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Date : 20030731

Dossier : T-652-01

Référence : 2003 CF 942

Toronto (Ontario), le 31 juillet 2003

En présence de Monsieur le protonotaire Roger R. Lafrenière

ENTRE :

                                MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                                         BPB WESTROC INC.

                                                                                                                                  défenderesse

                                     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                 Mediterranean Shipping Company S.A. (MSC), le transporteur demandeur, qui avait transporté les marchandises de Westroc à trois reprises, cherche à recevoir de BPB Westroc Inc. (Westroc), le chargeur défendeur, un montant de 65 187,62 $, au titre du fret, plus les intérêts et les dépens. Westroc concède que les cargaisons en question lui appartenaient, et que MSC les a reçues et les a transportées en bon état jusqu'au point de destination approprié. Toutefois, Westroc nie toute responsabilité pour le motif que le fret a déjà été versé à J.T. Knight Export Services Inc. (J.T. Knight), un transitaire qui, selon ce que croyait Westroc, était autorisé à recevoir le paiement pour le compte de MSC.

[2]                 Tout résultat obtenu en l'espèce sera nécessairement considéré comme injuste par la partie perdante, étant donné en particulier que ni l'une ni l'autre partie à la présente action n'a fait autre chose que ce à quoi on s'attendait généralement, c'est-à-dire que le transporteur a transporté les marchandises conformément aux dispositions prises avec le transitaire et que le chargeur a payé le transitaire sur réception de la facture. Il me reste la tâche peu enviable de déterminer si, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, le chargeur doit payer à deux reprises, ou si le transporteur ne sera pas du tout payé.

[3]                 Le droit appuie généralement les transporteurs dans les efforts qu'ils font pour recevoir des chargeurs le fret afférent au transport de la cargaison lorsque le transitaire qui s'est occupé du transport fait faillite après avoir été payé par le chargeur. Toutefois, la présente cour a récemment refusé de permettre que des transporteurs reçoivent certaines sommes compte tenu de considérations fondées sur l'équité. Comme les parties en ont convenu, les deux questions à trancher sont donc les suivantes : (1) Par sa conduite, MSC a-t-elle amené Westroc à conclure que J.T. Knight était autorisée à recevoir le paiement pour les expéditions? (2) Est-il interdit à MSC de réclamer les frais de transport étant donné qu'elle était au courant des difficultés financières auxquelles faisait face J.T. Knight et qu'elle a omis d'informer Westroc de la chose?

[4]                 L'action a été instruite selon la procédure simplifiée prévue à l'article 299 des Règles de la Cour fédérale (1998), qui exige que la preuve de chaque partie soit établie par affidavit. Les parties ont chacune déposé un affidavit, à savoir l'affidavit de Brian Kimber, président de l'agent canadien de MSC, et l'affidavit de Jim Brittain, directeur de J.T. Knight. MSC s'est également fondée sur la transcription de l'interrogatoire préalable du représentant de Westroc, Keith Prew, qui était chargé de donner des instructions au transitaire. À l'instruction, les deux déclarants ont été contre-interrogés au sujet de leur affidavit. MSC a décidé de citer un témoin en contre-preuve, Jean Chouinard, à la suite du contre-interrogatoire de M. Brittain.

[5]                 J'ai demandé une transcription de la preuve quelques semaines après la fin de l'instruction. Un peu plus tard, la sténographe, qui avait transcrit l'audience à la main, a fait savoir que ses notes avaient été perdues à la suite d'un déménagement et que, même si elle les avait cherchées avec diligence, elle ne pouvait pas les trouver. Les avocats des parties ont été informés de la chose et on leur a demandé de faire connaître leur point de vue au sujet de la façon de procéder. Après délibération, les parties ont conclu qu'une nouvelle instruction prendrait trop de temps et coûterait trop cher. Elles ont donc demandé conjointement le prononcé d'un jugement, même si, advenant le cas où un appel serait interjeté, il n'y aurait pas de compte rendu écrit des témoignages.


[6]                 Les faits ci-dessous énoncés sont fondés sur les affidavits et sur les pièces que les parties ont déposés, sur mes notes personnelles et sur ce que je me rappelle en ce qui concerne les dépositions et la conduite des témoins. Les faits n'étaient en général pas contestés, mais la preuve renfermait certaines incohérences. Il a donc fallu tirer certaines conclusions au sujet de la crédibilité.

