Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



Date : 19991213


Dossier : T-1805-98

Toronto (Ontario), le 13 décembre 1999


EN PRÉSENCE de Madame le juge Sharlow


ENTRE


     LE RÉVÉREND FRÈRE WALTER A. TUCKER et

     LE RÉVÉREND FRÈRE MICHAEL J. BALDASARO


     demandeurs

     - et -


     SA MAJESTÉ LA REINE


     défenderesse


     ORDONNANCE ET MOTIFS DE L"ORDONNANCE



[1]      Dans une déclaration modifiée, les demandeurs allèguent qu"ils sont ministres de l"Assemblée de l"Église de l"Univers, que l"usage de cannabis ou de marijuana est un principe de leur religion, qu"ils ont par le passé été accusés d"infractions ayant trait au cannabis et qu"ils risquent d"être de nouveau accusés dans l"avenir. Ils sollicitent une déclaration attestant que les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances , ayant trait au cannabis, à la marijuana et à certaines autres substances sont inconstitutionnelles, ainsi qu"une ordonnance déclarant que ces dispositions sont nulles.

[2]      Les demandeurs citent plusieurs articles de la Charte canadienne des droits et libertés, mais pour les fins des présentes, il suffira de dire qu"ils s"appuient sur l"article premier et l"alinéa 2a ), qui sont rédigés dans les termes suivants :

     1.      La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d"une société libre et démocratique.
     2.      Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
         a)      liberté de conscience et de religion [...].

[3]      La Couronne demande que l"action soit radiée au motif que la Cour n"a pas compétence pour accorder les réparations demandées, que les demandeurs n"ont pas l"intérêt pour agir et que la déclaration modifiée ne révèle pas de cause raisonnable d"action.

[4]      C"est la deuxième requête en radiation qui est déposée par la Couronne. La première a été entendue par le protonotaire adjoint le 4 décembre 1998 relativement à la déclaration initiale. Il a conclu que si les allégations des demandeurs contenues dans ce document étaient exactes, ce qu"il était tenu de présumer pour les fins de la requête, elles seraient suffisantes pour justifier la demande.

[5]      Toutefois, il a relevé un certain nombre d"erreurs et d"incohérences dans la déclaration. Il a accueilli la requête en radiation au motif qu"elle ne révélait pas de cause raisonnable d"action, mais a accordé l"autorisation de déposer une déclaration modifiée. La déclaration modifiée a été déposée et fait maintenant l"objet de la présente requête en radiation.

[6]      Le 6 juillet 1999, les demandeurs ont déposé un certain nombre de requêtes, y compris une requête pour inscrire la cause au rôle. Ces requêtes ont été entendues par le juge Reed le 19 juillet 1999. L"avocate de la Couronne était présente, de même que les demandeurs.

[7]      À la suite de l"audience, les requêtes ont été ajournées en attendant la décision sur une requête qui devait être présentée par la Couronne en vue de faire radier la déclaration modifiée. Aux termes de l"ordonnance du Juge Reed, en date du 19 juillet 1999, la requête en radiation de la Couronne devait être déposée au plus tard le 30 juillet 1999.

[8]      La requête en radiation de la Couronne a été déposée le 7 septembre 1999, et incluait une requête en vue d"obtenir une prorogation de délai.

[9]      Pour tenter d"expliquer pourquoi elle n"avait pas déposé la requête dans les délais prescrits, l"avocate de la Couronne a déclaré qu"elle n"avait pas compris que le juge Reed avait fixé une date limite. Elle avait écrit aux demandeurs le 29 juillet 1999 indiquant qu"elle déposerait une requête au plus tard à la mi-août. Elle a été en vacances jusqu"au 10 août 1999. À son retour, la version écrite de l"ordonnance du juge Reed n"était pas sur son bureau. Apparemment, l"ordonnance avait été mal classée, et elle n"en a pris connaissance que le 24 août 1999.

