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Date : 20030505

Dossier : T-605-01

Référence : 2003 CFPI 553

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2003

En présence de Madame le juge Heneghan

ENTRE :

GORDON McKENZIE-CROWE, MICHEL GAGNON, STEVE WILCOCK, JOHN WISEMAN, DAVE BURBACK, REG KING, MARC LEBLANC et RENÉ GAGNON

À TITRE INDIVIDUEL ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE L'ASSOCIATION CANADIENNE DES SURVEILLANTS CORRECTIONNELS / THE CANADIAN ASSOCIATION OF CORRECTIONAL SUPERVISORS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                 Sa Majesté la Reine (la défenderesse) introduit la présente requête en jugement sommaire en application des Règles de la Cour fédérale de 1998, DORS/98-106, alléguant, à l'appui de sa requête, l'absence de compétence de la Cour au regard des revendications objet de la version modifiée de la déclaration des demandeurs.


EXPOSÉ DES FAITS

[2]                 M. Gordon McKenzie-Crowe et les codemandeurs parties à cette instance sont tous attachés au Service correctionnel du Canada (SCC) en qualité de surveillants correctionnels de niveau CX-3. Leur employeur légal est le Conseil du Trésor.

[3]                 Les demandeurs ont traditionnellement fait partie du Syndicat des employé-e-s du Solliciteur général, une subdivision de l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). Le 26 avril 1995, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a exclu les surveillants correctionnels de leur unité de négociation du fait qu'ils occupent des « postes de direction ou de confiance » , une décision confirmée par la Cour d'appel fédérale suite à une demande de contrôle judiciaire. [Voir Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 194 N.R. 33 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [1996] A.C.S.C. no 183 (QL)].

[4]                 C'est la Convention entre le Conseil du Trésor et le Syndicat des agents correctionnels du Canada (la convention collective) qui régit les relations entre les demandeurs et leur employeur.


[5]                 D'après l'affidavit déposé par M. McKenzie-Crowe en réponse à la requête de la défenderesse, la description du poste de surveillant correctionnel n'a subi aucune modification depuis le 8 janvier 1990. Les demandeurs affirment, toutefois, que la charge de travail des surveillants a comporté depuis lors un certain nombre de nouvelles attributions sans bénéfice pour eux d'une reclassification de poste.

[6]                 Ils signalent qu'aux dires de la défenderesse, le processus de reclassification sera éventuellement engagé. Ils disent également que leur contrat de travail prévoit implicitement qu'une modification de leurs attributions serait suivie, dans un délai raisonnable, d'une nouvelle classification de leur poste par le SCC.

[7]                 Ils prétendent avoir épuisé toutes les démarches internes tant officielles qu'officieuses pour remédier à la situation et que la présente action en justice est la seule voie de recours dont ils disposent.

[8]                 L'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , L.R.C. 1985, ch. P-35 (LRTFP) prévoit pour les fonctionnaires fédéraux une procédure de grief en ce qui a trait à leurs    conditions d'emploi. Bien que les demandeurs ne soient pas reconnus comme « fonctionnaires » pour fins de négociation collective, le paragraphe 2(1) de la LRTFP leur reconnaît ce statut en matière de grief conformément aux définitions des termes « grief » et « fonctionnaire » figurant au paragraphe 2(1) de la loi en question.

[9]                 Si le grief est formulé en vue de contester une classification de poste prétendument inexacte, l'article 91 de la LRTFP ainsi que la Politique sur les griefs de classification du Conseil du Trésor entrent en jeu. Cette politique se veut une mesure de réparation à l'intention des employés du SCC insatisfaits de leur classification.

[10]            Il appert des documents versés au dossier qu'aucun des demandeurs n'a présenté jusqu'ici un grief de classification. La défenderesse a soumis en preuve un affidavit de M. Ewen Newton, un agent de classification du SCC, dont les attributions consistent, entre autres, à examiner et traiter les griefs déposés par les employés du Service. Il y déclare que les dossiers du SCC indiquent que, jusqu'au 12 avril 2002, aucun des demandeurs n'avait présenté un grief de classification.

[11]            Si le grief formulé touche les relations de travail se rapportant à une description de tâches, la Politique sur les conditions d'emploi ainsi que la convention collective pertinente entrent alors en jeu. La défenderesse a présenté en preuve un affidavit de M. Daniel Richer, directeur par intérim des relations de travail au SCC dont les attributions consistent, entre autres, à examiner et traiter les griefs touchant les relations de travail déposés par les employés du Service. M. Richer a confirmé le droit des demandeurs à présenter des griefs concernant les relations de travail et qui ont trait aux descriptions de tâches conformément à la susdite politique.

[12]            Ayant examiné les dossiers du SCC relatifs aux griefs portant sur les relations de travail, M. Richer a constaté que seuls deux demandeurs avaient eu recours à la procédure de grief pertinente. L'un d'eux, M. René Gagnon, avait déposé en février 2001 un grief qui avait été rejeté aux premier et deuxième paliers de la procédure, mais n'avait pas été porté au palier final. M. Richer a aussi constaté qu'un autre demandeur, M. Reginald King, avait présenté un grief en octobre 2000 qui, porté jusqu'au palier final en décembre 2000, n'a pas été définitivement tranché.