[7]                 M. Kimber, qui s'occupe de transport maritime depuis plus de 35 ans, s'est avéré être un témoin fort digne de foi. Il a relaté les événements d'une façon détaillée et objective, et le contre-interrogatoire ne l'a pas ébranlé. En outre, M. Prew, M. Brittain et M. Chouinard ont essentiellement corroboré son témoignage. J'ai donc accordé beaucoup de poids à la preuve présentée par M. Kimber.


[8]                 On ne saurait dire la même chose au sujet de M. Brittain, qui était le seul témoin cité par Westroc. Pendant le contre-interrogatoire, M. Brittain a été évasif en ce qui concerne les liens véritables qui existaient entre J.T. Knight et lui, et il s'est montré réticent en ce qui concerne les relations qu'il entretenait avec Westroc. Ainsi, il a déclaré ne pas être propriétaire et ne pas être actionnaire de J.T. Knight, mais il a refusé de dire qui finançait la société. De plus, il a allégué ne pas se rappeler qui avait pris des arrangements bancaires pour la société. Ces déclarations sont pour le moins surprenantes puisqu'elles ont été faites par le président d'une entreprise qui était reconnue comme fort petite. En outre, ce n'est que lorsque l'avocat de MSC a insisté sur la question que M. Brittain a admis qu'il avait régulièrement facturé Westroc avant le déchargement des expéditions, c'est-à-dire avant même de recevoir une facture de MSC. Il a également concédé que Westroc n'avait pas été informée que J.T. Knight gonflait le taux de fret qui était exigé par MSC sur ses factures ou qu'il avait négocié des modalités de crédit de 30 jours tout en insistant en même temps pour que Westroc acquitte sa dette dans un délai de 7 jours. M. Brittain n'a manifesté aucun remords au sujet de sa conduite, que je considère comme hypocrite et incongrue pour un agent. Eu égard aux circonstances, je me suis montré fort sceptique à l'égard de la preuve présentée par M. Brittain.

Les faits

[9]                 MSC est une personne morale constituée en vertu des lois suisses; elle s'occupe du transport par mer et exploite un service multimodal à l'échelle mondiale depuis son siège social, à Genève, en Suisse. MSC est représentée au Canada par un agent général, Mediterranean Shipping Company (Canada) Inc. (MSC Canada), et par son président, M. Kimber.

[10]            Le rôle de MSC Canada consiste à rechercher des cargaisons auprès des chargeurs canadiens en vue de les transporter par divers modes, notamment par la mer, jusqu'à des destinations situées à l'extérieur du Canada, partout au monde. MSC Canada organise le transport des cargaisons sur des navires disponibles de MSC et s'occupe de leur réception aux divers terminaux; elle s'occupe également du transport terrestre des marchandises et de leur chargement à bord des navires de MSC. La société prend également des dispositions avec l'agent local de MSC au point de déchargement des cargaisons et notifie le réceptionnaire de leur arrivée.


[11]            M. Kimber a fait certaines observations au sujet des pratiques commerciales qui sont suivies dans l'industrie du transport du fret. La preuve que M. Kimber a présentée au sujet des pratiques commerciales n'a pas été contestée par Westroc, et elle a essentiellement été confirmée par M. Brittain.

[12]            À la connaissance de M. Kimber, peu de chargeurs, même ceux qui disposent de services de mouvement des marchandises et de logistique bien organisés, pouvaient ou voulaient consacrer leur attention ou leurs ressources pour se tenir au courant de l'évolution du marché et des taux de fret et pour préparer les documents tels que les connaissements et autres documents accessoires au transport de marchandises. MSC Canada traitait donc principalement avec des transitaires agissant pour le compte de chargeurs canadiens.


