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Date : 20000412

Dossier : IMM-1846-99

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 12 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

LU LIN ZHENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

O R D O N N A N C E

Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il l'examine à son tour.

     « François Lemieux »     

    JUGE

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20000412

Dossier : IMM-1846-99

ENTRE :

LU LIN ZHENG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

LE CONTEXTE

[1]         Lu Lin Zheng a étudié la langue et la littérature anglaises au département des langues étrangères de l'Université Zhengzhou (l'Université), en République populaire de Chine (RPC), où elle a obtenu un diplôme de premier cycle en 1986. En 1992, elle a complété avec succès un programme dtudes supérieures d'une année et demie en langue anglaise et culture occidentale à l'Université.


[2]         Le 27 mars 1998, elle a présenté une demande en vue d'obtenir un visa de résidente permanente au Canada en invoquant la catégorie des interprètes (CNP 5125.3). Elle a eu une entrevue le 23 février 1999 avec l'agente d'immigration désignée L. Chau (l'agente des visas), qui l'a informée le 9 mars 1999 qu'elle ntait pas admissible en tant qu'interprète/traductrice (CNP 5125.3/5125.1). L'agente des visas a dit qu'elle n'avait pas les compétences nécessaires vu qu'elle n'avait pas [TRADUCTION] « ... la formation requise pour être appréciée au regard de ces professions, soit un baccalauréat en traduction, et une spécialisation en traduction/interprétation au niveau des études supérieures, selon la CNP » .

[3]         Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soutient que la décision de l'agente des visas contient deux erreurs de droit, vu que cette dernière a mal interprété les exigences de la CNP, qui ont été incorporées au Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) par l'entremise de la définition de l'article 2. Premièrement, l'agente des visas n'a pas apprécié la demanderesse au regard d'une « discipline liée » comme elle devait le faire, et, deuxièmement, l'agente des visas a conclu qu'une spécialisation en interprétation, traduction et terminologie au niveau des études supérieures était obligatoire, alors que la CNP mentionne simplement qu'un tel baccalauréat ou de telles études « sont exigés » .

Le raisonnement de l'agente des visas

[4]         L'agente des visas a exposé ses motifs dans ses notes CAIPS, lesquelles font partie du dossier certifié du tribunal. Ces notes font état de ce qui s'est produit à l'entrevue. L'agente des visas n'a pas produit d'affidavit dans le cadre de la présente instance. C'est moi qui ai souligné divers passages des notes CAIPS.


[5]         L'agente des visas a dit que l'entrevue avait été exceptionnellement longue (deux heures). La demanderesse a subi un examen :

[TRADUCTION] qui consistait à traduire un court paragraphe du chinois à l'anglais. L'intéressée devait établir son aptitude à traduire des documents, une tâche qui lui incombait selon la lettre de recommandation que son employeur actuel a écrite. Je l'ai donc appréciée au regard des professions d'interprète et de traducteur.

[6]         L'agente des visas a poursuivi son raisonnement dans ses notes CAIPS de la façon suivante :

[TRADUCTION] L'intéressée a présentéune demande en tant qu'interprète/traductrice. En vertu de la CNP, la personne qui envisage l'une ou l'autre de ces professions doit être détentrice d'un baccalauréat en traduction et d'une spécialisation en traduction ou en interprétation au niveau des études supérieures.

[7]         L'agente des visas a examiné la transcription des relevés de notes des cours de premier et de deuxième cycles que la demanderesse a suivis, dont des cours de lecture en anglais, grammaire anglaise approfondie, compréhension orale, expression, littérature britannique et américaine, histoire mondiale et sciences sociales. L'agente des visas a noté :

[TRADUCTION] L'intéressée a, entre autres, suivi des cours de traduction et de linguistique. Dans le cadre de ses études supérieures, elle a suivi des cours de lexicologie, culture américaine, relations internationales, histoire américaine, civilisation occidentale, et littérature américaine. Cette transcription ne fait état d'aucun cours en traduction ou en interprétation. Étant donnéque l'intéressée n'a suivi que deux cours ayant trait à la traduction et l'interprétation, on ne peut considérer que ses études remplissent les conditions particulières d'accès à la profession d'interprète ou de traducteur que la CNP mentionne de façon très claire.

