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Date : 20030225

Dossier : IMM-5721-01

Référence neutre : 2003 CFPI 229

Ottawa (Ontario), le mardi 25 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

Entre :

                                                MOHAMMAD ASHRAF CHAUDHRY

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                                               LE MINISTRE DE LA

                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agent du service extérieur J. Crowther qui avait refusé à M. Chaudry la résidence permanente à titre d'immigrant indépendant. La résidence permanente lui a été refusée parce qu'il n'avait obtenu que 41 des 70 points d'appréciation requis pour que sa demande soit acceptée. L'agent n'a pas jugé qu'il se devait d'exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire.


[2]                 L'avocat du demandeur a demandé à l'agent d'exercer favorablement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978. Le paragraphe 11(3) est ainsi rédigé :


11.

11.

[...]

[...]

(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


L'agent a mis en équilibre d'une part les antécédents professionnels du demandeur au Canada et l'offre permanente d'emploi qu'il avait en main, et d'autre part sa mauvaise maîtrise de la langue et sa capacité de s'adapter à une perte d'emploi. Il a jugé que le dossier ne l'autorisait pas à exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire.


[3]                 Le demandeur voudrait que la Cour annule la décision de l'agent. Il affirme que l'agent a eu tort de ne lui accorder aucun point d'appréciation pour le facteur professionnel et seulement quatre points pour la personnalité. Il soutient qu'il aurait dû obtenir 10 points d'appréciation pour chacun de ces facteurs.

ANALYSE

[4]                 Je suis d'avis que l'agent des visas a commis une erreur de droit lorsqu'il a accordé au demandeur zéro point d'appréciation pour le facteur professionnel au lieu de 10 points. Le demandeur avait une offre validée d'emploi dans une profession à laquelle la CNP attribue une « cote IEF égale ou supérieure à cinq » , ce qui veut dire une forte demande.


[5]                 Le demandeur, un poseur de sols en terrazzo très qualifié, travaille actuellement au Canada et gagne environ 85 000 $ par an, y compris les avantages sociaux. Son employeur à Toronto est bien établi, il peut justifier de plusieurs grands projets qui dureront de nombreuses années et il a écrit que le demandeur « est devenu un actif indispensable pour notre entreprise et notre équipe » et que « son travail dans notre entreprise est essentiel pour nos activités et pour notre aptitude à remplir nos obligations contractuelles, à court terme comme à long terme » . Le syndicat canadien du demandeur a confirmé ses titres de compétence, en ajoutant que la demande pour ses spécialités est « extrêmement forte » à Toronto. Voici ce qu'écrit le syndicat :

[traduction] Les poseurs de terrazzo sont très demandés dans notre région. À l'heure actuelle, il y a dans notre section locale environ 20 poseurs de terrazzo. Cependant, de nombreux grands travaux de construction qui requièrent des poseurs de terrazzo nécessitent jusqu'à sept ou dix poseurs pour que le travail soit effectué correctement. De plus, nombre des poseurs de terrazzo qui sont actuellement qualifiés approchent de l'âge de la retraite. Par conséquent, nous prévoyons que la région de Toronto aura un besoin sans cesse croissant de poseurs de terrazzo qualifiés et expérimentés.

[...] Nous croyons savoir que M. Chaudhry est allé à l'école de métiers pour une évaluation dans le domaine du terrazzo. Nous croyons qu'il a obtenu de très bons résultats et qu'il s'est donc révélé un poseur de terrazzo qualifié. Étant donné la pénurie de travailleurs qualifiés ayant ses compétences, nous appuyons sa demande de validation professionnelle.

[6]                 La décision de l'agent des visas n'est pas raisonnable parce qu'elle ne résiste pas à un « examen assez poussé » . L'agent des visas s'est exprimé ainsi :

[traduction] Cependant, il faut également, à mon avis, considérer votre employabilité si vous deviez perdre votre emploi actuel pour cause d'invalidité ou de licenciement pour raisons économiques. Étant donné la nature physiquement exigeante de votre travail, une telle perspective n'est pas impensable. Si vous deviez perdre votre emploi, il vous faudrait recourir à d'autres habiletés professionnelles, à un développement éducatif, et surtout à un perfectionnement linguistique pour pouvoir trouver un autre emploi.

[7]                 Une telle éventualité n'est pas un fondement raisonnable pour refuser la demande. Dans un avenir prévisible, les besoins en poseurs de terrazzo ne feront qu'augmenter. Il est improbable que le demandeur soit en quête d'un emploi par manque de possibilités. Les travailleurs qualifiés dans ce domaine approchent de l'âge de la retraite et, comme l'a dit le syndicat, le Canada est « désespérément » en quête de personnes ayant les compétences du demandeur.