[13]            Selon M. Kimber, les transitaires insistent généralement pour que les représentants du transporteur, comme MSC Canada, ne « se substituent » pas au transitaire lorsqu'il s'agit de communiquer avec le client de ce dernier, en particulier en ce qui concerne les dispositions financières qui sont prises pour le transport et son exécution. Il n'existe qu'une seule exception, lorsqu'une urgence survient sur le plan de l'exploitation et que le transitaire n'est pas disponible pour répondre. Tout représentant du transporteur qui omet de se conformer peu faire face à de graves répercussions, telles que la perte de présentations futures, ou son inscription sur la liste noire par d'autres transitaires. En outre, les principaux transitaires tentent habituellement d'exercer un contrôle absolu sur les cargaisons qu'ils acheminent pour leurs clients en faisant en sorte que les transporteurs les traitent comme s'ils étaient le chargeur, et insistent pour que les transporteurs comptent uniquement sur eux pour payer les frais de transport qui peuvent être exigibles. Par conséquent, les transitaires délivrent régulièrement à leurs clients leurs propres connaissements à titre de transporteur, de sorte qu'il est difficile pour les transporteurs de connaître l'identité véritable des propriétaires des cargaisons qui sont transportées.

[14]            J.T. Knight, une petite société de transit offrant aux chargeurs des services complets de transport, a commencé à traiter avec MSC Canada en 1981 par l'entremise de son président, M. Brittain. Les relations se sont poursuivies au fil des ans même si J.T. Knight faisait constamment face à des problèmes de liquidités. Les deux témoins qui ont été cités pour le compte de MSC Canada ont convenu que M. Brittain tardait régulièrement à effectuer les paiements.

Relations entre le chargeur, le transporteur et le transitaire


[15]            J.T. Knight a contracté avec MSC au sujet d'un certain nombre de différents chargeurs avant le mois de juin 2000, lorsqu'un employé de MSC Canada a été informé de l'adoption d'un programme de transport maritime par Westroc, un fabricant de produits de construction. Étant donné que Westroc entretenait des relations avec J.T. Knight depuis 1998, MSC Canada a communiqué avec M. Brittain au sujet de la possibilité de traiter avec Westroc. Grâce aux efforts de commercialisation de J.T. Knight, Westroc a commencé à avoir recours à MSC à titre de transporteur maritime au mois de septembre 2000.

[16]            Après avoir vérifié la solvabilité de Westroc, MSC Canada a accepté les mêmes modalités de crédit que celles qui avaient antérieurement été négociées par J.T. Knight, c'est-à-dire le paiement dans les 30 jours suivant la date de l'expédition ou, en d'autres termes, la date du connaissement. MSC, qui s'inquiétait de traiter avec Westroc pour la première fois, a demandé à J.T. Knight de garantir le paiement des frais de transport exigés de sa cliente et de reconnaître qu'elle agissait à titre d'agent du chargeur, garantie qui lui a été fournie.


[17]            Pendant son interrogatoire préalable, M. Prew a déclaré être directeur chargé des exportations chez Westroc. M. Prew a confirmé que J.T. Knight avait agi sur les instructions de Westroc dans ses relations avec MSC. On a eu recours aux services du transitaire pour qu'il fournisse certaines compétences que Westroc n'avait pas, et pour plus de commodité sur le plan commercial. M. Prew a reconnu que Westroc savait que J.T. Knight fournissait à MSC les renseignements liés aux connaissements. Westroc s'en remettait à J.T. Knight pour s'assurer que les connaissements étaient conformes aux factures et aux avis d'expédition. Selon M. Prew, Westroc a découvert que le taux exigé par MSC était inférieur au taux qu'elle payait à J.T. Knight uniquement après qu'il y a eu défaut. Lorsqu'il a été interrogé au sujet de la question de savoir s'il avait discuté avec J.T. Knight de la façon dont Westroc pouvait vérifier si les transporteurs étaient payés, M. Prew a répondu ne pas se le rappeler. Il a admis que Westroc n'avait jamais vu ni demandé à voir les factures que J.T. Knight recevait de MSC.

[18]            Du mois de septembre 2000 au mois de janvier 2001, huit opérations ont été conclues entre MSC et Westroc, comme le montre le tableau ci-dessous :

No de l'opération

Date du connaissement

No du connaissement

Chargeur

Montant

Date du paiement

(1)

2 septembre 2000

MSCU-M1240466

Westroc

3 249,10 US

20 octobre 2000

(2)

15 septembre 2000

MSCU-M1280439

Westroc

3 249,00 US

20 octobre 2000

(3)

2 octobre 2000

MSCU-M1284027

Westroc

8 730,00 US

2 novembre 2000

(4)

22 novembre 2000

MSCU-M1297946

Westroc

10 885,00 US

Chèque non honoré

(5)

9 décembre 2000

MSCU-M1352477

Westroc

15 160,00 US

Non versé à MSC

(6)

