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Date : 0702000


T-1970-94

E n t r e :

     JANSSEN PHARMACEUTICA INC. et

     JANSSEN PHARMACEUTICA naamloze vennootschap

     demanderesses

     - et -

     APOTEX INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     défendeurs



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON


[1]      Par avis de requête introductif d"instance déposé le 22 août 1994, les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) à l"égard d"un médicament, le cisapride. Le 13 juillet 1995 et le 18 janvier 1996, les demanderesses ont déposé un avis de requête introductif d"instance modifié ainsi qu"un nouvel avis de requête introductif d"instance modifié1.

[2]      La demande des demanderesses est présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)2 (le Règlement). Aux termes du paragraphe 6(2) du Règlement, je dois interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex si je conclus que les allégations faites par Apotex conformément à l"article 5 du Règlement ne sont pas fondées. Le 11 juillet 1994, Apotex a signifié l"avis d"allégation suivant aux demanderesses :

     [TRADUCTION]     
     Le présent avis d"allégation est présenté en conformité avec l"alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

     [...]

     En ce qui concerne le brevet 1183847, nous alléguons qu"aucune revendication portant sur le médicament lui-même ou sur son utilisation ne serait contrefaite par suite de la fabrication, de la production, de l"utilisation ou de la vente par nous de comprimés comprenant du monohydrate de cisapride.
     Voici les moyens de droit et de fait invoqués au soutien de cette allégation :
     Le brevet ne comporte aucune revendication portant sur l"utilisation du médicament. Il comporte une revendication portant sur le médicament lui-même, mais cette revendication se limite au médicament lui-même lorsqu"il est produit selon les procédés décrits et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. Le procédé qui sera utilisé pour la production de notre monohydrate de cisapride ne tombe pas sous le coup de la portée du brevet 1183847.

     Conformément à la jurisprudence pertinente, nous soumettrons une déclaration plus détaillée lorsqu"une ordonnance conservatoire aura été prononcée ou qu"une entente aura été conclue.

[3]      En novembre 1994, sous réserve d"une ordonnance conservatoire rendue le 1er novembre 1994, Apotex a produit un exposé détaillé des faits et du droit. Aux paragraphes 4, 5 et 6 de cet exposé, Apotex se contente de reprendre le texte de l"avis d"allégation signifié aux demanderesses le 11 juillet 1994. Aux paragraphes 10 et 11, Apotex expose les faits sur lesquels elle se fonde au soutien de son avis d"allégation :

         [TRADUCTION]
         10.      Le procédé utilisé par Torcan, le fournisseur d"Apotex, est exposé dans l"annexe 1 jointe à la présente déclaration détaillée.
         11.      L"annexe 2 jointe à la présente déclaration détaillée est l"affidavit souscrit le 2 septembre 1994 par M. McClelland pour expliquer les raisons pour lesquelles le procédé Torcan ne tombe pas sous le coup de la portée du brevet 847.

[4]      Au paragraphe 12 de son exposé détaillé des faits et du droit, Apotex affirme que le procédé3 utilisé par son fournisseur, Torcan, ne contrefait pas le brevet 847 des demanderesses et que le procédé Torcan n"est pas un équivalent chimique manifeste du procédé revendiqué dans le brevet 847.

[5]      La demanderesse Janssen Pharmaceutica naamloze vennootschap (" Janssen Belgique "), est le titulaire du brevet canadien 1,183,847 (le " brevet 847 "). L'autre demanderesse, Janssen Pharmaceutica Inc. (" Janssen Canada "), est un preneur de licence exclusive pour le brevet 847, qui a été inclus dans la liste de brevets présentés au ministre selon les dispositions du paragraphe 4(1) du Règlement. Le ministre a délivré des avis de conformité à Janssen Canada eu égard à des comprimés de 5 mg, 10 mg et 20 mg et à une suspension orale de 1 mg/ml de cisapride. Le nom chimique du cisapride est cis-4-amino-5-chloro-N-[1-[3-(4-fluorophénoxy)propyl]-3-méthoxy-4-pipéridinyl]-2-méthoxy-benzamide. La formule développée du cisapride est la suivante :




[6]      Le cisapride est utile comme stimulant péristaltique pour le traitement des troubles gastro-intestinaux. Il est devenu le médicament privilégié pour le traitement des troubles de motilité gastro-intestinale chez l"homme. Les ventes ont jusqu"ici dépassé 600 millions $ par année, ce qui en fait incontestablement un succès commercial.

[7]      Le brevet 847 porte sur un certain nombre de nouveaux composés qui sont utiles comme nouveaux produits pharmaceutiques. Les composés particuliers qui sont l'objet du brevet 847 sont les N-(4-pipéridinyl)benzamides de formule générale I :




Le cisapride est l'un des composés les plus importants répondant à la formule I.

[8]      Lorsque le brevet 847 a été déposé, le cisapride était un nouveau composé. Le brevet contient des revendications pour le cisapride, s'appliquant aussi bien au procédé qu'au produit obtenu par le procédé. En raison des limitations prévues dans la Loi sur les brevets, L.R., ch. P-4, au moment du dépôt du brevet, et plus précisément dans le paragraphe 41(1) de cette loi4, le cisapride n'était pas revendiqué sous la forme du produit en soi. Mais en raison de ces limitations, le cisapride aurait été couvert par le brevet quel que soit le procédé par lequel il était préparé.

[9]      Le brevet 847 propose différentes façons pour préparer le cisapride et les composés apparentés. Il y a 8 revendications dans le brevet 847. Pour les fins actuelles, on ne considérera que les revendications 1 et 5.

[10]      Dans la revendication 1, trois procédés de remplacement sont revendiqués pour la préparation des composés de formule I, suivis d'un certain nombre d'étapes ultérieures facultatives. L'un des procédés, le premier, est le plus pertinent pour l'examen de la question. Selon ce procédé, une liaison amide se forme par substitution nucléophile ou par une réaction d'acylation entre l'azote de la pipéridine de formule II et le groupe carbonyle de l'acide carboxylique de formule III ou d'un dérivé fonctionnel de cet acide.

[11]      L'une des étapes facultatives spécifiées dans la revendication 1 est le remplacement de l'hydrogène en R1 par un groupe méthyle (-CH3). Cette étape est appelée O-méthylation (ou méthylation en O). Une autre étape facultative spécifiée dans la revendication 1 est la préparation d'isomères stéréochimiques des composés correspondants, ç.-à-d. des isomères cis ou trans du composé.

[12]      En utilisant le langage spécifique de la revendication 1 du brevet 847, le premier procédé peut être formulé comme suit : procédé pour préparer les composés de formule I, consistant :


     1) à faire réagir une pipéridine de formule II




avec un acide carboxylique de formule III






ou avec un dérivé fonctionnel approprié de cet acide, dans un milieu adéquat et, si souhaitable, à convertir un composé, où R1 est de l'hydrogène, de formule :

    



en un composé de formule :





en faisant réagir (I-a-1) avec un agent d'alkylation approprié de formule R1-a-W(VI) dans un milieu adéquat, ledit R1-a ayant la signification de R1 à la condition que l'hydrogène soit exclu ; ...

Et (ou) à préparer leurs formes stéréochimiques isomères.

[13]      La revendication 5 porte sur un certain nombre de composés, incluant le cisapride, lorsqu'ils sont préparés ou produits par les procédés de la revendication 1 ou par tout autre équivalent chimique de ceux-ci. Ainsi, la revendication 5 couvre les procédés sur lesquels porte la revendication 1 et tous les procédés dans lesquels le cisapride est préparé ou produit, qui constituent des équivalents chimiques manifestes des procédés de la revendication 1. Il va sans dire que les procédés qui constituent des équivalents chimiques manifestes ne sont pas identiques aux procédés revendiqués.