[8]         L'agente des visas a ensuite apprécié les aptitudes linguistiques de la demanderesse comme l'exige le Règlement et elle lui a fait subir un deuxième examen écrit. L'agente des visas a déterminé que la demanderesse pouvait lire et parler « avec aisance » , mais qu'elle pouvait seulement « bien » écrire, étant donné que le texte [TRADUCTION] « ntablissait pas une compréhension entière et précise du texte anglais » .


[9]         L'agente des visas a terminé son appréciation en concluant :

[TRADUCTION] Comme elle n'a pas la formation et l'aptitude nécessaires pour faire de la traduction, je ne suis pas convaincue que l'intéressée pourra exercer cette profession au Canada.

[10]       L'agente des visas a exposé à la demanderesse les réserves qu'elle avait; la demanderesse a répondu à ces réserves en remettant deux livres à l'agente des visas et en soutenant qu'elle en était l'un des traducteurs, et elle a fait valoir que ces livres établissaient qu'elle remplissait les conditions d'accès à la profession prévues dans la CNP. L'agente des visas n'a pas souscrit à ce point de vue. Elle a dit, dans ses notes CAIPS :

[TRADUCTION] Je l'ai informée que ces livres ne pouvaient établir qu'elle remplissait les conditions d'accès à la profession.

[11]       À l'entrevue, la demanderesse a soumis à l'agente des visas un curriculum vitae intitulé « Antécédents professionnels » , dans lequel elle faisait état de ses antécédents en tant qu'interprète travaillant auprès de visiteurs et de membres de délégations commerciales. Voici comment l'agente des visas a décrit sa propre réaction :

[TRADUCTION] Après avoir considéré ce renseignement, j'ai déterminé qu'il ne permettait pas à la demanderesse de réfuter l'argument selon lequel elle n'avait pas la formation nécessaire et elle ne remplissait pas les conditions d'accès à la profession d'interprète/traducteur de la CNP.

[12]       La demanderesse a, semble-t-il, dit à l'agente des visas qu'elle avait suivi un cours d'interprétation d'un an en 1993-1994, mais elle n'a pas produit de certificat attestant de ces études. L'agente des visas a fait la remarque suivante :

[TRADUCTION] Même si l'intéressée avait produit un document étayant sa prétention, un tel programme dtudes ne peut pas être considérécomme équivalent à un baccalauréat en traduction et une spécialisation en interprétation ou en traduction au niveau des études supérieures.


L'affidavit de la demanderesse

[13]       La demanderesse a produit un affidavit dans le cadre de la présente instance. Elle déclare qu'elle a présenté une demande en vue d'obtenir le droit de stablir au Canada en tant qu'interprète et qu'elle a travaillé à ce titre, de même qu titre de traductrice, pendant presque 15 années, au cours desquelles elle a pris de l'expérience dans les domaines commercial, gouvernemental et universitaire.

[14]       La demanderesse soutient que l'agente des visas lui a dit, à la fin de l'entrevue, que [TRADUCTION] « elle rejetait ma demande au motif que j'avais un baccalauréat en traduction et que j'avais suivi des études supérieures en traduction en vue d'obtenir les compétences d'une interprète » .

D'autres faits du dossier

[15]       Voici d'autres faits qui ressortent du dossier certifié. Premièrement, la liste que l'agente des visas a faite, dans ses notes CAIPS, des cours de premier et de deuxième cycles qu'elle a suivis est, de façon générale, exacte, mais l'agente des visas a omis de prendre en note le nombre d'heures consacrées à chaque cours. Dans le cadre de ses études de premier cycle, la demanderesse a surtout suivi des cours de langue et de littérature, comme il ressort de la liste suivante :

Cours intensif de lecture en anglais-                     792 heures

Cours complémentaire de lecture en anglais-         108 heures

Compréhension et expression orale en anglais-      144 heures

Écriture en anglais-                                              144 heures

Littérature américaine-                                         108 heures

Traduction-                                                         72 heures

Linguistique-                                                       72 heures


[16]       La demanderesse a dit dans sa demande de résidence permanente : 1) que depuis 1995, elle était interprète pour la Zhengzhou Foreign Trade Company, et que de mars 1988 à mars 1995, elle avait été enseignante au département d'anglais de l'Université de Zhengzhou. Ces antécédents sont confirmés dans des lettres de recommandation. Le doyen du département d'enseignement de l'anglais de l'Université a ajouté que la demanderesse était souvent désignée pour agir en tant qu'interprète du président de l'Université [TRADUCTION] « chaque fois qu'une grande occasion se présentait » .

