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Date : 20030204

Dossier : T-1712-02

Référence neutre : 2003 CFPI 118

Ottawa (Ontario), le mardi 4 février 2003

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                                   RENE PAUL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

LE CONSEIL DES PREMIÈRES NATIONS D'ALEXANDER, LE CHEF VICTORIA ARCAND, LES CONSEILLERS ARMAND ARCAND, HERBERT R. ARCAND et MARTIN ARCAND et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                Je rejette, pour les motifs qui suivent, la requête présentée par M. Paul en vue d'obtenir une ordonnance interlocutoire ayant pour effet d'empêcher, en attendant la tenue d'une nouvelle élection, le chef et les trois membres du conseil défendeurs de prendre toute décision d'ordre opérationnel ou financier à titre de chef ou de conseillers des premières nations d'Alexander.


[2]                Par sa requête, instruite à la séance générale de la Cour à Edmonton, M. Paul demandait également une déclaration portant que sont nuls les résultats de l'élection pour les postes de chef et de conseillers du 12 septembre 2002, une ordonnance de quo warranto et une ordonnance prévoyant la tenue d'une nouvelle élection pour le poste de chef et les postes de trois conseillers. Pour les motifs qui vont suivre, la requête est également rejetée en ce qui concerne ces mesures de redressement.

LA PREUVE PRÉSENTÉE À LA COUR

[3]                M. Paul a signé deux affidavits à l'appui de sa requête. Dans le premier, il a déclaré sous serment croire que Victoria Arcand, Armand Arcand, Herbert R. Arcand et Martin Arcand (les défendeurs individuels) ont fait verser quelque 300 000 $ à des votants admissibles de la réserve des premières nations d'Alexander, en vue d'influencer le vote et de suborner des électeurs. Il a joint comme pièces à son affidavit des lettres où six électeurs déclaraient avoir reçu des chèques d'un défendeur individuel. Dans aucune de ces lettres, un électeur ne faisait état du montant d'un chèque reçu. Était également jointe à l'affidavit ce qu'on disait être une pétition, signée par au moins 51 pour cent des électeurs, où ces derniers déclaraient ce qui suit.

[traduction]

1.              En raison d'importantes irrégularités alléguées relativement à l'élection coutumière pour le gouvernement tribal d'Alexander du 12 septembre 2002, nous n'approuvons ni ne reconnaissons les membres de la bande présumés avoir été élus chef et membres du conseil.


2.              Que le chef et les membres du conseil présumés avoir été élus et qui occupent actuellement ces postes « cessent et s'abstiennent » de prendre toute décision d'ordre opérationnel ou financier en attendant la révision par le comité des appels et (ou) la Cour fédérale de l'élection coutumière pour le gouvernement tribal d'Alexander du 12 septembre 2002.

3.              Le comité des appels mentionné au Règlement sur les élections coutumières pour le gouvernement tribal d'Alexander doit déroger aux dispositions de l'article 30 et prendre des mesures immédiates pour réviser les appels formés par les divers membres.

[4]                La pétition n'était pas datée mais elle a été signée au plus tard le 3 octobre 2002, parce qu'elle était jointe comme pièce à l'affidavit signé par M. Paul à cette date. M. Paul a déclaré sous serment croire que, par suite de cette pétition, les postes des défendeurs individuels devenaient vacants.

[5]                Dans son second affidavit, M. Paul a déclaré sous serment croire qu'à une réunion du chef et du conseil le 12 août 2002, en plus de fixer la date de l'élection contestée (au 12 septembre 2002), on a décidé qu'il y aurait suspension du versement des salaires, des prêts et des paiements d'assistance aux membres de la bande, de la date de la réunion jusqu'à la date de l'élection. M. Paul croyait qu'un but ainsi visé était d'empêcher la fraude électorale, notamment la corruption et la « subornation d'électeurs » . Ce que M. Paul a décrit comme un avis écrit de cette suspension aux premières nations d'Alexander était joint comme pièce à l'affidavit.


