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Date : 20030710

Dossier : IMM-831-03

Référence : 2003 CF 865

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                            STEPHEN MICHAEL JAMES AMBROSE

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 À la fin de l'instruction de cette affaire, le 8 juillet 2003, j'ai fait droit, à l'audience, à la demande de contrôle judiciaire. Voici les motifs qui m'ont poussé à le faire.


[2]                 Dans une décision datée du 27 janvier 2003, un commissaire de la section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le commissaire) a décidé que le défendeur, Stephen Ambrose, risquait de s'enfuir et que sa présence au Canada était susceptible de mettre en danger le public. Sept jours plus tard, soit le 3 février 2003, le même commissaire a remis en liberté le défendeur bien qu'il ait mentionné qu'il n'avait pas changé d'idée sur le risque de danger et de non-comparution. Le ministre défendeur a contesté la décision du 3 février 2003 et a présenté une demande de contrôle judiciaire à son égard.

[3]                 Le défendeur a déposé un avis de comparution le 20 février 2003. Le 27 février, le dossier de demande du demandeur lui a été signifié à l'établissement Westmorland, par télécopieur et par messager. Il n'a pas produit de dossier du défendeur. Il a comparu à l'instruction dans l'intention de présenter des observations. L'avocat du ministre a contesté, pour des raisons de forme, le droit du défendeur de s'adresser au tribunal mais ne s'est pas vigoureusement opposé à cette demande. Le défendeur a mentionné qu'il avait parlé avec l'agent de présentation des cas du Bureau régional de Halifax de son intention d'assister à l'instruction. L'avocat n'a pas prétendu que le fait d'autoriser le défendeur à présenter des observations orales risquerait de causer un préjudice au ministre. L'explication qu'a fournie le défendeur pour son défaut d'avoir déposé un dossier de requête me satisfait et j'estime qu'il est dans l'intérêt de la justice d'autoriser M. Ambrose à s'adresser au tribunal. J'ai également signalé que si celui-ci soulevait des questions que l'avocat estimait appeler d'autres commentaires, je lui accorderais du temps pour qu'il les prépare et les produise. Finalement, l'avocat n'a pas estimé nécessaire de présenter d'autres observations. Le défendeur souscrit, sur de nombreux points, à la position adoptée par le ministre.


[4]                 Le défendeur est un des cinq ressortissants britanniques déclarés coupables le 16 octobre 2001 de complot en vue de commettre un acte criminel, en violation de l'alinéa 465(1)c) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. 46. Ils ont comploté d'importer au Canada 2,5 tonnes de résine de cannabis en violation du paragraphe 6(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19. Cette infraction est passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité. Le défendeur a plaidé coupable et a été condamné à sept ans et huit mois d'emprisonnement dans un établissement fédéral.

[5]                 Un rapport au sujet du défendeur, préparé aux termes de l'article 27 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), a été transmis au sous-ministre et le 11 juin 2002 la détention du défendeur a été ordonnée conformément au paragraphe 105(1) de la Loi. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 17 (LIPR), est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Une mesure de renvoi a été prononcée le 31 octobre 2002. L'alinéa 50b) de la LIPR interdit au demandeur d'exécuter le renvoi du défendeur tant que celui-ci n'a pas purgé sa peine.


[6]                 Le défendeur a obtenu le droit de demander la semi-liberté le 25 janvier 2003 mais est demeuré en détention conformément à l'ordonnance prononcée en vertu du paragraphe 105(1). Une audience concernant les motifs de sa détention a été tenue le 27 janvier 2003, 48 heures plus tard. C'est à cette audience que le commissaire a déclaré que le défendeur représentait un danger pour le public, risquait de s'enfuir et a ordonné son maintien en détention. Le commissaire a également mentionné que le défendeur n'avait pas le droit à la semi-liberté en raison des modifications apportées à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC) et qu'il ne serait pas nécessaire de tenir d'autres audiences à son sujet.

[7]                 L'agent de présentation des cas du ministre défendeur a demandé la tenue d'une audience de révision hebdomadaire des motifs de la détention. L'audience a eu lieu le 3 février 2003. C'est à cette dernière audience que le commissaire a jugé que M. Ambrose constituait un danger pour la société canadienne, et risquait de s'enfuir mais il a ordonné sa mise en libération. Le commissaire s'est fondé sur son interprétation des modifications apportées à la LSCMLC, plus particulièrement, au paragraphe 128(4). Il a conclu que la « semi-liberté était devenue inopérante » . Le 20 février 2003, notre Cour a suspendu l'application de la décision du commissaire, en attendant que soit entendue la présente demande.

[8]                 La première tâche du juge à qui une demande de contrôle judiciaire est soumise est de préciser la norme de contrôle applicable : Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, (2003) 223 D.L.R. (4th) 599. Dans les circonstances de la présente espèce, la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, à laquelle le commissaire est arrivé de façon arbitraire et abusive, sans tenir compte des documents présentés. Il a donc lieu d'annuler la décision que la norme applicable soit la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable simpliciter ou la décision correcte.

