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Date : 19980624

 

Dossier : T‑572‑93

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 JUIN 1998.

 

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE CULLEN

 

ENTRE :

 

 

                   047438 N. B. INC., personne morale,

                   faisant affaire sous le nom de

                   BILL WEST REG'D.,

 

                                             demanderesse,

 

                            et

 

 

                   SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                             défenderesse.

 

                         JUGEMENT

 

          VU l'audition des témoignages présentés, la lecture des documents déposés et l'audition de l'argumentation des avocats de la demanderesse et de la défenderesse;

 

          IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ que l'appel soit rejeté, avec dépens contre la défenderesse.

 

 

 

                                                       B. Cullen         

                                                         J.C.F.C          

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Martine Brunet, LL.B.


 

 

 

Date : 19980624

 

Dossier : T‑572‑93

 

 

 

ENTRE :

 

 

                   047438 N. B. INC., personne morale,

                   faisant affaire sous le nom de

                   BILL WEST REG'D.,

 

                                             demanderesse,

 

 

                            et

 

 

                   SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                             défenderesse.

 

 

 

                    MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE CULLEN :


 


 

[1]  La demanderesse interjette appel en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, de la décision du ministre, datée du 27 novembre 1991. Cette décision a confirmé que les appareils de loterie vidéo (les ALV) de la demanderesse, importés en décembre 1990 et destinés à être utilisés pour la loterie vidéo du Nouveau-Brunswick, étaient des [TRADUCTION] « articles de jeu ou d'amusement, à pièces de monnaie » et étaient assujettis à une taxe conformément à l'article 23 et à l'article 2 de l'Annexe 1 de la Loi sur la taxe d'accise.

 

 

Contexte

[2]  Le système de loterie vidéo a été institué au Nouveau-Brunswick en décembre 1990 par la promulgation du Règlement sur les systèmes de loterie vidéo - Loi sur les loteries, Règlement 90-142 (le Règlement) du Nouveau-Brunswick. En vertu du Règlement, la Société des loteries de l'Atlantique (la Société) a reçu le mandat de gérer et de diriger la loterie informatisée et d'opérer un système central d'informatique. La Société a quatre actionnaires, soit les commissions de loterie de chacune des quatre provinces de l'Atlantique.

 

[3]  Au Nouveau-Brunswick, les ALV appartiennent à des particuliers qui les installent, les entretiennent et les réparent en contrepartie d'un pourcentage prédéterminé du produit net d'un ALV en particulier. Le reste est distribué entre le propriétaire de l'endroit où se trouve l'appareil et la Commission des loteries du Nouveau-Brunswick. Les propriétaires de ALV doivent être agréés en vertu du Règlement comme membres de l'Association des opérateurs de machine automatique du Nouveau-Brunswick (l'AOMANB) afin de pouvoir offrir les services de leurs appareils à la Société. Cette dernière fixe les caractéristiques des appareils utilisés pour la loterie et tous les appareils doivent lui être livrés directement pour qu'elle les inspecte et les approuve, avant leur installation et leur utilisation. Une fois l'appareil approuvé, le propriétaire l'installe dans un endroit autorisé et installe des lignes téléphoniques pour relier l'ordinateur central de la Société à cet endroit.

 

[4]  Le Règlement définit les caractéristiques essentielles d'un appareil de jeu vidéo dont la Société peut se servir à l'article 6 :

 

6 Un appareil de jeu vidéo utilisé dans le cadre d'un système de loterie vidéo doit avoir les caractéristiques suivantes :

 

a)  il doit diviser l'argent qu'il accepte en crédits de vingt-cinq cents, de dix cents ou de cinq cents;

 

b)  il ne peut accepter de mises de plus d'un crédit;

 

c)  il ne peut exposer un joueur au risque de perdre en une seule fois des crédits dépassant une valeur de deux dollars et cinquante cents;

 

d)  il doit permettre à un joueur à tout moment de retirer pour fins de paiement ou de remboursement les crédits accumulés ou inutilisés;

 

e)  il doit dispenser à un joueur qui retire des crédits un billet indiquant l'état de compte entre le joueur et la Société;

 

 

f)  il ne peut accorder de prix dépassant cinq cent dollars pour chaque jeux;

 

g)  il ne peut verser de prix comptant; et

 

h)  il doit être programmé pour accorder des prix représentant au moins quatre-vingts pour cent et au plus quatre-vingt-dix pour cent de l'argent qu'il accepte.

