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     Date : 19980123

     Dossier : T-18-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 JANVIER 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE JOYAL

ENTRE

     JOHN FREDERICK WILLIAM WEATHERILL,

     requérant,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et NICOLE JAUVIN,

         intimés.

     ORDONNANCE

         Vu la requête en date du 7 janvier 1998 introduite par l'avocat du requérant en vue d'obtenir des ordonnances interlocutoires réclamées aux paragraphes 2 et 3 de l'avis de requête introductive d'instance en contrôle judiciaire, lesquelles ordonnances sont les suivantes :

1.      Une ordonnance qui empêcherait l'intimée Nicole Jauvin de procéder à la tenue d'une enquête concernant le requérant jusqu'à ce que la présente demande ait été tranchée;
2.      Une ordonnance déclarant que le gouverneur en conseil ne devrait pas procéder à la révocation du requérant en tant que président du Conseil canadien des relations du travail jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la présente demande;

         LA COUR ORDONNE que la demande d'injonction susmentionnée soit rejetée.

                                 L. Marcel Joyal

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     Date : 19980123

     Dossier : T-18-98

ENTRE

     JOHN FREDERICK WILLIAM WEATHERILL,

     requérant,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et NICOLE JAUVIN,

         intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

Les faits

[1]      Le requérant comparaissant devant la Cour est le président du Conseil canadien des relations du travail (CCRT). Bien connu et respecté dans les relations de travail et les cercles d'arbitrage, il a été nommé à ce poste de président le 1er mai 1989. Selon l'article 10 de la loi régissant le CCRT, le mandat est de 10 ans, et le requérant peut seulement faire l'objet d'une révocation motivée.

[2]      Je ne dispose d'aucune preuve que, au cours de ses huit années d'exercice de ses fonctions, le requérant ne s'était pas consciencieusement acquitté de sa charge. Toutefois, quelques incidents concernant son comportement ont fait surface en avril 1997, lorsque le journal Ottawa Citizen a publié des allégations défavorables se rapportant à ce qui semblait être ses dépenses de voyage et d'hospitalité excessives, ainsi que certaines allégations de partialité dans ses fonctions juridictionnelles.

[3]      Cela a amené le ministre du Travail de l'époque à annoncer au Parlement, le 10 avril 1997, qu'il demandait au vérificateur général du Canada d'examiner les dépenses du requérant. En même temps, il a demandé au Conseiller de l'éthique d'examiner la question de la partialité.

[4]      Au sujet de la partialité, le conseiller de l'éthique a déclaré que l'existence de la partialité n'avait pas été établie et que cette question était close. Toutefois, quant à la question des dépenses, le rapport du vérificateur général du Canada, déposé au Parlement le 2 décembre 1997, contenait des déclarations préjudiciables. Le rapport a souligné que, au cours d'une longue période, les dépenses de voyage et d'hospitalité réclamées par le requérant étaient excessives et dépassaient les niveaux fixés par le Conseil du Trésor pour les fonctionnaires en général.

[5]      Le rapport a incité le ministre du Travail de l'époque à annoncer à la Chambre des communes qu'il renvoyait le requérant, et que les mesures légales nécessaires à la révocation par le gouverneur en conseil du requérant avaient été prises.

[6]      Les mesures légales requises consistaient dans la tenue d'une enquête dirigée par le sous-greffier du Conseil privé, l'intimée Nicole Jauvin, afin d'examiner le rapport du vérificateur général, de recevoir des observations du requérant et de déposer un exposé au Cabinet pour que ce dernier l'examine et prenne les mesures appropriées.

[7]      Des réunions ont été tenues au cours du mois de décembre 1997, l'agent enquêteur, l'avocat du requérant et des membres du personnel du vérificateur général y ayant été présents. Ces réunions se sont terminées par le dépôt, le 24 décembre 1997, du rapport du sous-greffier au gouverneur en conseil, et le requérant a été invité à présenter des observations au plus tard le 16 janvier 1998.

[8]      D'autres facteurs sont entrés en jeu. Le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail se trouve actuellement devant le Parlement. C'est le même projet qui a été adopté à la Chambre l'année dernière mais qui est mort au Feuilleton au Sénat. On s'attend à ce qu'il reçoive l'approbation rapide du Parlement cette fois. L'article 9 du projet de loi établit le Conseil canadien des relations industrielles, et l'article 87 prévoit que le mandat des membres de l'ancien Conseil, c'est-à-dire le CCRT, prend fin à la date de l'entrée en vigueur des articles 87 à 94. Il est noté que, bien que le mandat du requérant expire normalement le 1er mai 1999, il se peut qu'il prenne fin beaucoup plus tôt.