[14]      La thèse des demanderesses est que, dans son procédé, Torcan utilise les procédés de la revendication 1 et/ou des équivalents chimiques manifestes de la revendication 1 du brevet 847 et qu"il contrefait par conséquent la revendication 5. Il s"ensuit, selon les demanderesses, que la vente par Apotex de tout cisapride fabriqué ou produit selon le procédé Torcan contrefait nécessairement le brevet 847. Les demanderesses soutiennent par conséquent que l"allégation de non-contrefaçon d"Apotex n"est pas fondée.

[15]      Il n"y a pas de désaccord entre les parties sur le fait qu"on doive donner une interprétation téléologique aux revendications du brevet ainsi qu"aux revendications du brevet 847 dont il est question en l"espèce. Dans l"arrêt Catnic Components Limited and Another v. Hill and Smith Limited [1982] R.P.C. 183, à la page 243 (C.L.), lord Diplock explique ce principe dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]

         [...] Les revendications de brevets doivent recevoir une interprétation téléologique plutôt qu"une interprétation purement littérale fondée sur leur application au genre d"analyse verbale méticuleuse à laquelle, de par leur formation, les avocats sont souvent tentés de se livrer. La question qui se pose dans chaque cas est celle de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques réelles dans le domaine dans lesquels l'invention est censée être employée concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu'on suive à la lettre telle phrase ou tel mot descriptif figurant dans une revendication, de sorte que toute variante échapperait au monopole revendiqué, même si elle ne pouvait influencer de façon appréciable le fonctionnement de l'invention.


[16]      Je souscris entièrement aux commentaires formulés par l"avocat des demanderesses, Me Greber, au paragraphe 57 de son mémoire, où il déclare :

         [TRADUCTION]
         L"interprétation d"un brevet ne doit être ni complaisante ni rigide ; elle doit plutôt être raisonnable et juste tant pour le titulaire du brevet que pour le public. Le brevet doit être interprété par un esprit qui est disposé à comprendre, et non par un esprit qui désire ne pas comprendre. Le tribunal ne doit pas recourir à une approche trop technique ou fine pour interpréter le brevet et il devrait s"efforcer de donner effet à l"interprétation qui permettra à l"inventeur d"obtenir la protection de ce l"invention qu"il a réalisée de bonne foi. C"est particulièrement le cas lorsqu"il s"agit d"une invention " de pointe " véritablement méritoire comme celle qui est revendiquée dans le brevet de Janssen. Le cisapride est un important composé pharmaceutique qui est utilisé pour traiter les troubles gastrointestinaux. Le cisapride était une nouvelle substance et un nouveau produit au moment du dépôt de la demande relative au présent brevet.

[17]      Ainsi que je l"ai déjà précisé, la Cour doit rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité tant que le brevet ne sera pas expiré si elle conclut qu"aucune des allégations formulées par Apotex n"est fondée. Dans son avis d"allégation, Apotex déclare que le cisapride que son fournisseur prévoit fabriquer serait produit selon un procédé non contrefait, le procédé Torcan.

[18]      Ainsi que je l"ai également déjà déclaré, n"eût été le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets , le titulaire du brevet aurait eu le droit de formuler une revendication portant sur le produit lui-même, en l"occurrence le cisapride, indépendamment de son mode de fabrication. Dans le jugement Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. , (1997), 77 C.P.R. (3d) 547, le juge Richard a tenu les propos suivants aux pages 560 et 561 :

N"eût été du paragraphe 41(1), le breveté aurait droit à une revendication relative au produit en soi concernant le composé de fluconazole alors fabriqué au moyen d"un procédé quelconque. Les types de réactions incluses dans les revendications étaient des réactions générales connues au moment du brevet de Pfizer et il n"y avait rien de créateur dans l"idée d"utiliser ces réactions. Ces réactions n"ont été incluses que pour se conformer au paragraphe 41(1) afin que les revendications du brevet incluent des limitations du procédé. Par conséquent, ces caractéristiques ne sont pas essentielles. Le fait que l"invention sous-jacente soit le fluconazole et non le procédé revendiqué appuie cette conclusion.
Outre le libellé exprès de la revendication no 10 du brevet Pfizer concernant les " équivalents chimiques évidents " et le libellé similaire du paragraphe 41(1), le Règlement sur les brevets prévoit que le procédé proposé par Apotex ne doit pas contrefaire le produit au moyen de revendications de procédé visant le fluconazole ou des équivalents chimiques manifestes de ces procédés.

Malgré le fait que le composé en litige devant le juge Richard dans l"affaire Pfizer était le fluconazole, ses observations précitées s"appliquent à mon avis à la présente affaire et je les fais entièrement miennes. Les types de réactions incluses dans les revendications du brevet 847 étaient des réactions générales connues au moment du brevet 847 et il n"y avait rien de créateur dans l"idée d"utiliser ces réactions. En conséquence, il est évident que le breveté n"avait pas l"intention de se limiter aux procédés spécifiques exposés dans la revendication 1, étant donné que les limitations du procédé n"avaient été incluses que pour se conformer au paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets . La revendication 5 du brevet 847 englobe les procédés de la revendication 1 ainsi que tout autres procédé chimique manifeste. Compte tenu de ces éléments, on ne saurait à mon avis prétendre que les restrictions dont ce procédé est assorti constituent des caractéristiques essentielles. À la page 571 du jugement Pfizer, le juge Richard ajoute ce qui suit :

Le breveté ne voulait pas exclure des variantes de la portée de l"invention revendiquée. Les exigences relatives au procédé étaient prescrites par la loi et n"étaient pas conçues par le breveté comme des limitations essentielles à l"invention. Les procédés revendiqués ne sont pas limités dans le texte du brevet de Pfizer [...]

[19]      Les deux parties ont présenté les preuves de témoins experts. Victor Snieckus, qui a obtenu son doctorat en chimie à l'Université de l'Oregon en 1965, est chimiste et professeur de chimie à l'Université de Waterloo. Il a témoigné comme expert pour les demanderesses. Dans son affidavit du 23 mai 1996, Victor Snieckus explique au paragraphe 9 ce que nous apprend le brevet sur la préparation du cisapride :

9.      De plus, le brevet nous apprend comme obtenir les divers composés de départ et comment transformer ces composés pour préparer, entre autres produits, le cisapride. L'une des méthodes décrites dans le brevet est un procédé en neuf étapes pour obtenir le cisapride à partir d'une 4-pipéridinone (XIX)5.
a.      La première réaction est l'halogénation d'une 4-pipéridinone avec un agent d'halogénation pour former le composé (XX) (page 18, lignes 7-12) ;
b.      La seconde étape consiste à faire réagir le composé (XX) avec un alcool approprié et l'eau pour former une pipéridine de formule (XXI) (page 18, lignes 12-14, page 19) ;
c.      La pipéridine (XXI) peut être convertie en un composé (XIII), dérivé de substitution de la pipéridinone, par agitation dans un milieu aqueux acide (page 18, lignes 15-17, page 19) ;
d.      Le brevet nous apprend également, à la page 17, lignes 11-16, que la pipéridinone de formule (XIII) peut être transformée en un dérivé de substitution de la pipéridinone de formule (VII) (voir page 8 pour (VII)) par un procédé en deux étapes supprimant le groupe protecteur (P) pour former l'intermédiaire (VII-a), auquel est ensuite ajouté le groupe (L), soit le (3-fluorophénoxy)propyle ;
e.      La pipéridinone résultante est ensuite transformée en pipéridine de formule (II) par amination réductrice, soit un procédé en deux étapes (page 15, lignes 31-35, page 16) ;
f.      La pipéridine (II) est alors soumise à une réaction de condensation avec, entre autres composé, un ester (III) pour former la liaison azote-carbonyle et aboutir à la formule (I) (pages 5-6) ;
g.      Le cisapride est ensuite obtenu en remplaçant l'hydrogène représenté par R1, lié à l'oxygène en position 3 du cycle de la pipéridine, par un groupe méthyle (pages 8 et 13).
Une représentation schématique du processus synthétique de Janssen m'est maintenant exhibée et est désignée comme pièce F jointe au présent affidavit. J'ai encadré les étapes f et g revendiquées dans le procédé Janssen6.