6 A video gaming device used in a video lottery scheme shall have the following characteristics :

 

 

(a) it shall divide all money it accepts into credits denominated in twenty-five cent, ten cent or five cent values;

 

(b) it shall accept a wager of one credit;

 

(c) it shall not expose a player to the risk of losing at any one time credits of a total value exceeding two dollars and fifty cents;

 

 

(d) it shall permit a player at any time to withdraw for payment or reimbursement any accumulated or unused credits;

 

 

(e) it shall dispense to a player who withdraws credits a ticket showing the state of the account as between the player and the Corporation;

 

(f) it shall not award a price exceeding five hundred dollars in value for any one game;

 

(g) it shall not pay prizes in cash; and

 

(h) it shall be programmed to award as prizes not less than eighty per cent, and not more than ninety per cent, of the money it accepts.

 

 

La Société prévoit des caractéristiques plus détaillées dans les [TRADUCTION] « demandes de propositions » spéciales fournies au profit des fabricants de ALV afin d'assurer leur compatibilité avec le système de la Société.

 

[5]  Si un appareil remplit les exigences prévues au Règlement, son propriétaire peut l'offrir à la Société pour utilisation dans le cadre d'une loterie et la Société peut conclure un accord avec le propriétaire si les conditions prévues au paragraphe 7(2) du Règlement sont également remplies :

7(2)  La Société peut, sous réserve du paragraphe (5), conclure un accord avec le propriétaire d'un appareil de pari vidéo pour l'utilisation de cet appareil dans le cadre d'un système de loterie vidéo, si elle est convaincue que l'appareil de jeu vidéo

 

a)  ne joue que des jeux appartenant aux types approuvés par la Commission,

 

b)  possède les caractéristiques décrites à l'article 6,

 

c)  est parvenu au propriétaire d'un fabricant et par l'entremise de distributeurs s'il y a lieu,

 

(i)  qui sont inscrits sur une liste approuvée établie par la Société, ou

 

(ii)  dont la Société est de toute autre manière convaincue de la bonne réputation,

 

d)  possède la capacité d'être intégré au système utilisé par la Société dans le cadre d'un système de loterie vidéo, et

 

e)  est de toute autre manière convenable pour être utilisé dans une loterie vidéo.

 

7(2)  If the Corporation is satisfied that the video gaming device

 

 

 

 

 

 

(a)  only plays games of a type approved by the Commission,

 

 

(b)  has the characteristics described in section 6,

 

(c)  has come to the owner from a manufacturer, and through distributors if any

 

(i)  who are on an approved list established by the Corporation, or

 

(ii)  who the Corporation is otherwise satisfied are reputable,

 

(d)  is capable of integration with the system used by the Corporation to operate a video lottery scheme, and

 

(e)  is otherwise suitable for use by the Corporation to operate a video lottery scheme,

 

the Corporation may, subject to subsection (5), enter an agreement with the owner for the use of that device in a video lottery scheme.

 

[6]  M. William West est devenu un membre fondateur de l'AOMANB, fondée en 1990 sous la direction du gouvernement provincial. M. West a constitué en société la société demanderesse, Bill West Reg'd, dans le but de participer au nouveau système de loterie vidéo en achetant et en offrant des appareils de jeu vidéo à la Société pour utilisation dans le cadre de la loterie.

