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Date : 20031031

Dossier : IMM-5858-02

Référence : 2003 CF 1275

Ottawa (Ontario), le 31e jour d'octobre 2003

Présent :          L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                         SERGE PATRICK KANDOT

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du par. 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), conteste une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 29 octobre 2002. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'art. 96 ni à celle de _ personne à protéger _ au par. 97(1) de la Loi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 Le tribunal a-t-il commis une erreur en minant injustement la crédibilité du demandeur sans égard à la preuve et à son témoignage?

[3]                 Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                 Le demandeur allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social et d'être exposé au risque d'être soumis à la torture et à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruelles et inusités. Selon le tribunal, la véracité de certains des faits allégués ci-dessous par le demandeur n'est pas établie.

[5]                 Le demandeur est né le 5 avril 1964 à Brazzaville. Il demeurait à Pointe-Noire.

[6]                 En janvier 1992, il adhère à l'Union panafricaine pour la démocratie sociale (UPADS). Le 21 janvier 1993, il est promu président de la Commission suivi et évaluation, pour la région de Pointe-Noire. À ce titre, il est responsable de toutes les activités du parti au sein de la jeunesse dans sa région.


[7]                 En 1993, le demandeur est capturé par les Cobras (milice de Denis Sassou Nguesso), lors d'un voyage à Brazzaville pour les funérailles de son frère. Il est gardé quelques jours et subit des mauvais traitements, puis il est libéré.

[8]                 Le 15 octobre 1997, lorsque les forces militaires de Denis Sassou Nguesso envahissent Pointe-Noire, le demandeur et plusieurs membres de son parti sont arrêtés. Pendant 21 jours, ils sont battus et gardés dans des cellules de l'état-major, à l'entrée du port de Pointe-Noire. Le demandeur subit à nouveau des mauvais traitements, puis est libéré le 5 novembre 1997.

[9]                 Le 13 août 2001, à la sortie de son bureau à Pointe-Noire, le demandeur est interpellé par trois personnes armées habillées en civil et est emmené dans une voiture. Dans une résidence, il se fait questionner sur l'existence du bureau du parti et sur les préparatifs de l'UPADS en vue de renverser le gouvernement en place avant le jour de la fête nationale, qui a lieu le 15 août. Tard dans la soirée, le demandeur est déposé à une intersection et reçoit l'ordre de ne pas s'éloigner de la ville. Après avoir parlé avec sa femme, il passe la nuit chez un ami. Le lendemain, il retourne travailler. Vers 11 h, il reçoit un appel de la Direction de la sécurité du territoire (DST), qui lui demande de se présenter au bureau de la DST en début d'après-midi. Le demandeur fuit chez un ami d'origine congolaise et de nationalité française, qui lui remet son passeport. Le 19 août 2001, le demandeur prends l'avion pour les États-Unis, via Abidjan et Dakar. À son arrivée à Lacolle le 21 août, il revendique le statut de réfugié.


DÉCISION CONTESTÉE

[10]            Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié ni une personne à protéger parce que le témoignage du demandeur était dénué de crédibilité. Tout d'abord, le tribunal ne croit pas que l'incident du 13 août 2001 ait eu lieu. En effet, bien que le demandeur ait décrit cet incident dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il n'en a pas fait mention dans le document qu'il a rempli au point d'entrée huit jours seulement après l'événement allégué. Cela constitue une omission importante qui ne saurait être justifiée par le fait que le demandeur a reçu le document à remplir vers 23 h et que l'agente d'immigration l'a pressé de terminer sa déclaration. Qui plus est, s'il avait été enlevé et interrogé par des agents de la DST à propos de préparatifs de l'UPADS pour renverser le gouvernement avant le jour de la fête nationale, le 15 août, il n'est pas plausible que le demandeur ait été relâché tard dans la soirée du 13 août 2001. Finalement, il est invraisemblable qu'après l'incident du 13 août 2001, le demandeur soit « allé travailler le lendemain en toute quiétude » .    


[11]            Le tribunal ne croit pas non plus, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur ait été impliqué dans l'UPADS après que ce parti a perdu le pouvoir en 1997. Il a été président de la Commission suivi et évaluation régionale, jusqu'en 1997. Après cela, le parti ne fonctionnait plus en tant que tel, mais le demandeur opérait « discrètement » c'est-à-dire qu'il se réunissait avec six autres personnes dans des maisons privées. Or, la preuve documentaire fournie (pièce A-5, Country Reports on Human Rights Practices - 2001 (Republic of Congo)) montre que le gouvernement permettait aux partis politiques de l'opposition de fonctionner et de se réunir.

