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                                                                                                                                          Date:    20030502

                                                                                                                                     Dossier :    T-874-02

                                                                                                                     Référence :    2003 CFPI 545

Ottawa (Ontario) le 2 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                               MARCEL LAPIERRE

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciare à l'encontre d'une décision du Comité de discipline du Pénitencier de Donnaconda (le « tribunal » ), rendue le 9 mai 2002. Le tribunal a déclaré que le demandeur, Mr. Marcel Lapierre, était coupable de l'infraction disciplinaire prévue au paragraphe 40(l) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 1992, c. 20 (la « Loi » ). Le demandeur a reçu une sentence disciplinaire de 35,00$ d'amende plus, tel qu'il est littéralement mentionné à la décision, « 10 jours de détention suspendue pour 90 jours avec perte de télévision. »


Les Faits

[2]                 Le demandeur est présentement incarcéré à l'Établissement Cowansville. Toutefois, le 19 février 2002, alors que le demandeur était incarcéré au pénitencier de Donnacona, des agents de cet établissement ont établi qu'ils avaient des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait consommé de la drogue.

[3]                 Monsieur Bénard, un employé du Service correctionnel du Canada, affirme que le 19 février 2002, vers 21h45, une odeur suspecte, tel que mentionnée dans la preuve (et la décision), « genre pot et hasch » a été relevée dans la salle de musique. Il y avait 4 personnes dans la salle, y compris le demandeur. Les agents ont effectué une fouille à nu sur deux détenus, M. Lapierre et M. Perreault, mais ils n'ont rien trouvé. La salle a été fouillée aussi, mais ils n'ont rien trouvé non plus. M. Bénard dit que les motifs raisonnables des autorités seraient justifiés par deux faits survenus le 19 février 2002, soit le fait que M. Lapierre avait les yeux vitreux et qu'il y avait une odeur qui ressemble « genre pot et hasch » dans la pièce.

[4]                 Une demande d'échantillon d'urine a été demandée au demandeur. La demande a été refusée. Le 20 février 2002, un rapport d'infraction fut remis au demandeur.   

        

[5]                 Le 28 février 2002, la comparution pour le rapport d'infraction daté du 19 février 2002 a eu lieu. Le demandeur a plaidé non-coupable à cette accusation et l'audience a été fixée au 4 avril 2002, puis reportée au 2 mai 2002, pour finalement prendre place le 9 mai 2002.


[6]                 Le 9 mai 2002, le demandeur a été trouvé coupable de l'infraction sous le paragraphe 40(l) de la Loi, soit pour avoir refusé ou omis de fournir un échantillon d'urine. Le président du tribunal a condamné le demandeur à 35,00$ d'amende plus 10 jours de détention suspendue pendant 90 jours avec perte de télévision.

Les questions en litige

[7]                 Le demandeur soulève trois questions:

           1.         Est-ce que le président du tribunal, M. Maranda, a commis une erreur de droit ou a rendu une décision manifestement déraisonnable en n'acquittant pas le requérant au motif que le rapport d'infraction était imprécis, le tout contrairement à l'alinéa 25(1)(a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition?

           2.         Est-ce que le président du tribunal a commis une erreur de droit ou a rendu une décision manifestement déraisonnable en considérant que les faits qu'une personne ait les yeux vitreux et qu'il y ait une odeur de drogue dans une pièce où quatre personnes se trouvent constituent des motifs de croire qu'une personne en particulier a consommé de l'alcool ou de la drogue?

           3.         Est-ce que le président du tribunal a rendu une décision manifestement déraisonnable en n'appliquant pas le principe du doute raisonnable et la présomption d'innocence?


L'analyse

[8]                 A l'audience, le procureur du demandeur informa la Cour qu'il se désistait des questions 1 et 3 ci-haut. Partant, la présente analyse portera uniquement sur la deuxième question qui mérite, à mon avis, d'être formulée comme suit : « Est-ce que le président du tribunal a commis une erreur de droit ou a rendu une décision manifestement déraisonnable en considérant que les faits qu'une personne ait les yeux vitreux et qu'il y ait une odeur de drogue dans une pièce où quatre personnes se trouvent constituent des motifs de croire qu'une personne en particulier a consommé de l'alcool ou de la drogue? » Le tribunal avait-il des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration?

Dispositions législatives pertinentes

[9]                 L'article 54 de la Loi se lit comme suit :


54. L'agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d'urine dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

a) il a obtenu l'autorisation du directeur et a des motifs raisonnables de croire que le détenu commet ou a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration; (Je souligne)

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

(a) where the staff member believes on reasonable grounds that the inmate has committed or is committing the disciplinary offence referred to in paragraph 40(k) and that a urine sample is necessary to provide evidence of the offence, and the staff member obtains the prior

authorization of the institutional head; (My emphasis)



[10]            Les alinéas 40k) et l) de la Loi se lisent comme suit:


40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui

k) introduit dans son corps une substance intoxicante;

l) refuse ou omet de fournir l'échantillon d'urine qui peut être exigé au titre des articles 54 ou 55;

(Je souligne)

40. An inmate commits a disciplinary offence who

k) takes an intoxicant into the inmate's body;

(l) fails or refuses to provide a urine sample when demanded pursuant to section 54 or 55; (My emphasis)


[11]            Le paragraphe 57(1) de la Loi se lit comme suit :


57(1) Droit de présenter des observations

Lorsque la prise est faite au titre de l'alinéa 54a), l'intéressé doit, auparavant, avoir la possibilité de présenter ses observations au directeur.

57(1) Right to make representations

An inmate who is required to submit to urinalysis pursuant to paragraph 54(a) shall be given an opportunity to make representations to the institutional head before submitting the urine sample.


