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Date : 20030929

Dossier : IMM-4820-02

Référence : 2003 CF 1115

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                                AHMED NASIR ALI

                                                                (alias Ahmed Ali Said)

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Ahmed Nasir Ali est devenu résident permanent du Canada en 1993, après avoir obtenu le statut de réfugié. En 1996, il a été reconnu coupable d'agression et de contacts sexuels. La victime était sa nièce âgée de neuf ans. Il a purgé une peine de prison de vingt mois, qui a été suivie d'une période de probation de trois ans. Les agents d'immigration ont amorcé le processus visant à obtenir l'avis du ministre sur la question de savoir si M. Ali constitue un danger au Canada et, dans l'affirmative, à le renvoyer en Éthiopie en application de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (voir l'annexe).


[2]                 La représentante du ministre a conclu que M. Ali constituait un danger pour le public au Canada.

[3]                 M. Ali soutient que l'avis de la représentante est déraisonnable parce qu'il est incompatible avec la preuve qui lui a été présentée. De plus, il allègue que la représentante a soit fait abstraction de certains éléments de preuve, soit omis de donner des motifs adéquats à l'appui de sa décision. Par le truchement de sa demande de contrôle judiciaire, il me demande d'annuler l'avis de la représentante.

[4]                 À mon avis, M. Ali a de bonnes raisons de contester le caractère adéquat des motifs de la représentante. Pour ce motif, j'accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]                 Une personne constitue un danger pour le public au Canada si elle présente une menace imminente ou future pour les Canadiens. Il s'ensuit que, dans son avis, la représentante doit exposer les raisons qui l'amènent à conclure que la personne constitue une telle menace. La représentante a complètement omis de le faire en l'espèce. Elle s'est fiée entièrement aux opinions des autres. Elle a dit : [TRADUCTION] « Je suis convaincue que le Rapport sur l'avis du ministre et la Demande d'avis du ministre reflètent adéquatement les raisons qui m'amènent à conclure qu'Ahmed Nasir Ali [...] constitue un danger pour le public au Canada. »


[6]                 Le Rapport sur l'avis du ministre est un document établi par un agent d'immigration. En l'espèce, l'agent y a mentionné les faits entourant les déclarations de culpabilité prononcées contre M. Ali, le fait que ce dernier n'a apparemment exprimé des remords que bien après la perpétration de l'infraction et qu'il a tardé à demander une aide psychologique. Selon l'agent, il s'agissait de motifs justifiant la nécessité d'obtenir l'avis du ministre sur la dangerosité de M. Ali.

[7]                 La Demande d'avis du ministre est un document établi par d'autres agents d'immigration. Elle contient une brève description des raisons pour lesquelles M. Ali pourrait être considéré comme un danger, un résumé des arguments présentés pour le compte de M. Ali, une énumération des documents que la représentante du ministre devrait consulter, et notamment des documents fournis par l'avocat de M. Ali. On y demande à la représentante du ministre de conclure que M. Ali constitue un danger pour le public.

[8]                 Parmi les documents auxquels renvoie la représentante du ministre, aucun ne contient une analyse de la menace imminente ou future que M. Ali pourrait constituer pour les Canadiens. On n'y traite pas des rapports psychologiques selon lesquels il est peu probable que M. Ali récidive. La représentante du ministre dit avoir examiné tous les documents soumis pour le compte de M. Ali. Elle a donc vraisemblablement examiné les rapports en question. Toutefois, il n'en est pas fait mention dans ses brefs motifs. Elle n'expose pas non plus les raisons que l'amènent à conclure que M. Ali constitue un danger pour le public au Canada.


[9]                 L'avocat du ministre a attiré mon attention sur la décision Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 371, [2003] A.C.F. no 516 (QL). Dans cette affaire, madame la juge Snider avait estimé suffisants les motifs donnés par la représentante du ministre, qui s'était contentée d'affirmer ce qui suit :

[TRADUCTION] Je suis d'avis que, vu la gravité des infractions et vu la surveillance actuellement exercée sur M. Townsend, l'information présentée ne suffit pas à me convaincre que la décision [...] selon laquelle M. Townsend constitue un danger pour le public devrait être annulée ici.

[10]            Toutefois, contrairement au décideur dans l'affaire Townsend, la représentante du ministre en l'espèce n'a donné aucun motif à l'appui de sa conclusion. Je suis d'avis que ses motifs sont inadéquats, et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Je tiens à souligner que madame la juge Heneghan est arrivée à la même conclusion concernant un avis de danger presque identique dans l'affaire Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1026.

Dispositif

[11]            Les avocats conviennent que je ne peux pas ordonner un nouvel examen de la question de la dangerosité compte tenu de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 et de la règle transitoire contenue au paragraphe 350(2) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (voir l'annexe).


[12]            Cette disposition énonce essentiellement qu'on ne doit pas procéder à un nouvel examen d'un avis de danger renvoyé par la Cour parce que la nouvelle loi ne prévoit pas de processus analogue. On doit plutôt annuler l'avis du représentant : Singh, précitée; Do c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1156, [2002] A.C.F. no 1595 (QL).

[13]            Les parties n'ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n'est énoncée.

                                                                        JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'avis de la représentante est annulé.

2.          Il n'y a pas de question à certifier.

                                                                                                                                  _ James W. O'Reilly _             

                                                                                                                                                                 Juge                             

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                                             Annexe


Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas :

[...]

d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless

...

(d) the person is a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada, to the security of Canada.


Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, 2002 DORS/2002-227

350. [...]

(2) Dans le cas où la décision ou la mesure a été prise aux termes de l'alinéa 46.01(1)e), du paragraphe 70(5) ou de l'alinéa 77(3.01)b) de l'ancienne loi et que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne prévoit aucune disposition quant à cette décision ou mesure renvoyée pour nouvel examen, celui-ci n'a pas lieu.

Immigration and Refugee Protection Regulations, 2002 SOR/2002-227

350. ...

(2) If the decision or act referred to in subsection (1) was made under paragraph 46.01(1)(e), subsection 70(5) or paragraph 77(3.01)(b) of the former Act and the Immigration and Refugee Protection Act makes no provision for the decision or act, no determination shall be made.



                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-4820-02

INTITULÉ :                                        AHMED NASIR ALI

                                                                                                                                                      demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 2 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                      LE LUNDI 29 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Michael Korman                                                                             Pour le demandeur

Jamie Todd                                                                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Korman                                                                             Pour le demandeur

OTIS & KORMAN

290, rue Gerrard Est

Toronto (Ontario) M5A 2G4

Morris Rosenberg                                                                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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