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Date : 20040415

Dossier : IMM-1076-03

Référence : 2004 CF 569

ENTRE :

                                             OLEKSANDR DEMYA SHEREMETOV

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision du tribunal de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 5 février 2003, dans laquelle l'arbitre a autorisé le ministre à retirer sa demande de procéder à une enquête, malgré les objections de M. Sheremetov.


[2]                M. Sheremetov, qui est originaire d'Ukraine, détient le statut de résident permanent au Canada depuis décembre 1999. En mars 2002, un agent d'immigration a transmis au sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, conformément à l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. 12, modifiée, un rapport dans lequel il l'informait qu'il estimait que, suivant la prépondérance de la preuve, M. Sheremetov avait commis un acte qui constituait l'infraction criminelle de fraude selon le code criminel ukrainien. S'il avait été commis au Canada, l'acte en question aurait constitué une infraction à l'alinéa 362(1)c) du Code criminel du Canada punissable d'un emprisonnement maximal de dix ans.

[3]                Il s'ensuit que si l'enquête débouchait sur une décision défavorable, M. Sheremetov pourrait être renvoyé du Canada, une perspective très désagréable pour lui étant donné qu'il s'est établi au Canada avec sa femme et leurs deux enfants, qu'il travaille ici et qu'il souhaite devenir un citoyen canadien. Il veut régulariser sa situation.

[4]                Le rapport de l'agent d'immigration était basé sur un rapport établi par le bureau du procureur du district de Jovtnevy d'Odessa (Ukraine), selon lequel M. Sheremetov avait, avec d'autres personnes, fraudé la banque commerciale de dépôt par actions Investbank. La prétendue fraude consistait à soumettre à la banque deux fausses déclarations concernant l'inventaire d'une société avec laquelle M. Sheremetov entretenait des relations. Les déclarations en question auraient amené la banque à avancer des fonds à la société.


[5]                Par conséquent, une ordonnance de détention a été rendue à l'encontre de M. Sheremetov, qui a été libéré après avoir versé une caution de 8 000 $ et à la condition de se présenter en personne à un lieu convenu une fois par semaine. Il doit désormais le faire une fois par mois, et cette exigence pourrait être assouplie davantage. M. Sheremetov conteste avec véhémence la validité des accusations criminelles qui ont été portées contre lui en Ukraine. Plus particulièrement, il nie avoir signé quelque déclaration que ce soit au cours de la période en cause, et il demande sans cesse la production des documents qu'il est censé avoir signés.

[6]                M. Sheremetov a reçu un avis de convocation à une enquête, qui devait tout d'abord avoir lieu le 20 septembre 2002. La transcription de l'audience de mise au rôle devant la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié révèle qu'on devait y fixer la date de l'enquête. Selon la transcription, l'avocat de M. Sheremetov a dit qu'il souhaitait que l'enquête ait lieu au plus tôt et que le ministre ne lui avait toujours pas communiqué les documents qu'il lui demandait depuis quelques mois.

[7]                À la reprise de l'enquête le 6 novembre 2002, les deux parties ont demandé un ajournement parce qu'elles étaient toutes les deux d'avis que certaines questions devaient être réglées avant l'enquête.

[8]                Lorsque le temps de procéder sur le fond est finalement arrivé le 5 février 2003, le ministre a retiré sa demande. L'avocat de M.Sheremetov s'est opposé au retrait. Le retrait a été autorisé conformément à l'article 5 des Règles de la Section de l'immigration prises en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés actuelle, L.C. 2001, ch. 27. L'article en question est rédigé comme suit :


5(1) Il y a abus de procédure si le retrait de la demande du ministre de procéder à une enquête aurait vraisemblablement un effet néfaste sur l'intégrité de la Section. Il n'y a pas abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire.

5(1) Withdrawal of a request for an admissibility hearing is an abuse of process if withdrawal would likely have a negative effect on the integrity of the Division. If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, withdrawal of a request is not an abuse of process.

(2) Dans le cas où aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire, le ministre peut retirer sa demande en avisant la Section soit oralement lors d'une procédure, soit par écrit. S'il le fait par écrit, il transmet une copie de l'avis à l'autre partie.

(2) If no substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister may withdraw a request by notifying the Division orally at a proceeding or in writing. If the Minister notifies in writing, the Minister must provide a copy of the notice to the other party.                         

(3) Dans le cas où des éléments de preuve de fond ont été acceptés dans le cadre de l'affaire, le ministre, pour retirer sa demande, en fait la demande par écrit à la Section

(3) If substantive evidence has been accepted in the proceedings, the Minister must make a written application to the Division in order to withdraw a request.

[9]                L'arbitre a mentionné qu'aucun élément de preuve n'ayant été accepté, la demande de retrait ne constituait pas un abus de procédure. Elle a ajouté : _ À mon avis, bien qu'il s'agisse d'une période assez longue, le temps qui s'est écoulé n'est pas excessif au point de constituer en lui-même un abus de procédure. _    

[10]            M. Sheremetov a obtenu l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision.

[11]            Le problème auquel il est confronté est exposé à l'article 6 des Règles, qui énonce :

6(1) Le ministre peut demander par écrit à la Section de rétablir la demande de procéder à une enquête qu'il a faite et ensuite retirée.