L'ANALYSE

1)          La profession envisagée : Les exigences de la Classification nationale des professions(CNP)

[17]       Il ne fait aucun doute que le Règlement incorpore par renvoi la Classification nationale des professions (la CNP). Voici ce que prévoit le paragraphe 2(1) du Règlement :


"National Occupational Classification" means the National Occupational Classification, including the Career Handbook and all other component publications, published by the Minister of Human Resources Development, as amended from time to time;

« classification nationale des professions » Le document intitulé Classification nationale des professions - le Guide sur les carrières et autres publications accessoires étant compris - publié par le ministre du Développement des ressources humaines, avec ses modifications éventuelles.


[18]       Les traducteurs, les terminologues et les interprètes y sont décrits à la rubrique 5125 de la façon suivante :



Translators translate written material from one language to another. Terminologists conduct research required to translate and interpret technical, professional and scientific vocabulary and material. Interpreters translate oral communication, such as speeches, proceedings and dialogue, from one language to another. Translators, Terminologists and Interpreters are employed by private translation and interpreting agencies, government, large private corporations, international organizations, the media or they may be self-employed.

                                                         [emphasis mine]

Les traducteurs traduisent des textes dans une ou plusieurs langues. Les interprètes expriment oralement dans une langue ce qui a étédit dans une autre langue lors de discours, de réunions, de débats ou de dialogues. Les terminologues exécutent les recherches nécessaires pour traduire des termes et des documents techniques, professionnels ou scientifiques. Les traducteurs, les terminologues et les interprètes travaillent pour le gouvernement, dans des services de traduction et d'interprétation privés, des grandes sociétés privées, des organisations internationales, des médias d'information, ou peuvent travailler à leur compte.

[non souligné dans l'original.]


[19]       Il ressort du dossier certifié que la demanderesse a soumis sa demande de résidence permanente au Canada au Consulat général à Hong Kong en invoquant la catégorie des travailleurs qualifiés indépendants, en tant qu'interprète. Cependant, il ressort des notes CAIPS que l'agente des visas a mené l'entrevue qu'elle a eue avec la demanderesse comme si celle-ci avait présenté sa demande en tant qu'interprète-traductrice.

[20]       La CNP prévoit, pour ces deux professions, les mêmes conditions d'accès à la profession (sur les plans des études et de la formation). Cependant, les tâches principales et les aptitudes nécessaires ne sont pas les mêmes, comme il ressort de la rubrique 5125 de la CNP.

[21]       La demande qu'un individu présente doit absolument être appréciée au regard de la profession que l'individu envisage d'occuper. Le juge Sharlow a souligné l'importance de ce principe dans Dauz c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 Imm. L.R. (3d) 16, de la façon suivante :

[6]         Pour évaluer le facteur de la profession, l'agent des visas devait se demander quelles sont les possibilités d'emploi au Canada dans la profession :

a) à l'égard de laquelle le requérant satisfait aux conditions d'accès, pour le Canada, établies dans la CNP ;

b) pour laquelle le requérant a exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies dans la CNP, dont les fonctions essentielles ;

c) que le requérant est prêt à exercer au Canada.


[...]

[10]        L'avocate du ministre affirme que le facteur de la profession vise uniquement à donner une idée de la demande dans la profession au Canada. Elle a sûrement raison. Mais il vise aussi à savoir si le requérant satisfait aux conditions de l'emploi et si le requérant a exercéun nombre substantiel des fonctions principales de sa profession envisagée. À sa face même, ces dispositions du Règlement exigent une conclusion de fait qui porte à la fois sur le requérant et sur la demande dans la profession au Canada. [Non soulignédans l'original.]