Procédures judiciaires

[9]      Le 7 janvier 1998, par voie d'avis de requête introductive d'instance, le requérant a demandé à la Cour de rendre une ordonnance déclarant que le gouverneur en conseil ne pourrait procéder à la révocation du requérant sans se conformer à l'article 69 de la Loi sur les juges, et que l'enquête sous le régime de cette loi devait être conforme à cet article.

[10]      Simultanément, le requérant a déposé une autre requête en injonction portant suspension de toutes autres procédures actuellement en cours jusqu'à ce que la Cour ait entendu et tranché la principale question. J'ai entendu la présente requête à Toronto le 20 janvier 1998.

[11]      Il est reconnu que le requérant doit satisfaire au critère à trois volets que la jurisprudence a imposé depuis longtemps, savoir qu'il existe une question sérieuse à trancher, que le requérant subirait un préjudice irréparable qui ne pourrait être compensé par des dommages-intérêts si une suspension était refusée et que, en dernier lieu, il faut déterminer qui subirait le plus grand préjudice en cas de suspension accordée ou refusée.

Les arguments du requérant :

     Question sérieuse à trancher

[12]      L'argumentation du requérant repose fondamentalement sur l'article 69 de la Loi sur les juges, qui prévoit un processus d'enquête sous l'égide du Conseil canadien de la magistrature à l'égard des personnes qui ne sont pas des juges, ou des personnes auxquelles s'applique l'article 48 de la loi sur le Parlement du Canada, mais qui ont été nommées en vertu d'une loi fédérale pour occuper un poste à titre inamovible. Toutefois, ce processus ne peut être déclenché qu'à la suite d'une requête du ministre de la Justice.

[13]      Le texte des articles 69 et suivants de la Loi sur les juges est ainsi rédigé :


69. (1) The Council shall, at the request of the Minister, commence an inquiry to establish whether a person appointed pursuant to an enactment of Parliament to hold office during good behaviour other than

     a) a judge of a superior Court or of the Tax Court of Canada, or
     b) a person to whom section 48 of the Parliament of Canada Act applies,

should be removed from office for any of the reasons set out in paragraphs 65(2)(a) to (d).

     (2) Subsections 63(3) to (6), sections 64 and 65 and subsection 66(2) apply, with such modifications as the circumstances require, to inquiries under this section.

     (3) the Governor in Council may, on the recommendation of the Minister, after receipt of a report described in subsection 65(1) in relation to an inquiry under this section in connection with a person who may be removed from office by the Governor in Council other than on an address of the Senate or House of Commons or on a joint address of the Senate and House of Commons, by order, remove the person from office.

70. Any order of the Governor in council made pursuant to subsection 69(3) et all reports and evidence relating thereto shall be laid before Parliament within fifteen days after that order is made or, if Parliament is not sitting, on any of the first fifteen days next thereafter that either House of Parliament is sitting.

71. Nothing in, or done or omitted to be done under the authority of, any sections 63 to 70 affects any power, right or duty of the House of Commons, the Senate or the Governor in Council in relation to the removal from office of a judge or any other person in relation to whom an inquiry may be conducted under any of those sections.

69. (1) Sur demande du ministre, le Conseil enquête aussi sur les cas de révocation - pour les motifs énoncés sur les cas de révocation - des titulaires de poste nommés à titre inamovible aux termes d'une loi fédérale, à l'exception des :

     a) juges des juridictions supérieures ou de la Cour canadienne de l'impôt;
     b) personnes visées par l'article 48 de la Loi sur le Parlement du Canada.

     (2) Les paragraphes 63(3) à (6), les articles 64 et 65 et le paragraphe 66(2) s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux enquêtes prévues au présent article.

     (3) Au vu du rapport d'enquête prévu au paragraphe 65(1), le gouverneur en conseil peut, par décret, révoquer - s'il dispose déjà par ailleurs d'un tel pouvoir de révocation - le titulaire en cause, sur recommandation du ministre, sauf si la révocation nécessite une adresse du Sénat ou de la Chambre des communes ou une adresse conjointe de ces deux chambres.

70. Les décrets de révocation pris en application du paragraphe 69(3), accompagnés des rapports et éléments de preuve à l'appui, sont déposés devant le Parlement dans les quinze jours qui suivent leur prise ou, si le Parlement ne siège pas, dans les quinze premiers jours de séance ultérieurs de l'une ou l'autre chambre.

