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Date : 20030127

Dossier : IMM-5261-01

Référence neutre : 2003 CFPI 81

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

ENTRE :

                                                            BENIAMIN DRAGOSIN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, suivant l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, d'une mesure d'exclusion prise contre le demandeur le 5 novembre 2001 par une agente d'immigration du bureau de Halifax, en Nouvelle-Écosse. La demande a été entendue à Halifax en même temps qu'une demande similaire présentée par Gabriel Patrasc arrivé à Halifax au même moment que le demandeur et dans des circonstances comparables à celles touchant M. Dragosin.

[2]                 Le demandeur est un citoyen roumain âgé de 23 ans qui est arrivé au Canada, au port de Halifax, le 3 novembre 2001, en tant que passager clandestin sur un cargo en provenance d'Espagne. Il n'avait pas de passeport ni de visa d'immigrant. Il a prétendu détenir un passeport roumain, mais qu'il l'avait laissé en Espagne.

[3]                 Un membre d'une église locale a conduit le demandeur, à sa descente de cargo à Halifax, au bureau de Citoyenneté et Immigration, lequel était fermé, puis au bureau de la police locale. Les policiers ont pris des dispositions pour qu'une entrevue avec un agent d'immigration soit tenue le même jour.

[4]                 Lors de l'entrevue, les agents de CIC ont rempli un questionnaire relatif aux passagers clandestins et ont interrogé longuement le demandeur. Le demandeur affirme dans son affidavit qu'il a mentionné aux agents de CIC, au cours de cette première entrevue, qu'il souhaitait avoir l'assistance d'un avocat et qu'un agent de CIC lui a dit que des dispositions seraient prises à cet égard. À la fin de l'entrevue, un agent de CIC a pris une mesure afin que le demandeur soit retenu au centre correctionnel de Halifax, suivant les dispositions de l'alinéa 103.1a) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (la Loi).


[5]                 Le 5 novembre 2001, des agents de CIC ont de nouveau interrogé le demandeur. Le demandeur affirme dans son affidavit qu'il n'avait pas à ce moment encore été en relation avec un avocat. Il affirme en outre qu'il a réitéré ses déclarations antérieures selon lesquelles il souhaitait avoir l'assistance d'un avocat et il craignait de retourner en Roumanie où il avait été convoqué pour faire le service militaire obligatoire. Le demandeur affirme en outre dans son affidavit qu'il a déclaré lors de cette entrevue qu'il était venu au Canada en ayant l'intention de revendiquer le statut de réfugié et qu'il craignait de retourner en Roumanie.

[6]                 Dans son affidavit déposé au soutien de la position du défendeur, l'agente Connors de CIC déclare que le demandeur n'a pas dit qu'il craignait d'être persécuté pour l'un des motifs énoncés dans la définition de statut de réfugié et que jamais elle n'a pensé que le demandeur revendiquait le statut de réfugié au sens de la Convention. Dans les notes manuscrites jointes à son affidavit, notes prises au cours des deux entrevues avec le demandeur, l'agente mentionne que le demandeur a, de façon répétée, affirmé qu'il aurait une meilleure vie au Canada et qu'il craignait le service militaire obligatoire dans l'armée roumaine.

[7]                 À la suite de l'entrevue tenue le 5 novembre, l'agente Connors a pris la mesure d'exclusion contre le demandeur en déclarant qu'il ne remplissait pas les conditions prévues au paragraphe 19(2) de la Loi étant donné qu'il n'avait ni un passeport valide ni un visa d'immigrant.


[8]                 Le demandeur a obtenu l'assistance d'un avocat au dernier moment avant la révision des motifs de la garde le 8 novembre 2001. Dans son affidavit, le demandeur déclare que l'échange lors de la révision des motifs de la garde qui a eu lieu par téléconférence était difficile parce que les communications téléphoniques étaient mauvaises et qu'elles étaient coupées de façon répétée. Néanmoins, l'avocat du défendeur a effectivement établi, pour les besoins de la Cour, les préoccupations du demandeur à l'égard de la persécution qu'il pourrait subir s'il était renvoyé en Roumanie et ses doutes à l'égard de l'omission de CIC d'avoir aidé le demandeur à obtenir l'assistance d'un avocat en dépit de ses demandes au cours des entrevues précédentes.