27 décembre 2000

MSCU-M1357534

Westroc

16 800,00 US

Non versé à MSC

(7)

30 janvier 2001

MSCU-M1363888

Westroc

5 115,00 US

Versé par Westroc

(8)

30 janvier 2001

MSCU-M1363979

Westroc

6 820,00 US

Versé par Westroc

[19]            Selon M. Kimber, les connaissements de MSC servaient également de factures de fret. Le nom de Westroc était inscrit sur tous les connaissements à titre de chargeur et, selon les conditions du connaissement, à titre de personne responsable du fret. Selon les instructions relatives aux connaissements que MSC Canada avait reçues de J.T. Knight lorsqu'elle s'occupait de la cargaison de Westroc, c'était Westroc qui devait être désignée à titre de chargeur. Même si les connaissements étaient adressés à Westroc, ils étaient transmis à J.T. Knight, comme l'exigeait la coutume.

[20]            M. Brittain communiquait régulièrement avec M. Chouinard, qui était responsable des comptes débiteurs relatifs au fret chez MSC Canada pendant la période qui s'appliquait aux opérations dans lesquelles Westroc était en cause, en particulier en ce qui concerne les retards à effectuer les paiements, lesquels ont commencé dès la première expédition, le 3 septembre 2000. M. Chouinard a témoigné qu'on faisait preuve d'une certaine tolérance envers les transitaires une fois expiré le délai de crédit de 30 jours, et la chose a été confirmée par M. Kimber. Toutefois, ils ont tous deux nié qu'en se montrant indulgente, la société accordait d'une certaine façon du crédit. Selon les instructions de M. Chouinard, il fallait assurer le suivi et demander avec insistance à être payé par les transitaires qui étaient reconnus pour être lents à obtenir les fonds de leurs clients et à les remettre à MSC Canada, comme c'était le cas pour J.T. Knight. Pendant le contre-interrogatoire, M. Kimber a affirmé avec insistance que sa société n'avait jamais volontairement convenu de recevoir des paiements en retard de J.T. Knight ou de M. Brittain.


[21]            MSC a facturé Westroc pour le montant total de 65 187,62 $ (42 815 $ US) à l'égard du fret se rapportant à trois voyages effectués aux mois de novembre et de décembre 2000, pendant lesquels les cargaisons de Westroc avaient été transportées jusqu'au point de destination convenu. M. Brittain affirme qu'une erreur a été commise dans les frais exigés pour le connaissement en date du 9 décembre 2000, lequel devrait indiquer un montant de 13 995 $ US plutôt qu'un montant de 15 160 $ US. Toutefois, aucun élément de preuve n'a été présenté pour établir que le montant réclamé par MSC était inexact. De fait, M. Brittain n'a pas contesté le montant dans la lettre qu'il a envoyée à MSC Canada, le 3 janvier 2001, où il proposait un calendrier de paiement du fret en souffrance. Je conclus donc que MSC n'a pas reçu les paiements facturés suivants : un montant de 10 855 $ US facturé le 22 novembre 2000, un montant de 15 160 $ US facturé le 9 décembre 2000 et un montant de 16 800 $ US facturé le 27 décembre 2000.

[22]            Pendant tout le mois de janvier 2001, M. Chouinard a insisté pour être payé lorsqu'il assurait le suivi auprès de J.T. Knight au sujet des paiements tardifs. M. Kimber a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de soupçonner que le non-paiement était attribuable à autre chose que le fait que les fonds n'avaient pas été reçus de Westroc, mais M. Chouinard a reconnu pendant le contre-interrogatoire qu'il savait que J.T. Knight faisait face à des problèmes de liquidités et que c'était M. Brittain qui avait les problèmes ( « chez lui » ) plutôt que Westroc.

[23]            Le 29 janvier 2001, M. Chouinard a appelé M. Brittain pour demander le paiement immédiat des trois connaissements en souffrance avant que deux connaissements récents soient délivrés. Le lendemain, J.T. Knight a répondu par télécopieur et a proposé un calendrier de paiements échelonnés, la somme devant être payée au cours du mois de février. Le 1er février 2001, M. Chouinard a répondu par écrit pour faire savoir que le calendrier n'était pas acceptable et que les deux nouveaux connaissements ne seraient pas délivrés à défaut de paiement anticipé.