71. Les articles 63 à 70 n'ont pas pour effet de porter atteinte aux attributions de la Chambre des communes, du Sénat ou du gouverneur en conseil en matière de révocation des juges ou des autres titulaires de poste susceptibles de faire l'objet des enquêtes qui y sont prévues.

[14]      L'avocat du requérant soutient que cette procédure est la seule qui assure la tenue d'une audition complète, équitable et impartiale pour déterminer si le requérant est apte à continuer d'occuper sa charge. Selon l'avocat, les obligations et fonctions du requérant en tant que dirigeant du CCRT sont telles qu'on peut les qualifier de judiciaires. En tant que tel, le requérant est en droit d'être protégé contre toute intrusion dans son indépendance et impartialité. À cet égard, l'indépendance et l'impartialité sont institutionnalisées et sembleraient toucher ou affecter tous les membres du Conseil.

[15]      L'avocat dit en outre qu'il existe déjà des éléments dans l'enquête qui pervertissent et déforment les sauvegardes normales. Selon lui, ces obstacles sur le plan procédural peuvent être évités seulement au moyen d'une enquête judiciaire prévue à l'article 69 de la Loi sur les juges. Ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, les membres des tribunaux administratifs exerçant des fonctions judiciaires ou juridictionnelles ont droit, tout comme les juges, au même processus d'enquête sur leur conduite. L'indépendance et l'impartialité de la personne nommée sont dignes de protection afin de préserver l'intégrité de l'institution. L'exigence de déposer le rapport d'enquête devant le Parlement assure la responsabilité devant le public et la transparence du processus. À cet égard, l'avocat cite des décisions de la Cour suprême1 ainsi qu'une décision de la Cour d'appel du Québec2 à l'appui de la grande importance que la jurisprudence attache à la sécurité de la permanence dont doivent jouir les juges si la garantie de l'indépendance et de l'impartialité, aux fins de l'alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, doit être maintenue. C'est dire que c'est par la nature d'une fonction que les procédures de révocation devraient être engagées.

[16]      En dernier lieu, faisant de nouveau état du processus prévu à l'article 69, l'avocat cite l'arrêt de la Cour suprême SRC c. Canada (CRT)3, où la Cour souligne les diverses procédures, le pouvoir et les attributs du CCRT pour approuver encore une fois la politique de non-intervention des tribunaux à l'égard des décisions des conseils des relations du travail à moins que ces décisions ne soient jugées manifestement déraisonnables. À la page 179, la Cour s'est prononcée en ces termes :

         [...]Le tribunal des relations du travail, qu'on trouve aux niveaux fédéral et provincial, est un exemple classique d'organisme administratif qui est à la fois hautement spécialisé et, dans une très grande mesure, à l'abri de tout contrôle. Les décisions de l'organisme fédéral jouissent de la protection de la clause privative générale que renferme l'art. 22 du Code. Le Conseil canadien des relations du travail doit concevoir un régime cohérent et pratique pour l'application des nombreuses dispositions législatives qui régissent les relations du travail des employeurs et employés dont les activités sont du ressort fédéral. Pour que les différends entre ces travailleurs et leurs employés puissent se régler rapidement et d'une manière conciliable avec leurs autres droits et obligations aux termes du Code canadien du travail, les décisions du Conseil ne doivent pas pouvoir être systématiquement annulées par les cours de justice chaque fois que ces dernières désapprouvent la façon dont le Conseil a tranché une question donnée. Ainsi, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable à moins que le Conseil n'ait commis une erreur de compétence.

Préjudice irréparable qui ne peut être compensé par des dommages-intérêts

[17] Selon l'avocat du requérant, étant donné que les procédures déjà engagées par le sous-greffier du conseil privé et le gouverneur en conseil sont essentiellement ultra vires, le préjudice que subiraient le requérant et l'institution dont ce dernier est le président est grave et irréparable. Les dommages-intérêts ne réparent pas le préjudice subi. L'intégrité du CCRT et de ses membres est en jeu. Si la conduite d'une personne nommée par décret fait l'objet d'une enquête, la nature de cette enquête doit être proportionnée à l'indépendance et à la sécurité de la permanence dont jouit par ailleurs cette personne.

     Prépondérance des inconvénients

[18] Dans toutes les circonstances, un retard dans la décision finale ne causera pas de préjudice aux intimés. L'audition de la principale requête pourrait raisonnablement être entendue bientôt, et, entre-temps, quoi qu'il en soit, le requérant continue d'exercer les fonctions de son poste.

Les arguments des intimés

[19]      L'avocat des intimés répond généralement que le requérant n'a pas établi l'existence d'un traitement préjudiciable, d'une question sérieuse, d'une cause soutenable ou d'un préjudice irréparable.