[6]                Étaient également jointes au second affidavit de M. Paul trois lettres d'un autre électeur où ce dernier déclarait avoir reçu le 4 septembre 2002, environ une semaine avant l'élection, de l'aide financière sous forme d'un chèque d'environ 200 $ approuvé et remis à sa résidence par Martin Arcand. L'électeur a écrit dans sa seconde lettre qu'il avait demandé de l'aide financière à Armand Arcand et que celui-ci avait répondu qu'il lui « [traduction] en coûterait un vote » . L'électeur a écrit dans sa troisième lettre que, le 10 septembre 2002, il avait reçu un chèque d'environ 250 $ approuvé par Herbert Arcand. M. Paul a déclaré sous serment croire que ces sommes étaient versées à l'électeur en vue d'influencer son vote. Une lettre semblable a été fournie par un second électeur, quatre lettres par un troisième et quatre autres lettres par quatre autres électeurs. Toutes les lettres présentées comme pièces étaient des lettres types où étaient inscrits le nom du destinataire du paiement ainsi que la nature, le montant et la date de réception du paiement. Dans chaque cas c'est M. Paul et non le destinataire du paiement qui a déclaré sous serment croire que l'argent était versé pour influencer le vote du destinataire. Les paiements énumérés dans les lettres produites comme pièces sont d'un montant total d'environ 5 230 $.

[7]                M. Paul a conclu son second affidavit en déclarant sous serment croire qu'on avait exercé des pressions, directement ou indirectement, sur certains électeurs ayant signé la pétition jointe à son premier affidavit pour qu'on retire leur nom de celle-ci. Des lettres types de trois personnes ont été jointes à l'affidavit à cette fin. Dans une lettre, un électeur se plaignait d'avoir du mal à se faire payer par l'administration de la bande pour un contrat qu'il avait exécuté, en attribuant le motif au fait qu'il avait signé la pétition. Dans les deux autres lettres, on déclarait que le directeur des services de santé de la bande avait dit à une électrice qu'elle devrait être congédiée pour avoir fait circuler une pétition dans la collectivité, et à une autre qu'elle « perdrait » son emploi si elle signait la pétition.


[8]                La déclaration sous serment de M. Paul selon laquelle il croyait que les défendeurs individuels avaient fait verser quelque 300 000 $ aux votants admissibles n'était étayée par rien.

[9]                Trois affidavits additionnels ont été reçus à l'audience à l'appui de la requête. Dans l'un, une ancienne conseillère a déclaré sous serment qu'à la réunion du 12 août 2002 du chef et des membres du conseil, on avait décidé que le versement de tous les prêts, avances de salaire et paiements d'assistance aux membres de la bande serait suspendu jusqu'au 12 septembre 2002. Elle a également déclaré avoir elle-même, le 9 septembre 2002, remis à un membre de la bande un chèque d'assistance d'environ 200 $ à 300 $.

[10]            Dans un autre affidavit, un membre des premières nations d'Alexander a déclaré sous serment avoir demandé assistance au chef Arcand, à une date non spécifiée, pour pouvoir payer ses notes de gaz et d'électricité. Le membre a déclaré sous serment que le chef lui a dit qu'il lui « [traduction] en coûterait un vote » .

[11]            Dans le troisième affidavit, l'une des six personnes ayant fourni une lettre jointe au premier affidavit de M. Paul a confirmé la véracité de la teneur de cette lettre.

[12]            Chacun des défendeurs individuels a signé un affidavit dans laquelle il conteste la requête.

[13]            Le chef Arcand a déclaré sous serment que les allégations de subornation d'électeurs portées contre elle étaient sans fondement. Elle a nié avoir remis des chèques dans les cas où, dans les lettres jointes aux affidavits de M. Paul, on déclarait qu'elle l'avait fait. Elle a également nié l'allégation selon laquelle l'approbation par elle d'une avance de salaire était conditionnelle à la façon de voter de l'intéressé (lui-même un candidat à l'élection). En regard d'une lettre jointe à l'affidavit de M. Paul et faisant état du versement à l'électeur concerné d'une aide financière de 1 500 $ entre le 12 août et le 12 septembre 2002, le chef Arcand a fourni des copies de la demande écrite d'assistance et du chèque versé en conséquence. Les deux documents étaient datés du 18 septembre 2002, soit une date postérieure à l'élection.

[14]            Pour ce qui est de la prétendue suspension de paiements, le chef Arcand a déclaré que, même si l'avis joint à l'affidavit de M. Paul avait bien été rédigé par elle, il s'agissait d'une ébauche pour fins de discussion à la réunion du conseil. Le conseil a décidé après discussion, selon le chef Arcand, qu'une telle suspension causerait un préjudice trop important, et que l'administrateur de la bande devrait plutôt s'occuper de toutes les demandes d'assistance.