 

[7]  En novembre et en décembre 1990, Bill West Reg'd a consenti à acheter 100 ALV de modèle 8720A d'un fabricant américain agréé par la Société. Les ALV ont été expédiés en trois envois en décembre 1990, arrivant en premier lieu au Canada à St. Stephen, Nouveau-Brunswick. La demanderesse, par l'entremise de son agent, le courtier en douane A.E. Horne & Son Ltd., a été tenue de verser dix pour cent de taxe d'accise, totalisant 51 950 $, conformément à l'article 23 et à l'article 2 de l'Annexe I de la Loi :

23. (1) Sous réserve des paragraphes (6) à (8.3) et 23.2(6), lorsque les marchandises énumérées aux annexes I et II sont importées au Canada, ou y sont fabriquées ou produites, puis livrées à leur acheteur, il est imposé, prélevé et perçu, outre les autres droits et taxes exigibles en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, une taxe d'accise sur ces marchandises, suivant le taux applicable figurant à l'article concerné de l'annexe pertinente, calculée, lorsqu'il est précisé qu'il s'agit d'un pourcentage, d'après la valeur à l'acquitté ou le prix de vente, selon le cas.

 

23. (1) Subject to subsections (6) to (8.3) and 23.2(6), whenever goods mentioned in Schedules I and II are imported into Canada or manufactured or produced in Canada and delivered to a purchaser thereof, there shall be imposed, levied and collected, in addition to any other duty or tax that may be payable under this or any other Act or law, an excise tax in respect of those goods at the applicable rate set out in the applicable section in whichever of those Schedules is applicable, computed, where that rate is specified as a percentage, on the duty paid value or the sale price, as the case may be.

 

 

 

 

[...]

 

Annexe I

 

[...]

 

2.   Articles de jeu ou d'amusement de toutes sortes, à pièces de monnaie, disques ou jetons, dix pour cent.

 

 

 

 

[...]

 

Schedule I

 

[...]

 

2.   Coin, disc or token operated games or amusement devices of all kinds, ten percent.

 

 

[8]  La demanderesse s'est opposée dès le début au prélèvement de la taxe, en soutenant que les ALV ne sont pas des articles de jeu ou d'amusement, mais du matériel électronique de traitement de l'information pour des billets de loterie automatisée. Elle a déposé une demande de remboursement le 21 mai 1992, qui a été rejetée et cette décision a été confirmée définitivement dans un avis de décision du ministre daté du 27 novembre 1991, qui prévoit, en partie, ce qui suit :

 

[TRADUCTION] Votre objection est rejetée et la décision est confirmée.

 

Votre prétention est que le principal rôle des appareils de loterie vidéo est de permettre de jouer à l'argent et d'enregistrer les transactions de jeu. De plus, vous prétendez également que le principal rôle des biens est un facteur déterminant quant à leur classification. Compte tenu de ce qui précède, vous soutenez que ce ne sont pas des articles de jeu ou d'amusement et qu'ils ne devraient pas être classés ainsi en vertu de l'article 2 de l'Annexe I de la  Loi sur la taxe d'accise.

 

Vous affirmez également que les appareils de loterie vidéo sont principalement du matériel électronique de traitement de l'information et qu'étant donné qu'il n'existe pas d'autre classification plus précise, ils devraient être classés ainsi.

 

L'article 2 de l'Annexe I de la Loi sur la taxe d'accise prélève une taxe d'accise de 10 % sur les articles de jeu ou d'amusement de toutes sortes, à pièces de monnaie, disques ou jetons.

 

Tous les appareils de loterie vidéo visés sont à pièces de monnaie parce que le participant doit utiliser des pièces de vingt-cinq cents ou de un dollar pour y jouer. Ils permettent de jouer à une variété de jeux d'argent tels que des jeux du genre poker, kéno, machines à sous, etc.