[13]            Les demandeurs ont joint comme pièces à l'affidavit de M. McKenzie-Crowe plusieurs formulaires de présentation de grief ainsi que des réponses se rapportant à certains individus. Seuls MM. Gordon-McKenzie-Crowe et Steve Wilcock ont présenté des formulaires de grief dont il ressort que les deux demandeurs susdits se plaignaient de ne pas être rémunérés aux taux de salaire applicables aux chefs d'unité qu'ils remplaçaient durant leurs absences.

[14]            Les articles 20.02, 20.03 et 20.05 de la convention collective énoncent en ces termes la procédure à suivre, laquelle incorpore, par renvoi, l'article 91 de la LRTFP :

20.02        Sous réserve de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions du présent article, l'employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l'inaction de l'Employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite au paragraphe 20.05, compte tenu des réserves suivantes :

a)              s'il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d'une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie,

et


b)              si le grief porte sur l'interprétation ou l'exécution de la présente convention ou d'une décision arbitrale, il n'a pas le droit de présenter le grief, à moins d'avoir obtenu le consentement de l'agent négociateur et de se faire représenter par celle-ci.(sic)

20.03        Sauf indication contraire dans la présente convention, un grief est traité par les paliers suivants :

a)              palier 1- premier (1er) palier de direction;

b)              palier 2- palier intermédiaire;

c)              palier final- l'administrateur générale ou l'administrateur général ou, encore, sa représentante ou son représentant autorisé.

20.05        L'employé-e qui désire présenter un grief à l'un des paliers prescrits de la procédure de règlement des griefs le remet à son surveillant immédiat ou au chef de service local qui, immédiatement :

a)              l'adresse au représentant de l'Employeur autorisé à traiter les griefs au palier approprié,

et

b)              remet à l'employé-e un récépissé indiquant la date à laquelle le grief lui est parvenu.           

[15]            Le 18 février 2003, la Cour a ordonné que les parties à la présente requête obtiennent la possibilité de présenter des observations écrites portant sur l'arrêt rendu le 14 février 2003 par la Cour d'appel dans la cause Vaughan c. Canada, 2003 C.A.F. 76, [2003] J.C.F. n ° 241. (C.A.)(QL), écartant la compétence de la Cour à connaître des actions en justice intentées par des fonctionnaires fédéraux si, de par sa nature, le litige relève essentiellement de la convention collective ou du régime législatif. En tirant cette conclusion, la Cour d'appel fédérale n'a fait que confirmer le raisonnement qu'elle a précédemment suivi dans les décisions Johnson-Paquette c. Canada (2000), 253 N.R. 305 (C.A.F.) et Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) (2002), 293 N.R. 325 (C.A.F.).


OBSERVATIONS DE LA DÉFENDERESSE

[16]            La défenderesse soutient qu'une requête en jugement sommaire peut être accordée si la partie requérante prouve l'absence d'une véritable question de fait litigieuse et importante qu'il y a lieu d'instruire. Elle se fonde en cela sur l'arrêt de la Cour suprême dans la cause Guaranty Co. c. Gordon Capital Co., [1993] R.C.S. 423, pages 434 et 435.

[17]            La défenderesse allègue que le présent litige se rapportant exclusivement aux conditions d'emploi, la Cour n'est pas habilitée de ce fait à l'entendre en raison du régime législatif établi par la LRTFP, de la Politique sur les griefs de classification, de la convention collective et de la Politique sur les conditions d'emploi. Le recours en justice devant cette Cour dans les litiges touchant les relations de travail s'effectue par la procédure de contrôle judiciaire et non par une poursuite en dommages.

[18]            De l'avis de la défenderesse, les demandeurs sont considérés comme étant des « fonctionnaires » selon les définitions des termes « fonctionnaire » et « grief » objet du paragraphe 2(1) de la LRTFP. S'applique donc en ce qui les concerne l'article 91 de la Loi, et le recours qui s'offre à eux consiste à poursuivre la procédure de grief jusqu'au palier final conformément à la susdite disposition.

[19]            La défenderesse dit que les demandeurs n'ont pas présenté un grief de classification. Un seul grief touchant les relations de travail été porté jusqu'au palier final et n'a pas encore été tranché. Elle déclare que, dans ces circonstances, la présente action intentée devant la Cour est hors de propos.

[20]            Elle allègue que les tribunaux ne sont pas habilités à résoudre les conflits de travail et les conflits gouvernementaux régis par des lois ou des conventions collectives. Elle se fonde en cela sur l'arrêt de la Cour Suprême du Canada dans la cause St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section 219, [1986] 1 R.C.S. 704.