[15]            En ce qui concerne la pétition des électeurs, le chef Arcand a joint à son affidavit les lettres de neuf électeurs, qui n'auraient pas été sollicitées, où ceux-ci demandaient que leur signature soit retirée de la pétition jointe à l'affidavit de M. Paul. L'intéressé déclarait dans certaines de ces lettres qu'il avait mal compris la pétition ou qu'on l'avait induit en erreur ou mal informé. Une seconde pétition signée par 59 électeurs (y compris Victoria Arcand, Al Arcand, Herb Arcand, Armand Arcand et Martin Arcand) était jointe à l'affidavit du chef Arcand, dans laquelle les signataires déclaraient ne pas appuyer les efforts déployés pour faire annuler l'élection du 12 septembre 2002. Cette seconde pétition était signée par un certain nombre d'électeurs qui avaient également signé la première.

[16]            Finalement, le chef Arcand a déclaré sous serment que, le 16 octobre 2002, le comité des appels en matière d'élection des premières nations d'Alexander (le comité des appels) constitué en vertu du Règlement sur les élections coutumières pour le gouvernement tribal d'Alexander (Alexander Tribal Government Customary Election Regulations (le Règlement), avait instruit l'appel en matière d'élection de René Paul et d'autres personnes. Le 22 octobre 2002, le comité des appels a rejeté l'appel de M. Paul. Une copie de cette décision était jointe à l'affidavit.

[17]            Dans son affidavit, Martin Arcand a nié toutes les allégations d'actes répréhensibles et a déclaré sous serment que le chef et les conseillers n'avaient pas décidé de suspendre tous les paiements. On a plutôt décidé que l'administrateur s'occuperait de tous les paiements d'assistance pendant la campagne électorale.

[18]            Les affidavits d'Herbert Arcand et d'Armand Arcand étaient de même teneur.


[19]            Un conseiller dont le poste au conseil n'est pas mis en cause dans la présente instance a signé un affidavit auquel étaient joints, notamment, le Règlement, le rapport sur les résultats du scrutin de l'officier d'élection, l'appel de M. Paul relatif aux résultats du scrutin, d'autres appels interjetés à l'égard de l'élection, la décision du comité des appels au sujet de l'appel de M. Paul ainsi que la transcription des débats devant le comité des appels.

[20]            Chacun des défendeurs individuels a été contre-interrogé relativement à son affidavit, tout comme les auteurs des trois affidavits déposés à l'audience. Lors de son contre-interrogatoire, l'ancienne conseillère a admis que le conseil n'avait pas fait de proposition ni mis de proposition aux voix en vue de suspendre le versement d'avances de salaire, de prêts ou de paiements d'assistance aux membres de la bande. L'ancienne conseillère a admis qu'elle avait, ainsi que d'autres conseillers, continué d'approuver et de traiter des demandes d'assistance, et qu'elle avait elle-même reçu des paiements d'assistance, des avances ou des prêts pendant cette période.

[21]            Avant l'instruction de la requête de M. Paul, la demande à l'encontre du procureur général a été abandonnée, de sorte qu'aucune preuve ni argumentation n'a été présentée en son nom.

LE RÈGLEMENT SUR LES ÉLECTIONS COUTUMIÈRES


[22]            Les parties conviennent que l'élection du chef et des conseillers était et est régie par le Règlement et que l'élection a été tenue en conformité avec celui-ci. Les dispositions du Règlement pertinentes aux fins de la présente requête sont les articles 27 et 28, qui traitent des résultats du scrutin, les articles 29, 30 et 31, des appels, et l'article 33, de vacance d'un poste. Voici le libellé de ces articles.

[traduction]

27.            Dans les vingt-quatre heures qui suivent la déclaration publique des candidats élus à un poste, l'officier d'élection

a)             remet à chaque candidat et affiche, dans le bureau de l'administration du gouvernement tribal d'Alexander, le bureau de l'éducation, la garderie, la ferme tribale et tout autre lieu dans la réserve d'Alexander qu'il juge approprié, un avis faisant état :

(i)             des candidats élus;

(ii)            du nombre de voix recueillies par chaque candidat;

(iii)           du nombre de bulletins rejetés.