[20]      Comme l'indique Victor Snieckus au paragraphe 9 de son affidavit, seules les étapes f) et g) sont revendiquées dans le brevet 847. Ces étapes sont la réaction d'acylation7 et la O-méthylation, que Victor Snieckus explique comme suit : la réaction d'acylation est " une réaction de substitution nucléophile par un acyle, faisant intervenir les électrons libres (ç.-à-d. ne formant aucune liaison) de l'azote qui attaquent le carbone du carbonyle, ce qui entraîne le déplacement d'un groupe partant approprié Y, qui forme la liaison azote-carbone du carbonyle ". Il explique la O-méthylation comme étant " le remplacement de l'hydrogène du groupe hydroxy par un groupe méthyle (-CH3 ) ".

[21]      Victor Snieckus explique ensuite plus en détail les deux étapes revendiquées ci-dessus et les deux réactions qui précèdent immédiatement l'acylation, soit la formation d'une imine de la pipéridone, suivie de la réduction de la double liaison entre le carbone et l'azote pour former la pipéridine de formule (II).

[22]      Victor Snieckus conclut son analyse du brevet 847 en réaffirmant, au paragraphe 29 de son affidavit, que le brevet nous présente un procédé comportant les neuf étapes suivantes :

             1)      Halogénation
             2)      Substitution sur l'hydroxy
             3)      Formation de pipéridinone
             4)      Déprotection
             5)      Addition de L
             6)      Formation d'imine
             7)      Formation d'amine
             8)      Réaction de condensation
             9)      O-méthylation.

[23]      La pièce F de l'affidavit de Victor Snieckus montre clairement les neuf étapes ci-dessus. Cependant, comme je l'ai déjà indiqué, sur les neuf étapes décrites dans le brevet 847, seules les étapes 8 et 9 (appelées f) et g) dans le paragraphe 9 de l'affidavit de Victor Snieckus) font partie de la revendication 1. Victor Snieckus est d'avis que le fondement de l'invention du brevet 847 est la formation du cisapride, la liaison formée entre l'azote et le carbone du carbonyle étant l'aspect le plus important du procédé revendiqué.

[24]      En ce qui concerne la revendication 5 du brevet 847, Victor Snieckus affirme simplement, et cela m'apparaît comme assez évident d'après la lecture de la revendication, qu'elle couvre non seulement les procédés spécifiques décrits dans la revendication 1, mais également tous les autres procédés qui " sont manifestement des variantes des procédés spécifiques présentés " dans la revendication 1.

[25]      Deux autres experts ont témoigné au nom des demanderesses, notamment G. Van Lommen et Alain P. Raoult. Les deux témoins possèdent tous deux un doctorat (Ph.D.) en chimie. G. Van Lommen est employé par la demanderesse Janssen Belgique, et Alain P Raoult par la demanderesse Janssen Canada. Les deux témoins sont d'accord avec l'opinion exprimée par Victor Snieckus concernant les procédés des revendications 1 et 5 du brevet 847. G. Van Lommen et Alain P. Raoult conviennent avec Victor Snieckus pour dire que le fondement de la revendication 1 est la formation de la liaison azote-carbone via une réaction de substitution nucléophile entre un dérivé de pipéridine de formule II et un acide carboxylique ou un dérivé fonctionnel d"un acide carboxylique de formule III.

[26]      Après leur examen du brevet 847 et plus particulièrement des revendications 1 et 5 de ce brevet, les experts des demanderesses se sont penchés sur le procédé Torcan. Au paragraphe 31 de son affidavit, Victor Snieckus précise la question qu"on lui a demandé d"examiner :

On m'a demandé de déterminer si le procédé Torcan pour l"obtention du cisapride se situe à l"intérieur des revendications du brevet Janssen. Dans le cadre de cette question, on m"a demandé de déterminer si le procédé Torcan est un équivalent chimique manifeste du brevet Janssen et, par conséquent, s"il se situe à l"intérieur des revendications du brevet.

[27]      Dans la pièce I de cet affidavit, Victor Snieckus présente un processus synthétique élargi, qui présente les caractéristiques générales du procédé Torcan8. Selon Victor Snieckus, il y a dans le procédé Torcan douze composés et, par conséquent, onze étapes. Les réactions pertinentes, toujours d"après Victor Snieckus, sont celles qui suivent la formation du composé 7, à savoir la formation d"une imine (addition d"azote en position 4 sur le cycle de la pipéridine), la formation d"une amine (addition de méthoxy (-0CH3 ) également en position 4 sur le cycle de la pipéridine), et l"acylation intramoléculaire formant la liaison amide.

[28]      Au paragraphe 54 de son affidavit, Victor Snieckus déclare " qu'il y a une corrélation très étroite entre le procédé Janssen et le procédé Torcan " du fait que le procédé Torcan utilise " toutes les neuf étapes décrites dans le brevet Janssen, auquel ils ont ajouté quelques étapes supplémentaires ". On peut faire la comparaison suivante :

PROCÉDÉ JANSSEN              PROCÉDÉ TORCAN              COMPOSÉ no

1) halogénation                  1) halogénation                  1 " > 2
2) substitution sur l'hydroxy          2) substitution sur l'hydroxy          2 " > 3
3) formation de pipéridinone (XIII)      3) déprotection                  3 " > 4
4) déprotection                  4) addition de L                  4 " > 5
                     * formation d"ester              5 " > 6
5) addition de L                  5) formation de pipéridinone (XIII)6 " > 7
6) formation d'imine              6) formation d'imine              7 " > 7a
7) formation d'amine              7) formation d'amine              7a " > 7b
8) réaction de condensation (acylation)      8) réaction de condensation (acylation)7b " > 8
                     * élimination du méthanol          8 " > 10
                     * élimination du groupe protecteur Cbz 10 " > 11
9) O-méthylation                  9) O-méthylation                  11 " > 12

[29]      Victor Snieckus précise ensuite que le réordonnancement des étapes 3, 4 et 5 et les étapes additionnelles (*) du procédé Torcan sont le résultat de la décision de Torcan de former la liaison amide via une substitution nucléophile ou une acylation par réaction intramoléculaire et non intermoléculaire.

    

[30]      Cependant, selon Victor Snieckus, l'étape fondamentale aussi bien dans le procédé Janssen que dans le procédé Torcan est la formation de la liaison azote-carbone du carbonyle par acylation. Victor Snieckus indique ensuite que les procédés Janssen et Torcan utilisent les mêmes étapes 8 et 9, soit l'acylation et l'O-méthylation, qui font partie de la revendication 1 du brevet 847. Au paragraphe 56 de son affidavit, Victor Snieckus exprime l'opinion suivante :

56.      Comme on l'a examiné ci-dessus, sous l'en-tête " Revendication 1 ", l'objectif commun des procédés décrits dans la revendication 1 est la formation de la liaison azote-carbone du carbonyle entre le cycle de la pipéridine et le dérivé substitué du groupe benzoyle. Le procédé Torcan utilise la réaction du procédé 1 de la revendication 1 pour former la même liaison avec l'azote. Spécifiquement, dans les deux réactions :
1)      il s'agit de réactions de substitution nucléophile par un acyle, à savoir la réaction d'une pipéridine et d'un dérivé fonctionnel d'un acide carboxylique ;
2)      les types de composés qui interviennent sont les mêmes, soit la          4-aminopipéridine et un dérivé fonctionnel d'un acide carboxylique (un ester) ;
3)      les groupes fonctionnels qui interviennent dans les deux réactions sont les mêmes, à savoir une amine et un ester ;
4)      le groupe qui attaque est le même, soit un azote avec une paire d'électrons libres ;
5)      le groupe partant est le même, à savoir un alcoxy ;
6)      la paire d'électrons libres de l'azote attaque le carbone du carbonyle du groupe ester ;
7)      les mêmes liaisons sont coupées et formées par le même mécanisme (ç.-à-d. de la même façon).