[24]            Le 2 février 2001, M. Brittain a envoyé une autre lettre à M. Chouinard pour réitérer son offre d'effectuer des paiements échelonnés et pour l'informer qu'un chèque de 10 885 $ US était envoyé par l'entremise d'un messager. Le 5 février 2001, M. Chouinard a téléphoné à M. Brittain pour l'informer que MSC Canada se voyait obligée de communiquer avec Westroc afin de demander pourquoi le fret qui avait été facturé n'avait pas été payé. Pendant la conversation qu'il a eue avec M. Chouinard, M. Brittain a admis que J.T. Knight avait de fait été payée par Westroc, mais qu'elle faisait face à des problèmes de « liquidités » .

[25]            Le 6 février 2001, M. Chouinard a envoyé à J.T. Knight une lettre de demande dans laquelle il faisait savoir au transitaire que, si les factures en date du 9 et du 27 décembre 2000 n'étaient pas payées au complet au plus tard le 9 février 2001, l'affaire serait confiée aux avocats de MSC. L'auteur de la lettre faisait également l'offre ci-après énoncée :

[TRADUCTION] Nous ne nous opposons pas à ce que « BPB Westroc Inc. » paie MSC Canada pour les deux connaissements susmentionnés et à ce que les connaissements originaux lui soient délivrés directement.

[26]            J.T. Knight a répondu immédiatement par télécopieur en demandant à MSC Canada de ne pas communiquer avec Westroc, étant donné que cela déplairait fortement à Westroc et forcerait J.T. Knight à cesser ses activités. Ce jour-là, MSC Canada a reçu un chèque de 10 885 $ US tiré sur le compte de J.T. Knight, qui a immédiatement été négocié, mais qui a par la suite été retourné pour insuffisance de fonds.


[27]            M. Kimber a demandé à M. Chouinard de communiquer directement avec Westroc et de demander pourquoi J.T. Knight ne payait pas les factures de Westroc. Comme l'ont reconnu les parties, c'était la première communication, directe ou indirecte, qu'elles avaient entre elles. M. Chouinard a parlé à Elaine Jolly, qui travaillait au service des comptes créditeurs de Westroc. Mme Jolly a informé M. Chouinard que, selon les conditions que Westroc avait fixées, J.T. Knight devait être payé dans les sept (7) jours qui suivaient la date de la facturation et que la société avait toujours respecté ces conditions. Mme Jolly a en outre fait savoir que J.T. Knight avait déjà été payée. M. Brittain a confirmé la chose pendant le contre-interrogatoire.

[28]            Le 9 février 2001 ou vers cette date, MSC Canada a confié le recouvrement des comptes à ses avocats. Des lettres de demande ont été envoyées directement à Westroc les 14 et 19 février 2001. Pendant les semaines qui ont suivi, Westroc a payé les factures se rapportant à la cargaison du 30 janvier 2001, qui n'avait pas été libérée au terminal du point de destination.

Analyse


[29]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour a tendance, en se fondant sur les principes d'équité, à éviter d'imposer à une partie innocente l'obligation de payer une deuxième fois. Dans la décision Morlines Maritimes Agency Ltd. c. Iko Industries Ltd., (1999) 180 F.T.R. 12, 2000 AMC 1042 (Morlines), l'agent demandeur d'un transporteur avait cherché à recevoir le fret du chargeur défendeur. Or, la défenderesse avait déjà payé le transitaire, qui avait fait faillite avant de payer l'agent du transporteur. Monsieur le juge Lutfy (tel était alors son titre) a conclu que la conduite de la demanderesse avait amené la défenderesse à conclure que le chargeur devait payer directement le transitaire en sa qualité de transporteur. L'usage commercial amenait également les deux parties à croire que telles seraient les dispositions qui seraient prises. Le juge Lutfy a donc statué que la demanderesse ne devait pas le fret au transporteur et a rejeté l'action.

[30]            L'élément crucial dans l'affaire Morlines semble être le degré de contrôle que le transporteur avait lorsqu'il s'agissait de choisir avec qui il traitait, les modalités de livraison, à qui il fallait s'adresser aux fins du paiement et à qui il devait accorder du crédit, à qui envoyer les factures, les états et les reçus de livraison nécessaires aux fins du paiement. Il faut donc analyser minutieusement le rapport juridique existant entre le transporteur et le chargeur. On peut uniquement répondre à la question de savoir si le paiement du fret au transitaire par le chargeur est réputé constituer un paiement versé au transporteur en examinant l'intention des parties, telle qu'elle se manifeste dans les documents qu'elles ont échangés et par leur conduite.