28.            Après avoir dénombré les suffrages, l'officier d'élection dépose tous les bulletins sous pli cacheté et en garde possession pendant une période de trente jours ou jusqu'à ce qu'un avis d'appel lui soit signifié, auquel cas il transmet au comité des appels les bulletins ainsi que la liste des électeurs et tout autre document qu'il juge approprié.

APPELS

29.            Dans les quinze jours suivant l'affichage de l'avis écrit par l'officier d'élection en vertu de l'article 27, tout électeur peut en appeler de l'élection d'un candidat ou de candidats en déposant un avis écrit d'appel, faisant état des motifs d'appel, auprès de l'officier d'élection s'il a des motifs raisonnables de croire

a)             soit que l'élection a donné lieu à une manoeuvre frauduleuse,

b)             soit que les dispositions du présent Règlement n'ont pas été respectées.

30.            Le comité des appels instruit l'appel dans les trente jours suivant le dépôt de l'avis d'appel et il rend sa décision dans les cinq jours suivant l'instruction. Le comité des appels n'est lié par aucune règle de preuve. La décision du comité des appels est définitive et obligatoire. Les appels devant un tribunal ne peuvent porter que sur une question de droit et non une question de fait.

31.            Lorsque le comité des appels conclut qu'un ou des candidats n'ont pas été élus en conformité avec le présent Règlement, l'officier d'élection fait tenir une assemblée de mise en candidature et une élection pour le ou les postes vacants, en conformité avec le présent Règlement.

[...]


VACANCE

33.            a)             Le poste de chef ou de conseiller devient vacant lorsque son titulaire

(i)             soit décède,

(ii)            soit démissionne,

(iii)           soit est, de l'avis de cinquante et un pour cent des électeurs de la tribu d'Alexander qui signent une pétition à cette fin, inapte à demeurer en fonction parce qu'il a été déclaré coupable d'une infraction visée au Code criminel du Canada, parce qu'il n'a pas assisté à des réunions et a négligé de s'acquitter d'autres devoirs de sa charge d'une manière mettant en danger le bon fonctionnement de la tribu d'Alexander, ou pour tout autre motif grave.

b)             Lorsque le poste de chef ou de conseiller devient vacant plus de trois mois avant la date à laquelle une autre élection serait ordinairement tenue, une élection spéciale peut être tenue en conformité avec le Règlement pour pourvoir au poste.

L'INSTANCE DEVANT LE COMITÉ DES APPELS

[23]            M. Paul a interjeté appel devant le comité des appels le 19 septembre 2002. Dans son avis d'appel, M. Paul a déclaré que le fondement de l'appel c'était qu'il avait « [traduction] des motifs raisonnables de croire qu'une manoeuvre frauduleuse » avait entaché l'élection. M. Paul a précisé qu'un nombre important de chèques d'assistance pour membres de la bande avaient été émis, malgré que le chef et les conseillers avaient déclaré précédemment qu'ils ne pourraient prendre de décisions de nature opérationnelle, et que les défendeurs individuels avaient émis des chèques d'aide financière à l'intention de votants admissibles, « [traduction] des éléments de subornation et de coercition » en vue de l'obtention de votes étant présents.

[24]            Le 7 octobre 2002, M. Paul a introduit la présente instance devant notre Cour. Il a demandé une déclaration portant qu'était nulle l'élection des défendeurs individuels, une ordonnance de quo warranto, une déclaration prévoyant la tenue d'une nouvelle élection et des mesures provisoires.

[25]            Le 16 octobre 2002, le comité des appels s'est réuni pour instruire tous les appels interjetés relativement à l'élection. Une décision écrite a été rendue à l'égard de chaque appel. En ce qui concerne l'appel de M. Paul, la décision du comité des appels était la suivante :

[traduction]

Décision

Façon d'aborder la preuve du comité

L'article 30 du Règlement prévoit que le comité des appels n'est lié par aucune règle de preuve. Toutefois, les règles de justice naturelle et de l'équité procédurale, qui s'appliquent à notre comité des appels en vertu des lois fédérales, comportent comme principe fondamental que les personnes contre lesquelles des allégations sont portées doivent avoir l'occasion de les entendre et d'y répliquer. Pour ce qui est de l'équité en matière de fond, le comité des appels doit :

a.              exercer ses pouvoirs de manière raisonnable

b.              tenir compte des éléments de preuve pertinents

c.              faire abstraction des éléments de preuve non pertinents

d.              s'abstenir d'agir avec une intention nuisible ou illégitime.