[31]      Aux paragraphes 57 à 68 de son affidavit, Victor Snieckus examine la nature des réactions intramoléculaires et des réactions intermoléculaires. Il explique que la réaction du composé 7b du procédé Torcan est une réaction de substitution nucléophile intramoléculaire par un acyle, qu'il définit comme étant " n'importe quelle réaction où les groupes réactifs proviennent de la même molécule, alors que dans une réaction intermoléculaire ils proviennent de molécules différentes ". À son avis, la seule différence entre les réactions intermoléculaires et intramoléculaires est que les deux groupes réactifs font partie de la même molécule, plutôt que de deux molécules différentes. La nature des réactions, toujours selon Victor Snieckus, est la même, ç.-à-d. qu'elle est déterminée par la nature des groupes réactifs.

[32]      Victor Snieckus affirme qu'un chimiste en synthèse organique lorsqu'il envisage un processus de synthèse " devrait tenir compte, dans une réaction intermoléculaire, des éventuels mécanismes intramoléculaires ". Il fonde son assertion sur une conférence d'A. Eschenmoser en novembre 1969, intitulée " Chemins vers les corrines ", où Eschenmoser fait les remarques suivantes :

Chaque fois que, dans la synthèse de molécules organiques complexes, on est confronté à une situation où un procédé de synthèse intermoléculair est bloqué par un manque quelconque de réactivité, contrôlé cinétiquement, il faut examiner les possibilités de modifier la phase structurelle de telle façon que l'étape synthétique critique puisse aboutir par voie intramoléculaire plutôt qu'intermoléculaire.

[33]      Victor Snieckus note ensuite que l"attaque d"un ester par une amine, soit le type de réaction intramoléculaire que l"on retrouve dans le procédé Torcan, est une réaction bien connue et est utilisée depuis au moins 1937. Son opinion est fondée sur un article intitulé " Action de l"ammoniac sur la benzoïne " par David Davidson, Marvin Weiss et Murray Jelling, publié dans J. Org. Chem., 1937, 2, 328. Il invoque également un article écrit par G.E. McCastland et Donald Arthur Smith, intitulé " Stéréochimie des aminocyclanols. Synthèse d"épimèrs cis via les oxazolines. Les 2-aminocyclopentanols ", Am. Chem. J., 1950, 72, 2190 à 2192.

[34]      Selon Victor Snieckus, il n"y a rien dans le brevet 847 qui limite la réaction de la pipéridine de formule II et le dérivé fonctionnel d"un acide carboxylique de formule III à une réaction intermoléculaire. Par conséquent, Victor Snieckus est d"avis que la réaction intramoléculaire de Torcan n"est pas exclue de la revendication 1 puisque les deux réactions sont identiques, c.-à-d. des réactions de substitution nucléophile par un acyle " où la paire d"électrons libres de l"azote attaque le carbone du groupe carbonyle ".

[35]      Ainsi, d"après Victor Snieckus, on devrait considérer une réaction intramoléculaire comme une solution de rechange pour une réaction intermoléculaire. La réaction intramoléculaire que l"on retrouve dans le procédé Torcan est l"attaque d"un ester par une amine, cette réaction étant bien " connue et utilisée dans des systèmes semblables depuis au moins 1937 ".

[36]      Ensuite, après une lecture attentive du brevet 847, Victor Snieckus en arrive à la conclusion que le procédé Torcan se situe littéralement dans la revendication 1 du brevet 847. Il continue en déclarant que, de toute façon, le procédé Torcan se situe à l'intérieur de la revendication 5, car " l'utilisation d'une variante intramoléculaire pour une réaction intermoléculaire pourrait de toute évidence être envisagée, et ce à la lumière des indications d'Eschenmoser qui nous recommande de considérer la solution de rechange intramoléculaire ".

[37]      Victor Snieckus continue ensuite à examiner les " différences mineures " qu'il voit entre la revendication 1 du brevet 847 et le procédé Torcan. Il est d'avis qu'après la formation de la liaison azote-carbonyle, la molécule correspond à la formule I, excepté la présence d'un groupe méthoxy en position 4 du cycle de la pipéridine et la présence d'un groupe protecteur sur le noyau benzénique. De plus, la stéréochimie du composé 8 n'est pas clairement établie. Par conséquent, pour passer du composé 8 au composé 10, il faut enlever le méthoxy et obtenir la forme stéréochimique cis appropriée, ce qui peut être accompli en éliminant le groupe méthoxy pour former la cétone, puis en procédant à une réduction stéréo-sélective de la cétone de façon à obtenir l'isomère cis.

[38]      Pour passer du composé 10 au composé 11, il faut éliminer le groupe protecteur (Cbz) sur l'azote du groupe benzénique. Au paragraphe 50 de son affidavit, Victor Snieckus fait les commentaires suivants au sujet des groupes protecteurs :

Un groupe protecteur est un groupe qui masque temporairement un site réactif pour empêcher les réactions secondaires indésirables, et qui, une fois son rôle accompli, est éliminé à n'importe quelle étape ultérieure appropriée. Lors de la sélection du processus de synthèse, le choix du groupe protecteur n'a qu'une importance secondaire. Ce n'est qu'une fois ce processus sélectionné, que l'on choisira le groupe protecteur convenant le mieux au processus.

[39]      En ce qui concerne le groupe protecteur Cbz, Victor Snieckus affirme qu'il s'agit d'un groupe protecteur bien connu chez les amines, et que, après avoir examiné le procédé Torcan, il lui apparaît que le but premier du groupe Cbz est d'empêcher les réactions secondaires indésirables lors de la formation de l'ester 6). Au paragraphe 51 de son affidavit, il écrit :

...Par conséquent, pour obtenir le cisapride, ce groupe protecteur doit être éliminé. Cela est fait par réduction catalytique du composé 10) avec H2 en présence de palladium, au niveau du carbone, pour former le composé 11). Il s'agit là d'une méthode usuelle pour éliminer un groupe protecteur Cbz.

[40]      La dernière étape du procédé Torcan, ç.-à-d. celle qui est nécessaire pour transformer le composé 11) en cisapride, est la O-méthylation. Cette étape est expliquée par Victor Snieckus au paragraphe 53 de son affidavit, comme suit :

À noter que les lignes 97 à 103 de la revendication 1 portent spécifiquement sur la réaction transformant le composé 11) en composé 12). Dans le composé 11), R1 est de l'hydrogène ; le composé de formule (I-a-1) est identique au composé 11) et est transformé en un composé de formule (I-a-2), soit le composé 12). La réaction est effectuée à l'aide d'un agent d'alkylation approprié, comme le sulfate de diméthyle, dans un milieu adéquat, comme le tétrahydrofurane. Cette partie de la revendication est littéralement utilisée dans le procédé Torcan - voir l'annexe I à la déclaration détaillée (pièce B).

[41]      Selon Victor Snieckus, dans le procédé Torcan, l'hydrogène en R1 lié à l'oxygène en position 3 de la pipéridine, est remplacé par un groupe méthyle provenant du sulfate de diméthyle pour former le cisapride, soit le composé 12).