[12]            Le tribunal ne croit pas non plus que le demandeur a été arrêté le 15 octobre 1997. En effet, le demandeur allègue dans son FRP avoir été battu, avoir subi des mauvais traitements et avoir été emprisonné pendant 21 jours. Dans la fiche qu'il a complétée au point d'entrée, le demandeur indique avoir été incarcéré pendant plusieurs jours en 1997. Il ne s'agit pas d'une petite différence mais bien d'une différence significative : lorsqu'une personne est incarcérée pendant trois semaines et qu'elle subit des mauvais traitements, elle s'en rappelle lorsqu'elle demande la protection internationale.                  

[13]            Le tribunal ne trouve pas raisonnable les explications du demandeur entourant le passeport qu'il a utilisé : le demandeur aurait passé sans problèmes tous les contrôles aux aéroports de Pointe-Noire, d'Abidjan, de Dakar et de New York alors que c'était la photo de son ami qui était sur le passeport. En détruisant le passeport et le billet d'avion selon les instructions de son ami, le demandeur prive volontairement le tribunal de renseignements qui auraient pu confirmer ou infirmer ses allégations sur son trajet jusqu'au Canada. Le tribunal croit plutôt que le demandeur a omis volontairement de produire le passeport afin de ne pas dévoiler les renseignements qui auraient compromis sa revendication.


PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[14]            La décision du tribunal est déraisonnable car elle accorde trop d'importance aux détails et pas assez à l'ensemble de la preuve.

[15]            Le tribunal commet une erreur en prenant la déclaration au point d'entrée comme un récit exact et détaillé des motifs de la revendication; cette déclaration n'a pas pour objet d'évaluer le bien-fondé de la crainte de persécution (Asfaw c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), _1999_ A.C.F. no 407, par. 10 (C.F. 1ère inst.) (QL)) mais plutôt à faciliter le traitement de la demande d'admission (Montfort c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 1 C.F. 478 (C.A.), p. 482, cité dans Dehghani c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053). Là s'arrête l'évaluation que l'on peut tirer de la crédibilité d'un revendicateur à cette étape. Par exemple, une fausse déclaration ou une déclaration contradictoire au point d'entrée peut être un indice de manque de crédibilité, tandis qu'une erreur dans les dates ou un récit non détaillé dans cette déclaration ne signifie pas un manque de crédibilité. En l'espèce, il n'y a pas de contradiction majeure entre la déclaration et le FRP, seulement des ajustements : la déclaration ne fait pas mention de l'incident du 13 août 2001 alors que le FRP le rapporte, et les « 21 jours » d'emprisonnement en 1997 correspondent bien à « plusieurs jours » dans la déclaration.


[16]            Par ailleurs, selon les motifs du tribunal, la DST n'aurait pas relâché le demandeur si hâtivement s'il était effectivement un suspect dans une tentative de renversement du gouvernement. À cela le demandeur répond que le tribunal ne peut savoir comment la DST a agi et ses motifs ne sont que pure spéculation. De plus, tant le témoignage du demandeur que la preuve documentaire (pièce A-5, supra) montrent que de nombreuses arrestations arbitraires avaient lieu au Congo Brazzaville à cette époque.

[17]            Le tribunal ne croit pas que l'arrestation du 13 août 2001 a eu lieu car le demandeur est retourné travailler le lendemain. Pourtant, le demandeur a justifié son retour au travail en disant qu'il pensait avoir donné une explication convaincante à la DST, qui avait décidé de le laisser tranquille. De surcroît, le demandeur devait subvenir aux besoins de ses quatre enfants.

[18]            Le tribunal conclut que le demandeur n'a pas continué à travailler pour l'UPADS après 1997. Pourtant, le demandeur a témoigné que son parti ne fonctionnait plus comme avant le coup d'État, mais continuait discrètement ses activités, des réunions ayant lieu dans des résidences privées dans l'espoir que le pays puisse reprendre le chemin de la démocratie.

[19]            Le tribunal a fait une erreur en concluant que c'est dans le but de cacher des faits que le demandeur a détruit le passeport et le billet d'avion. En effet, le demandeur a fourni le nom du vrai propriétaire du passeport et il a expliqué avoir détruit ce passeport à la demande de ce dernier, et il s'en procurerait un autre en disant qu'il avait perdu le sien.                         


PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[20]            Pour accueillir une demande de contrôle judiciaire portant sur une question de crédibilité, comme en l'espèce, la Cour doit conclure que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), _1993_ A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); Pissareva c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 11 Imm. L.R. (3d) 233, _2000_ A.C.F. no 2001 (C.F. 1ère inst.) (QL); Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 173 F.T.R. 280, _1999_ A.C.F. no 1283 (C.F. 1ère inst.) (QL); Ismaeli c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), _1995_ A.C.F. no 573 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Il en va de même lorsqu'il s'agit de conclusions de fait (Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 240 N.R. 376, _1999_ A.C.F. no 551 (C.A.) (QL)).

[21]               Le tribunal a bien motivé sa décision en énonçant, en termes clairs et non équivoques, les raisons pour lesquelles il a douté de la véracité des allégations du demandeur et de la crédibilité de ce dernier. Le tribunal pouvait tenir compte des nombreuses disparités entre le témoignage du demandeur, la déclaration au point d'entrée et son FRP (Mostajelin c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), _1993_ A.C.F. no 28 (C.A.) (QL)).


[22]            Le demandeur ne peut, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, tenter de justifier après coup des parties de son témoignage que le tribunal a jugées insatisfaisantes. Ces explications ont été présentées au tribunal et ce dernier les a jugées non crédibles (Muthuthevar c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), _1996_ A.C.F. no 207 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

[23]            Le tribunal était justifié de reprocher au demandeur d'avoir détruit le passeport et son billet d'avion : il est raisonnable que la Commission accorde une grande importance à ces documents qui prouvent l'identité du demandeur et son périple pour arriver au Canada (Elazi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 205, _2000_ A.C.F. no 212 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

ANALYSE

[24]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, comme en l'espèce, l'erreur du tribunal doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne (Aguebor, précité, Pissareva, précité et Singh, précité).


[25]            Or, dans la présente affaire, le tribunal indique au moins trois raisons pour lesquelles il ne croit pas que l'incident du 13 août 2001 a effectivement eu lieu. Il se réfère aux paroles du demandeur pendant l'audience et à la preuve documentaire pour motiver le fait qu'il ne croit pas que le demandeur participait à l'UPADS après la perte de pouvoir de ce parti en octobre 1997. Le tribunal déclare finalement ne pas croire à l'incident du 15 octobre 1997 en raison de disparités assez importantes entre la période d'emprisonnement indiquée par le demandeur dans sa déclaration au point d'entrée et celle mentionnée dans son FRP. En définitive, le tribunal a clairement indiqué pourquoi il ne croyait pas le demandeur. C'est à bon droit qu'il a fondé ses conclusions sur les différences entre le témoignage du demandeur, la déclaration au point d'entrée, le FRP et la preuve documentaire. Dans Mostajelin, précité, la cour d'appel fédérale énonce :

[TRADUCTION] La conclusion de la Commission que la preuve de l'appelant n'était pas digne de foi est fondée sur le comportement de ce dernier, l'incompatibilité entre le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage de l'appelant et un ensemble d'inconsistences et d'invraisemblances dans son témoignage. Cette Cour n'a pas le pouvoir de contrôler de telles conclusions relatives à la crédibilité. [je souligne].

[26]            Pour ce qui est de la question de la destruction du passeport et du billet d'avion, je ne crois pas que l'on puisse inférer que le demandeur voulait nécessairement cacher des renseignements au tribunal. En effet, il est concevable que des personnes qui aident de façon illégale des individus en danger à fuir ne soient pas particulièrement enthousiasmés à l'idée que la preuve de leurs actions illégales soit conservée. Dans la présente affaire par contre, il n'est pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de conclure que la destruction du passeport et du billet d'avion a privé ce dernier de renseignements qui auraient pu confirmer ou infirmer les allégations du demandeur sur son trajet jusqu'au Canada.

[27]            En somme, il était loisible au tribunal de décider de la crédibilité du demandeur et ce faisant, le tribunal n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable.

[28]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question de portée générale et aucune question ne sera certifiée.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

___________________________

Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-5858-02

INTITULÉ :              SERGE PATRICK KANDOT c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              29 octobre 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE DE:                                  L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY


EN DATE DU :         31 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Me Évelyne Fiset                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Michel Pépin                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Évelyne Fiset                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)                                              

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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