[...]

Pour ce qui est de manoeuvres frauduleuses, M. Paul n'a pas présenté de preuve substantielle, directe ou péremptoire pouvant convaincre le comité des appels, selon la prépondérance des probabilités, que l'élection à Alexander du 12 septembre 2002 en était entachée. Les déclarations générales d'irrégularités, sans preuve à l'appui de si sérieuses accusations, doivent être soumises à une norme de preuve plus stricte que les allégations de moins grave portée. M. Paul n'a produit aucun document ou témoin pour étayer ses prétentions de manoeuvres frauduleuses, et le comité des appels ne peut donc rendre de décision sans disposer de la preuve nécessaire. M. Paul n'a présenté aucune preuve permettant d'étayer le droit coutumier d'Alexander relativement aux questions qu'il a soulevées, notamment l'acceptation de la preuve par ouï-dire, ou l'applicabilité des principes de justice naturelle et la présence ou le rôle des avocats à l'égard du droit coutumier. Cette partie du présent appel est par conséquent rejetée.


Compte tenu des conclusions du comité des appels, l'élection du 12 septembre 2002 demeure par conséquent inchangée. Fait le 21 octobre 2002.

LA DEMANDE DE MESURES DE REDRESSEMENT INTERLOCUTOIRES

[26]            M. Paul ne conteste pas dans la présente demande la procédure devant le comité des appels. Il ne sollicite pas non plus le contrôle judiciaire de la décision du comité. M. Paul demande plutôt à la Cour d'examiner des allégations de corruption électorale déjà examinées par le comité des appels, et de donner effet à la pétition des électeurs en déclarant vacants les postes du chef et de trois conseillers. C'est dans ce contexte que sont demandées des mesures de redressement provisoires.

[27]            Les principes qui régissent les requêtes pour injonction interlocutoire et pour suspension de procédures sont bien établis. Le demandeur doit démontrer l'existence d'une question sérieuse à trancher, qu'il subira un tort irréparable si la mesure de redressement n'est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l'octroi de la mesure interlocutoire.

(i) Une injonction interlocutoire devrait-elle être accordée en raison des manoeuvres électorales frauduleuses alléguées?


[28]            Je désire faire observer, dès le départ, que la preuve au soutien de l'allégation de manoeuvres électorales frauduleuses m'apparaît faible. Je n'oublie pas, toutefois, que le seuil est bas pour ce qui est d'établir l'existence d'une question sérieuse à trancher, et que le tribunal n'a généralement pas à procéder à un examen approfondi sur le fond. Mettant par conséquent de côté ce que je perçois être des lacunes dans la preuve, je suis convaincue qu'un vice plus fondamental entache la demande d'injonction de M. Paul. Il s'agit du fait que les allégations de ce dernier ont déjà été soumises au comité des appels, qui les a examinées, les a jugées non fondées et les a rejetées.

[29]            Les premières nations d'Alexander ont expressément confié au comité des appels, constitué en vertu du Règlement, la charge de procéder à toute révision requise des résultats d'un scrutin. Le Règlement met en place une procédure rapide pour l'examen des allégations concernant une élection, y compris celles de manoeuvres électorales frauduleuses. Le Règlement prévoyant que la décision du comité des appels par suite d'un examen est définitive et obligatoire et que tout recours devant un tribunal ne peut porter que sur une question de droit et non une question de fait, cela dénote l'intention qu'on accorde à cette décision un poids et un respect considérables.


[30]            Le comité des appels s'est acquitté de la tâche que les premières nations d'Alexander lui ont confiée. Dans les circonstances, aucun fait ou question n'étant déclaré sous serment qui mette en doute l'à-propos de cette procédure, et l'examen de la transcription des débats devant le comité des appels ne révélant à sa face même l'existence d'aucun vice, je suis convaincue que je ne dois pas exercer mon pouvoir discrétionnaire et octroyer une injonction interlocutoire. J'en viens à cette conclusion parce que la prépondérance des inconvénients ne penche pas en faveur de cet octroi.

