Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 19991210


Dossier : IMM-800-99


OTTAWA (Ontario), le vendredi 10 décembre 1999

EN PRÉSENCE DE :      MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :

     RICARDO ALEXANDER RUSSELL

     demandeur


     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


     défendeur


     ORDONNANCE

     VU l"avis de requête présenté au nom du demandeur le 5 novembre 1999, en vertu de l"article 369 des Règles de la Cour fédérale de 1998 , visant l"obtention de :

     1.      Une ordonnance de dépens à l"encontre du défendeur pour les procédures suivantes :
         a)      la demande de contrôle judiciaire, y compris le coût de la préparation et de la comparution pour la requête de sursis et la demande d"autorisation; et
         b)      les séances de révision des motifs de la détention des 9 février 1999 et 9 mars 1999.

     ET pour les motifs de l"ordonnance rendue ce jour.

     IL EST ORDONNÉ QUE :


     Les dépens demandés sont accordés.







B.Reed

juge


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier




Date : 19991210


Dossier : IMM-800-99


ENTRE :

     RICARDO ALEXANDER RUSSELL

     demandeur


     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Cette requête du demandeur vise l"octroi des dépens dans la présente affaire.

[2]      Le demandeur a été détenu par le défendeur le 30 janvier 1999, en vertu d"un mandat d"arrestation délivré le 21 janvier 1999. Ce mandat avait été délivré suite au défaut du demandeur de comparaître, le 20 janvier 1999, à son entrevue de renvoi du Canada. Le 11 septembre 1996, une mesure d"expulsion avait été délivrée à l"encontre du demandeur.

[3]      Le 2 février 1999, une révision des motifs de la détention a été entendue par un arbitre de la section d"arbitrage de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié. L"arbitre a conclu que le demandeur ne se présenterait pas pour son renvoi si on le libérait; il a donc maintenu le demandeur en détention. Le demandeur était concurremment visé par une ordonnance de probation d"une cour provinciale de l"Ontario, ordonnance qui comportait une convocation sur une base périodique devant un agent de probation. Le demandeur s"était jusqu"alors conformé à cette ordonnance.

[4]      Les fonctionnaires du défendeur étaient certainement au courant de cette ordonnance de probation, puisqu"elle datait déjà de deux ans et que le demandeur était expulsé sur la foi de son dossier criminel. De plus, l"avocat du demandeur a informé l"arbitre de l"existence de cette ordonnance de probation le 2 février 1999, indiquant que de ce fait on ne pouvait renvoyer le demandeur du Canada.

[5]      L"alinéa 50(1)a ) de la Loi sur l"immigration porte que :

     La mesure de renvoi ne peut être exécutée dans les cas suivants :
     a) l'exécution irait directement à l'encontre d'une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire ...

[6]      Lors de l"audience de la révision des motifs de la détention le 2 février, l"avocat du défendeur a déclaré à l"arbitre que la décision de M. le juge Rothstein dans Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1997] 130 F.T.R. 232, autorisait la détention et le renvoi du Canada d"une personne visée par une ordonnance de probation1.

[7]      En fait, dans la décision Cuskic M. le juge Rothstein a décidé que le renvoi d"une personne qui est sous le coup d"une ordonnance de probation l"obligeant à se présenter est contraire à l"alinéa 50(1)a ) de la Loi. De plus, dans Clarke c. Canada (1998) 147 F.T.R. 259, M. le juge MacKay a traité de circonstances analogues à celles que M. le juge Rothstein avait examinées dans Cuskic. Il a décidé que la délivrance par le défendeur d"une convocation en vue du renvoi d"une personne suite à une mesure d"expulsion la visant transgresse l"alinéa 50(1)a ) de la Loi sur l"immigration .

[8]      Dans les décisions Cuskic et Clarke, les juges ont tous les deux exprimé l"avis que c"est le législateur qui a le pouvoir de modifier l"interdiction prévue à l"alinéa 50(1)a ), mais qu"en l"absence d"une telle modification ils devaient appliquer le texte de loi existant. Ils ont aussi noté qu"une autre option s"offrait au défendeur, savoir d"obtenir une modification à l"ordonnance de probation de façon à ce que l"on puisse expulser la personne visée du Canada.

[9]      Dans une décision antérieure de cette Cour, Wood c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1986), 2 F.T.R. 58, on a établi que l"expulsion n"enfreignait pas une ordonnance de probation parce que le tribunal n"avait désigné aucun agent de probation et que rien dans l"ordonnance n"exigeait que la personne en cause réside à une adresse donnée, ni même au Canada2. Un examen de ce dossier fait ressortir que l"ordonnance de probation en cause avait été annulée avant que l"intéressé ne soit détenu en vue de son renvoi.