[21]            La défenderesse invoque également le jugement Johnson-Paquette, précité, pour établir que la LRTFP forme un code complet qui régit les relations entre elle-même et ses fonctionnaires. La procédure prévue par cette loi en matière de grief est la seule voie de redressement qui s'offre aux employés pour résoudre des questions comme les conflits touchant la classification. Une fois qu'un grief a été tranché au palier final, les intéressés peuvent demander un contrôle judiciaire de la décision rendue.

[22]            La défenderesse soutient qu'il est inopportun de s'adresser aux tribunaux en réclamation de dommages une fois qu'on dispose déjà d'un régime complet pour traiter pareils conflits.

[23]            En réaction à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Vaughan, précité, elle affirme que cette décision récente confirme que la LRTFP institue un régime d'ensemble visant à résoudre les conflits de travail qui opposent les fonctionnaires fédéraux à leur employeur et que cette décision lie la présente Cour, en dépit même des décisions contradictoires et divergentes rendues par des tribunaux d'appel provinciaux, plus particulièrement les jugements prononcés dans Guennette et al. c. Canada (Procureur général) (2002), 60 O.R. (3d) 601 (C.A.), Danilov c. Commission canadienne de sûreté nucléaire (1999), 125 O.A.C. 130, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [1999] A.C.S.C n ° 573 (QL) et Pleau c. Canada (Procureur général) (1999), 182 D.L.R. 4th 373 (C.A.N.-É), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2000] A.C.S.C. n ° 83 (QL).

[24]            La défenderesse fait valoir que les juges d'appel Sexton et Evans ont tous deux conclu dans l'arrêt Vaughan, précité, que l'absence du droit de recours à un tiers arbitre ne peut fonder cette Cour à entendre et trancher les revendications des demandeurs.

[25]            La défenderesse allègue également que tout défaut par les demandeurs de recourir à la procédure de grief légale prescrite par la LRTFP, sous prétexte que cette voie de recours et de redressement est insuffisante, ne donne pas compétence à cette Cour d'entendre les actions en réclamation présentées.

[26]            Les demandeurs prétendent que le régime légal ne leur offre aucun moyen de redressement efficace. La défenderesse n'est pas de cet avis. Il était loisible aux demandeurs de présenter des griefs aux termes de l'article 91 et des politiques applicables du Conseil du Trésor régissant les griefs touchant la classification et les relations de travail. Comme l'a noté en outre la Cour dans l'arrêt Vaughan, la possibilité de demander le contrôle judiciaire d'une décision rendue au palier final de la procédure de règlement des griefs est un outil de surveillance judiciaire de cette procédure et de l'issue des griefs.

[27]            La défenderesse observe que les relations de travail des demandeurs sont régies par une convention collective. Le fait qu'ils n'aient ni participé ni contribué à la négociation des conditions de cette entente est étranger à la question de savoir si la Cour a compétence ou non. La question des liens entre les demandeurs et cette convention collective a déjà été plaidée et jugée dans le cadre de la contestation relative à leur exclusion de l'unité de négociation portée devant la CRTFP et entérinée par la suite par contrôle judiciaire de la Cour d'appel fédérale.

[28]            La défenderesse soutient en outre que le juge Evans a conclu, dans la cause Vaughan, que l'absence d'un élément consensuel dans les procédures de règlement des griefs qui découlent de la LRTFP plutôt que d'une convention collective, ne fonde pas à elle seule la compétence des tribunaux à intervenir.

[29]            Elle ajoute que l'arrêt Vaughan vient conforter sa position voulant que la présente requête en jugement sommaire soit accordée. Elle signale que, dans cet arrêt, tant la majorité que la minorité des juges d'appel ont confirmé dans leur analyse le principe énoncé par la Cour d'appel fédérale dans Johnson-Paquette et AFPC, précités, établissant que la Cour n'a pas compétence pour instruire les actions    intentées par des fonctionnaires fédéraux qui se disent lésés, mais qui sont en mesure de déposer un grief aux termes de la LRTFP.

[30]            De l'avis de la défenderesse, la Cour d'appel fédérale a expressément rejeté dans Vaughan les décisions rendues par les cours d'appel provinciales dans Pleau et Guenette, précitées.

[31]            La question clé qui se pose pour déterminer si la Cour devrait se récuser à l'égard d'un conflit de travail dans l'administration fédérale est celle de savoir si, de par son essence même, le litige résulte expressément ou implicitement du régime législatif ou de la convention collective. La défenderesse soutient que le litige auquel les demandeurs sont parties s'inscrit nettement dans leurs relations de travail avec le Conseil du Trésor et, par conséquent, dans le champ d'application de l'article 91 de la LRTFP; la Cour n'a donc pas compétence en la matière.


OBSERVATIONS DES DEMANDEURS

[32]            Les demandeurs font valoir que l'arrêt de la Cour d'appel dans Vaughan se différencie à plusieurs égards des circonstances entourant le présent litige. Ils soutiennent que les principes énoncés dans cette décision, lesquels se fondaient sur le modèle de compétence exclusive établi dans Weber c. Ontario, [1995] 2 R.C.S. 929 et élaboré plus avant dans Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, s'appliquent plus particulièrement aux fonctionnaires syndiqués qui font partie d'une unité de négociation collective, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque les demandeurs ne sont pas syndiqués. Il s'agissait dans Vaughan d'un fonctionnaire syndiqué membre de son unité de négociation.