6(1) The Minister may make a written application to the Division to reinstate a request for an admissibility hearing that was withdrawn.


(2) La Section accueille la demande soit sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle, soit s'il est par ailleurs dans l'intérêt de la justice de le faire.

(2) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice or if it is otherwise in the interests of justice to allow the application.

[12]            Le paragraphe 7(1) est également pertinent en l'espèce. Il édicte :

7(1) Si, après enquête, la décision de la Section est favorable au résident permanent ou à l'étranger, le commissaire qui rend la décision date et signe un avis de décision et en transmet une copie aux parties.

7(1) If the decision at the conclusion of an admissibility hearing is in favour of the permanent resident or foreign national, the member making the decision must date and sign a notice of decision and provide a copy to the parties.

[13]            En effet, on n'a fait que surseoir aux accusations contre M. Sheremetov, qui n'ont pas été rejetées. M. Sheremetov souhaite défendre sa réputation, ses perspectives d'emploi étant effectivement quelque peu diminuées tant que la présente affaire n'est pas réglée. Il fait valoir qu'en tant que résident permanent du Canada, sa liberté est atteinte sans qu'il ne puisse bénéficier d'une application régulière de la loi, le tout en violation de la Charte. Il sollicite également une ordonnance de mandamus enjoignant à l'arbitre de contraindre le ministre à procéder à l'enquête sans délai, ou une ordonnance de certiorari écartant la demande d'examen des motifs de la détention, ainsi qu'une ordonnance d'interdiction enjoignant à l'agent d'immigration de ne prendre aucune autre mesure.

[14]            Au point où en sont les choses, le ministre peut demander le rétablissement de la demande de procéder à une enquête.

[15]            Pour déterminer la norme de contrôle applicable, il faut se demander s'il s'agit d'une décision qui porte sur une question mixte de fait et de droit ou d'une décision ayant uniquement trait à une question de droit. Dans le premier cas, la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans le deuxième cas, c'est la norme de la décision correcte qui s'applique (Sogi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1836 (le juge MacKay); Hussenu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 344 (le juge Russell); Poonawalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 447 (le juge Blais).


[16]            La question de l'interprétation correcte de l'article 5 des Règles est une question de droit. L'arbitre a eu raison de conclure que les deux phrases du paragraphe 5(1) des Règles doivent être interprétées ensembles. Même si le retrait d'une demande ne constitue pas en soi un abus de procédure si aucun élément de preuve de fond n'a été accepté dans le cadre de l'affaire, il ne s'ensuit pas qu'un tel retrait ne peut pas avoir un effet néfaste sur l'intégrité de la Section. L'arbitre était d'avis que le retrait de la demande ne constituait pas un abus de procédure parce qu'il n'y avait pas eu de délais excessifs. Cela est exact. Toutefois, elle n'a pas tenu compte du fait que les documents que M. Sheremetov était censé avoir signés et qui sont au coeur des accusations criminelles qui ont été portées contre lui en Ukraine n'ont pas été produits. Soit ces documents existent, soit ils n'existent pas. Si l'arbitre avait tenu compte de cet élément et du fait qu'aucune limite n'avait été imposée au ministre quant au délai à l'intérieur duquel il pouvait décider de demander le rétablissement de la demande de procéder à une enquête, elle aurait ajourné l'enquête et entendu les observations des parties concernant l'établissement d'une nouvelle date. Elle aurait également pu autoriser le retrait de la demande tout en fixant le délai à l'intérieur duquel une demande de rétablissement pouvait être présentée.

[17]            Les autorités ukrainiennes ont-elles fourni au ministre une copie des documents que M. Sheremetov aurait signés? Dans la négative, elles n'ont aucun recours contre le demandeur. Dans l'affirmative, pourquoi les cacher? S'il avait eu besoin de plus de temps, le ministre aurait pu demander un ajournement. Le ministre n'a toujours pas demandé le rétablissement de la demande de procéder à une enquête, bien qu'une autre année se soit écoulée. Passé un certain point, les délais excessifs deviennent un abus de procédure et empiètent sur les droits garantis par la Charte. Voir Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 CF 33 (la juge Tremblay-Lamer); Rabbat c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 CF 46 (le juge Denault); Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307. Il vaudrait mieux ne pas permettre qu'il y ait des délais excessifs du tout.

[18]            Pour ces motifs, j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire et je renverrai l'affaire à la même arbitre pour qu'elle fixe une nouvelle date d'enquête ou pour qu'elle établisse un délai raisonnable à l'intérieur duquel le ministre pourra demander le rétablissement de sa demande de procéder à une enquête.

[19]            Les parties et la Cour ont discuté de l'opportunité de certifier une question à l'intention de la Cour d'appel fédérale. Il a été convenu que les présents motifs allaient être transmis aux parties avant la délivrance de l'ordonnance pour leur donner la possibilité de proposer, de préférence conjointement, une ou des questions aux fins de certification. Les parties auront jusqu'au 28 avril 2004 pour présenter leurs observations écrites à cet égard.

_ Sean Harrington _

                                                                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 15 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1076-03

INTITULÉ :                                                                OLEKSANDR DEMYA SHEREMETOV

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 15 AVRIL 2004

COMPARUTIONS:

Edmund Peterson                                                          POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Edmund Peterson                                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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