[10]      Il est difficile d"accepter que l"ordonnance du juge Reed n"ait pas été rendue verbalement à la fin de l"audience du 19 juillet 1999 ou que l"avocate de la Couronne ne l"ait pas entendue. Je note d"après le dossier de la Cour que l"instance dont était saisie le juge Reed a été enregistrée. Il semble qu"on n"en ait pas demandé la transcription. Je n"accepte pas l"argument de l"avocate de la Couronne selon lequel le retard à déposer la requête était justifié. Cette conclusion serait suffisante pour refuser la requête en prorogation de délai et la requête en radiation.

[11]      Cependant, je traiterai également du bien-fondé de la requête en radiation. Je le ferai en toute déférence pour les demandeurs, étant donné qu"ils ont répondu à la requête de deux façons. Ils ont déposé une requête pour inclure de nouveaux demandeurs et ils ont comparu le 1er novembre 1999 pour débattre pleinement des deux requêtes.

[12]      La requête en radiation de la Couronne se fonde sur trois motifs. Le premier indique que la Cour n"a pas compétence pour octroyer les réparations demandées.

[13]      D"après la Couronne, les réparations demandées en l"espèce tombent sous le coup du paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale . On a fait valoir qu"aux termes du paragraphe 18(3), les réparations décrites au paragraphe 18(1) ne peuvent être demandées dans le cadre d"une action, mais uniquement dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire.

[14]      Les paragraphes 18(1) et 18(3) se lisent comme suit :

     18(1) Sous réserve de l"article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour :
     a)      décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral ;
     b)      connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l"alinéa a ), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d"obtenir réparation de la part d"un office fédéral.
     18(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) et (2) sont exercés par présentation d"une demande de contrôle judiciaire.

[15]      La difficulté que pose cet argument, c"est qu"il se fonde sur une qualification incorrecte de la réparation demandée. Les demandeurs ne sollicitent pas une réparation contre un office fédéral. Par conséquent, la restriction procédurale du paragraphe 18(3) ne s"applique pas.

[16]      Les demandeurs sollicitent également une réparation provisoire sous la forme d"une ordonnance interdisant l"application des lois contestées contre eux et les membres de leur Église en attendant le règlement de leur demande en jugement déclaratoire. L"argument de compétence soulevé par la Couronne au sujet de ce redressement provisoire est bien fondé. Cet argument pourrait justifier la radiation de cette partie de la déclaration modifiée qui fait référence à la réparation provisoire demandée, mais pas la totalité de l"action.

[17]      Pour ces motifs, je conclus que la déclaration ne peut être radiée pour cause d"absence de compétence.

[18]      La Couronne fait aussi valoir que les demandeurs n"ont pas l"intérêt pour contester la constitutionnalité des lois parce qu"ils ne prétendent pas avoir été directement touchés par la loi.

[19]      Je n"accepte pas cet argument. Les demandeurs prétendent qu"ils sont directement touchés par la loi. Ils allèguent que leur religion exige qu"ils fassent usage de marijuana et que la loi contestée les expose au risque d"être poursuivis pour usage de marijuana. Ce risque de poursuite leur fait craindre d"utiliser de la marijuana et par conséquent de pratiquer leur religion. Dans le contexte d"une requête en radiation, je dois supposer que ces allégations sont vraies. À partir de cette hypothèse, je conclus que les demandeurs ont l"intérêt requis pour contester la loi.

[20]      Finalement, la Couronne soutient que les demandeurs n"ont pas de cause raisonnable d"action parce qu"ils n"ont pas établi qu"il y avait eu soit une violation réelle de leurs droits en vertu de la Charte, soit une menace de violation. Comme on l"a indiqué ci-dessus, les demandeurs soutiennent que l"existence de la loi contestée crée une menace de poursuite qui porte atteinte à leur liberté de religion.

