage lorsqu'il n'y a pas de vente de marchandises fabriquées ou produites au Canada et assujetties à la taxe de vente fédérale parce que le fabricant s'approprie lesdites marchandises pour son propre usage (notamment en les distribuant librement de la façon décrite dans la décision British Columbia Telephone Co. c. La Reine (1992), 59 F.T.R. 176 (C.F. 1re inst.);  en pareil cas, l'alinéa 28(1)d) de la Loi a pour effet d'assimiler cette transaction à une vente et d'assujettir les marchandises à la taxe de vente fédérale.  Dans tout autre contexte de la Loi, les mots «vente» et «usage» sont employés dans un but différent et ont un sens différent.  C'est donc la «vente» des marchandises par le fabricant ou le producteur qui déclenche l'application de la taxe et c'est l'usage prévu des marchandises qui détermine l'applicabilité de l'exemption de la taxe de vente fédérale.  Dans le contexte de la Loi, le mot «vente» signifie le transfert du titre de propriété.  Dans son sens plus général, le mot «usage» comprend une vente.  Dans le contexte de la Loi cependant, le mot «usage» est employé dans un sens très différent.  Il y est utilisé dans le contexte des mots «affecte [les marchandises] à son usage», comme c'est le cas au sous-alinéa 27(1)a)(iii), ou dans le contexte de l'usage physique selon l'annexe III de la Loi.

 

            En conséquence, les articles de représentation en question ont été «fabriqués par le fabricant [...] ou vendus à celui-ci ... pour servir exclusivement à la fabrication ... d'imprimés».

 

            Pour les motifs qui précèdent, l'appel de la demanderesse est rejeté et les dépens de l'action sont adjugés à la défenderesse.

 

 

 

 

 

  W.P. McKeown

                                                                        ____________________________

                                                                                                Juge

 

 

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 octobre 1996

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                    

 

                                                                                    C. Bélanger, LL.L.


                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


 

               AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

No DU GREFFE :                             T-2869-92

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Sa Majesté La Reine c. Tom Baird & Associates Ltd.

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 16 septembe 1996

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE McKEOWN

 

EN DATE DU :                                 8 octobre 1996

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me John B. Edmond               POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Me Michael Kaylor                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Me George Thomson               POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général

du Canada

 

Lapointe Rosenstein               POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

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