La norme de contrôle

[12]            Il est établit que notre Cour fait preuve de retenue judiciaire à l'égard des décisions disciplinaires in milieu correctionnel. Dans l'arrêt Forrest c.Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539, [2002] A.C.F. No. 713 (QL), le juge Kelen a résumé la jurisprudence de cette Cour traitant de la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le tribunal disciplinaire d'un pénitencier. Au paragraphe 19 de ses motifs il écrit:

Par conséquent, notre Cour n'interviendra sur une question de fait ou sur une question mixte de droit et de fait que dans l'un ou l'autre des cas suivants :


(i) le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion de fait d'une manière manifestement déraisonnable;,

(ii) le tribunal disciplinaire a tiré une conclusion mixte de droit et de fait d'une manière manifestement déraisonnable, à savoir dénuée de fondement raisonnable.

Par ailleurs, le rôle de notre Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire est de déterminer si la décision du tribunal disciplinaire reposait sur la preuve et si elle était raisonnablement fondée, et de s'assurer que le tribunal disciplinaire n'a pas commis d'erreur de droit ou qu'il n'a pas omis d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en rendant sa décision.

Ce passage résume bien la norme de contrôle qu'il y a à appliquer en l'instance.

[13]            Le demandeur prétend que le tribunal a commis une erreur de droit ou a rendu une décision manifestement déraisonnable en considérant que les faits qu'une personne ait les yeux vitreux et qu'il y ait une odeur de drogue, « genre pot et hasch » , dans une pièce où quatre personnes se trouvent constituent des motifs de croire qu'une personne en particulier a consommé de l'alcool ou de la drogue.

[14]            Le demandeur note aussi que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que les deux agents avaient « un doute raisonnable » alors qu'il se devait de trouver des « motifs raisonnables » .


[15]            Le défendeur constate que le demandeur et trois autres détenus se trouvaient dans une salle faisant environ 15 pieds par 14 pieds d'où émanait une odeur suspecte de « pot ou de hasch » se dégageait. Il soumet qu'une personne pouvait raisonnablement penser que les occupants de la pièce fumaient ou venaient de fumer du « pot ou du hasch » , étant donné que le demandeur lui-même avait les yeux vitreux. Conséquemment, le défendeur soumet que les autorités avaient des motifs raisonnables pour exiger du demandeur qu'il fournisse un échantillon d'urine.

[16]            Le demandeur soumet que ce n'est pas parce que quelqu'un a les yeux vitreux et qu'il y a une odeur de drogue dans la pièce où quatre personnes sont présentes qu'il y a aussitôt un motif raisonnable de croire qu'une personne en particulier a consommé de l'alcool ou de la drogue. Selon le demandeur, plusieurs facteurs peuvent expliquer qu'une personne a les yeux rouges.

[17]            Pour appuyer son argument le demandeur dépose l'arrêt La Reine c. Pierre Bergevin, [Cour municipale de Laval, District de Laval, No: 0080134877], le tribunal a déterminé que l'odeur de stupéfiant dans le véhicule d'un suspect et le fait que ce dernier avait les yeux vitreux étaient des éléments insuffisants pour établir des motifs raisonnables et probables de croire que le suspect avait une drogue contrôlée en sa possession. À mon avis, cet arrêt peut être distingué. Il m'apparaît évident que la situation et l'environnement d'une personne incarcérée sont des facteurs fort différents de ceux d'une personne non-incarcérée. Le Service correctionnel du Canada, pour assurer la sécurité du personnel, des détenus et du public, et pour prévenir la violence, ne peut tolérer l'utilisation de substances intoxicantes à l'intérieur des murs de ses établissements. Ainsi, le contrôle du comportement disciplinaire d'une personne incarcérée est nécessairement différent de celui que l'on peut appliquer à une personne en liberté.


[18]            Dans les circonstances particulières de cette cause, je suis d'avis que les agents avaient, aux termes de l'article 54 de la Loi, « des motifs raisonnables de croire que le détenu ... a commis l'infraction visée à l'alinéa 40k) et qu'un échantillon d'urine est nécessaire afin d'en prouver la perpétration » . Conséquemment, je trouve que le tribunal n'a commis aucune erreur révisable.

[19]            De surcroît, si le demandeur voulait contester les motifs raisonnables des autorités carcérales, il aurait pu présenter ses observations au directeur dans le délai prévu au paragraphe 57(1) de la Loi lorsqu'il fut enjoint de fournir un échantillon d'urine, et ce, tel qu'il appert de la deuxième partie de l'avis pour fournir un échantillon d'urine.

[20]            En ce qui concerne l'expression « doute raisonnable » utilisée par le président du tribunal lors de l'audience, le défendeur note que celui-ci décrivit correctement le débat en concluant que ce dernier concernait la présence de « motifs raisonnables » et non d'un doute raisonnable. Je suis satisfait que l'emploi de l'expression « doute raisonnable » par le président ne constitue pas une erreur qui porte; il s'agit plutôt d'un usage malencontreux d'une phrase empruntée au droit pénal.     

[21]            Je suis satisfait que la décision du tribunal est raisonnablement fondée sur la preuve et que le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ou qu'il n'a pas omis d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en rendant sa décision. Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du Comité de discipline du Pénitencier Donnaconda rendue le 9 mai 2002 est rejetée.

                                                                                                                               "Edmond P. Blanchard"                 

                                                                                                                                                                 Juge                       


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-874-02

INTITULÉ :                              Marcel Lapierre c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 10 avril 2003

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : L'honorable juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                    le 2 mai 2003

COMPARUTIONS :

Me Jérôme Parenteau                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien Gagné                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernier Parenteau                                                POUR LE DEMANDEUR

425, rue Cormier

Drummondville (Québec) J2C 7H6

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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