 

Les jeux se définissent comme des tests d'adresse ou de chance gérés selon des règles préétablies. Par jouer à l'argent, on entend jouer à des jeux de chance pour de l'argent, spécialement pour des enjeux élevés.

 

Compte tenu des définitions et des faits qui précédent, les appareils de loterie vidéo sont des jeux à pièces de monnaie. Le fait que des composantes électroniques soient utilisées au lieu de composantes mécaniques ne représente qu'un changement au niveau de la forme et non un changement d'objet, qui est de jouer à des jeux de hasard.

 

Par conséquent, votre objection est rejetée et la décision est confirmée.

 

Argumentation de la demanderesse :

[9]  La demanderesse soutient que la taxe a été incorrectement appliquée; que les ALV ne sont pas des articles de jeu à pièces de monnaie, mais des terminaux d'ordinateur, contenant des composantes électroniques, qui servent à vendre un produit de loterie qui n'était disponible auparavant que sur papier, et à enregistrer les opérations. En particulier, il a été soutenu que les ALV étaient principalement des composantes électroniques qui : acceptent les paris des participants à la loterie, fournissent des combinaisons de chiffres ou de symboles au hasard à un générateur de nombres aléatoires; reconnaissent les combinaisons gagnantes et attribuent des crédits comme prix; effectuent des fonctions de comptabilité des opérations et de leur valeur; impriment des billets gagnants; enregistrent les relevés des opérations et impriment les rapports de vérifications; communiquent avec un ordinateur central de contrôle téléchargeant les opérations.

 

Analyse :

[10] La Cour est saisie d'une question d'interprétation des lois, à savoir celle de décider si les ALV, lorsqu'ils sont correctement définis, sont assujettis à la taxe en vertu de la Loi sur la taxe d'accise en tant que « [a]rticles de jeu ou d'amusement de toutes sortes, à pièces de monnaie [...] ».  La question doit être tranchée en deux volets; premièrement, il faut interpréter la disposition législative en cause et deuxièmement, décider si la preuve établit que les ALV sont visés par cette disposition.

 

 

i) Interprétation des lois

[11] Il est bien établi que les lois fiscales doivent s'interpréter en conformité avec les règles d'interprétation ordinaires qui s'appliquent à tous les autres textes de loi; voir l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536. Les mots doivent donc recevoir leur sens ordinaire, en contexte et en harmonie avec l'esprit et l'objet du texte de loi et en tenant compte de l'intention du législateur.

 

[12] La loi ne définit pas les mots figurant dans la phrase « [a]rticles de jeu ou d'amusement de toutes sortes, à pièces de monnaie [...] ». Pour en déterminer le sens ordinaire, il est possible de recourir aux définitions du dictionnaire. Voici ces définitions :

 

     jeu (game) :

[TRADUCTION] « amusement, plaisir, sport [...] un divertissement de la nature d'un concours, joué selon les règles et dont l'enjeu dépend de l'adresse supérieure, de la force ou de l'heureux coup du sort » (Shorter Oxford Dictionary, 1973)

 

[TRADUCTION] « appareil dont l'objet est d'offrir un sport, des loisirs ou un amusement » (Black's Law Dictionary (6e éd., 1991))

 

amusement (amusement) :

[TRADUCTION] « passe-temps, jeu, etc. » (Shorter Oxford Dictionary)

 

article (device) :

[TRADUCTION] « invention ou appareil; tout résultat d'un plan, comme dans l'expression " appareil de jeu ", qui désigne une machine ou un appareil quelconque servant à jouer à des jeux de hasard illégaux » (Black's Law Dictionary)

 

Une meilleure compréhension du sens de ces mots peut découler des mots qui leur sont apparentés et de leur sens. Pour en faciliter la référence, les définitions suivantes sont également données :

jeu de hasard (game of chance) :

[TRADUCTION] « jeu dans lequel le hasard plutôt que l'adresse décide du résultat »  (Black's Law Dictionary)