[31]            M. Paul n'a pas réussi à démontrer que les inconvénients et le préjudice susceptibles d'être subis si une injonction interlocutoire n'est pas accordée sont plus importants que les inconvénients et le préjudice susceptibles d'être subis par les premières nations d'Alexander si l'on faisait abstraction des dispositions du Règlement et si l'on ne témoignait pas la déférence requise à l'endroit de la procédure prévue par lui.

(ii) Une mesure de redressement interlocutoire devrait-elle être accordée en raison de la pétition des électeurs?

[32]            M. Paul demande qu'une ordonnance de quo warranto et de mandamus soit décernée en vertu de l'article 33 du Règlement, qui prévoit la vacance d'un poste dans le cas où 51 pour cent des électeurs signent une pétition portant qu'un chef ou un conseiller est inapte à demeurer en fonction. On soutient que 51 pour cent des électeurs en sont venus à cette conclusion, tel qu'en atteste la pétition jointe à l'affidavit de M. Paul. On ajoute que, par suite, la Cour devrait décerner un quo warranto ainsi qu'une ordonnance de certiorari du genre mandamus prévoyant la tenue d'une nouvelle élection pour le poste de chef et le poste de trois conseillers.

[33]            De par leur nature, toutefois, les recours en quo warranto et en certiorari ont un caractère définitif. L'avocat de M. Paul a d'ailleurs concédé pendant la plaidoirie que l'examen de la jurisprudence laissait croire que de tels recours ne peuvent être octroyés de manière provisoire ou interlocutoire. Je suis d'accord; j'estime que l'on ne peut accorder l'un ou l'autre recours dans le cadre d'une demande de mesures de redressement provisoires.

LA DEMANDE DE MESURES DE REDRESSEMENT DÉFINITIVES


[34]            Confronté à cette difficulté, M. Paul a demandé dans son avis de requête modifié qu'une mesure de redressement déclaratoire et les recours en quo warranto et en certiorari soient octroyés de manière définitive. Les avocats de tous les défendeurs ont demandé conjointement à la Cour de transformer la présente requête de manière à ce que cela donne lieu à l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire et à une décision définitive sur la question. Cela a été demandé malgré que les parties ne se soient pas conformées, même pour l'essentiel, aux articles 306, 307 et 81 des Règles de la Cour fédérale (1998), lesquels requièrent que les parties déposent des affidavits et pièces documentaires. En l'espèce, une bonne partie de la preuve consiste en déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits. En vertu de l'article 81, la preuve présentée à l'appui d'une requête pour redressement interlocutoire peut contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, mais la preuve à l'appui d'une demande de contrôle judiciaire doit se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Les parties, en outre, ont omis de fournir des dossiers du demandeur tel que le requièrent les articles 309 et 310, de demander qu'une date soit fixée pour l'audition de la demande de contrôle judiciaire tel que le requiert l'article 314 ainsi que de restreindre la plaidoirie à deux heures, comme cela est requis pour une affaire devant être instruite à une séance générale de la Cour.

[35]            Aucun des avocats n'a invoqué de fondements juridiques, qu'il s'agisse de règles ou de jurisprudence, ni n'en a même mentionné, pour étayer la prétention selon laquelle la Cour peut et devrait octroyer une telle mesure de redressement définitive en l'espèce.

[36]            Les règles de notre Cour sont conçues de manière à assurer qu'une preuve appropriée lui soit présentée, ne comportant que des éléments de preuve admissibles, lorsqu'une question doit être tranchée de manière définitive. Elles visent aussi à assurer que la Cour obtienne des mémoires des faits et du droit plus étoffés que les observations écrites requises à l'égard d'une requête.

[37]            L'exigence selon laquelle il faut demander la fixation d'une date pour une audition définitive, celle-ci étant fixée par le bureau de l'administrateur judiciaire, et celle selon laquelle deux heures au maximum sont prévues pour une affaire instruite à une séance générale font ressortir la nécessité pour la Cour de contrôler son calendrier. Cela permet à la Cour de s'assurer autant que possible que les questions urgentes soient traitées en temps opportun, qu'il ne soit pas permis aux parties de « couper la file d'attente » et que les parties dont une affaire est valablement instruite au moyen d'une séance générale n'aient pas à subir de retard indu.