[21]      Un rapide survol de la jurisprudence ne m"a pas permis de trouver de cause qui appuie la proposition générale selon laquelle le droit à la liberté de religion ne peut jamais avoir priorité sur une loi qui rend illégale la possession d"un sacrement. En l"absence d"une telle autorité, je ne peux conclure que les demandeurs n"ont aucune chance d"avoir gain de cause.

[22]      Cela ne veut pas dire que la cause des demandeurs ne présente pas de difficultés. Ils demandent l"invalidation complète des lois relatives à l"usage de la marijuana parce que ces lois portent atteinte à la liberté de religion des membres de leur Église. La Couronne soutient que la réparation demandée est disproportionnée par rapport au problème et, au bout du compte, il se peut qu"un tribunal lui donne raison.

[23]      Il est tout à fait clair d"après la jurisprudence que la liberté de religion, bien qu"elle soit importante, n"est pas absolue. Un survol de certaines des causes pertinentes est donné dans l"arrêt The Queen v. Church of Scientology of Toronto (1987), 31 C.C.C. (3d) 449. Dans cet arrêt, la Cour d"appel de l"Ontario déclarait ceci aux pages 467 à 473 :

     [TRADUCTION]
     [...] L"appelante s"appuie sur la Charte qui, selon elle, reconnaît constitutionnellement la liberté de religion. L"Église de scientologie appelante s"appuie sur l"arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. (1985), 18 C.C.C. (3d) 385, 18 D.L.R. (4th) 321, [1985] 1 R.C.S. 295. Le principe directeur de ce jugement est énoncé par le juge en chef Dickson aux pages 336 et 337 :
         Une société vraiment libre peut accepter une grande diversité de croyances, de goûts, de visées, de coutumes et de normes de conduite. Une société libre vise à assurer à tous l"égalité quant à la jouissance des libertés fondamentales et j"affirme cela sans m"appuyer sur l"art. 15 de la Charte . La liberté doit sûrement reposer sur le respect de la dignité et des droits inviolables de l"être humain. Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement comme le droit de croire ce que l"on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d"empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation. Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.
         [. . .]
         L"un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d"ordres directs d"agir ou de s"abstenir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d"action d"autrui. La liberté au sens large comporte l"absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l"ordre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d"autrui, nul ne peut être forcé d"agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience.
         Une majorité religieuse, ou l"État à sa demande, ne peut, pour des motifs religieux, imposer sa propre conception de ce qui est bon et vrai aux citoyens qui ne partagent pas le même point de vue. La Charte protège les minorités religieuses contre la menace de " tyrannie de la majorité ".
     [...]
     [...] nous pensons qu"il est approprié de noter que le simple fait qu"une organisation prétende être une religion n"empêche pas la Couronne ou tout autre plaideur de demander l"aide du tribunal pour déterminer s"il y a eu un délit criminel ou un préjudice civil.
     [...]
     Au Canada, il y a de nombreux cas dans lesquels les croyances sincères des membres de sectes ou de groupes religieux particuliers n"ont pas été reconnues comme des défenses efficaces contre les contraventions alléguées aux lois de ce pays. Dans R. v. Lewis (l903), 7 C.C.C. 261, 6 O.L.R. 132, la présente Cour a statué qu"une objection de conscience à un traitement médical s"appuyant sur l"adhésion aux principes de la secte connue sous le nom de " Scientistes chrétiens " n"était pas une " excuse légitime " pour ne pas fournir de médicaments et une aide médicale conformément au Code. Dans R. v. Chomkowski (1973), 11 C.C.C. (2d) 562, [1973] W.W.R. 184, un témoin de Jehovah qui croyait ne pouvoir donner son haleine qu"à Dieu et non aux policiers a été condamné pour avoir refusé de souffler dans un ivressomètre. Voir également R. v. Reed (1983), 8 C.C.C. (3d) 153, dans lequel l"accusé a été condamné pour avoir troublé la paix, contrairement au Code, en criant et en perturbant une assemblée de personnes réunies pour célébrer un office religieux, même si, en tant qu"opposant aux Témoins de Jéhovah, il croyait avoir le droit d"exprimer sa liberté de conscience et de religion et de dénoncer les Témoins de Jéhovah. Dans R. v. " Bear's Shin Bone " (1899), 3 C.C.C. 329, 4 Terr.L.R. 173, un Indien qui s"était marié à deux reprises, conformément à la coutume de sa tribu, a été reconnu coupable de bigamie.
     Dans Baxter v. Baxter (1983), 6 D.L.R. (4th) 557, 450 O.R. (2d) 348, 36 R.F.L. (2d) 186, le juge Pennell de la Haute Cour de justice de cette province a refusé l"argument d"un mari défendeur dans une instance de divorce qui prétendait que l"obtention d"un jugement irrévocable de divorce portait atteinte à son droit d"exercer librement sa religion et d"exprimer ses opinions, qui lui sont garantis par l"article 2 de la Charte. À la page 560, le juge Pennell déclare ceci :