[33]            Les demandeurs signalent que ledit fonctionnaire était représenté par un agent négociateur et pouvait prendre part à la négociation de la convention collective, contrairement aux demandeurs en l'espèce qui disent ne pas bénéficier d'une telle représentation parce qu'en date du 26 avril 1995, la CRTFP les a rangés parmi les fonctionnaires occupant des postes de « direction ou de confiance » .

[34]            Ils allèguent qu'on les a privés de l'aptitude à négocier leurs conditions d'emploi établies par la convention collective et la politique du Conseil du Trésor, lesquelles leur ont été toutes deux [TRADUCTION] « unilatéralement imposées » par l'employeur.

[35]            Ils font valoir que le juge d'appel Evans a reconnu aux paragraphes 100, 135, 145 et 162 de ses motifs concourants dans Vaughan, l'importance que revêt l'aptitude des employés à participer au processus de négociation collective. Par conséquent, le fait que les demandeurs en l'espèce soient exclus de toute unité de négociation aussi bien que du processus de négociation collective, ce qui leur permettrait d'avoir leur mot à dire pour étoffer la maigre structure de la procédure interne de règlement des griefs objet de l'article 91 de la LRTFP, est un important élément distinctif d'avec Vaughan. L'aptitude des demandeurs à engager la présente action en justice doit être maintenue.

[36]            Les demandeurs soutiennent que la cause Vaughan se distingue de l'espèce par la nature du redressement visé. Alors que dans Vaughan la Cour a conclu qu'aucune question ne se posait quant à l'existence d'une mesure de redressement sous le régime de la loi ou de la convention collective, la loi ne prévoit dans ce cas-ci aucun recours semblable pour faire droit aux réclamations des demandeurs. Le redressement qu'ils réclament dépasse le cadre de la réparation qu'on veut généralement obtenir par la procédure de règlement interne en vertu de l'article 91 de la LRTFP. Ils affirment que les observations tirées des motifs concourants du juge d'appel Evans dans Vaughan ainsi que l'argumentation de la Cour suprême dans l'arrêt Weber appuient la position consistant à permettre le recours aux tribunaux lorsque le régime législatif régissant le règlement des griefs n'offre aucune mesure de redressement ultime ou efficace.

[37]            Les demandeurs soutiennent en outre que la procédure de règlement des griefs dont ils disposent est insuffisante au regard des décisions de justice qu'appellent leurs réclamations. Ils soulignent en particulier que le régime législatif en matière de règlement des griefs ne prévoit pas l'accès à un tiers arbitre neutre.

[38]            Ils soutiennent encore que, contrairement au litige objet de l'arrêt Vaughan, leurs griefs portent sur des questions qui ne sont pas primordiales dans le contexte des relations de travail et c'est sur cette base que la Cour d'appel fédérale a fait la distinction d'avec les décisions rendues par les cours d'appel provinciales dans Pleau, précitée, et Guenette, précitée. Ces cours d'appel ont conclu que les tribunaux conservaient leur compétence au regard des actions portées devant elles par des fonctionnaires qui s'estimaient lésés du fait que les questions en litige débordaient, dans ces cas-là, le cadre ordinaire des relations de travail et que le redressement demandé allait au-delà des réclamations qui accompagnent d'ordinaire la procédure de règlement des griefs. Les demandeurs soutiennent, en l'espèce, que leurs revendications dépassent largement le cadre de leurs conditions d'emploi et qu'en outre, le redressement réclamé est supérieur à celui qu'il est possible d'obtenir par la procédure interne de règlement des griefs.

[39]            Les demandeurs prétendent aussi que leur cas s'apparente à la cause Pleau, précitée, portée devant la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, laquelle diffère, aux yeux de la Cour d'appel fédérale, de la situation propre à Vaughan, en partie du fait que dans Pleau, le conflit avec les employés ne pouvait faire l'objet de la procédure statutaire de règlement des griefs.


[40]            Comme autre élément distinctif par rapport à Vaughan, les demandeurs déclarent qu'ayant épuisé toutes les voies de recours internes, il ne leur reste aucun autre moyen de redressement, contrairement au demandeur dans Vaughan qui avait choisi de ne pas se prévaloir de ces mesures. Ils insistent à dire qu'en raison de la teneur de l'article 20.02 de la convention collective, il n'existe aucune procédure qui leur permette de présenter leurs griefs y compris les griefs de classification.