[42]      Au paragraphe 86 de son affidavit, en parlant des différences entre les procédés de la revendication 1 et du procédé Torcan, Victor Snieckus déclare ce qui suit :

86.      Une comparaison de ces deux feuilles9 montre que les seules différences sont la variation mineure au niveau de R1, l'addition d'un groupe protecteur et la présence du groupe méthoxy en position 4 du cycle de la pipéridine. Comme il a été dit ci-dessus, la différence au niveau de R1 n'influe pas sur les réactions fondamentales. De plus, c'est en raison du choix par Torcan des composés de départ avant les étapes fondamentales, p. ex. la condensation et l'O-méthylation, que des étapes additionnelles sont requises pour éliminer le méthoxy et le groupe protecteur, sans que ces groupes fonctionnels aient été utiles pour quoi que ce soit tout au long du processus réactionnel.

[43]      Selon Victor Snieckus, ce qui précède n'aura aucun effet sur le fondement de la réaction revendiquée dans le brevet 847, ç.-à-d. une réaction de condensation d'une amine et d'un ester. Il est d'avis que le procédé Torcan est " une variante mineure de l'ensemble du procédé de synthèse présenté dans le brevet Janssen ". Les différences entre le brevet 847 et le procédé Torcan résultent, d'après lui, de la nécessité d'étapes additionnelles, du fait de la réaction intramoléculaire. Dans la pièce Q10 de son affidavit, Victor Snieckus a résumé les parties fondamentales du procédé Torcan. Selon Victor Snieckus, cette pièce montre très clairement que le procédé Torcan, en commençant par le composé (1), comprend toutes les neuf étapes du brevet 847. Au paragraphe 87 de son affidavit, Victor Snieckus arrive à cet égard à la conclusion suivante :

Le procédé Torcan utilise les deux étapes revendiquées, pratiquement de la même manière, avec pratiquement les mêmes réactifs, soit la condensation (étape 8) et la méthylation (étape 9), et le fait dans le même ordre en y intercalant uniquement des étapes additionnelles non essentielles.

[44]      G. Van Lommen est d'accord avec l'opinion exprimée par Victor Snieckus concernant le procédé Torcan. En examinant les différences entre les procédés de la revendication 1 du brevet 847 et le procédé Torcan, G. Van Lommen fait, aux paragraphes 21, 22 et 24 de son affidavit du 23 mai 1996, les remarques suivantes :

21.      Bien qu'il y ait certaines différences dans les menus détails des différentes réactions, ces différences ne modifient pas le fond de la réaction revendiquée, à savoir la réaction de condensation. De plus, si on considère l'ensemble du processus de synthèse, il est clair que le procédé Torcan n'est qu'une variante du procédé de synthèse présenté dans le brevet de Janssen. Toutes les neuf étapes sont utilisées dans les deux procédés Torcan. Les différences sont constituées par l'intercalation d'étapes additionnelles rendues nécessaires par les réactions de condensation intramoléculaire. Aucun avantage ne découle de l'utilisation de la variante Torcan. De fait, le procédé Torcan semble moins efficace et il n'y a aucune raison d'utiliser du point de vue chimique une réaction intramoléculaire. Globalement, c'est le même processus qui est utilisé, pratiquement selon la même séquence.
22.      Torcan a ajouté de la complexité à son procédé, apparemment dans une tentative pour différencier son procédé du procédé breveté. Mais, ce faisant, Torcan utilise pratiquement les mêmes réactions, avec pratiquement les mêmes réactifs, et ce de la même façon, pour arriver pratiquement au même résultat, selon pratiquement la même séquence. Les deux procédés Torcan sont donc d'après moi des équivalents chimiques manifestes du procédé revendiqué par le brevet Janssen.
[...]
24.      Je suis convaincu que les différences dans la séquence des réactions et l'addition d'étapes additionnelles ne sont pas significatives, et qu'aux yeux d'un spécialiste qualifié en chimie organique de synthèse, les procédés Torcan utilisent pratiquement la même stratégie de synthèse que celle du brevet Janssen.

[45]      G. Van Lommen déclare également que rien dans le brevet 847 ne laisse supposer que la réaction de la pipéridine et du dérivé fonctionnel d'un acide carboxylique se limite à une réaction intermoléculaire. G. Van Lommen fait également référence à la conférence donnée par Eschenmoser en novembre 1969, intitulée " Chemins vers les corrines " et, dans le paragraphe 16 de son affidavit, il apporte à cet égard les commentaires suivants :

16.      Même si Eschenmoser conseille d'utiliser une réaction intramoléculaire lorsque la variante intermoléculaire ne fonctionne pas, il n'y a aucune raison de ne pas suivre son conseil lorsque la réaction intermoléculaire fonctionne. Cependant, de façon générale, on ne ferait pas appel à une variante intramoléculaire lorsque la réaction intermoléculaire marche, car la préparation du réactif intramoléculaire nécessiterait des étapes additionnelles, qui aboutiraient généralement à une synthèse moins efficace.

[46]      Examinons maintenant les éléments de preuve de M. McClelland, le témoin expert d"Apotex, dont l"affidavit a été déposé le 21 septembre 1994, et sur lequel Apotex se fonde pour étayer son allégation voulant que le procédé Torcan n"est pas une contrefaçon du brevet 847. On se rappellera que l"affidavit de M. McClelland était annexé (annexe 2) à l"énoncé détaillé du droit et des faits déposé par Apotex en novembre 1994 .

[47]      M. McClelland a un doctorat en chimie, qu"il a obtenu à l"Université de Toronto en 1969. Il est actuellement professeur au Département de chimie de la même université. La conclusion de M. McClelland, après son analyse des revendications du brevet 847 et du procédé Torcan, est que le procédé Torcan ne se situe pas dans le cadre des revendications du brevet 847, et qu"il n"est pas un équivalent chimique manifeste d"un procédé, quel qu"il soit, revendiqué dans le brevet 847.

[48]      Après avoir examiné les trois procédés de la revendication 1 du brevet 847 et le procédé Apotex, M. McClelland déclare : " il y a des différences significatives dans la façon dont ces procédés forment la liaison décrite au paragraphe 8 de cet affidavit ". Cette liaison décrite au paragraphe 8 de l"affidavit de M. McClelland lie le 4-amino-5-chloro-2-méthoxybenzoyle à la position 4 du cycle de la pipéridine. Aux paragraphes 16(i) à 16(v) de cet affidavit, il explique les " différences significatives " comme suit :

16.      Une comparaison des trois étapes du procédé Apotex, décrites dans les paragraphes 14 et 15 qui précèdent, avec les réactions de la revendication 1 du brevet 847 montre qu"il y a des différences significatives dans la façon dont ces procédés forment la liaison décrite au paragraphe 8 de cet affidavit :
(i)      Les trois procédés du brevet 847 lient chacun l"unité 4-amino-5-chloro-2-méthoxybenzoyle (Encadré A) directement à la position 4 du cycle de la pipéridine. Dans le procédé Apotex, cette liaison est formée au départ via la position 3 du cycle de la pipéridine ;
(ii)      les trois réactions du brevet 847 qui lient l"unité 4-amino-5-chloro-2-méthoxybenzoyle (Encadré A) au cycle de la pipéridine passent par une liaison amide. Dans le procédé Apotex, cette liaison est formée au départ par l"intermédiaire d"un oxygène, le produit initial étant donc un ester et non un amide.
(iii)      les trois procédés du brevet 847 qui lient l"unité 4-amino-5-chloro-2-méthoxybenzoyle (Encadré A) au cycle de la pipéridine nécessitent une étape de réaction préalable dans laquelle l"azote est introduit sur l"une des unités, soit sur le cycle de la pipéridine dans le procédé 1, et sur le groupe benzoyle dans les procédés 2 et 3. Dans le procédé Apotex, le groupe amino est introduit après la liaison entre l"unité 4-amino-5-chloro-2-méthoxybenzoyle et la pipéridine;
(iv)      les trois procédés du brevet 847 sont tous des procédés intermoléculaires dans lesquels on fait réagir deux molécules différentes entre elles. L"étape du procédé Apotex dans laquelle se forme la liaison amide est une réaction intra moléculaire, dans laquelle les éléments qui réagissent font déjà partie de la même molécule.
(v)      les trois procédés du brevet 847 forment chacun un dérivé de la 4-aminopipéridine, dans lequel il n"y a pas d"autre substituant en position 4. Dans l"étape du procédé Apotex où se forme la liaison amide et où le groupe benzoyle est transféré en position 4, un second substituant, soit le groupe méthoxy, est également présent en position 4 dans le produit.

