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Date : 20001002

Dossier : IMM-326-00

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                          JOSE ALONSO NAJERA REUL,

                                 EVA NAJERA ARVIZU,

                    DEISY ELIZABETH NAJERA ARVIZU,

                    ALONSO ISRAEL NAJERA ARVIZU et

                            SHAMMAI NAJERA ARVIZU

                                                                                        demandeurs

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'un tribunal différemment constitué tienne une nouvelle audition et rende une nouvelle décision. Aucune question n'est certifiée.

                                                                        « Frederick E. Gibson »           

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001002

Dossier : IMM-326-00

ENTRE :

                          JOSE ALONSO NAJERA REUL,

                                 EVA NAJERA ARVIZU,

                    DEISY ELIZABETH NAJERA ARVIZU,

                    ALONSO ISRAEL NAJERA ARVIZU et

                           SHAMMAI NAJERA ARVIZU,

                                                                                        demandeurs

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]         Les présents motifs visent une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention selon la définition attribuée à cette expression par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La SSR a rendu cette décision en date du 5 janvier 2000.


[2] Les demandeurs sont deux conjoints et trois de leurs enfants. Ils sont tous citoyens du Mexique. Ils fondent leur revendication du statut de réfugié sur leur crainte bien fondée d'être persécutés en raison de leurs croyances religieuses si ont les oblige à retourner au Mexique. Les CINQ demandeurs sont témoins de Jehova.

[3] La crainte alléguée des demandeurs découle du décès de la mère de José Alonso Najera Reul (le demandeur principal). La mère du demandeur principal était aussi témoin de Jehova. Pendant sa dernière maladie, elle et le demandeur principal ont été avisés qu'elle aurait besoin d'une transfusion sanguine. La mère du demandeur principal a refusé de subir une transfusion sanguine, en raison de ses croyances religieuses. Le demandeur principal a appuyé sa décision. La mère du demandeur principal est alors décédée. Les frères et soeurs du demandeur principal l'ont apparemment accusé d'avoir causé le décès de leur mère. Ils ont fait des menaces au demandeur principal, dans des lettres et par téléphone. Le demandeur principal soutient que lui et ses enfants ont été menacés par ses frères et soeurs à trois occasions distinctes. À l'une de ces occasions, il a signalé ces menaces aux policiers. Aux dires du demandeur principal, les policiers n'ont alors pris aucune mesure.


[4]         Le demandeur principal et sa famille ont emménagé dans une maison dont il était propriétaire depuis dix (10) ans et dont ses frères et soeurs connaissaient l'emplacement, dans le voisinage d'une entreprise appartenant à l'une de ses soeurs et pour laquelle il travaillait à titre d'employé. Il a continué à occuper son emploi dans cette entreprise, où il rencontrait régulièrement certains de ses frères et soeurs.

[5]         La SSR a conclu :

[Traduction] À partir de ces allégations, le tribunal a conclu que vous n'êtes pas des réfugiés au sens de la Convention. Votre crainte est fondée sur une querelle familiale qui ne vous place pas dans une situation correspondant à la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » .

[6]         L'avocat du demandeur soutient que la SSR a commis trois erreurs donnant ouverture au contrôle judiciaire : premièrement, et ces erreurs ne sont pas présentées dans l'ordre dans lequel l'avocat du demandeur les a invoquées, la SSR a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté; deuxièmement, elle a statué qu'il n'existait pas de lien entre la crainte des demandeurs et un motif de persécution énuméré dans la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » ; troisièmement, elle a conclu, ou à tout le moins déduit, que pour les placer dans une situation correspondant à la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » , les actes qui les ont amenés les demandeurs à quitter le Mexique devaient être le fait de l'État.

[7]         Je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.


[8]         À leur lecture, les motifs de la décision de la SSR ne révèlent pas que la SSR a conclu que les demandeurs n'avaient aucune crainte subjectivement et objectivement bien fondée d'être persécutés au Mexique. Voici ce qu'elle a dit dans ses motifs :

[Traduction] Votre crainte d'être persécuté n'est pas bien fondée en rapport avec la persécution religieuse par l'État ou le gouvernement du Mexique.

Elle a ajouté :

[Traduction] On ne peut affirmer que vous avez une crainte bien fondée d'être persécutés au Mexique en raison de votre religion pour la simple raison que vos frères et soeurs ne l'aiment pas. Il n'existe rien de plus qu'une simple possibilité que l'un d'entre vous soit persécuté au Mexique selon la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » .

[9]         La première des citations qui précèdent est centrée, non pas sur la crainte du demandeur d'être persécuté au Mexique pour un motif prévu par la Convention, mais uniquement sur la crainte d'être persécuté au Mexique en raison de sa religion et en ce qui concerne la persécution par l'État ou le gouvernement du Mexique. La deuxième citation, si ses deux phrases sont lues ensemble, comme j'estime qu'elles doivent l'être, se limite aussi à une conclusion concernant la crainte des demandeurs d'être persécutés en raison de leur religion, motif prévu par la Convention, mais ne se limite pas à une crainte envers l'État ou le gouvernement du Mexique. Je conclus qu'aucun des ces extraits ne correspond à une conclusion généralisée selon laquelle les demandeurs n'avaient aucune crainte subjectivement et objectivement bien fondée d'être persécutés pour l'un des motifs prévus par la Convention, partout au Mexique. Par conséquent, je conclus que les faits de l'espèce ne soulèvent pas la première question énoncée précédemment.


[10]       La deuxième question découle de la première conclusion tirée par la SSR et citée plus tôt dans les présents motifs. Je la répète ici par souci de commodité :

[Traduction] Votre crainte est fondée sur une querelle familiale qui ne vous place pas dans une situation correspondant à la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » .

[11]       L'avocat des demandeurs a fait valoir que cette conclusion constitue une erreur de droit parce que la cause fondamentale des problèmes entre les demandeurs et les frères et soeurs du demandeur principal est la conduite adoptée par le demandeur principal en raison de ses principes religieux et de ceux de sa mère, conduite qui a, du moins de l'avis de ses frères et soeurs, causé le décès de leur mère.

[12]       L'avocat a porté à mon attention les sources suivantes à l'appui de la thèse selon laquelle la crainte découlant de la décision de vivre en accord avec ses convictions religieuses constitue en soi une crainte d'être persécuté du fait de sa religion. Le professeur James C. Hathaway a écrit, à la page 146 de son ouvrage intitulé The Law of Refugee Status[2] :

[Traduction] Étant donné que la religion englobe à la fois les croyances auxquelles une personne peut décider d'adhérer et la conduite qui découle de ces croyances, la religion, comme fondement au statut de réfugié, comporte aussi deux dimensions. Mentionnons premièrement la protection des personnes qui sont exposées à un risque sérieux parce qu'elles adhèrent à une religion donnée [...] D'autre part, étant donné que la religion englobe la conduite qui découle des croyances, il convient de reconnaître le statut de réfugié aux personnes qui courent un risque pour avoir choisi de vivre en accord avec leurs convictions.                                                                                                      [non souligné dans l'original]


L'avocat fait valoir que la situation des demandeurs en l'espèce est précisément celle décrite par le professeur Hathaway comme autre fondement à une revendication du statut de réfugié liée à la religion.

[13]       Dans l'ouvrage intitulé Immigration Law and Practice[3], Lorne Waldman dit :

[Traduction] La conception plus restrictive, qui exige que la persécution soit dirigée contre la religion de la personne pour que sa revendication fondée sur ce motif soit jugée valable, a été adoptée par plusieurs membres de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Lorsqu'ils sont saisis d'une revendication fondée sur la crainte du demandeur d'être persécuté du fait de sa religion, ils rejettent habituellement sa revendication relativement à ce motif dès qu'il est établi que le demandeur ne s'est pas vu refuser le droit de pratiquer sa religion. Cette analyse constitue apparemment une mauvaise interprétation de la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » , puisque cette définition exige que la personne en cause ait une crainte bien fondée d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, etc. La persécution peut prendre de nombreuses formes. Le fait qu'une personne qui fonde sa revendication sur sa religion soit autorisée à prier n'est pas pertinent lorsqu'on détermine si elle craint avec raison d'être persécutée du fait de sa religion.                                                                                                                                   [les italiques figurent dans l'original]

[14]       La première des citations qui précèdent, émanant du professeur Hathaway, est plus directement pertinente aux faits de l'espèce. L'avocat a fait valoir que le demandeur principal et les membres de sa famille craignent d'être persécutés du fait du choix du demandeur principal de vivre en accord avec sa conviction - qui découle de ses croyances religieuses et que partageait sa mère, en raison aussi de ses croyances religieuses - qu'il est mal de recevoir des transfusions sanguines. La dernière citation, de Lorne Waldman, me semble moins utile pour étayer la thèse des demandeurs.


[15]       Je suis convaincu que les demandeurs ont établi qu'ils avaient une crainte objectivement et subjectivement bien fondée d'être persécutés au Mexique du fait de leur religion, dans la mesure où ils seraient exposés au risque d'être persécutés si on les obligeait à retourner au Mexique du fait - pour paraphraser les propos du professeur Hathaway - que le demandeur principal a choisi de vivre en accord avec ses convictions religieuses en appuyant sa mère lorsque ses propres convictions religieuses, identiques à celles du demandeur, l'ont amenée à refuser une transfusion sanguine qui aurait pu lui sauver la vie, si elle l'avait acceptée ou si son fils l'avait priée de l'accepter.

[16]       Je retiens l'interprétation de la persécution du fait de la religion prônée par le professeur Hathaway. Parallèlement, aucun des avocats n'a cité une décision de l'une ou l'autre des sections de la Cour qui rejette ou retiens clairement cette interprétation.

[17]       Enfin, en ce qui concerne la troisième question soulevée au nom des demandeurs, je juge non fondée la conclusion selon laquelle la SSR aurait en fait adopté la thèse voulant que la persécution n'entre dans la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » que si elle est le fait de l'État.


[18]       Compte tenu de l'analyse qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision contestée de la Section du statut de réfugié sera infirmée et la revendication du statut de réfugié des demandeurs sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué tienne une nouvelle audition et rende une nouvelle décision.

[19]       L'avocat du demandeur a demandé la certification d'une question dans le cas où, après avoir mis l'affaire en délibéré à la fin de l'audition, je rendrais une décision défavorable aux demandeurs. L'avocate du défendeur s'est opposée à la certification d'une question. Compte tenu de l'issue de l'instance, aucune question ne sera certifiée.

          « Frederick E. Gibson »          

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

2 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                 IMM-326-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             JOSE ALONSO NAJERA REUL et autres

c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                28 AOÛT 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                   2 OCTOBRE 2000

ONT COMPARU :

Me DAVID H DAVIS                                     POUR LE DEMANDEUR

Me ALIYAH RAHAMAN                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me DAVID H DAVIS                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada



1                L.R.C. (1985), ch. I-2.

     [2]      Toronto: Butterworths, 1991.

     [3]      Volume I, Toronto: Butterworths, 1992, au par. 8.103.

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