[41]            Ils font valoir généralement que la Cour devrait, en l'espèce, se régler sur les décisions des cours d'appel provinciales dans Pleau, précitée, Guenette, précitée etYearwood c. Canada (Procureur général) (2002), 216 D.L.R. (4th) 462 (C.A.C.-B.), qu'on y a correctement appliqué la loi et que ces cas s'apparentent à l'espèce sous tous leurs aspects principaux.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[42]            Les définitions des termes « unité de négociation » , « grief » et « postes de direction et de confiance » objet du paragraphe 2(1) de la LRTFP dont la teneur suit, sont pertinentes au regard de la présente requête.



« unité de négociation » Groupe de fonctionnaires déclaré constituer, sous le régime de la présente loi, une unité habile à négocier collectivement.

...

« _fonctionnaire_ » Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d'y travailler par suite d'une grève ou par suite d'un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l'exclusion des personnes_ :

...

j) occupant un poste de direction ou de confiance;

...

« grief » Plainte écrite déposée conformément à la présente loi par un fonctionnaire, soit pour son propre compte, soit pour son compte et celui de un ou plusieurs autres fonctionnaires. Les dispositions de la présente loi relatives aux griefs s'appliquent par ailleurs :

a) aux personnes visées aux alinéas f) ou j) de la définition de « _fonctionnaire_ » ;

...

« poste de direction ou de confiance »

...

g) poste ainsi qualifié en application des articles 5.1 ou 5.2 et dont la qualification n'a pas été annulée en application de l'article 5.3

"bargaining unit" means a group of two or more employees that is determined, in accordance with this Act, to constitute a unit of employees appropriate for collective bargaining;

...

"employee" means a person employed in the Public Service, other than

...

(j) a person who occupies a managerial or confidential

position,

...

"grievance" means a complaint in writing presented in accordance with this Act by an employee on his own behalf or on behalf of the employee and one or more other employees, except that

(a) for the purposes of any of the provisions of this Act respecting grievances, a reference to an "employee" includes a person who would be an employee but for the fact that the person is a person described in paragraph (f) or (j) of the definition "employee",

...

"managerial or confidential position" means a position

...

(g) identified as such a position pursuant to section 5.1 or 5.2, the identification of which has not been terminated pursuant to section 5.3


[43]            Les paragraphes 91(1), 92(1) et 96(3) de la LRTFP, qui sont également pertinents, disposent :



91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé_ :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard_ :

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur_ :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

96. (3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

91. (1) Where any employee feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(I) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(I) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

96. (3) Where a grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 92 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken theron



[44]            Selon les définitions des termes « fonctionnaire » et « grief » données dans la LRTFP, les demandeurs sont considérés en vertu de cette loi comme des fonctionnaires pour fins de griefs, mais non de négociation collective, du fait que la CRTFP les a qualifiés et exclus de l'unité de négociation en tant que fonctionnaires occupant un poste de direction ou de confiance en application du paragraphe 5.2 de la LRTFP.

ANALYSE

[45]            À mon avis, les demandeurs n'ont pas prouvé que la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans Vaughan ne s'applique pas en l'espèce. En premier lieu, ils interprètent erronément cette décision lorsqu'ils allèguent que le litige en question découlait de la convention collective applicable, alors qu'il résultait en fait de certaines dispositions d'ordre législatif et réglementaire portant sur des prestations de préretraite auxquelles le demandeur estimait avoir droit. La Cour d'appel fédérale a jugé qu'en raison des critères établis par la Cour Suprême du Canada dans les causes Weber et Regina Police Association, il était encore loisible à M. Vaughan de se prévaloir de la procédure prévue dans la LRTFP et, partant, que la Cour n'avait pas compétence pour instruire son recours en justice.


[46]            Les demandeurs soutiennent, par ailleurs, que la plupart de leurs revendications ou le redressement qu'ils réclament ne s'accordent pas avec le mécanisme interne de règlement des griefs, ce qui distingue nettement leur cas de celui de Vaughan. Je suis d'avis, cependant, que les demandeurs auraient pu recourir à la procédure d'examen interne de leurs griefs conformément à l'alinéa 91(1)b) de la LRTFP et obtenir réparation par cette voie.

[47]            Les demandeurs auraient pu présenter leurs griefs touchant la classification en vertu de l'alinéa 91(1)b) et de la Politique sur les griefs de classification du Conseil du Trésor. Cette politique, qui leur est applicable, dispose comme il suit :

Application                              

La présente politique s'applique à tous les ministères et autres éléments de la Fonction publique énumérés à la partie I de l'annexe I de la LRTFP.

La partie I de l'annexe I de la LRTFP s'énonce ainsi :


Ministères et autres secteurs de l'administration publique fédérale pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l'employeur

...

Service correctionnel du Canada

Departments and other portions of the public service of Canada in respect of which Her Majesty as represented by the Treasury Board is the employer

...

Correctional Service of Canada


L'objectif de la politique en question est le suivant :

Objectif de la politique

Fournir un mécanisme de recours aux employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l'employeur et qu'ils accomplissent.