[9]                 L'article 128 de la LSCMLC a été modifié par l'article 242 de la LIPR. Les modifications ont eu pour effet de supprimer le droit à demander la semi-liberté ou une sortie sans surveillance pour les personnes visées par une mesure d'expulsion prise aux termes de la LIPR. Selon l'ancienne Loi, lorsqu'une personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 105(1) bénéficiait d'une semi-liberté accordée par la Commission nationale des libérations conditionnelles, l'ordonnance rendue aux termes du paragraphe 105(1) prenait effet pour maintenir le détenu en question en détention et celle-ci pouvait être examinée aux termes de l'alinéa 103(6)c) : Chaudry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 455 (C.A.F.). La LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Service correctionnel Canada (SCC) et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ont estimé que l'article 128 ne pouvait pas s'appliquer aux personnes condamnées avant le 28 juin 2002, sauf s'il y avait un changement dans la situation, comme l'imposition d'une peine supplémentaire le 28 juin ou après cette date. En bref, SCC et CIC ont agi comme si les modifications étaient dépourvues d'effet rétroactif. Un bulletin de gestion des cas préparé par le SCC, daté du 28 juin 2002, énonce :

[traduction] Les délinquants qui purgent une peine au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne seront pas immédiatement touchés par les modifications apportées à l'article 128 de la LSCMLC.

[10]            Le commissaire a interprété différemment ces modifications. Il a déclaré ce qui suit :

Contrairement à l'interprétation de ces dispositions par les Services correctionnels ou l'Immigration, je crois que c'est la date de la prise de la mesure de renvoi qui constitue l'élément déclencheur de l'application de ces dispositions.

[11]            Le commissaire a formulé les conclusions suivantes dans les derniers paragraphes de sa décision :

... Vous êtes considéré comme un étranger indésirable devant être renvoyé du Canada à cause de ses méfaits. Vous n'avez donc droit ni à la réadaptation au Canada ni à la réinsertion dans la société canadienne. Par conséquent, ma position reste la même quant à la probabilité de danger et au risque de fuite.

J'y ai, comme je l'ai dit précédemment, réfléchi une seconde fois, en tenant compte du fait que vous n'êtes actuellement pas mis en liberté à cause du simple fonctionnement de la loi. Selon mon interprétation de ces articles, encore une fois, la mesure de renvoi vient mettre en jeu l'application de ces articles en l'espèce. Si je considère encore une fois que la semi-liberté est devenue inopérante et que vous êtes détenu dans un pénitencier fédéral, je conclus maintenant que vous ne constituez pas à ce stade un danger pour le public du Canada et que vous ne vous déroberez pas aux formalités de l'Immigration à cause de votre statut de détenu. Votre détention ne sera donc pas maintenue, comme vous êtes, encore une fois, incarcéré et que vous purgez une peine. L'audience d'aujourd'hui est maintenant terminée et il est vrai qu'il n'y en aura plus d'autres désormais.

[12]            À mon avis, il n'est pas nécessaire d'aborder la question de l'interprétation de l'article 128 de la LSCMLC. Il est évident que le commissaire n'a pas ordonné le maintien du défendeur en détention parce qu'il estimait que celui-ci serait de toute façon détenu dans un pénitencier fédéral. Ce n'est pas le cas. Le commissaire en est arrivé à sa conclusion sans tenir compte de l'approbation initiale donnée à la semi-liberté du défendeur. Il n'a pas pris en considération le document du 25 janvier 2003 qui portait sur le droit de demander la semi-liberté. Il a décidé de ne pas tenir compte de la façon dont le SCC abordait la question de la semi-liberté pour les personnes qui avaient été condamnées avant le 28 juin 2002. Il n'a pas tenu compte du bulletin de gestion de cas qui lui avait été présenté. Il n'a pas tenu compte du fait que, malgré son interprétation de l'article 128 de la LSCMLC, le défendeur obtiendrait sa semi-liberté le 25 janvier. Il a conclu à tort que le défendeur serait détenu par le SCC malgré toutes les preuves indiquant le contraire qui lui avaient été présentées.


[13]            Le commissaire en est arrivé à cette conclusion de fait erronée et s'est ensuite basé sur cette conclusion pour prendre sa décision. J'estime que cette conclusion était manifestement déraisonnable et a été prise de façon abusive ou arbitraire. Cette conclusion vicie la décision. Je fais donc droit à la demande de contrôle judiciaire et renvoie l'affaire à un autre membre de la section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen par ordonnance datée du 8 juillet 2003.

                                                                 « Carolyn Layden-Stevenson »          

                                                                                                             Juge                              

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

le 10 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-831-03

INTITULÉ :                                                        Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c. Stephen Michael James Ambrose

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 8 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Madame le juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                     le 10 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Stephen Michael James Ambrose                  POUR LE DEMANDEUR

Melissa Cameron                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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