     Quant aux faits

[20]      À titre de question préliminaire, l'avocat des intimés souligne que la demande de contrôle judiciaire elle-même est prématurée. Le gouverneur en conseil n'a pas encore déterminé s'il existe des motifs pour révoquer le requérant avant la fin de son mandat. Dans les circonstances, les intimés devraient pouvoir examiner le rapport déposé, ainsi que les observations du requérant, et exercer le pouvoir discrétionnaire dont le gouverneur en conseil est fondamentalement investi en application du paragraphe 10(2) du Code canadien du travail, qui prévoit clairement qu'un membre du CCRT peut faire l'objet d'une révocation motivée de la part du gouverneur en conseil. Pour étayer son argument, l'avocat cite la décision Bell c. Ontario Human Rights Commission4 et Canadian Pacific Air Lines Ltd. c. Williams5.

[21]      De plus, un processus identique à celui en question dans l'espèce a fait l'objet d'un examen par la Cour dans l'affaire Wedge c. P.R. du Canada6. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le processus satisfaisait à toutes les conditions de l'équité procédurale et constituait une délégation appropriée du pouvoir du gouverneur en conseil et un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire.

     Quant à la question de l'article 69 de la Loi sur les juges

[22]      L'avocat des intimés désapprouve fermement la position du requérant à cet égard. Rien dans la Loi sur les juges n'exige de renvoyer l'enquête au Conseil canadien de la magistrature, en application de l'article 69. L'avocat des intimés soutient plutôt qu'il s'agit là d'une option pour le gouverneur en conseil dans l'exercice de son pouvoir prévu au paragraphe 10(2) du Code canadien du travail.

[23]      De plus, dans un argument contraire, l'avocat des intimés dit que [TRADUCTION] "rien dans la Loi sur les juges n'empêche le Parlement d'envisager la révocation d'un juge sans recommandation émanant du Conseil [de la magistrature]"7, et le juge y a ajouté : [TRADUCTION] "De fait, l'article 71 de la Loi sur les juges conserve expressément le pouvoir du Parlement dans ce domaine".

[24]      Cela signifierait que si l'article 71 préserve le pouvoir du Parlement à l'égard des juges, il préserve le pouvoir du gouverneur en conseil à l'égard des personnes nommées par décret et à titre inamovible. En conséquence, l'argument du requérant selon lequel la procédure prévue à l'article 69 est exclusive et s'impose au gouverneur en conseil ne saurait être retenu.

[25]      L'avocat des intimés soutient en dernier lieu que le dossier ne contient aucune preuve réelle qui indique que le requérant subirait un préjudice irréparable si la mesure provisoire réclamée en l'espèce est refusée. Tout d'abord, que le requérant subisse un préjudice n'est qu'une pure hypothèse. De plus, si le requérant est en fin de compte révoqué, il lui est loisible de faire annuler la décision du gouverneur en conseil et de réclamer des dommages-intérêts pour toute perte subie.

Conclusions

[26]      Après avoir examiné soigneusement les arguments bien préparés et habilement présentés des avocats, j'ai seulement à faire remarquer que les caractéristiques des procédures qui ont été engagées ne sont ni prosaïques ni ordinaires. En fait, rares sont les occasions où soit par prérogative de la Couronne soit par la loi, l'exécutif, à savoir le gouverneur en conseil, est appelé à exercer son pouvoir pour se renseigner et déterminer si le titulaire d'un poste de la Couronne devrait ou ne devrait pas être révoqué. Ces occasions sont en fait tellement rares qu'il n'existe guère de jurisprudence pour guider les cours de justice, chaque cas cité étant essentiellement unique en son genre.

[27]      Cela signifie en fait que la question de "comportement" de la part des personnes nommées par décret peut être tranchée cas par cas, la Couronne, par l'entremise du gouverneur en conseil, se réservant la prérogative judiciaire ultime pour déterminer quand un "comportement" est ou n'est pas compatible avec une charge particulière.

[28] Dans ce domaine de la prérogative ultime, dont je me permets de dire qu'il a des racines constitutionnelles légitimes, la branche judiciaire doit agir avec précaution et avec timidité, et doit éviter les généralisations hâtives. Je fais remarquer que dans sa décision Wedge précitée, le juge MacKay semble limiter considérablement le domaine de l'intrusion judiciaire dans cette question. Il fait état notamment d'équité procédurale, de délégation de pouvoir illégale et de défaut de possibilité de contre-interroger des témoins. Il refuse encore d'examiner si la décision du gouverneur en conseil quant à la norme de "comportement" ou "motif" que ce dernier a appliquée dans l'affaire est ou n'est pas la décision appropriée. Cette décision, dit-il, est une décision discrétionnaire, prise par le gouverneur en conseil dans son exercice du pouvoir délégué par le Parlement.

