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Date : 20031222

Dossier : T-568-03

Référence : 2003 CF 1511

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

ENTRE :

                                                              MERCK & CO. INC. et

                                                  MERCK FROSST CANADA & CO.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                                       LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN

[1]                 Apotex Inc. (Apotex) interjette appel de l'ordonnance prononcée le 23 octobre 2003 par le protonotaire et qui est rédigée comme suit :

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

(1)            Apotex a dix jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer un avis des cinq affidavits qu'elle retient parmi ceux des Drs Allen W. Rey, Juliet Compston, Eli Shefter, Michael J. Cima, Peter J. Stang, Roger Newton, Robert Allan McClelland, Graham Russell ou Robert S. Langer.


(2)            Les affidavits non retenus seront radiés.

(3)            Le délai imparti pour effectuer les contre-interrogatoires courra à compter du dépôt de cet avis par Apotex.

[2]                 L'ordonnance résulte d'une requête présentée par Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (Merck) en vue de faire radier tout ou partie de 10 des 14 affidavits déposés par Apotex dans la présente instance. Il s'agit d'une requête présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement).

[3]                 Après signification de l'avis d'allégation par Apotex le ou vers le 24 février 2003, Merck a délivré son avis de demande le ou vers le 10 avril 2003. Merck a déposé sa preuve par affidavit le 30 mai 2003. Apotex a déposé sa preuve par affidavit entre le 21 juillet 2003 et le 25 juillet 2003. Le ou vers le 14 août 2003, Merck a signifié son avis de requête en vue d'obtenir la radiation de plusieurs affidavits d'Apotex, à la fois en totalité ou en partie.

[4]                 L'un des motifs avancés par Merck dans sa requête en radiation est le fait qu'Apotex a déposé plus de cinq affidavits d'experts, ce qui contreviendrait à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5. L'article 7 prévoit ce qui suit :


Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

Where, in any trial or other proceeding, criminal or civil, it is intended by the prosecution or the defence, or by any party, to examine as witnesses professional or other experts entitled according to the law or practice to give opinion evidence, not more than five

of such witnesses may be called on either side without the leave of the court or judge or person presiding.


[5]                 Dans les motifs de l'ordonnance, le protonotaire prétendait faire une distinction avec des décisions antérieures de la Cour qui examinaient l'article 7. Dans la décision Eli Lilly et Cie. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371 (C.F. 1re inst.), la juge Reed a interprété la limitation du nombre d'experts comme s'appliquant à chaque question soulevée et non à l'ensemble de l'affaire.

[6]                 Plus récemment, dans la décision GlaxoSmithKline Inc. et al. c. Apotex et al. (T-876-02), rendue le 4 septembre 2003, mais non publiée, le juge Pinard, saisi d'une requête en radiation d'affidavits dans des procédures similaires introduites en vertu du Règlement, a refusé d'accueillir la requête en se fondant sur la décision Eli Lilly, précitée. Il a rejeté la requête en radiation parce qu'elle était prématurée, invoquant la jurisprudence de la Cour qui indique clairement qu'il est inopportun de présenter une requête interlocutoire en radiation d'affidavits et que la question de l'admissibilité de la preuve doit être laissée au juge saisi de la demande.

[7]                 De plus, en ce qui a trait à la question du nombre de témoins experts, point particulièrement pertinent dans le présent appel, le juge se référait à la décision dans Eli Lilly, précitée, et a écrit au paragraphe 4 :

[traduction] Quoi qu'il en soit, il ne m'apparaît pas clair et évident que la preuve signifiée et déposée par l'intimée Apotex Inc. comprend, sur une question en particulier, plus de cinq affidavits d'experts. (voir, pour exemple, Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1997), 73 C.P.R. (3d) 371, p. 411-412 (C.F. 1re inst.); conf. 10 C.P.R. (4th) 10 (C.A.F.)).

[8]                 Apotex invoque plusieurs arguments à propos d'erreurs qu'aurait commises le protonotaire en accueillant la requête en radiation de certains affidavits, présentée par Merck. Apotex prétend que le protonotaire a commis une erreur de droit en ne suivant pas la jurisprudence de la Cour en ce qui à trait à la fois à la radiation d'affidavits dans le cadre d'une procédure interlocutoire et à l'interprétation de l'article 7 comme limitant le nombre de témoins experts à cinq au total plutôt qu'à cinq par question. Apotex soutient également que le protonotaire a commis une erreur en concluant que la limitation s'applique aux demandes de contrôle judiciaire plutôt qu'à un procès ou à une instance dans lesquels des témoins sont appelés à présenter des témoignages de vive voix.