[10]      Une deuxième audience a été tenue le 9 février 1999, afin de déterminer si le demandeur devait rester en détention. La décision a été à nouveau de le maintenir en détention en vue de son renvoi.

[11]      Rien n"a été fait alors que le demandeur était en détention, ou après le 21 janvier 1999, pour obtenir une modification à l"ordonnance de probation.

[12]      Le 19 février 1999, le demandeur a déposé une demande d"autorisation pour le contrôle judiciaire des décisions de le maintenir en détention rendues les 2 et 9 février 1999. L"exécution de la mesure d"expulsion était fixée au 25 février 1999.

[13]      Le 24 février 1999, le demandeur a sollicité et obtenu de cette Cour une ordonnance de sursis à son expulsion. En accordant cette ordonnance, le juge McKeown a cité les décisions Clarke et Cuskic, ainsi que l"alinéa 50(1)a ) de la Loi sur l"immigration.

[14]      Le demandeur a été libéré le 9 mars 1999. Au cours de la révision des motifs de la détention qui a mené à sa libération, on a constaté qu"il n"y avait pas de copie au dossier de la convocation apparemment envoyée au demandeur de se présenter à une entrevue de renvoi, convocation qu"il niait avoir reçue.

[15]      Le 8 avril 1999, le demandeur a déposé son dossier de requête dans le cadre de sa demande d"autorisation de contrôle judiciaire des décisions des 2 et 9 février. Le défendeur a déposé son dossier de requête en réponse le 10 mai 1999.

[16]      Un des arguments employés par le défendeur dans son dossier de requête porte qu"on ne devrait pas accorder l"autorisation de procéder au contrôle judiciaire, puisque les décisions des 2 et 9 février étaient maintenant sans objet, le demandeur étant été libéré. De plus, le défendeur soutenait que la demande était viciée parce qu"elle visait le contrôle de deux décisions en même temps (Article 302 des Règles de la Cour fédérale de 1998 ).

[17]      L"autorisation de procéder au contrôle judiciaire de la décision du 2 février 1999 a été accordée le 27 août 1999. L"affaire était donc présumée être engagée.

[18]      L"ordonnance de probation visant le demandeur est arrivée à terme le 30 août 1999.

[19]      Le 20 octobre 1999, la Cour a été informée par lettre que les deux parties convenaient que la demande de contrôle judiciaire était maintenant sans objet, la seule question à régler étant celle de la réclamation du demandeur pour les dépens.

[20]      L"article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration porte que :

     Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande ou l'appel introduit en application des présentes règles ne donne pas lieu à des dépens.

[21]      L"avocat du demandeur soutient qu"il y a des raisons spéciales en l"instance, étant donné que le demandeur a fait fi de façon inacceptable du droit applicable. Il soutient que : le défendeur a gardé le demandeur en détention en vue de son renvoi alors que la législation ne l"autorisait pas à le renvoyer du Canada; les fonctionnaires du défendeur auraient dû savoir que la Loi sur l"immigration interdisait le renvoi, car c"est une loi dont le défendeur a la gestion; l"avocat du défendeur a trompé l"arbitre de façon éhontée le 2 février 1999; et, de toute façon, l"arbitre aurait dû connaître le droit applicable, tout au moins le 2 février 1999 lorsque l"avocat l"a mise au courant. L"avocat du demandeur soutient que ces circonstances font que la décision de maintenir le demandeur en détention était désinvolte et déraisonnable, constituant une conduite qui justifie l"octroi des dépens.

[22]      L"avocat du défendeur soutient que sa conduite n"a été ni désinvolte ni déraisonnable et que, même si l"arbitre a commis une erreur dans l"interprétation de la Loi sur l"immigration, et si elle n"était pas suffisamment au courant de l"impact des décisions Clarke et Cuskic, le fait de commettre une erreur ne constitue pas une conduite désinvolte et déraisonnable. L"avocat soutient qu"on ne peut dire que l"arbitre n"a pas respecté l"alinéa 50(1)a ) de la Loi sur l"immigration avant que la Cour d"appel fédérale ne rende sa décision dans l"appel de la décision Cuskic . L"avocat soutient aussi que, de toute façon, la décision du 2 février est sans objet depuis celle du 9 février et, surtout, depuis que le demandeur a été libéré le 9 mars 1999. Il soutient donc que les frais engagés dans le cadre de la présente demande étaient inutiles.

[23]      Je vais traiter du dernier point en premier. L"argument qui veut que la décision du 2 février ait été sans objet suite à celle du 9 février, et certainement suite à la libération du demandeur le 9 mars, était soumis à M. le juge Denault au moment où il a donné l"autorisation de procéder au contrôle judiciaire. C"est donc clairement un argument qu"il a rejeté. En fait, on peut considérer que la question n"était pas réglée avant la levée de l"ordonnance de probation.