         Le fait que le gouvernement ne peut exiger d"une personne qu"elle renonce à la partie la plus infime de ses scrupules religieux ne signifie pas qu"elle peut exiger du gouvernement que celui-ci exclut son mariage des dispositions de la Loi sur le divorce , pour mieux mettre en pratique ses convictions religieuses.
     De même, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans Price, Fraser and McRae v. A.G. of British Columbia et al., [1976] 5 W.W.R. 656, a statué que même si les convictions religieuses d"un syndiqué pouvaient lui permettre de s"abstenir de se joindre au syndicat, il n"y avait pas violation de ses droits du fait qu"il était tenu de verser une contribution financière au syndicat au même titre que les autres membres.
     Les tribunaux de notre pays n"ont pas hésité à intervenir dans les pratiques religieuses quand celles-ci sont contraires aux lois en vigueur ou même, dans certains cas, à des pratiques acceptables. Dans Re Singh et al. and The Queen (1985), 18 C.C.C. (3d) 31, un juge de première instance a refusé d"autoriser un membre de la religion sikh à porter sur lui une dague de cérémonie dans la salle d"audience. Le juge en chef Dewar a statué que le juge de première instance avait eu raison. Bien que l"accusé, membre baptisé de la religion sikh, était tenu d"après les principes de sa religion de porter le kirpan (la dague) en tout temps, le juge en chef Dewar, de la Cour du Banc de la Reine, a statué que la décision du juge de première instance n"était pas une contravention inconstitutionnelle à la liberté de religion de l"accusé qui lui est garantie par l"alinéa 2a ) de la Charte. Le juge en chef a déclaré qu"une telle décision servait l"intérêt public supérieur pour que la justice soit administrée dans un environnement libre de toute influence qui pourrait tendre à contrarier le processus ; la décision avait été prise dans l"exercice de la compétence du tribunal chargé de maintenir l"ordre et la sécurité dans la salle d"audience. Il s"agissait, par conséquent, d"une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification pouvait se démontrer dans le cadre d"une société libre et démocratique.
     Dans R v. Harrold (1971), 3 C.C.C. (2d) 387, 19 D.L.R. (3d) 471, [1971] 3 W.W.R. 365, dont l"autorisation d"appeler à la C.S.C. a été refusée le 5 mai 1971, l"accusé était membre d"un groupe religieux ayant pour mandat la propagation systématique de la connaissance spirituelle dans la société en général. L"accusé a été déclaré coupable d"avoir contrevenu au règlement anti-bruit de la ville de Vancouver. Le juge Tysoe, s"exprimant au nom de la Cour d"appel de la Colombie-Britannique, a déclaré à la page 374 : " Le droit à la liberté de religion ne permet à personne, qui s"abrite sous le parapluie de ses enseignements et de ses pratiques religieux, de contrevenir à la loi du pays, que celle-ci soit fédérale, provinciale ou municipale ". De même, dans R. v. Jack and Charlie (1982), 67 C.C.C. (2d) 289, 139 D.L.R. (3d) 25, [1982] 5 W.W.R. 193, confirmé à 21 C.C.C. (3d) 481, 21 D.L.R. (4th) 641, [1985] 2 R.C.S. 332, l"accusé a été déclaré coupable d"avoir chassé le cerf de Virginie hors saison malgré sa prétention selon laquelle il avait besoin de la viande de cet animal pour une cérémonie religieuse. Voir également Tucker et al. v. The Queen , [[1979] O.J. no 1532,] et R. v. Baldasaro, [[1982] O.J. no 2082] (deux décisions non publiées de la Cour d"appel de l"Ontario, la première ayant été rendue le 28 novembre 1979 et la deuxième le 15 novembre 1982 ; les autorisations d"appel à la CSC ont été refusées le 22 janvier 1980 et le 25 janvier 1983 respectivement), dans lesquelles la Cour a statué que malgré les prétentions des accusés concernant la nécessité de faire usage de marijuana dans leurs pratiques religieuses, ces personnes étaient assujetties à la Loi sur les stupéfiants .
     Dans Fardella c. La Reine (1974), 47 D.L.R. (3d) 689, [1974] 2 C.F. 465, 5 N.R. 571, la Cour d"appel fédérale a statué à la majorité que la condition imposée à un préposé aux soins des enfants d"obliger les élèves dont il avait la charge à assister aux services religieux ne contrevenait pas à ses droits en vertu de la Déclaration canadienne des droits , qui protégeait, entre autres, la liberté de religion. Il n"avait été porté atteinte d"aucune façon à son droit de croire ou de ne pas croire et à son droit d"assister ou non aux offices religieux, comme bon lui semblait. La condition selon laquelle il devait obliger les élèves relevant de sa charge à assister aux services religieux aurait pu porter atteinte à la liberté de religion des enfants ou de leurs parents s"ils avaient été contraints d"assister à ces services religieux - ce qui n"était pas le cas -, mais il n"y avait pas atteinte aux droits du préposé. La Cour a statué qu"il avait à bon droit été congédié parce qu"il ne s"était pas acquitté de cet aspect de ses fonctions.