[9]                 Deux questions sont soulevées à l'égard de la mesure d'exclusion prise contre le demandeur : (1) A-t-on de façon inadéquate refusé au demandeur l'assistance d'un avocat lors des entrevues et de l'aide pour se préparer à la révision des motifs de la garde? (2) Les agents d'immigration ont-ils commis une erreur lorsqu'ils n'ont pas correctement identifié que la crainte qu'exprimait le demandeur, dans l'éventualité où il était forcé de retourner en Roumanie, était le fondement d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention?


[10]            Une autre question soulevée est celle de savoir si la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR), qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002, s'applique à la présente affaire ou si cette affaire doit être tranchée suivant l'ancienne Loi sur l'immigration (la Loi) qui s'appliquait au moment où la mesure d'exclusion a été prise et où la demande de contrôle judiciaire a été déposée. Les avocats des parties mentionnent qu'il n'existe pas de différences importantes entre les deux lois puisque suivant ces deux lois la procédure de demande de contrôle judiciaire est sensiblement la même, bien qu'il existe entre les deux lois des différences dans la procédure de détermination des revendications du statut de réfugié. Il semble clair à la lecture du paragraphe 348(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR) et de l'article 190 de la LIPR que la présente demande est régie par la LIPR, mais le paragraphe 348(6) du RIPR prévoit que la légalité d'une décision ou d'une mesure prise sous le régime de la Loi doit être décidée sous le régime de la Loi.

Assistance d'un avocat

[11]            Le demandeur prétend que bien qu'il n'existe pas de droit général à l'assistance d'un avocat lors des entrevues tenues par un agent de CIC à un point d'entrée, un droit à l'assistance d'un avocat est, suivant l'article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.) 1982, ch. 11 (la Charte), garanti à « chacun » en cas d'arrestation ou de détention. Ce droit s'étend à toute personne au Canada, indépendamment de son statut selon le principe énoncé dans l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177.

[12]            Dans son affidavit, le demandeur déclare qu'un agent de CIC lui a laissé entendre qu'il prendrait des dispositions pour qu'il obtienne l'assistance d'un avocat et que ce n'est qu'après qu'aucun avocat ne s'est présenté, après que la mesure d'exclusion eut été prise, qu'il a personnellement fait des démarches à cet égard. Le demandeur affirme que les agents de CIC ne lui ont pas donné de renseignements quant aux services juridiques qu'il pouvait obtenir, tels que ceux offerts à la Halifax Refugee Clinic ou à l'aide juridique, et que ce n'est que par un autre détenu au centre correctionnel qu'il a pu trouver un avocat.


[13]            Le défendeur prétend que le demandeur n'avait pas le droit d'avoir l'assistance d'un avocat lors de la première entrevue. À cet égard, il s'appuie sur l'arrêt Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1993] 1 R.C.S. 1053, dans lequel M. le juge Iaccobucci déclare clairement qu'une première entrevue par les agents d'immigration ne déclenche pas le droit à l'assistance d'un avocat suivant l'article 10 de la Charte. La position du défendeur est que le droit du demandeur à l'assistance d'un avocat n'a été acquis que lorsque la mesure d'exclusion a été prise le 5 novembre.

[14]            Les faits en l'espèce diffèrent de manière importante de ceux de l'arrêt Dehghani à deux égards. Dans l'arrêt Dehghani, l'intéressé a subi un interrogatoire par un agent qui a ensuite confié la fin de l'interrogatoire à un autre agent avant d'envoyer l'intéressé dans une autre zone de l'aéroport Pearson où il a attendu pendant quatre heures avant de subir le deuxième interrogatoire. En l'espèce, M. Dragosin a attendu deux jours pendant lesquels il a été retenu dans un centre régional de détention. Il a ensuite été interrogé une fois de plus le 5 novembre. Cet interrogatoire a été tenu par un agent principal.

[15]            La Loi permet, suivant son paragraphe 12(3), à un agent d'immigration de retenir une personne une fois que l'interrogatoire a débuté. Le paragraphe 103.1(1) prévoit qu'un agent d'immigration peut retenir une personne cherchant à entrer au Canada lorsque, notamment, elle est incapable d'établir son identité. Le paragraphe 103.1(14) prévoit que toute personne détenue doit être informée qu'elle a le droit de se faire représenter par un avocat. Le demandeur fonde en outre sa prétention sur le Guide de Citoyenneté et Immigration Canada intitulé Guide d'Exécution de la Loi et Contrôle qui énonce les directives de CIC selon lesquelles les agents d'immigration doivent informer les personnes détenues de leur droit d'obtenir l'assistance d'un avocat et doivent les aider à obtenir cette assistance. Ce même principe a depuis longtemps été reconnu dans les cas où une personne est détenue relativement à accusation criminelle (voir R. c. Brydges [1990] 1 R.C.S. 190, et R. c. Posniak [1994] 3 R.C.S. 310).