 

jouer à l'argent (gambling) :

[TRADUCTION] « jouer à des jeux de hasard pour de l'argent; miser des sommes d'argent [...] spéculer imprudemment. »  (Shorter Oxford Dictionary)

 

article de jeu d'argent (gambling device) :

[TRADUCTION] « moyens, instrument, appareil ou chose tangibles avec lesquels ou par lesquels de l'argent peut être perdu ou gagné, à distinguer du jeu lui-même. Machine, instrument, appareil quelconque destinés à jouer à des jeux de hasard illégaux »  (Black's Law Dictionary)

 

loterie (lottery) :

[TRADUCTION] « entente pour l'attribution de lots aux détenteurs de billets désignés par le sort [...] produit du sort ou du hasard » (Shorter Oxford Dictionary)

 

[TRADUCTION] « jeu de hasard ou distribution d'argent ou de lots au hasard, sans choix ni adresse » (Mozley and Whiteley's, Law Dictionary (8e éd., 1970))

 

[TRADUCTION] « chance de gagner un lot à la suite d'une mise [...] Les composants essentiels d'une loterie sont la contrepartie, le lot à gagner et le hasard, et tout plan ou article en vertu duquel une personne, moyennant une contrepartie, peut gagner un lot ou rien du tout selon ce qu'en décide le sort en grande partie »  (Black's Law Dictionary).

 

Le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, Partie VII, qui crée des infractions de jeu et des exceptions pour les systèmes prévus par des lois provinciales, définit le « jeu » comme un « jeu de hasard ou jeu où se mêlent le hasard et l'adresse. »

 

[13] Par conséquent, le « jeu » désigne de façon générale un concours quelconque, joué selon les règles, dont l'issue dépend de l'adresse ou simplement du hasard. Les jeux de hasard font partie intégrante du jeu d'argent et des systèmes de loterie. Par conséquent, le mot « jeu » comprend notamment les jeux d'argent et les systèmes de loterie comportant des jeux de hasard.

 

[14] Le mot « amusement » en lui-même a un sens vraiment très large, mais il est visible que la disposition en limite le sens. Le mot « amusement » suit le mot « jeu » et une conjonction est placée entre eux; le mot « article » se rapporte aux mots « amusement » et « jeu ». Si on fait appel au principe du ejusdem generis, cela signifie que les articles de la même catégorie que les « articles de jeu » sont visés.

 

[15] Enfin, les mots « de toutes sortes » doivent également s'interpréter selon le contexte. L'expression modifie les mots « jeu », « amusement » et « articles ». Bien qu'ils n'élargissent pas la catégorie au-delà des articles destinés au jeu ou à l'amusement, ils ne restreignent pas non plus le sens large du mot « article ».

 

[16] Après l'étude du sens ordinaire des mots figurant dans la disposition de la loi, il est intéressant de remarquer également que les tribunaux se sont penchés sur le sens d'articles de jeu ou d'amusement et qu'ils ont eu recours à une interprétation téléologique dans différents contextes. Dans l'arrêt Laphkas v. The King, [1942] S.C.R. 84, la cour a refusé d'interpréter de façon étroite une disposition de droit pénal rendant illégaux les appareils automatisés ou les machines à sous servant à d'autres fins que la vente de marchandises ou la prestation de services. La cour a statué qu'il n'entrait pas dans l'esprit et l'objet de la loi, à savoir la sanction des appareils destinés au jeu, d'appliquer la disposition à de simples appareils d'amusement ou de vente, tels que des billards électriques ou des enregistrements musicaux.