[24]      Je note que deux des causes citées dans la décision Church of Scientology se rapportent au cas des demandeurs en l"espèce. Ces causes n"indiquent pas clairement si les questions relatives à la Charte qui font l"objet de la présente action étaient ou pourraient avoir été soulevées dans ce genre d"instance. Mais, dans la cause plus récente, R. v. Baldasaro , [1984] O.J. no 2033 (QL), la Cour d"appel de l"Ontario a déclaré ceci :

     [TRADUCTION]
     Nous ne croyons pas que le juge de première instance a commis une erreur sur une question de droit en indiquant, dans son adresse au jury, que le fait que l"accusé ait été en possession de marijuana pour en faire usage dans l"accomplissement des rites de son Église n"était pas une défense à l"accusation portée. Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés garantissant la liberté de religion n"offrent aucune défense dans ce cas.

[25]      Ce passage appuie dans une certaine mesure l"argument de la Couronne selon lequel la cause des défendeurs n"est pas fondée. Toutefois, il est impossible de déterminer à partir des très courts motifs de la décision prononcée dans ce cas quels sont les faits qui ont mené à la condamnation. Il y avait peut-être dans cette affaire une preuve qui aurait pu établir les faits allégués dans la déclaration modifiée en l"espèce, et peut-être qu"il n"y en avait pas. Peut-être que l"argument constitutionnel que l"on se propose de soulever en l"espèce a été présenté, et peut-être qu"il ne l"a pas été.