[48]            Il ressort des témoignages des demandeurs que certains employés ont présenté en 2001 un grief de classification à un « Comité d'examen des griefs de classification » . Toutefois, ils ne font pas partie des demandeurs en l'espèce. L'un des demandeurs, M. McKenzie-Crowe, atteste dans son affidavit que lesdits employés lui ont fait savoir qu'ils ont présenté des griefs de classification qu'ils ont portés à tous les paliers de la procédure. Il déclare aussi qu'il est le président national de l'Association canadienne des surveillants correctionnels (ACSC) et qu'à part sa qualité de demandeur dans le présent litige, il agit en qualité de [TRADUCTION] « représentant » de tous les membres de son association. Je ne vois rien qui m'indique ici que les employés, auteurs de ces griefs, soient effectivement membres de l'ACSC.

[49]            En l'occurrence, et bien que M. McKenzie-Crowe se qualifie de « représentant » , rien ne prouve qu'une ordonnance ait été rendue à cet égard en application de la règle 114 des Règles de la Cour fédérale de 1998. Les demandeurs ne peuvent invoquer, aux fins de la présente instance , des éléments de preuve concernant des griefs présentés par des personnes étrangères à la présente instance.

[50]            Vu que les demandeurs n'ont pas essayé de se prévaloir de la procédure de grief prévue à l'article 91 de la LRTFP, ils n'ont pas, à mon avis, épuisé tous les moyens de recours internes ainsi qu'ils le prétendent. Leur situation s'apparente à celle de Vaughan où le demandeur n'avait pas suivi la procédure interne de règlement des griefs pour formuler une plainte touchant les prestations de retraite.


[51]            En outre, l'argument des demandeurs disant que l'article 20.02 de la convention collective interdit la présentation de griefs de classification, contredit leur témoignage selon quoi de tels griefs qu'ont présentés d'autres surveillants correctionnels qui ne figurent pas parmi les demandeurs à l'instance, ont été instruits suivant la procédure interne de règlement des griefs établie par le Conseil du Trésor.

[52]            Une autre procédure de règlement des griefs ayant trait celle-ci aux descriptions de fonctions, s'offrait apparemment aux demandeurs aux termes de la Politique sur les conditions d'emploi. Ceux-ci ont déposé des preuves attestant de griefs présentés par plusieurs individus dont seuls, encore une fois, MM. McKenzie-Crowe et Steve Wilcock figurent en l'espèce comme demandeurs. Ces griefs portaient sur un travail qu'on leur demandait d'accomplir, mais qui, prétendent-ils, [TRADUCTION] « passait outre à la description de leurs fonctions » . Ils se plaignaient plus spécialement de ce que les « chefs d'unité » n'étaient pas de service quand ils auraient dû l'être et qu'eux-mêmes, en tant que surveillants correctionnels, auraient dû toucher la même rémunération que les chefs d'unité qu'ils remplaçaient en leur absence. Il appert des documents déposés en preuve avec l'affidavit de M. McKenzie-Crowe, que les griefs de celui-ci et de M. Wilcock n'ont pas été portés jusqu'au palier final.

[53]            En fin de compte, le fait qu'un employé ait déposé ou non un grief conformément au régime législatif ne revêt pas une importance vitale en vue de déterminer si la Cour a compétence pour instruire la présente action. Voici ce qu'en dit le juge Evans au paragraphe 84 du jugement Vaughan :


En conclusion, à l'exception de l'arrêt Banerd, les décisions rendues par les deux sections de la Cour à la suite de l'arrêt Weber étayent largement la thèse selon laquelle les dispositions relatives aux griefs de la LRTFP excluent implicitement la compétence de la Cour sur les conflits de travail susceptibles de faire l'objet d'un grief en vertu de la LRTFP. Et puisque l'existence de la compétence de la Cour ne dépend pas de la question de savoir si le fonctionnaire a eu recours à la procédure de règlement des griefs, l'arrêt Johnson-Paquette peut être considéré comme ayant dit que, d'une façon nécessairement implicite, la Cour n'a pas compétence sur une demande se rapportant, dans son essence, à un litige visé par le libellé général de l'article 91, indépendamment de la question de savoir si le fonctionnaire a présenté un grief en vertu de l'article 91.

Les griefs des demandeurs en l'espèce s'inscrivent essentiellement de par leur nature dans le contexte général de l'article 91.

[54]            Les demandeurs affirment que, contrairement au cas Vaughan, leur litige dépasse fondamentalement la portée de la convention collective ou celle du régime législatif. Par cette allégation, les demandeurs veulent certainement dire que l'alinéa 91(1)b) de la LRTFP ne s'étend pas à un litige de cette nature. Je ne suis pas d'accord là-dessus.

[55]            Les alinéas 91(1)a) et b) accordent à tout fonctionnaire qui s'estime lésé « par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi » , de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la LRTFP.


[56]            Le litige des demandeurs s'articule autour du maintien de leur classification au niveau CX-3. Ils soutiennent que de nombreuses attributions sont venues s'ajouter à la description de leurs fonctions sans bénéfice pour eux d'une reclassification. La rémunération des fonctionnaires fédéraux dépend de leur niveau de classification. Voilà une question qui « porte atteinte aux conditions d'emploi » des demandeurs et qui relève carrément de l'alinéa 91(1)b) de la LRTFP.