 

[17] L'interprétation étroite n'a pas non plus été autorisée dans le contexte d'une importation réglementaire. Dans l'arrêt Liebman v. The King, [1948], Ex.C.R. 161, l'importation des machines à sous était prohibée et la cour a refusé de conclure que la prohibition ne visait pas également l'importation de machines à sous pièce par pièce, plutôt qu'assemblées. La Cour a statué, à la page 168 :

[TRADUCTION] [...] Bien qu'il ne soit pas permis à la Cour d'élargir la portée des prohibitions de la Loi au-delà de ses termes exprès à des choses qu'elle ne vise pas, il est impératif que les termes s'interprètent comme s'appliquant aux choses qui sont essentiellement ou en grande partie prohibées.

                                                [je souligne]

[18] La cour a également soutenu que le fait que toutes les parties, sauf le boîtier, étaient importées n'avait pas d'incidence sur le fait que les biens importés étaient en grande partie visés par la prohibition. On peut lire aux pages 169 et 170 :

[TRADUCTION] Le fait que les boîtiers n'étaient pas importés a‑t‑il pour effet de soustraire l'importation de toutes les autres pièces aux prohibitions visées par la Loi? La réponse, selon les principes mentionnés, repose sur la question de savoir si les pièces importées étaient essentiellement ou en grande partie des biens dont l'importation était prohibée par la Loi [...] La question [...] en est une de fait [...].

 

À mon avis, l'importation des pièces sans les boîtiers doit être considérée comme si les machines avaient été importées assemblées sans les boîtiers. Comment les biens importés auraient-ils alors été décrits? [...] La réponse est qu'ils n'auraient pas pu être correctement décrits autrement [qu'en tant qu'articles d'amusement à pièces de monnaie]. Le fait qu'il soit nécessaire d'y ajouter des boîtiers de bois pour les vendre ne tranche pas la question.  Si nous supposions que l'importation des véhicules automobiles était interdite, pourrions-nous dire que des véhicules automobiles sans pneus ou sans pare-chocs pourraient légalement être importés? [...] Je ne vois aucune différence fondamentale en l'espèce. Les biens importés par M. Liebman étaient en grande partie des articles d'amusement à pièces de monnaie au sens où l'entend le numéro tarifaire ex 466 [...]

 

[19] Compte tenu de ce qui précède, il est clair que la disposition en litige ici ne vise pas un méfait précis comme jouer à l'argent, comme c'était le cas dans l'arrêt Laphkas. La disposition n'est pas de nature pénale. Le but de la disposition est de taxer certains articles à pièces de monnaie qui servent au jeu ou à l'amusement. Aucune formulation expresse ni intention du législateur ne permettrait de restreindre l'interprétation de la loi de façon à ce que cette dernière s'applique à autre chose que ce qu'elle vise essentiellement ou en grande partie. Par conséquent, les articles destinés à des types de jeu déterminés, soit les jeux de hasard pour jouer à l'argent ou participer à une loterie, sont visés par la disposition.

 

 

ii)  Caractérisation des ALV :

[20] Pour étayer sa prétention selon laquelle les ALV ne sont pas des articles de jeu à pièces de monnaie, mais des terminaux d'ordinateur servant au traitement de données électroniques qui permettent la participation à la loterie et l'enregistrement des opérations, la demanderesse a présenté en preuve à la Cour une description de la fabrication et des fonctions des terminaux de modèle 8720A. Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails techniques, car la demanderesse n'a pas réussi à persuader la Cour, pour les raisons qui suivent, que les ALV n'étaient pas visés par la disposition de l'article 2 de l'Annexe I de la Loi sur la taxe d'accise.

 

[21] La preuve a démontré que sans le dépôt de pièces, un ALV ne peut être mis en marche. Lorsque le ALV fonctionne, un joueur peut prendre part à l'un des nombreux jeux de pari. Les pièces déposées sont indiquées dans un solde de crédit, avec lequel le joueur peut parier. Les règles du jeu sont affichées à l'écran. Le joueur peut parier et peut jouer jusqu'à ce qu'il décide de cesser le jeu ou n'ait plus de crédit. Au moins un jeu, le Blackjack, oppose le joueur au ALV ou au [TRADUCTION] « donneur ». Dans les jeux de Poker et de Joker Poker, le ALV est fabriqué de façon à pouvoir, si on le lui demande, prêter assistance au joueur en lui faisant des recommandations stratégiques. Les résultats du jeu sont enregistrés sur un reçu et le joueur peut récupérer ses gains, le cas échéant, du propriétaire de l'endroit. Les recettes des ALV sont calculées nettes des gains.