[26]      Un certain nombre de causes dans lesquelles il a été statué que l"interdiction d"être en possession de marijuana ne contrevient pas à l"article 7 de la Charte (le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne) favorise également la position de la Couronne : R. v. Hamon (1993), 85 C.C.C. (3d) 490, autorisation d"appel à la CSC refusée le 27 janvier 1994 ; R. v. Malmo-Levine (18 février 1998), Vancouver CC 970509 (C.S. C.-B.) ; R. v. Caine (20 avril 1998), Surrey 65381 (C.P. C.-B..) ; R. v. Hunter (14 avril 1997), Victoria 88807 (C.S. C.-B.) ; R. v. Clay (1997), 39 O.T.C. 81 (Div. gén. de l"Ont.). Dans l"une de ces causes, soit Malmo-Levine , la question de la liberté de religion protégée par l"article 2 de la Charte avait également été soulevée, mais elle a été rejetée d"après les faits de l"espèce ; il n"y avait pas de fondement religieux aux convictions professées par l"accusé.

[27]      Par ailleurs, il y a au moins deux causes dans lesquelles les tribunaux ont été persuadés d"autoriser une " exception constitutionnelle " aux lois relatives à la marijuana pour des motifs médicaux : R. v. Parker (1997), 12 C.R. (5th) 251 (C.P. Ont.) ; Wakeford c. Canada (1999), 173 D.L.R. (4th) 726 (C.S. Ont.). Il reste à savoir si le raisonnement élaboré dans ces causes peut être étendu de façon à protéger le droit à la liberté de religion.

[28]      La Couronne se préoccupe, et à bon droit, de l"absence d"une grille factuelle pour la détermination des questions constitutionnelles soulevées par les demandeurs, comme celle qui existerait si cette contestation constitutionnelle était soulevée dans le contexte d"une poursuite intentée en vertu des lois contestées. Toutefois, il y a des allégations factuelles dans la déclaration modifiée qui se rapportent précisément aux demandeurs et à leur religion, et qui concernent les propriétés de la marijuana et d"autres substances qui y sont désignées. La preuve quant à la véracité de ces allégations sera faite à l"instruction ou peut-être à l"étape des interrogatoires préalables. Si la preuve des demandeurs est insuffisante pour établir les faits allégués, leur demande pourrait être rejetée. Mais il n"y a pas de raison de radier la déclaration à la présente étape.

[29]      La requête en radiation de la déclaration modifiée présentée par la Couronne est rejetée. Les coûts de la requête suivront l"issue de la cause.

[30]      Comme il a été indiqué ci-dessus, la requête des demandeurs en vue d"ajouter d"autres demandeurs a apparemment été présentée en réponse à l"argument de la Couronne selon lequel les demandeurs actuels n"avaient pas établi qu"ils étaient actuellement exposés au risque d"être poursuivis en vertu de la loi contestée.

[31]      Comme j"ai déjà décidé que les demandeurs ont l"intérêt requis pour agir et que le risque de poursuite est un fondement suffisant à la présente action, il se peut que cette requête soit maintenant théorique. Toutefois, il n"y a rien qui empêche les nouveaux demandeurs proposés d"intenter leurs propres actions en les formulant exactement comme la présente. Il semble plus approprié d"accueillir la requête pour autoriser l"ajout de demandeurs additionnels, si les demandeurs actuels indiquent au Greffe, dans les 30 jours du prononcé de la présente ordonnance, qu"ils souhaitent encore que cela soit fait. Les coûts de la requête suivront l"issue de la cause.

                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  T-1805-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Le révérend frère Walter A. Tucker et le révérend frère Michael J. Baldasaro c. Sa Majesté la Reine


LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :              Le 1er novembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

DATE :                      Le 13 décembre 1999



ONT COMPARU :


Le révérend frère Walter A. Tucker

Le révérend frère Michael J. Baldasaro              les demandeurs en leur propre nom

Casandra Kirewskie                          pour la défenderesse



PROCUREUR INSCRIT AU DOSSIER :


Morris Rosenberg                          pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.