[57]            En outre, la façon dont les demandeurs ont formulé leur action en réclamant des dommages pour rupture de contrat, violation d'une obligation légale, assertion inexacte et négligente ainsi que des dommages correspondant aux montants gagnés (quantum meruit), ne change rien au fait qu'en l'espèce, ce sont des questions vitales touchant les relations de travail qui ont donné naissance à ce litige. Je me reporte à l'arrêt Weber, précité, paragraphes 43 et 49 où Mme le juge McLachlin, (tel était alors son titre) s'est prononcée en ces termes :

... Il ne s'agit pas de savoir si l'action, définie en termes juridiques, est indépendante de la convention collective, mais plutôt si le litige « résulte [de la] convention collective » . Si, peu importe ce dont il peut être qualifié sur le plan juridique, le litige résulte de la convention collective, seul le tribunal du travail peut l'entendre, à l'exclusion des cours de justice.

... il faut s'attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige. Il permettrait également aux plaideurs innovateurs de se soustraire à l'interdiction législative touchant les actions en justice parallèles en invoquant des causes d'actions nouvelles et ingénieuses comme le remarque le juge La Forest dans St. Anne Nackawic, aux pp. 694 et 695.


[58]            La nature même des dommages réclamés, lesquels comprennent des dommages-intérêts exemplaires et punitifs, ne change pas le fait que le litige des demandeurs porte essentiellement sur leurs conditions d'emploi. Ils n'invoquent aucune source faisant autorité ni un élément de preuve quelconque pour démontrer qu'ils ne pouvaient récupérer, par la procédure de règlement des griefs, la rémunération qu'ils avaient perdue du fait de la négligence ou du retard de l'employeur à les reclassifier. Au paragraphe 20 de l'arrêt Vaughan, le juge d'appel Sexton s'est prononcé en ces termes :

...Par conséquent, il faut également examiner la question de savoir si le tribunal peut accorder une réparation efficace lorsque l'on détermine la compétence, mais uniquement en ce sens que le tribunal est de fait en mesure de le faire.

Il est possible, en l'espèce, d'obtenir réparation par le biais de la procédure de règlement des griefs qui peut être éventuellement suivie d'un contrôle judiciaire. Ce processus de contrôle, qui a pour objet de permettre l'examen de l'action ou de l'inaction gouvernementale, a pour fondement légal le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7.

[59]            Comme on l'a noté plus haut, les demandeurs sont considérés, en vertu de la LRTFP, comme des « fonctionnaires » en ce qui touche les griefs, mais non le processus de la négociation collective dont ils sont exclus, ce qu'ils contestent par ailleurs. Cette exclusion, due au fait que la CRTFP considère qu'ils occupent des postes « de direction ou de confiance » , est une question qui a déjà été tranchée et confirmée par contrôle judiciaire de la Cour d'appel fédérale.


[60]            Enfin, les demandeurs allèguent que le raisonnement suivi dans Vaughan ne devrait pas s'appliquer à des fonctionnaires exclus du processus de négociation collective. Bien qu'on puisse exciper de cet élément de fait pour distinguer le cas Vaughan du présent litige, cela ne change pas, à mon avis, que les demandeurs auraient pu recourir à la procédure de règlement des griefs conformément à l'article 91 de la LRTFP. Bien qu'ils ne soient pas considérés comme « fonctionnaires » au regard de la négociation collective, ils sont reconnus comme tels en ce qui touche les griefs.

[61]            L'aptitude des fonctionnaires à participer au processus de négociation collective est un élément, parmi plusieurs autres, dont le juge d'appel Evans a tenu compte en analysant la question de l'impossibilité, aux termes de l'article 91, de recourir à un arbitre indépendant. Dans le cadre de cette analyse, le juge Evans a noté que l'aptitude des employés à étendre la portée de la procédure interne de règlement des griefs par voie de négociation collective, est une des raisons pour lesquelles l'absence d'un recours à un arbitre indépendant, sous le régime de l'article 91, n'a pas entraîné l'obligation pour la Cour de revendiquer la juridiction concurrente. Il dit aux paragraphes 97 et 98 de l'arrêt Vaughan, précité :

Troisièmement, dans l'arrêt Regagné Police Assn., la Cour a appliqué le principe énoncé dans l'arrêt Weber à un litige qui n'était pas fondé sur une convention collective et où le mécanisme exclusif de règlement n'était pas le recours à un arbitre. Il s'ensuit qu'un régime, en ce qui concerne les litiges relatifs à un emploi, peut constituer un régime de réparation exclusif pour l'application de l'arrêt Weber, même si le litige ne découle pas d'une convention collective et même s'il n'est pas réglé par arbitrage. Le principe énoncé dans l'arrêt Weber peut donc s'appliquer à un régime qui ne comporte pas l'élément consensuel tel que ceux qui ont été examinés dans l'arrêt de principe St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd. c. Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 R.C.S. 704, ainsi que dans l'arrêt Weber lui-même.