[38]            Pour ces motifs, les parties ne doivent pas ajouter, ni s'entendre entre elles pour ajouter, des demandes de mesures de redressement définitives à ce qui constituerait par ailleurs une demande valide d'injonction interlocutoire.

[39]            Dans des circonstances particulières, la Cour pourrait, en vertu de l'article 55 des Règles, sur requête et présentation d'une preuve régulière, dispenser de l'observation des règles susmentionnées. Je ne le ferai toutefois pas en l'espèce, puisque la preuve ne révèle pas l'existence de circonstances particulières requérant de trancher à ce stade-ci la question de manière définitive. En outre, si une demande en ce sens devait être présentée à la Cour, il faudrait à tout le moins s'assurer que la preuve produite se conforme à l'article 81 des Règles (c.-à-d. des faits dont le déclarant a une connaissance personnelle) et que des mémoires des faits et du droit soient soumis à la Cour. Une partie peut subsidiairement, en vertu de l'article 54 des Règles, présenter une requête en vue d'obtenir des directives sur la procédure à suivre dans un cas particulier.

[40]            Ayant conclu que les circonstances et la preuve ne justifient pas de rendre une décision définitive à cette étape-ci, je ferai observer, en vue d'éviter aux parties d'engager des dépenses supplémentaires, que tout effort visant à obtenir une ordonnance de quo warranto ou de certiorari en se fondant sur la pétition des électeurs existante me semble voué à l'échec pour deux motifs que je vais maintenant préciser.

[41]            En termes de preuve, premièrement, le libellé de la pétition jointe à l'affidavit de M. Paul ne suffit pas pour faire valoir l'article 33 du Règlement. Il n'est jamais déclaré dans la pétition que, de l'avis des signataires, les défendeurs individuels sont inaptes à demeurer en fonction en raison d'un comportement spécifique. On ne fait nulle mention dans la pétition de l'article 33 du Règlement, ni ne demande qu'un poste soit déclaré vacant. Les signataires demandent plutôt la révision immédiate, par le comité des appels, des appels interjetés par suite de l'élection. Cela a été fait après que la pétition a été signée.

[42]            À mon avis, deuxièmement, on ne peut invoquer l'article 33 du Règlement pour contester indirectement l'issue d'un appel instruit par un comité des appels en vertu des articles 29 à 31 du Règlement. L'article 29 prévoit expressément que les prétentions de manoeuvres électorales frauduleuses doivent faire l'objet d'un appel devant le comité des appels. On ne peut raisonnablement interpréter le Règlement comme voulant dire que, lorsque cela est fait et que le comité des appels a tranché la question, on peut chercher à obtenir un résultat contraire en recourant à l'article 33.

CONCLUSION

[43]            Pour ces motifs, la requête présentée par M. Paul sera rejetée.

[44]            À l'audience, les avocats ont demandé de pouvoir soumettre des observations écrites relativement aux dépens après le prononcé des présents motifs. Les avocats des défendeurs peuvent par conséquent signifier et déposer des observations écrites relativement aux dépens dans les 14 jours suivant la réception des présents motifs. Par la suite, l'avocat de M. Paul pourra dans les 14 jours signifier et déposer ses propres observations en réplique. Les défendeurs pourront alors signifier et déposer des observations dans les sept jours suivant la réception des observations signifiées au nom de M. Paul.

[45]            Après examen de ces observations, une ordonnance sera rendue prévoyant le rejet de la requête et réglant la question des dépens afférents à celle-ci.

                                                                                                                         « Eleanor R. Dawson »              

                                                                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  T-1712-02

INTITULÉ :                                 Rene Paul c. Le conseil des premières nations d'Alexander et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 21 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                   Le 4 février 2003

COMPARUTIONS :

Robert Hladun                               POUR LE DEMANDEUR

Trina Kondro                                 POUR LA DÉFENDERESSE / PREMIÈRE NATION D'ALEXANDER

Janice Agrios                                 POUR LA DÉFENDERESSE / CHEF VICTORIA ARCAND

Bradley Enge                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Hladun                               POUR LE DEMANDEUR

Trina Kondro                                 POUR LA DÉFENDERESSE / PREMIÈRE NATION D'ALEXANDER

Janice Agrios                                 POUR LA DÉFENDERESSE / CHEF VICTORIA ARCAND

Bradley Enge                                 POUR LE DÉFENDEUR

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