[22]       Il ressort à première vue des notes CAIPS que l'agente des visas n'a pas apprécié la demanderesse uniquement en tant qu'interprète; elle l'a plutôt appréciée au regard d'une profession à double volet, soit celle de traductrice/interprète, ce qui a faussé son interprétation des conditions d'accès à la profession d'interprète dont il est question plus loin. Pour cette raison, je dois conclure que la décision de l'agente des visas ne saurait être maintenue.

2)          L'interprétation des conditions d'accès à la profession prévues à la CNP

[23]       La demanderesse a soutenu que l'agente des visas avait commis une erreur susceptible de contrôle en interprétant l'expression « discipline connexe » comme signifiant « lquivalent » d'un baccalauréat en traduction.

[24]       Je suis convaincu qu'en interprétant la disposition applicable, il convient d'utiliser la méthode d'interprétation que la Cour suprême du Canada a décrite dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, soit qu'il faut lire les termes des lois et des règlements « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » .


[25]       Voici les conditions d'accès à la profession que prévoit la CNP au regard de ces professions :


Employment requirements A bachelor's degree in translation or a related discipline is required, and specialization interpretation, translation and terminology at the graduate level is usually required. [emphasis mine]

Conditions d'accès à la profession Un baccalauréat en traduction ou dans une discipline connexe et une spécialisation en traduction, en terminologie ou en interprétation au niveau des études supérieures sont exigés.

                                


[26]       Le Shorter Oxford Dictionary définit le mot « related » en renvoyant aux termes « connected » ou « associated » , et le Robert définit le mot « connexe » [en français dans le texte] de la façon suivante : « qui a des rapports étroits » [en français dans le texte].

[27]       Les mêmes dictionnaires définissent le terme « equivalent » comme voulant dire « equal in value or corresponds with » et « qui peut la remplacer et chose qui a la même fonction que l'autre » [en français dans le texte].

[28]       Dans le Shorter Oxford Dictionary, « substitute » veut dire remplace.

[29]       Il est clair que le mot « related » n'a pas le même sens que les mots « equivalent » ou « substitute » . Ces mots ont divers degrés de similitudes ou de variations qui y son associées. Les mots « equivalent » ou « substitute » communiquent l'idée de la similitude, de fait dtre identique. Le terme « related » , quant à lui, est plus souple sur le plan des liens -- il requiert une association ou un lien.


[30]       On constate que ces distinctions sont logiques si l'on tient compte du contexte de la disposition. L'expression que se trouve dans la CNP, soit « un baccalauréat en traduction ou dans une discipline connexe » , fait partie d'une rubrique de la CNP qui traite des traducteurs, interprètes et terminologues, trois professions qui comportent des tâches différentes. L'exigence d'un baccalauréat dans une discipline connexe vise à fournir une certaine souplesse pour ce qui est de l'appréciation des conditions d'accès à la profession, ce qui accorde à l'agent des visas une marge de manoeuvre qui lui permet de tenir compte de la situation d'une personne qui envisage exercer la profession d'interprète ou de terminologue.

[31]       En appliquant l'exigence d'un diplôme équivalent à un baccalauréat en traduction, l'agente des visas a trop étroitement confiné la portée des conditions d'accès à la profession et empêché un examen convenable de la question de savoir si le diplôme que la demanderesse a obtenu en langue et littérature anglaises et les cours qu'elle a suivis au niveau des études supérieures étaient liés à son emploi en tant qu'interprète. L'agente des visas a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle.


LA CONCLUSION

[32]       La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il l'examine à son tour.

     « François Lemieux »     

    JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

LE 12 AVRIL 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                              IMM-1846-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :               LU LIN ZHENG c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   VANCOUVER

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 1ER MARS 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                                   12 AVRIL 2000

ONT COMPARU :

M. DENNIS TANACK                                                            POUR LA DEMANDERESSE

M. VICTOR CAUX                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DENNIS TANACK                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

VANCOUVER (C.-B.)

M. MORRIS ROSENBERG                                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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