 

[22] Chaque ALV est muni d'un assemblage de cartes logiques, composé d'une carte logique, d'une carte mémoire de sauvegarde et d'une carte de communication. Les puces informatiques nécessaires pour jouer sont emmagasinées dans le ALV. Celui-ci tient également un registre des jeux et des données comptables (paris, crédits, gains, etc.). Le système est configuré de façon à fonctionner sans lien en ligne avec l'ordinateur central de la Société, mais ses registres de comptabilité et d'opérations sont contrôlés régulièrement et l'ordinateur central de la Société peut mettre le ALV hors‑service.

 

[23] Bien qu'il n'y ait aucun doute que les ALV sont reliés à un ordinateur central, la demanderesse n'a pas réussi à écarter le fait qu'un ALV en lui-même demeure essentiellement un article dont l'intervention permet à des clients de jouer à des jeux ou de jouer à l'argent. Ce fait demeure indépendamment de toutes les fonctions effectuées par le terminal subordonnées à la fonction ou en plus de fournir des jeux de hasard au joueur. Il importe peu que les jeux soient gérés par un ordinateur situé à distance et la Société. La vérification, la mémoire, l'impression, la transmission de données et les fonctions similaires sont, de toute façon, accessoires à la nature des jeux de hasard qui sont joués. Si les jeux ne faisaient pas partie d'un système de jeu d'argent, les fonctions accessoires seraient superflues. De plus, la demanderesse n'a pas établi d'incompatibilité entre un article qui peut comptabiliser le produit de ses jeux ou de ses jeux d'argent et, en plus, inciter un joueur à jouer.

 

[24] Cette conclusion est étayée par le règlement, qui définit un « système de loterie vidéo » comme un système de loterie vidéo autorisé utilisant des « appareils de jeu vidéo ». L'utilisation des appareils de jeu vidéo dans le système est conditionnelle à l'approbation de la Société. Enfin, les ALV sont fabriqués pour servir à jouer à des jeux, mais également pour être compatibles avec le système informatique central afin d'être utilisés dans le cadre de la loterie. Le manuel d'utilisation du fabricant des ALV en question, qui a été présenté en preuve, décrit les terminaux comme des appareils de jeu conçus pour être utilisés hors ligne. Il indique qu'il n'y a pas de différence entre l'utilisation d'un terminal qui est en ligne et un qui ne l'est pas, si ce n'est qu'à la fin du jeu, le terminal hors ligne remet un reçu nul. Manifestement, les appareils que la Société n'a pas approuvés comme ALV fonctionnent simplement comme des appareils de jeu.

 

[25] L'argument de la demanderesse selon lequel les ALV ne sont pas visés par la disposition parce qu'ils sont des appareils électroniques de traitement de l'information et qu'ils fonctionnent à partir d'un ordinateur central cherche à donner préséance à la forme sur le fond. Il importe peu que le fonctionnement de l'appareil soit mécanique ou électrique; ni qu'il soit surveillé ou contrôlé à distance. Ces caractéristiques n'ont pas pour effet de soustraire ces appareils au sens ordinaire ni à l'esprit des mots de la loi. Une bonne interprétation de la disposition ne saurait lui faire exclure les appareils électroniques ou les ordinateurs qui ne font que faciliter les jeux devant y être joués. C'est la nature même de ces appareils. Les fonctions auxiliaires permettent simplement aux jeux joués sur le terminal d'être associés à un système de loterie plus important. Par analogie avec l'affaire Liebman, précitée, l'appareil n'est pas moins un appareil de jeu, simplement parce qu'il accomplit également des fonctions de comptabilité et de vérification pour l'administration du système de jeu.