[49]      M. McClelland continue ensuite en déclarant que la stéréochimie cis constitue un élément important dans la préparation du cisapride. D"après lui, le procédé Apotex " diffère considérablement " des procédés du brevet 847 au niveau de la stéréochimie cis. Dans les paragraphes 18, 19 et 20 de son affidavit, il explique plus en détail les " différences significatives dans la façon dont est introduite la stéréochimie cis ". Il explique ces différences comme suit :

20.      [...]
a)      La réaction Apotex qui réalise cette stéréochimie est la réduction d"une cétone en alcool. Le brevet 847 revendique des aminations réductrices de cétones, dont les produits sont des amines ou des amides;
b)      dans le procédé Apotex, la stéréochimie est introduite par une réaction en position 3 du cycle de la pipéridine. Dans le brevet 847, la réaction a lieu en position 4 de la pipéridine;
c)      dans le procédé Apotex, le groupe qui détermine la réduction formant la stéréochimie cis est le groupe amide déjà substitué en position 4. Il s"agit là d"un groupe volumineux qui favorise nettement la formation de l'isomère cis. Dans le brevet 847, le groupe qui détermine la réduction formant l'isomère cis est le groupe hydroxy ou alcoxy en position 3. C"est un groupe non seulement différent, mais aussi plus petit, qui ne favorise pas l"addition en cis, comme en font foi certains exemples où il y a formation de mélanges de produits cis et trans, notamment les exemples XVIII et XXVIII.

[50]      Lors du contre-interrogatoire, M. McClelland a convenu que le fondement du premier procédé de la revendication 1 est l"acylation d"une amine et que l'aspect fondamental des liaisons formées est le lien entre l"azote et le carbonyle. Il a également convenu que " l'aspect le plus important " de la réaction de condensation est la formation de la liaison entre l"azote et le carbone du carbonyle.

[51]      Il est intéressant de noter que, dans son affidavit, M. McClelland ne dit rien au sujet des composés intermédiaires 7a et 7b. Tout ce qu"il déclare c"est que l"azote est " introduit " en position 4 du cycle de la pipéridine. Lors de son contre-interrogatoire, M. McClelland a proposé quatre mécanismes selon lesquels le composé 7 est transformé en composé 8. Il a ajouté que beaucoup d"autres possibilités lui venaient à l"esprit pour transformer le composé 7 en composé 8. Cependant, il n"a pas émis d"opinion quant à la façon dont ces réactions se dérouleraient.

[52]      En ce qui concerne le composé 7b du procédé Torcan, M. McClelland a déclaré, lors du contre-interrogatoire, que le composé est un ester et qu"un ester est un dérivé fonctionnel d"un acide carboxylique.

[53]      Il y aurait lieu de noter qu'en fait M. McClelland ne dit rien au sujet de la revendication 5 du brevet 857 pour le cisapride lorsque celui-ci est obtenu par des procédés de la revendication 1 et par tous les autres procédés qui en constituent des équivalents chimiques. M. McClelland, au paragraphe 23 de son affidavit, déclare vaguement que le procédé Torcan n'est pas un équivalent chimique manifeste, mais il ne donne aucune explication ni raison pouvant étayer sa déclaration.

[54]      Dans son exposé des faits et du droit, M. Radomski, avocat pour Apotex, résume comme suit les différences entre le brevet 847 et le procédé Torcan :

1.      La stratégie générale, élargie, utilisée dans chacun des procédés pour obtenir le cisapride, est fondamentalement différente d'un procédé à l'autre :
2.      Les stratégies spécifiques, la chimie, les réactifs et les mécanismes utilisés dans chacun des procédés sont fondamentalement différents;
3.      Les principaux substituants du cisapride sont réunis pour la formation de l'ester, composé A [intermédiaire 7] , dans lequel le substituant CH3O est lié au bloc benzoyle. Une liaison de ce type ne fait pas partie du procédé Janssen;
4.      Dans le procédé Janssen, la liaison amide est formée par une réaction de condensation, alors que le procédé Torcan n'utilise pas de réaction de condensation;
5.      La réaction fondamentale dans le procédé Janssen est une réaction intermoléculaire, alors que le procédé Torcan emploie une réaction intramoléculaire;
6.      L'utilisation des états d'oxydation dans le procédé Torcan est différente de celle que l'on retrouve dans le procédé Janssen, avec des composés chimiques différents aux caractéristiques physiques et chimiques différentes;
7.      La formation de la stéréochimie cis dans le procédé Torcan est différente de celle qui intervient dans le procédé Janssen.

[55]      L'avocat continue ensuite en faisant la remarque suivante au paragraphe 43 de son mémoire :

43.      En raison de ce qui précède et surtout de la nature des diverses transformations intervenant dans le procédé Torcan, il est clair que ce procédé utilise une chimie nouvelle et non évidente pour l'obtention du cisapride. Nulle part dans le brevet 847 n'est divulguée ni même suggérée une chimie de ce type. De plus, comme on l'a noté ci-dessus, même sans cette chimie nouvelle et non évidente, la stratégie, la chimie, les réactifs et les mécanismes utilisés dans le procédé Torcan sont fondamentalement différents de ceux employés dans le procédé Janssen. Il en résulte que le procédé Torcan n'est pas un équivalent chimique manifeste du procédé Janssen.

[56]      Finalement, aux paragraphes 116 à 121, Me Radomski présente les arguments qu'il invoque pour dire que le procédé Torcan n'est pas une contrefaçon du brevet 847 :

116.      Lorsqu'on considère la question de la contrefaçon dans le cas de revendications d'un procédé qui portent sur la fabrication d'un médicament, il y a lieu de considérer non seulement l'étape finale, mais également les étapes précédant l'étape finale, ainsi que les intermédiaires utilisés dans l'étape finale et dans les étapes précédant l'étape finale, et enfin les procédés pour obtenir ces intermédiaires. Cela est particulièrement vrai dans le cas présent, où les intermédiaires du processus réactionnel Torcan et le procédé pour leur fabrication sont fondamentaux pour la mise en oeuvre du procédé, et où la pertinence de leur utilisation n'était pas prévue pour l'obtention du médicament cisapride.
117.      Dans le cas présent, comme il est dit ci-dessus, le procédé Torcan est différent du procédé Janssen et n'est pas une contrefaçon de ce dernier pour la préparation du cisapride. Le procédé Janssen se limite uniquement aux procédés très spécifiques décrits dans le brevet 847.
118.      Comme il apparaît à la page 5, lignes 5-10, à la page 6, lignes 18-fin de la page, à la page 7, ligne 27, et à la page 8, ligne 2, les composés de formule I, incluant le cisapride, peuvent être préparés grâce ces procédés. Ces derniers peuvent être transposés dans la revendication 1. Le procédé Torcan ne se situe pas dans les limites des procédés décrits par la revendication 1 du brevet 847, et notamment en dehors des limites de la revendication 1(1).
119.      Ce qui est fondamental dans le procédé Janssen c'est l'utilisation d'une réaction intermoléculaire de deux molécules pour préparer le cisapride. Le procédé Torcan n'utilise pas une réaction intermoléculaire pour la production de cisapride. Le procédé Torcan utilise une réaction intramoléculaire. De plus, aucun des intermédiaires ni aucune des étapes utilisés dans le procédé Torcan n'est divulgué explicitement ou implicitement dans le brevet 847, et ce ni dans la divulgation ni dans les revendications. Les composés, les méthodologies, le séquençage et les étapes ont tous un caractère distinct dans le procédé Torcan. En dépit des assertions de Janssen voulant que les étapes individuelles dans le procédé Torcan soient généralement bien connues, aucune des références ne présente le procédé Torcan comme tel, ni sa stratégie, ni sa chimie exacte.
120.      Il en résulte que les constituants de la molécule de cisapride sont réunis dans le procédé Torcan d'une façon qui est fonctionnellement, mécaniquement et stratégiquement distincte, et qui n'est pas équivalente à ce qui se passe dans le procédé Janssen .
121.      La revendication 5 du brevet 847 porte sur " un équivalent chimique manifeste de celui-ci " en renvoyant au procédé Janssen revendiqué précédemment. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, le procédé Torcan n'est pas un équivalent chimique manifeste du procédé Janssen. Bien que les deux procédés donnent fonctionnellement le cisapride, ils ne sont ni des équivalents chimiques ni des équivalents chimiques manifestes l'un par rapport à l'autre.