[31]            Dans la décision C.P. Ships c. Les Industries Lyon Corduroys Ltée, [1983] 1 C.F. 736 (C.P. Ships), Monsieur le juge Addy a énoncé les principes suivants :

Lorsqu'un débiteur [le chargeur] choisit de payer un tiers [le transitaire] au lieu de son créancier [le transporteur], il le fait à ses risques. Si l'argent n'est pas remis au créancier [le transporteur], le débiteur [le chargeur] doit alors prouver :

1) que le créancier a réellement autorisé le tiers à toucher l'argent en son nom,

2) que le créancier a laissé croire que le tiers était ainsi autorisé à agir en son nom,


3) que le créancier, par son attitude ou autrement, a fait en sorte que le débiteur en vienne à cette conclusion, ou

4) qu'en vertu de l'usage ayant cours dans ce genre d'entreprise et dans de telles circonstances, le créancier et le débiteur s'attendent normalement à ce que le paiement soit fait à un tiers.

[32]            Selon le jugement C.P. Ships, l'approche générale à adopter veut que le chargeur demeure responsable à moins de pouvoir démontrer que le transporteur l'a déchargé de toute responsabilité. Ce résultat est conforme à la réalité économique puisque les transitaires possèdent peut-être peu d'actifs, mais organisent néanmoins le transport de cargaisons d'une valeur de beaucoup supérieure à leur valeur nette. Le transporteur peut accorder du crédit au transitaire, mais sur le plan économique il n'est pas rationnel pour le transporteur de dégager le chargeur de toute responsabilité. Les transporteurs s'attendraient donc à être payés par le chargeur, quoique par l'intermédiaire du transitaire, plutôt que directement par ce dernier. Je conclus qu'il existe en principe des raisons légitimes pour adopter une présomption réfutable en faveur de la responsabilité du chargeur.


[33]            Il incombait à Westroc plutôt qu'à MSC de prouver qu'elle avait été dégagée de toute responsabilité. M. Prew reconnaît que Westroc n'a pas informé MSC Canada qu'elle ne s'estimait pas responsable des frais de transport. En fait, il n'y a pas eu de communication directe entre les deux sociétés tant qu'une lettre de demande n'a pas été envoyée au mois de février 2001. M. Kimber et M. Chouinard ont tous deux maintenu que MSC comptait toujours sur Westroc pour être payée, comme le montrent les connaissements. Westroc a décidé de ne pas présenter de preuve pour établir qu'elle avait de quelque façon été amenée à croire le contraire. Le fait que MSC a fait preuve d'une certaine indulgence envers J.T. Knight en ce qui concerne les paiements tardifs ne constitue pas une preuve sur ce point. Selon MSC, c'était en fin de compte Westroc qui tirait profit de la patience manifestée envers J.T. Knight. MSC n'était pas tenue de communiquer directement avec Westroc lorsque les paiements tardifs posaient des problèmes, compte tenu en particulier de la pratique de l'industrie voulant que l'on ne « se substitue » pas au transitaire.

[34]            Selon la preuve mise à ma disposition, je conclus que J.T. Knight agissait à titre d'agent transitaire régulier pour le compte de Westroc envers MSC Canada. M. Prew a reconnu que Westroc avait déjà entretenu des relations avec J.T. Knight. Westroc a donné des instructions au transitaire pour que celui-ci prenne toutes les dispositions voulues pour expédier les cargaisons et préparer les documents. Étant donné que Westroc avait désigné J.T. Knight à titre d'agent aux fins de la facturation et du recouvrement des frais de transport, et en tant que partie à qui tous les documents nécessaires à cette fin seraient envoyés, on ne saurait blâmer MSC pour avoir suivi la pratique commerciale voulant qu'elle traite avec Westroc uniquement par l'entremise de son agent. Westroc s'est complètement distancée de toute entente conclue avec le transporteur et s'en est uniquement remise à J.T. Knight pour défendre ses intérêts. Eu égard aux circonstances, je ne puis retenir la prétention de Westroc selon laquelle une coutume commerciale voulait que MSC et Westroc s'attendent toutes deux à ce que les paiements soient valides et efficaces s'ils étaient versés à J.T. Knight ou, en d'autres termes, que le transporteur avait convenu de s'adresser uniquement au transitaire pour le paiement des frais de transport. En fait, la preuve présentée par MSC, que je retiens, indiquait le contraire.


