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                                                                                                                                            Date : 20030828

                                                                                                                                Dossier : IMM-4020-02

                                                                                                                            Référence : 2003 CF 1003

Entre :

                                                               AMRIK SINGH GILL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du 8 juillet 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention, selon la définition qui en est donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Le demandeur est un citoyen de l'Inde. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté dans son pays en raison de ses opinions politiques présumées et de son appartenance à un certain groupe social, soit les Sikhs du Penjab.


[3]         Ayant conclu que le demandeur n'était pas crédible, la Commission a rejeté sa revendication du statut de réfugié. Pour valablement apprécier la question de la crédibilité, la Cour doit être en mesure d'évaluer si la Commission a tiré de la preuve des inférences raisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et si elle a expliqué ses motifs de manière claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

[4]         Le demandeur soutient que la Commission a mal compris, interprété et appliqué la preuve documentaire en en venant à la conclusion que les actes de torture et la détention décrits par lui ne cadraient pas avec les atrocités commises à l'époque.

[5]         Il est nécessaire de passer en revue la preuve documentaire sur la situation régnant dans le pays pour pouvoir établir si l'analyse que la Commission en a faite est ou non manifestement déraisonnable. La preuve pertinente, toutefois, n'est pas incluse dans le dossier authentique du tribunal. La Commission a simplement inclus une liste des articles dont elle était saisie au moment de l'audience, mais pas la copie même de ces articles. Dans Kong et al. c. Canada (M.E.I.) (1994), 73 F.T.R. 204, à la page 211, le juge Reed a statué qu'une telle omission peut constituer un motif pour infirmer la décision :

[20]       Qui plus est, bien que le dossier envoyé à la Cour soit certifié comme étant la copie conforme de tous les documents qui ont été produits devant la Commission, je ne trouve aucune copie de l'article dont l'extrait a été tiré. Je ne peux donc pas examiner le contexte dans lequel cette citation a été prise. Il semble ressortir de l'un des index du dossier qu'il y a d'autres documents que cet article, qui manquent dans le dossier certifié. Un dossier certifié devrait comprendre toute la preuve qui a été produite devant la Commission. Une telle absence peut être en soi un motif pour infirmer la décision.


[6]         La Commission s'est fortement appuyée en l'espèce sur la preuve documentaire. De fait, sa conclusion défavorable quant à la crédibilité repose sur son interprétation de la preuve relative à la situation dans le pays. Le demandeur conteste cette interprétation. La preuve documentaire n'est pas, comme le prétend le défendeur, sans intérêt pour ce qui est d'établir la crainte subjective du demandeur, puisque c'est en raison de l'interprétation qu'elle en a faite que la Commission a jugé invraisemblable le témoignage du demandeur concernant des arrestations en 1991 et 1992. Le reste du témoignage du demandeur a par suite été rejeté, tel que la Commission le déclare elle-même à la page 3 de ses motifs :

Le tribunal estimant que le revendicateur n'a jamais été arrêté en 1991 et en 1992, ne croit donc pas que son nom fut mis sur une liste noire détenue par la police. Par conséquent, il ne croit pas qu'il a été arrêté en 1997 et qu'il eut à se réfugier à Bombay en 1998.

[7]         Selon le défendeur, le demandeur n'a pas démontré à la Commission que les autorités indiennes n'étaient pas en mesure de le protéger, puisqu'il ne s'est pas réclamé de la protection de l'État par les voies disponibles et puisque, d'après la preuve documentaire objective, il n'aurait pas été exposé à des risques en Inde en 2002. Encore une fois, la preuve documentaire pertinente ne figure pas dans le dossier authentique du tribunal, ce qui rend impossible pour notre Cour d'évaluer le bien-fondé de l'interprétation qu'en a faite la Commission, tel que la juge Heneghan l'a déclaré dans Sardar Mumtaz Ahmed c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 17 février 2003), IMM-4571-01, 2003 CFPI 180 :

[25]       À mon avis, les lacunes décelées dans le dossier donnent à entendre que la Commission a tiré une conclusion sans disposer de preuve à l'appui. [...]

[26]       La Commission s'est ensuite demandé s'il y avait une PRI et elle a conclu qu'il y en avait une. La Commission a tiré cette conclusion en se fondant principalement sur certains éléments de preuve documentaires. Toutefois, le dossier certifié du tribunal ne comprend pas le document en question.

[27]      L'absence de preuve laisse planer un doute sur la conclusion de la Commission, à savoir qu'il existait une PRI raisonnable. Les demandes de contrôle judiciaire visent notamment à permettre de vérifier si la décision d'un tribunal établi par la loi est raisonnablement fondée. Dans ce cas-ci, la preuve que le défendeur a soumise à la Cour ne justifie pas la conclusion de la Commission.

[8]         Étant donné que le récit du présent demandeur a trait à la brutalité des policiers dans deux régions distinctes du pays, la Cour ne peut juger de la validité de la décision de la Commission concernant sa capacité de se réclamer de la protection de l'État, sans pouvoir examiner la preuve documentaire lui ayant servi à en arriver à sa conclusion.


[9]         Vu l'absence de preuve documentaire indépendante au dossier, ce qui rend impossible l'examen en contexte des extraits sur lesquels la Commission s'est fondée, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

[10]       Le défendeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction]

Dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision de la SPR, lorsque le dossier authentique du tribunal n'inclut pas un ou des documents que le tribunal a mentionnés ou sur lesquels il s'est fondé, le demandeur a-t-il le fardeau de produire la preuve qu'il désire faire valoir devant la Cour?

[11]       Il ressort toutefois clairement à l'alinéa 17b) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, qu'il incombe au tribunal de constituer et de communiquer sans délai un dossier composé, notamment, de « tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde » de celui-ci. Je souscris pleinement, à cet égard, aux notes suivantes figurant en regard de l'article 17 dans Federal Court Practice, 2003, de Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders, à la page 1026 :

[traduction]

L'article 17 s'écarte de la procédure habituellement applicable aux demandes de contrôle judiciaire. En vertu de la partie 5 des Règles de la Cour fédérale (1998), la preuve de ce qui est au dossier incombe aux parties. Elles peuvent demander, en vertu de l'article 317, que le tribunal transmette des documents pertinents à la demande. Il semblerait que l'article 17 supplante l'article 317 en tant que moyen sommaire de saisir la Cour des documents pertinents, afin d'éviter les retards qu'entraînerait le maintien de la pratique habituelle et du rôle des parties.


[12]       Il n'y a pas lieu par conséquent de certifier la question proposée par le défendeur, compte tenu de l'alinéa 17b) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, des faits d'espèce ainsi que des critères établis par la Cour d'appel fédérale, dans Canada (M.C.I.) c. Liyanagamage (1994), 176 N.R. 4, pour la certification d'une question grave de portée générale.

                                                                                                                                              « Yvon Pinard »                

                                                                                                                                                                 Juge                         

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 août 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                   

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4020-02

INTITULÉ :                                                        AMRIK SINGH GILL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 8 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PINARD

DATE DE L'ORDONNANCE :                     Le 28 août 2003

COMPARUTIONS :

Jack B. Rosenfeld                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Andrea Shahin                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack B. Rosenfeld                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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