 

[26] Il est nécessaire de mentionner la jurisprudence que la demanderesse a citée à la Cour et qui provient principalement de la Commission du tarif. Même si ces décisions liaient la Cour, elles ne soutiendraient pas la demanderesse dans la présente affaire. Elles illustrent simplement la règle d'interprétation des lois selon laquelle les dispositions expresses ont préséance sur les générales; or, en l'espèce, j'ai précisément conclu que la disposition expresse de l'article 2 de l'Annexe I s'applique aux ALV en litige. Voici un bref résumé de ces affaires :

 

[27] Dans la décision Atlas Automatics Inc. et al. v. Deputy M.N.R. et al. (1983) 5 C.E.R. 110 (Commission du tarif), des tables de billard et des tables de soccer à pièces de monnaie n'ont pas été considérées comme des articles d'amusement à pièces de monnaie parce qu'elles étaient classées plus justement sous la catégorie [TRADUCTION] « tables de billard » et [TRADUCTION] « tables de jeu ». Dans Appeal No. 1907 Reference re Certain Electronic Apparatus, (1983) 5 C.E.R. 151 (Commission du tarif), des jeux sur ordinateur entraient davantage dans la catégorie des appareils électroniques de traitement de l'information que dans celle des [TRADUCTION] « jouets » parce que leur capacité de traitement de l'information ne se limitait pas au jeu et qu'il n'y avait pas d'autre catégorie plus spécifique. Dans la décision Par T Golf (Alberta) Ltd. v. Deputy M.N.R. (1987), 14 C.E.R. 261 (Commission du tarif), un micro-ordinateur simulant un jeu de golf, mis en service à partir d'un autre centre de contrôle, était essentiellement du matériel électronique de traitement, parce qu'il n'y avait pas d'autre catégorie. Cet article ne fonctionnait pas à l'aide de pièces de monnaie. Dans la décision Sous-M.R.N. c. GTE Sylvania Canada Limited (1985), 10 C.E.R. 200 (C.A.F.), des biens déjà modifiés et intégrés dans un produit fini n'entraient plus dans leur catégorie comme produit primaire.

 

[28] L'espèce se distingue des affaires susmentionnées. Il est manifeste qu'il existe une catégorie spécifique qui correspond aux caractéristiques de ces biens. Les ALV sont à pièces de monnaie, ils servent à jouer à des jeux, que ce soit des jeux en ligne avec l'ordinateur central ou non. Même s'ils contiennent des composantes électroniques, les ALV sont visés par l'expression « articles de toutes sortes ». Le fait que les appareils effectuent des fonctions auxiliaires additionnelles reliées à l'administration des jeux dans le cadre d'un système de loterie ne modifie pas la nature fondamentale des ALV en qualité d'appareils servant à jouer à des jeux. Par conséquent, ils sont visés par la disposition.

 

Conclusion :

[29] Pour ces motifs, l'affaire de la demanderesse est rejetée.

 

 

 

 

 

 

OTTAWA (ONTARIO)                                       B. Cullen            

                                                                                                

Le 24 juin 1998.                                        J.C.F.C.           

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Martine Brunet, LL.B.


 

                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

NO DU GREFFE :             T-572-93

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :047438 N.B. INC., personne morale, faisant affaire sous le nom de BILL WEST REG'D c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE : Frédéricton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE : le 1er juin 1998

le 2 juin 1998

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE CULLEN

 

EN DATE DU :               24 juin 1998

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Joseph E. Weir                    POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Jonathan Tarlton                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

M. Joseph E. Weir                    POUR LA DEMANDERESSE

Moncton (Nouveau-Brunswick)

 

M. George Thomson                    POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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