[57]      Pour les raisons qui suivent, je suis d'avis que le procédé Torcan est visé par le brevet 847 ou est un équivalent chimique manifeste des procédés de la revendication 1 du brevet 847.

[58]      À mon point de vue, à des fins d'interprétation utilitaire du brevet 847 et selon " une interprétation des revendications qui vise à comprendre la nature véritable de l'invention "11, le véritable objet du premier procédé de la revendication 1 est d'obtenir le cisapride par formation de la liaison amide, et, facultativement, l'O-méthylation et (ou) la préparation de l'isomère cis. En ce qui concerne la revendication 5 du brevet 847, je suis d'avis qu'il porte sur le cisapride lorsqu'il est préparé par le premier procédé de la revendication 1, ç.-à-d. la formation de la liaison amide et, facultativement, l'O-méthylation et (ou) la préparation de l'isomère cis, et par tout autre équivalent chimique manifeste du procédé de la revendication 1.

[59]      Je passe maintenant à la question litigieuse précise qui m"est soumise en l"espèce, en l"occurrence celle de savoir si le procédé Torcan contrefait le brevet 847. J"ai déjà cité l"arrêt que la Chambre des lords a rendu dans l"affaire Catnic , dans lequel lord Diplock s"est dit d"avis, à la page 243, que les tribunaux devraient interpréter les brevets selon la méthode téléologique plutôt que de se limiter à une interprétation purement littérale. Dans la décision Improver Corporation v. Remington Consumer Products Ltd . (1989), 17 F.S.R. 181, à la page 189 (C. brevets), le juge Hofman énonce dans les termes suivants le critère à trois volets proposé par lord Diplock dans l"arrêt Catnic :

1.      La variante influence-t-elle de façon appréciable le fonctionnement de l'invention ? Dans l"affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :
2.      Le fait que la variante n"influence pas le fonctionnement de l"invention aurait-il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine ? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l"affirmative :
3.      L"expert du domaine conclurait-il malgré tout, à la lecture du texte de la revendication, que le breveté considérait qu"une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l"invention ? Dans l"affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[60]      Dans le jugement Novocol Chemical Manufacturing Company of Canada Limited v. W.R. MacFarlane, et al, [1939] R.C. de l"Éch. 151, à la page 161, le juge Maclean déclare ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         [...] On peut, sans risque de se tromper, définir l"équivalent comme ce qui remplit une fonction pratiquement de la même manière que la chose à laquelle on affirme qu"il équivaut.

Ainsi, je suis d'avis que, lorsque la variante remplit la même fonction pratiquement de la même manière, elle constitue un équivalent. Après avoir examiné la jurisprudence, Me Creber fait, à la page 36, paragraphe 82 de son mémoire, la déclaration suivante pour le compte des demanderesses, déclaration à laquelle je souscris pleinement :

D'après la jurisprudence ci-dessus, il semblerait que l'expression " équivalent chimique manifeste " signifie que la chimie détaillée, les groupes fonctionnels intervenant dans la réaction, les conditions détaillées de la réaction et les composés de départ peuvent être différents, mais néanmoins être considérés comme équivalents si les deux procédés atteignent le même but d'une façon analogue.

[61]      Au paragraphe 117 de son mémoire, l'avocat d'Apotex fait valoir que le procédé du brevet 847 se limitait aux procédés " envisagés dans le cadre du brevet 847 ". Cette affirmation est de toute évidence inexacte eu égard à la formulation très claire de la revendication 5, qui porte sur tous les procédés qui sont manifestement des équivalents chimiques du procédé de la revendication 1. La démarche adoptée par Apotex au paragraphe 117 de son mémoire n'est pas surprenante, puisque M. McClelland, comme je l'ai indiqué précédemment, n'a pas exprimé d'avis concernant la revendication 5 du brevet 847. Il n'a pas considéré si le procédé Torcan pouvait être envisagé comme un équivalent chimique manifeste des procédés de la revendication 1. Il s'est plutôt attaché, comme l'a indiqué Me Creber, à mettre en lumière les différences entre le procédé Torcan et la revendication du brevet 847. C'est à mon avis la raison pour laquelle il a omis d'examiner dans son affidavit les composés intermédiaires 7a et 7b. Je suis d'accord avec le commentaire fait par Victor Snieckus au paragraphe 94 de son affidavit, où il dit :

         Tous les commentaires sur la comparaison figurant au paragraphe 16 de l'affidavit de M. McClelland ignorent les intermédiaires 7a) et 7b). Une comparaison des intermédiaires 7a) et 7b) avec les revendications montrerait que la comparaison faite par M. McClelland porte sur un composé précurseur et non sur le composé critique qui devrait être considéré eu égard aux revendications du brevet.

[62]      À mon avis, il est indéniable que la liaison amide du procédé Torcan est obtenue de la même façon que la liaison amide du brevet 847, soit via une réaction de substitution nucléophile par un acyle, où les électrons libres de l'azote attaquent le carbone du carbonyle, ce qui provoque le déplacement d'un groupe partant approprié Y pour former la liaison azote-carbone du carbonyle. Il y a un certain nombre de variantes entre le brevet 847 et le procédé Torcan, dont la principale est l'utilisation d'une acylation intramoléculaire au lieu d'une acylation intermoléculaire. La question est donc de savoir si, en raison de ces variantes, le procédé Torcan se situe en dehors des limites du brevet 847.

[63]      J'accepte comme crédible la preuve donnée par les experts des demanderesses, et en particulier celle de Victor Snieckus. Je suis d'avis que M. McClelland n'a pas interprété le brevet 847 en cherchant à comprendre la nature véritable de l'invention. Pour ce faire, il lui aurait fallu, comme pour Victor Snieckus, examiner le processus de synthèse du brevet 847, afin de découvrir ce que le titulaire du brevet voulait réellement réaliser, et avec quels moyens. M. McClelland a plutôt semblé examiner le brevet 847 avec l'intention particulière de mettre en lumière les différences entre les deux procédés. M. McClelland ne semble pas avoir été intéressé par le fait qu'il y ait ou non des similarités entre les procédés.

[64]      M. McClelland ne mentionne ou n'examine nulle part dans son affidavit les similarités entre les procédés revendiqués dans le brevet 847 et le procédé Torcan. Je conviens avec les demanderesses que la démarche appropriée était de comparer les similarités fonctionnelles et non les différences. C'est ce qu'aurait dû faire M. McClelland, mais qu'il n'a pas fait.

[65]      Au paragraphe 30 ci-devant j'ai renvoyé au paragraphe 56 de l'affidavit de Victor Snieckus, où il indique les similarités entre les réactions fondamentales aussi bien du procédé Torcan que des procédés de la revendication 1 du brevet 847.