[8]                 Eu égard au niveau de compétence du demandeur, les probabilités d'une incapacité pour cause d'accident sur le lieu de travail sont faibles. Les poseurs de terrazzo n'exercent pas des activités dangereuses. Il est excessif pour l'agent des visas de s'en remettre à cette éventualité éloignée pour refuser le demandeur au titre du paragraphe 11(3) du Règlement.

[9]                 Dans l'affaire Chand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. n ° 1447, le juge Cullen (tel était alors son titre) avait examiné une situation très semblable et avait statué en faveur du demandeur, au paragraphe 18:

En outre, l'avis de l'agente des visas selon lequel il se pourrait que le demandeur perde son emploi dans un avenir prochain n'est tout simplement pas fondé; il ne s'agit que d'une supposition non pertinente. Aucun élément du dossier ne permet d'étayer cette prétention; en fait, l'employeur du demandeur a produit une lettre de recommandation indiquant qu'il était satisfait du rendement du demandeur et garantissant qu'il avait l'intention d'avoir recours aux services de ce dernier aussi longtemps qu'il voudrait bien travailler pour lui.

¶ 19 Même si le demandeur perdait son emploi, la profession qu'il exerce est grandement en demande au Canada, ce qui justifie que le nombre maximal de points d'appréciation lui soit accordé au titre du facteur de la demande dans la profession.

¶ 20 Le demandeur a démontré qu'il s'était établi avec succès au Canada du point de vue économique.


[10]            La jurisprudence est quelque peu contradictoire en ce qui a trait à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas selon le paragraphe 11(3) du Règlement. Dans certaines affaires, la Cour a jugé que ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé à moins que le demandeur ne soit « prêt » d'obtenir le nombre normalement requis de points d'appréciation, en l'occurrence 70 points ici. Voir Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. n ° 528, au paragraphe 21, Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. n ° 48, au paragraphe 9, et Mamun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. n ° 141, au paragraphe 10. Le demandeur était loin d'obtenir ce nombre de points d'appréciation, mais l'agent des visas a commis une erreur dans l'évaluation d'au moins un facteur. Les circonstances particulières de cette affaire font qu'un nouvel agent des visas devrait réévaluer le demandeur à la suite d'une entrevue en règle.

[11]            Le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas selon le paragraphe 11(3) du Règlement consiste à délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'a pas obtenu le nombre de points d'appréciation si, à son avis, il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier de réussir son installation au Canada. Dans l'arrêt Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] 1 C.F. 639, confirmé [1995] 1 R.C.S. 725, le juge Robertson avait estimé que, pour savoir si une personne est en mesure ou non de s'établir avec succès selon ce que prévoit le paragraphe 11(3), « on doit ne tenir compte que des facteurs qui influent sur sa capacité de gagner sa vie » . Si l'on applique ce critère, alors le demandeur s'est déjà établi avec succès au Canada en ce qui a trait à sa capacité de gagner sa vie.


[12]            Le marché du travail au Canada connaît des pénuries dans des domaines clés, notamment une pénurie de travailleurs qualifiés du bâtiment. Des travailleurs très qualifiés tels que le demandeur sont nécessaires pour la prospérité économique du Canada. Les bureaux des visas à l'étranger doivent évaluer à la lumière de cette demande élevée leurs titres de compétence et leurs références étrangères. Ces considérations éclairent différemment leurs « qualités personnelles » et la « probabilité pour eux de réussir leur installation au Canada » .

[13]            Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la demande, d'annuler la décision de l'agent des visas et de renvoyer l'affaire à un autre agent des visas pour une nouvelle entrevue et une nouvelle évaluation.

[14]            Les avocats n'ont pas proposé de questions à certifier, et la Cour admet que la présente affaire ne soulève pas de questions graves de portée générale qui méritent d'être certifiées en vue d'un appel.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour une nouvelle entrevue et une nouvelle évaluation.

                                                                                                                                     « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS

DOSSIER :                                            IMM-5721-01

INTITULÉ :                                           MOHAMMAD ASHRAF CHAUDHRY

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MARDI 11 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                        LE MARDI 25 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

M. Stephen W. Green                                                     pour le demandeur

Mme Patricia MacPhee                                                     pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Stephen W. Green                                                     pour le demandeur

Green & Spiegel

Avocats

121, rue King ouest, bureau 2200

Toronto ON    M5H 3T9

Morris Rosenberg                                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20030225

Dossier : IMM-5721-01

ENTRE :

MOHAMMAD ASHRAF CHAUDHRY

                                                                       demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 

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