[16]         À mon avis, en l'espèce, le droit du demandeur à l'assistance d'un avocat est né au moment où une mesure a été prise afin qu'il soit retenu au centre correctionnel régional. Les agents d'immigration qui ont pris des dispositions afin qu'il soit retenu avaient l'obligation suivant le paragraphe 103.1(14) de l'informer qu'il avait droit à l'assistance d'un avocat et de l'aider à obtenir cette assistance. L'omission à cet égard constitue une erreur de droit et, sans trancher définitivement l'affaire, il appert que l'omission d'avoir aidé le demandeur à obtenir l'assistance d'un avocat dans les circonstances ne respectait pas le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en cas de détention qui est un droit garanti à chacun au Canada, y compris au demandeur, suivant l'article 10 de la Charte.

Les éléments essentiels d'une revendication du statut de réfugié

[17]            La deuxième question en litige soulevée touche les éléments essentiels d'une revendication du statut de réfugié et la responsabilité qu'a un agent d'immigration au point d'entrée d'identifier une revendication. Cette responsabilité est reconnue dans les cas où une revendication qui établit l'existence des éléments essentiels d'une revendication du statut de réfugié est présentée.


[18]         La preuve par affidavit de l'agente d'immigration établit que le demandeur n'a pas revendiqué le statut de réfugié au cours des entrevues. Cette preuve serait appuyée par les notes de l'agente prises lors des entrevues et déposées avec son affidavit. La preuve par affidavit du demandeur établit qu'il est venu au Canada en ayant l'intention de revendiquer le statut de réfugié et qu'au cours des interrogatoires il a exprimé son désir de demeurer au Canada et sa crainte de retourner en Roumanie. La crainte qu'a exprimée le demandeur est énoncée dans les notes de l'agente, mais elle est mentionnée comme une crainte liée au service militaire obligatoire en Roumanie auquel le demandeur avait été convoqué. Les deux parties renvoient à des remarques précises des notes de l'agente qui appuient leur position respective.

[19]            Il peut être reconnu que le demandeur n'a pas exprimé de crainte liée à l'un des motifs en particulier de la Convention. Du moins, il n'existe pas de preuve qu'il l'a fait. À mon avis, il n'est pas nécessaire de décider si, compte tenu du dossier des entrevues, tel qu'il existe, la décision de l'agente de prendre une mesure d'exclusion peut être considérée comme raisonnable, ou selon ce que le demandeur prétend, comme manifestement déraisonnable compte tenu de la crainte qu'il avait exprimée. En outre, il ne serait pas approprié pour la Cour de trancher cette question maintenant si la question doit être examinée plus à fond, selon ce que l'ordonnance rendue en l'espèce prévoit, par un autre agent d'immigration qui évaluera le statut du demandeur. Cette évaluation peut en partie être faite sur l'examen du dossier et en partie être faite au moyen d'un autre interrogatoire du demandeur.

[20]            À mon avis, la mesure d'exclusion prise le 5 novembre doit être annulée en raison de l'omission des agents alors en cause d'avoir aidé le demandeur à obtenir l'assistance d'un avocat après qu'il eut été décidé de le retenir au centre correctionnel régional le 3 novembre 2001. Je rends donc une ordonnance à cet égard et j'ordonne qu'un autre agent d'immigration procède à un nouvel examen des circonstances touchant le demandeur.


[21]            Aucune des parties n'a proposé de question grave de portée générale suivant l'alinéa 74d) de la LIPR. Aucune question n'est certifiée.

« W. Andrew MacKay »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-5261-01

INTITULÉ :                                        BENIAMIN DRAGOSIN

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Halifax (Nouvelle -Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le mardi 17 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge MacKAY

DATE DES MOTIFS :                      Le lundi 27 janvier 2003

COMPARUTIONS :

                                                               Lee Cohen

POUR LE DEMANDEUR

Melissa Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                               M. Lee Cohen

C.P. 304, Halifax CRO

Halifax (Nouvelle-Écosse)

B3J 2N7

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Pièce 1400, Tour Duke 5251, rue Duke

Halifax (Nouvelle-Écosse)

B3J 1P3

POUR LE DÉFENDEUR

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