[24]      L"argument qui veut que l"arbitre, l"avocat du défendeur, et les fonctionnaires chargés de l"application de la loi, ont tout simplement fait des erreurs et n"ont pas agi de façon désinvolte n"est pas crédible. Au mieux, leurs actions peuvent être taxées de grossière négligence. Je trouve aussi que l"argument de l"avocat qui veut que Cuskic ne dise pas le droit avant d"être confirmé par la Cour d"appel est très inquiétant. C"est particulièrement le cas, puisque l"appel et le temps qui s"écoulera jusqu"à sa conclusion dépendent en grande partie du défendeur. Il semble, selon les faits de cette affaire, que le défendeur soutient que les décisions de la Section de première instance n"ont pas à être appliquées avant d"avoir été confirmées par la Cour d"appel fédérale. Ce n"est pas le cas.

[25]      Les décisions Cuskic et Clarke ne sont pas récentes. La décision Clarke date de huit mois avant que le demandeur ne soit convoqué pour son renvoi, et la décision Cuskic est antérieure d"une autre année. Dans la décision Clarke , il est très clairement énoncé qu"il est illégal de délivrer une convocation aux fins de renvoi à une personne qui est sous le coup d"une ordonnance de probation l"obligeant à se présenter à un agent de probation à date fixe, ou sur demande. Les responsables de la mise en oeuvre ont fait fi de la loi. L"arbitre n"en a pas tenu compte. Devant l"arbitre, l"avocat du défendeur a donné une interprétation clairement erronée du droit. Je considère que ces circonstances établissent l"existence de raisons spéciales3.

[26]      L"avocat du défendeur soutient que si j"accorde des dépens, ils ne devraient pas tenir compte du coût des audiences des 9 février et 9 mars sur la détention, de la demande de sursis du 24 février, et du dépôt du dossier de requête qui complétait la demande.

[27]      On ne m"a pas convaincue que l"octroi des dépens devrait être aussi restreint. Les frais engagés l"ont été en conséquence de la décision du 2 février 1999 et ils se situent dans le cadre de la présente affaire.

[28]      Une ordonnance de dépens sera délivrée en conformité de ces motifs.


     B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 décembre 1999


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER





No DU GREFFE :              IMM-800-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          RICARDO ALEXANDER RUSSELL c. MCI



SUITE À LA REQUÊTE ÉCRITE DÉPOSÉE PAR LE DEMANDEUR LE 5 NOVEMBRE 1999




MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE B. REED

EN DATE DU :              10 décembre 1999



LES PARTIES


M. Max Chaudhary                          POUR LE DEMANDEUR

M. John Loncar                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. Max Chaudhary                          POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      Dans l"affidavit de M. Vitorovich, qui n"a pas fait l"objet d"un contre-interrogatoire, on trouve ceci :          [traduction]      4.      En réponse à nos arguments, le représentant du ministre nous a informé que cette question avait perdu de son importance suite à la décision de la Cour fédérale du Canada dans Cuskic c. Canada (MCI) [1997] J.C.F. no 571, DRS 97-14228, dossier IMM-29-97. Il a ajouté que même si le ministre peut prendre des dispositions pour obtenir la levée de l"ordonnance de probation afin de permettre l"expulsion du Canada d"une personne qui fait l"objet d"une ordonnance d"expulsion, le ministre n"était plus obligé d"emprunter cette voie depuis la décision dans Cuskic . En conséquence, l"expulsion d"une personne entreprise sans satisfaire à cette formalité serait une infraction très mineure à une loi du Parlement.
     5.      L"arbitre s"est rangée à cet avis et a déclaré qu"elle croyait aussi que cette question était de peu d"importance. Elle a ajouté que même si le ministre devait obtenir la levée de l"ordonnance de probation, ceci pouvait être fait très facilement et donc qu"il n"y avait pas là un empêchement significatif à l"expulsion du demandeur.

2      Il y a aussi deux affaires où l"on a décidé que l"alinéa 50(1)a ) faisait qu"on ne pouvait expulser une personne qui était sous le coup d"une ordonnance requérant sa présence au tribunal à une date donnée : William c. M.E.I. , [1994], 2 C.F. 269 (C.F. 1re Inst.); Garcia c. M.E.I., [1993] J.C.F. no 39 (C.F. 1re Inst.).

3      Dans Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) c. Ermeyev (1994), 83 F.T.R. 158 (1re Inst.), des dépens ont été octroyés parce que les défendeurs avaient été soumis sans raison à des difficultés et coûts importants, suite au traitement qu"ils avaient reçu des fonctionnaires du ministre et à la façon dont le litige avait été mené au nom du ministre.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.