[29]      Malgré les observations précédentes, le mieux que je puisse faire à l'égard de demande de suspension dont je suis saisi est de me pencher sur les motifs invoqués par le requérant pour établir l'existence d'une cause soutenable. Je me permets de dire de prime abord que l'argument de l'avocat à cet égard n'est ni futile ni vexatoire. J'ai auparavant mentionné dans certains détails la thèse de l'avocat et, comme je le lui ai avoué à la fin de son argumentation, je trouve cet argument persuasif mais pas nécessairement concluant. Je ne peux dire qu'il est assez valable pour franchir le premier stade du critère à trois volets applicable aux actions en suspension d'instance.

[30]      Pour ce qui est du préjudice irréparable, je dois rejeter l'argument du requérant selon lequel [TRADUCTION] "la perte du poste lui-même et auquel il a droit" constitue un préjudice irréparable qui ne peut être compensé par des dommages-intérêts. On ne saurait, à ce stade, préjuger de la décision que le gouverneur en conseil pourrait prendre sur l'affaire, mais le requérant pourrait se prévaloir des procédures de contrôle judiciaire et réclamer des dommages-intérêts spéciaux et généraux.

[31]      Je devrais en dernier lieu faire état de l'octroi ou du refus de la mesure de redressement provisoire en question lorsque l'intérêt public est en jeu. Si une suspension est accordée au requérant, le gouverneur en conseil, c'est-à-dire l'intérêt public, ne peut exercer les pouvoirs qu'il tient de la loi et de sa prérogative. Dans l'affaire P.G. du Canada c. Fishing Vessel Owners' Assoc. of B.C. et al8, il est dit que, dans ces cas, l'intérêt public lui-même subit un préjudice irréparable. Que cela s'applique à tous les cas est sujet à question, mais je crois qu'il est bien établi dans la jurisprudence que lorsque l'intimé est une autorité publique, [TRADUCTION] "on doit examiner la prépondérance des inconvénients de façon plus globale et tenir compte des intérêts du public en général, auquel ces obligations sont dues"9.

Conclusion

[32] Je suis reconnaissant envers les avocats des deux parties de la qualité de leur documentation et de leur argumentation devant moi. Je conclus toutefois que le requérant ne m'a pas convaincu qu'il existait suffisamment de motifs pour justifier que j'intervienne en suspendant les procédures. Je dois par conséquent rejeter la demande.

                                 L. Marcel Joyal

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 23 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      T-18-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              John Frederick William Weatherill c. Procureur général du Canada et Nicole Jauvin
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 20 janvier 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

EN DATE DU                      23 janvier 1998

ONT COMPARU :

    Bernard Chernos, c.r.
    (416) 595-2499                      pour le requérant
    Edward Sojonky, c.r.
    (613) 957-4871                      pour les intimés
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Goodman and Carr
    Toronto (Ontario)                  pour le requérant
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour les intimés

__________________

     1      Valente c. La Reine, (1985) 2 R.C.S. 673; La Reine c. Beauregard, (1986) 2 R.C.S. 56; Bande indienne de Matsqui c. C.P. Limited, (1995) 122 D.L.R. (4th) 129; et Reference re. Public Sector Pay Reduction Act (P.E.I.) s. 10, re. Provincial Court Act (P.E.I.), R. c. Campbell, R. c. Ekmecic; R. c. Wickman, Manitoba Provincial Judges'Assn. c. Manitoba (Minister of Justice), (1997) 150 D.L.R. (4th) 577 (C.S.C.).

     2      Alex Couture Inc. c. Canada (P.G.), (1991) 83 D.L.R. (4th) 577 (C.A.Q.).

     3      [1995] 1 R.C.S. 157.

     4      [1971] R.C.S. 756.

     5      [1982] 1 C.F. 214 (C.A.F.).

     6      T-2812-94 (C.F.1re inst.), jugement en date du 23 juin 1997 rendu par le juge MacKay. Note : L'argument fondé sur l'article 69 de la Loi sur les juges n'a pas été soulevé dans cette procédure.

     7      Le juge Strayer (tel était alors son titre), dans Gratton c. Conseil canadien de la magistrature et al. (1994) 115 D.L.R. (4th) 81, à la page 106.

     8      [1985] 1 C.F. 791, à la page 795.

     9      Smith v. London School Authority, (1978) All E.R. 411 et 422.

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