[66]      Comme je l'ai déjà indiqué, la principale variante qui intervient ici est l'utilisation par Torcan d'une réaction intramoléculaire pour obtenir la liaison amide. La seule différence entre la réaction intramoléculaire de Torcan et la réaction intermoléculaire du brevet 847 est que, dans la première, les deux groupes réactifs, une amine et un ester, font partie de la même molécule, alors que, dans la deuxième, les groupes réactifs font partie de molécules différentes.

[67]      Cependant, la nature des réactions est la même, ç.-à-d. qu"elle est déterminée par la nature des groupes réactifs.

[68]      En ne perdant pas de vue qu"on sait depuis longtemps qu"un chimiste en synthèse organique doit envisager les versions intramoléculaires d"une réaction intermoléculaire lorsqu"il planifie un processus réactionnel de synthèse, et que la réaction intramoléculaire Torcan, soit l"attaque d"un ester par une amine, est bien connue et est utilisée depuis 1937, il est clair dans mon esprit que si le procédé Torcan ne se situe pas dans les limites de la revendication 1, il en est un équivalent chimique manifeste. L"utilisation d"une variante intramoléculaire, à la lumière de l"enseignement d"Eschenmoser, mériterait de toute évidence d"être considérée.

[69]      Il n"y a rien dans le brevet 847 qui limite la réaction principale, ç.-à-d. la réaction entre la pipéridine et le dérivé fonctionnel d"un acide carboxylique, à une réaction intermoléculaire.

[70]      Par conséquent, la réaction intramoléculaire ou bien se situe dans les limites du brevet 847 ou bien constitue un équivalent chimique manifeste de la réaction d"acylation de la revendication 1 du brevet, car il serait évident que son mécanisme serait semblable à celui de la réaction intermoléculaire et qu"elle servirait aux mêmes fins, ç.-à-d. la formation de la liaison amide.

[71]      J'ai reproduit au paragraphe 59 des présents motifs le test Catnic, élaboré par J. Hofman (sous sa forme originale) dans Improver. Je pense qu'il faut répondre aux trois questions comme suit :

     1.      Non. Aussi bien l'acylation intramoléculaire que l'acylation intermoléculaire forment la liaison amide en utilisant le même type de réaction.
     2.      Oui. Si on tient compte de ce qui nous apprend Eschenmoser, il apparaît avec évidence que la liaison amide aurait pu être obtenue par acylation intramoléculaire.
     3.      Non. Il est clair que le titulaire du brevet ne recherchait pas la stricte conformité avec les procédés décrits dans la revendication 1, vu que la revendication 5 couvre tous les équivalents chimiques manifestes.

[1]      En ce qui concerne les autres variantes, notamment les différences au niveau de R1, la présence du méthoxy et d'un groupe protecteur, je suis d'accord avec l'opinion de M. Snieckus quant aux raisons qu'il donne pour dire que ces variantes n'influent pas sur le fondement de la réaction principale.


[2]      L'étape clé de la préparation du cisapride, aussi bien dans le procédé Torcan que dans les procédés du brevet 847, est la formation de la liaison amide. Je souscrits à la déclaration suivante, que M. Snieckus fait au paragraphe 70 de son affidavit:

... il est clair que le procédé Torcan est une variante mineure de l'ensemble du procédé synthétique présenté dans le brevet Janssen. Toutes les neuf étapes énoncées dans la pièce " F " sont utilisées par le procédé Torcan. Les différences sont l'intercalation d'étapes additionnelles, rendues nécessaires par la réaction de condensation qui prend la forme d'une réaction intramoléculaire.

Je suis également d'accord avec le commentaire de M. Snieckus, au paragraphe 99 de son affidavit, où il déclare que Torcan a ajouté " de la complexité à son procédé apparemment pour essayer de différencier son procédé du procédé breveté ".

[3]      Force m"est donc de conclure que toute vente par Apotex de cisapride fabriqué selon le procédé Torcan contreferait le brevet 847. L"allégation de non-contrefaçon d"Apotex n"est donc pas fondée.

[4]      Je vais donc rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à tout comprimé de monohydrate de cisapride fabriqué selon le procédé de Torcan et/ou le procédé prévu dans la PDN tant que le brevet 847 ne sera pas expiré.

[5]      Je vais également adjuger leurs dépens aux demanderesses.


     Marc Nadon

     _________________________

     JUGE






CALGARY (Alberta)

Le 7 février 2000.



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     ANNEXE A

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     ANNEXE A

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     ANNEXE B

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     ANNEXE B

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     ANNEXE C

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Date : 0702000


T-1970-94

CALGARY (ALBERTA), LE 7 FÉVRIER 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

E n t r e :

     JANSSEN PHARMACEUTICA INC. et

     JANSSEN PHARMACEUTICA naamloze vennootschap

     demanderesses

     - et -

     APOTEX INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

     défendeurs

     ORDONNANCE

     La Cour interdit au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à tout comprimé de monohydrate de cisapride fabriqué selon le procédé de Torcan et/ou le procédé prévu dans la PDN tant que le brevet 1 183 847 ne sera pas expiré.

     Les demanderesses ont droit à leurs dépens.

     Marc Nadon

     _________________________

     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  T-1970-94/T-1542-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Janssen Pharmaceutica Inc. et autre c. Apotex Inc. et autre
LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATES DE L"AUDIENCE :          15 décembre 1998 - 18 décembre 1998
                     14 janvier 1999 - 15 janvier 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le juge Nadon en date du lundi 7 février 2000


ONT COMPARU :

Me Anthony Creber                      pour la demanderesse

Me Jennifer Wilkie

Me Harry Ramonski                      pour la défenderesse Apotex Inc.

Me Ivor Hughes

Me R. Woyiwada                          pour le ministre défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson              pour la demanderesse

Ottawa (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineber              pour la défenderesse Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

Me Maurice Rosenberg                  pour le ministre défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Les modifications et les raisons qui ont amené les demanderesses à les apporter ne nous intéressent pas en l"espèce.

2      [DORS 93-133] Voir l"examen que le juge Campbell fait des dispositions pertinentes du Règlement dans le jugement Merck Frosst Canada Inc. et autres c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autre, 160 F.T.R. 161, aux pages 162 à 164, paragraphes 2 à 11.

3      Le procédé qu"Apotex affirme qu"elle utilisera, si le ministre lui délivre un avis de conformité, est désigné en l"espèce sous le nom de procédé Torcan révisé dans l"exposé des faits et du droit des demanderesses et de procédé Torcan dans l"exposé des faits et du droit d"Apotex. Ainsi, en l"espèce, le procédé Torcan et le procédé Torcan révisé sont un seul et même procédé. Un autre procédé mentionné en l"espèce est celui dont parle Apotex dans sa présentation de drogue nouvelle (le procédé de la PDN). Il n"a pas été contesté devant moi que le procédé de la PDN contrefait le brevet 847. En conséquence, la seule question à trancher en l"espèce est celle de savoir le le procédé Torcan ou le procédé Torcan révisé contrefait le brevet 847.

4      41(1)      Lorsqu'il s'agit d'inventions couvrant des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne doit pas comprendre les revendications pour la substance même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.

5      Les chiffres romains de référence utilisés par Victor Snieckus correspondent aux figures présentées dans le brevet 847.

6      La pièce F de l'affidavit de Victor Snieckus est reproduite à l'annexe A des présents motifs.

7      La réaction d'acylation a été désignée par les divers experts comme étant une substitution nucléophile, une condensation, une acylation en N ou une réaction de substitution nucléophile par un acyle.

8      La pièce I de l'affidavit de Victor Snickus est reproduite à l'annexe B des présents motifs.

9      Ces deux feuilles sont les pièces Q et R.

10      La pièce Q de l'affidavit de Victor Snieckus est reproduite à l'annexe C des présents motifs.

11      La citation est du juge Richard dans le jugement Pfizer, paragraphe 96.

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