[35]            Selon les principes généraux applicables au mandat et par application de la loi, le non-paiement par un mandataire est réputé être le non-paiement par le mandant. Westroc doit être considérée comme ayant assumé le risque de payer deux fois si la partie sur laquelle elle comptait pour remplir une fonction essentielle de son programme d'exportation abusait de sa confiance en convertissant à son propre usage les sommes reçues au titre du fret à une fin désignée. Westroc aurait dû savoir si le transitaire était un transitaire établi digne de confiance possédant beaucoup d'actifs ou s'il s'agissait simplement d'une entreprise individuelle risquant d'avoir des problèmes de liquidités, ou elle aurait dû se renseigner à ce sujet. Westroc était clairement bien placée pour se protéger contre un transitaire qui faisait défaut.

[36]            Westroc n'a pas pris les précautions appropriées pour se protéger. Elle aurait pu enquêter sur les antécédents et sur la réputation de son transitaire. Elle aurait également pu insister pour que les chèques soient payables au transporteur plutôt qu'au transitaire. En outre, avant de payer le transitaire, Westroc aurait pu demander une garantie écrite, comme un connaissement, indiquant que MSC s'adresserait uniquement au transitaire aux fins du paiement.

Conclusion

[37]            Le chargeur demeure responsable envers le transporteur à moins de pouvoir présenter une preuve claire et non équivoque indiquant que le transporteur l'a de quelque façon dégagé de toute responsabilité. Je conclus que Westroc n'a pas satisfait à son obligation. Eu égard aux circonstances, un jugement devrait être rendu en faveur de MSC.

[38]            Les taux de change demandés par MSC, sur le montant de 42 815 $ US, sont ceux qui sont indiqués par la Banque du Canada sur son site Web, à savoir le taux applicable à midi à la date du connaissement aux fins de l'achat d'argent américain. Westroc a admis que ces taux de change étaient appropriés. MSC a donc le droit de recouvrer un montant de 65 187,62 $ au titre des connaissements en souffrance.

[39]            MSC réclame également des intérêts au taux commercial exigé par les banques à charte canadiennes tel qu'il est fixé par la Banque du Canada, calculés selon le taux moyen depuis le mois de novembre 2000, soit la date de la première facture. Westroc n'a pas contesté le taux d'intérêt. Les intérêts réclamés par MSC seront donc accordés entre le 19 février 2001 et la date du jugement.


[40]            Les dépens suivraient normalement l'issue de la cause, mais les parties ont convenu que la question de la détermination des dépens devrait être reportée tant qu'un jugement ne sera pas prononcé, de façon à permettre aux avocats de soumettre des observations additionnelles. Par conséquent, au cas où les parties ne pourraient pas s'entendre sur la question des dépens, MSC signifiera et déposera des observations écrites d'au plus deux pages dans les 20 jours qui suivront la date de ces motifs. Westroc soumettra des observations en réponse dans les dix jours qui suivront la date de la signification des observations de MSC.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La demanderesse recevra de la défenderesse la somme de 65 187,62 $ ainsi que les intérêts avant jugement au taux commercial moyen exigé par les banques à charte canadiennes tel qu'il est fixé par la Banque du Canada et des intérêts au taux annuel de 4 p. 100 entre la date du jugement et la date du paiement.

LA COUR ORDONNE EN OUTRE :

La question des dépens est reportée en attendant que les parties soumettent des observations écrites.

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-652-01

INTITULÉ :                                                        MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A.

c.

BPB WESTROC INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 18 SEPTEMBRE 2002

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                              Monsieur le protonotaire Lafrenière

DATE DES MOTIFS :                                     LE 31 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :

M. David G. Colford                                           pour la demanderesse

M. Marc Duquette                                               pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brisset Bishop

Montréal (Québec)                                               pour la demanderesse

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)                                               pour la défenderesse


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                       Date : 20030731

                                                  Dossier : T-652-01

                                      Référence : 2003 CF 942

ENTRE :

MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY S.A.

                                                          demanderesse

et

BPB WESTROC INC.

                                                            défenderesse

                                                                                  

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT

                                                                                  

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