Par conséquent, étant donné que l'arrêt Regagné Police Assn. a élargi la portée du principe d'exclusivité, le fait que la demande que M. Vaughan a faite en vue d'obtenir les PRA était fondée sur une loi plutôt que sur une convention collective et que les procédures prévues à l'article 91 de la LRTFP, aux fins du dépôt d'un grief à la suite du refus d'accorder des prestations, sont essentiellement d'origine législative plutôt que d'être consensuelles...


[62]            De plus, se fondant sur la l'arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. British Columbia (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, le juge d'appel Sexton a conclu dans Vaughan que l'absence d'un arbitre indépendant à l'intention des fonctionnaires dont les griefs relèvent uniquement de l'article 91 et non de l'article 92, ne justifie pas que l'on passe outre à une loi, quand le législateur manifeste, comme c'est le cas pour l'article 91 de la LRTFP, son intention d'en faire l'unique voie de recours en matière de griefs. L'examen judiciaire d'une décision prise au palier final de la procédure de grief est toujours possible sur demande de contrôle judiciaire, comme l'énonce le juge Sexton au paragraphe 19 de l'arrêt Vaughan que voici :

L'intention du législateur est claire. Compte tenu du champ d'application du régime législatif et de la nature du litige (se rapportant directement à des questions d'emploi), l'article 91 de la LRTFP prévoit le recours exclusif. L'article 91 est en cause et l'appelant aurait pu y recourir, et il aurait été possible de se prévaloir du contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 dans sa forme modifiée. Le régime législatif peut écarter la compétence des tribunaux judiciaires d'entendre la demande, mais il n'écarte pas la compétence de la Cour en matière de supervision dans le cadre d'un contrôle judiciaire. En particulier, les questions d'équité procédurale peuvent être examinées de plein droit dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du décideur.

[63]            Il s'agit, en l'espèce, d'une requête en jugement sommaire présentée conformément aux Règles de la Cour fédérale. Les règles 216(1) et 216(1)b) dont la teneur suit, disposent :


216. (1)    Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est    :

... b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

.. (b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.


[64]            La défenderesse se fonde sur l'arrêt de la Cour suprême dans Guaranty Co. c. Gordon Capital Co., précité. Ce cas, régi par des règles de procédure différentes, n'est pas particulièrement pertinent en l'espèce. Comme l'a signalé le juge Reed dans Marine Atlantic Inc. c. Blythe (1994), 77 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.), les règles de la Cour fédérale en matière de jugement sommaire devraient être interprétées en fonction du contexte factuel qui leur est propre et non des règles de l'Ontario.

[65]            Les question de fait ne sont vraiment pas en cause ici. Le point crucial est celui de la relation qui existe entre les demandeurs et la défenderesse et qui relève de la LRTFP. Les litiges qui naissent de cette relation, qu'il s'agisse d'une prétendue rupture de contrat ou bien de dommages, doivent être réglés conformément au régime législatif. La question consiste à savoir si ce régime procure un redressement et non à déterminer si ce redressement est le meilleur.

[66]            La Cour d'appel fédérale a décidé que le recours aux tribunaux est interdit aux fonctionnaires fédéraux comme les définit la LRTFP. Cette Cour est liée par les décisions de la Cour d'appel fédérale. Il faut attendre que la Cour suprême du Canada se prononce un jour sur le conflit évident qui existe, entre les décisions de la Cour d'appel fédérale et celles des cours d'appel provinciales.


[67]            La présente Cour n'a pas compétence pour entendre l'action intentée par les demandeurs et, par conséquent, aucun point litigieux véritable n'est en cause. Un jugement sommaire est accordé à la défenderesse et la présente poursuite est rejetée. Les frais sont réservés jusqu'au dépôt d'observations par les parties ou à la conclusion par elles d'un accord.

                                           ORDONNANCE

La requête est accueillie, le jugement sommaire est accordé à la défenderesse et les frais sont réservés jusqu'au dépôt d'observations par les parties ou à la conclusion entre elles d'un accord.

                                                                                         « E. Heneghan »     

                                                                                                             Juge                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-605-01

INTITULÉ :                          GORDON McKENZIE-CROWE ET AL.

c. SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE L'AUDIENCE : Le 11 juin 2002

LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario).

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :           Le 5 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Phillip G. Hunt                                                              POUR LES DEMANDEURS

M. Derek Rasmussen                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip G. Hunt

Shields et Hunt

Avocats

68, avenue Chamberlain

Ottawa (Ontario) K1S 1V9

Tél : 613-230-3232

Télécopieur : 613-230-1664                                POUR LES DEMANDEURS

Derek Rasmussen

Ministère de la Justice

Immeuble Banque du Canada

234, rue Wellington - Tour Est

Ottawa (Ontario)    K1A 0H8

Tél : 613-941-7330

Télécopieur : 613-954-1920                                POUR LA DÉFENDERESSE

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