[9]                 De plus, Apotex fait valoir que le protonotaire a commis une erreur de droit en n'appliquant pas l'arrêt Fagnan c. Ure Estate, [1958] R.C.S. 377, où la Cour suprême du Canada, relativement à une disposition de la Alberta Evidence Act, R.S.A. 1955, ch. 102, a conclu que la limitation du nombre de témoins experts s'appliquait à chaque question soulevée plutôt qu'à l'ensemble de la procédure.


[10]            Merck prétend que le protonotaire a correctement établi une distinction d'avec les décisions de notre Cour dans Eli Lilly et GlaxoSmithKline, précitées, et affirme qu'aucune de ces décisions n'a traité directement de la question de la limitation de l'article 7. Merck fait valoir également que l'arrêt Fagnan de la Cour suprême du Canada, précité, ne s'applique pas en l'espèce parce que le texte de la disposition législative en cause dans cette affaire était différent du libellé de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada. De plus, Merck prétend que rien ne permet d'exclure une procédure de contrôle judiciaire du champ d'application de l'article 7 et affirme que le protonotaire a conclu correctement que la présente instance est soumise à la limitation de l'article 7.

[11]            Les parties s'entendent pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte puisque l'ordonnance repose sur l'interprétation d'une disposition législative, et que, suivant l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.A.F. 425 (C.A.F.), je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire sur une base de novo.

[12]            À mon avis, le protonotaire a commis une erreur de droit en ignorant et en ne suivant pas les décisions Eli Lilly et GlaxoSmithKline, précitées, de notre Cour. Je renvoie aux propos du protonotaire adjoint Giles dans Flexi-Coil Ltd. c. Riteway Manufacturing Ltd. (1989), 28 C.P.R. (3d) 256 (C.F. 1re inst.), par. 2; conf. par (1990), 29 C.P.R. (3d) 515 (C.F. 1re inst.).


La première question soulevée, celle de la chose jugée, consistait à savoir si un protonotaire est lié par une décision d'un juge de la Section de première instance. Une telle question peut peut-être valablement se poser puisque toute décision d'un protonotaire aurait pu être rendue par un juge de première instance et qu'une ordonnance prononcée par un protonotaire dans certaines circonstances déterminées doit être considérée comme une ordonnance de la Cour. Le débat a donc porté sur la question de savoir si un juge est lié par les décisions rendues par un autre juge de la même instance. À mon sens, la suprématie du droit se fonde sur la cohérence du droit, qui dépend de la cohérence que les décisions judiciaires présentent les unes par rapport aux autres, indépendamment de la personne du juge ou de l'officier de justice qui les a prononcées. Ce principe suffit à obliger un juge à accorder énormément d'autorité aux décisions rendues par un autre juge de sa propre instance. Lorsque la décision dont l'autorité est alléguée a été prononcée par un juge devant lequel un appel pourrait être interjeté, des considérations supplémentaires, à caractère pratique, deviennent applicables. Il serait contraire aux exigences pratiques les plus élémentaires de prononcer une décision en sachant qu'elle serait infirmée en appel. En conséquence, il ne fait aucun doute que la décision d'un juge de la Section de première instance (devant lequel un appel peut être interjeté de la décision d'un protonotaire) devrait toujours être suivie par un protonotaire.   

[13]            Le protonotaire n'avait aucune raison valable de ne pas suivre et appliquer la jurisprudence de la Cour, qui a interprété l'article 7 comme limitant le nombre total d'experts pour chaque question soulevée plutôt que pour l'ensemble de l'affaire. Mes conclusions sur ce point sont suffisantes pour disposer du présent appel et l'accueillir.

[14]            Je n'ai pas à examiner les autres arguments avancés par Apotex. Cependant, je ferai observer que l'argument de l'inapplicabilité de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada à une demande de contrôle judiciaire, où la preuve se fait par voie d'affidavits, en l'absence de personnes appelées pour subir comme « témoin » un « interrogatoire » , n'est pas sans fondement. La question devra être résolue à une autre occasion, sur la base d'autres arguments et décisions de jurisprudence, concernant par exemple le sens des termes « témoin » (voir Bell c. Klein (No. 1), [1955] R.C.S. 309, p.317) et « interroger » .

[15]            Par conséquent, l'appel est accueilli avec dépens en faveur d'Apotex.


                                           ORDONNANCE

L'appel est accueilli, avec dépens en faveur d'Apotex.

                                                                                         « E. Heneghan »

ligne

                                                                                                             Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Chantale Lamer, LL.B.


                                                    COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-568-03

INTITULÉ:                                                         MERCK & Co. INC. ET AL c. APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 17 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                                  22 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTION :

Peter E. Wilcox

Andy Radhakant

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew R. Brodkin

Nathalie Butterfield

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS


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