Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030428

Dossier : IMM-2057-01

                                                                                                           Référence : 2003 CFPI 525

OTTAWA (ONTARIO), le 28 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :        

                                                           IOURI IAKOVLEV

                                                           (YURI YAKOVLEV)

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire d'une décision prise par la deuxième secrétaire, Immigration, Diane R. Caldwell (l'agente des visas) le 19 février 2001; cette décision a été communiquée à Iouri Iakovlev (le demandeur) le 26 mars 2001 ou vers cette date; l'agente des visas refusait la demande de résidence permanente soumise par le demandeur. Le demandeur sollicite une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant la décision ainsi qu'une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus enjoignant à un agent des visas différent de réexaminer la demande conformément aux principes d'équité et aux dispositions de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

Historique

[2]                 Le demandeur est un citoyen russe. Il a présenté une demande de résidence permanente à titre d'entrepreneur et il a transmis sa demande au consulat du Canada, à Buffalo. L'ambassade, à Buffalo, a transféré le dossier à Moscou.

[3]                 Le demandeur s'est présenté à une entrevue à l'ambassade du Canada, à Moscou, le 18 janvier 2001. Les notes que l'agente des visas a prises lors de l'entrevue ont été consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (le STIDI).

[4]                 À l'entrevue, l'agente des visas a interrogé le demandeur au sujet de ses projets au Canada, ainsi qu'au sujet de ses études, de son expérience professionnelle et de son expérience dans les affaires. Le demandeur avait remis un plan d'entreprise détaillé à l'agente des visas.


[5]                 Le demandeur a expliqué qu'il allait investir des fonds dans une patinoire de hockey et dans une école de hockey au Canada avec un associé canadien, qui était un homme rompu en affaires. Il n'a pas pu donner de détails au sujet du marché, du zonage, des finances et du budget, de la construction de la patinoire, des impôts et d'autres questions techniques. À l'entrevue, le demandeur a dit que son associé s'occupait de ces détails. Il se proposait de participer à l'entreprise en veillant à ce que les patinoires conviennent à l'école, en recrutant les instructeurs et en supervisant l'enseignement.

[6]                 L'agente des visas a également demandé au demandeur de fournir des détails au sujet de ses antécédents professionnels. Les 12 années d'expérience du demandeur en tant que joueur de hockey professionnel en Russie et le fait qu'il était propriétaire et président d'un club de hockey, en Russie, étaient particulièrement pertinents.

[7]                 L'agente des visas craignait que l'expérience acquise par le demandeur en Russie ne soit pas transférable au Canada et que le demandeur ne soit pas suffisamment en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, étant donné qu'il n'avait pas effectué de recherches indépendantes au sujet de son projet d'investissement au Canada.

La décision de l'agente des visas

[8]    L'agente des visas croyait que l'associé du demandeur gérerait l'entreprise alors que le demandeur ne demeurait qu'un simple investisseur. Elle a refusé la demande pour le motif ci-après énoncé :

[TRADUCTION] Comme je l'ai expliqué à l'entrevue, je ne suis pas convaincue que vous soyez en mesure de réussir à établir ou à acheter au Canada une entreprise ou un commerce ou d'y investir une somme importante. Le fait que vous n'avez pas effectué de recherches indépendantes au sujet de l'investissement que vous vous proposez de faire dans une entreprise au Canada démontre que vous n'êtes pas en mesure de réussir.


[9]                 Le fait que le demandeur n'était pas au courant des recherches indépendantes effectuées au sujet de l'investissement, quant aux questions techniques et financières du moins, a amené l'agente à croire qu'il n'était pas en mesure de faire un investissement fructueux.

Arguments :

Prétentions du demandeur

[10]            Le demandeur affirme que l'agente des visas a commis une erreur de droit en refusant la demande parce qu'elle n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve, qu'elle a fait des inférences déraisonnables et qu'elle a tenu compte de questions non pertinentes en mettant l'accent sur le fait qu'il n'était pas au courant des détails du projet d'entreprise lorsqu'elle s'est demandé s'il était en mesure de participer à la gestion de l'entreprise au Canada.

[11]            Le demandeur dit que le refus de l'agente des visas et la question que la Cour est appelée à trancher sont fondés sur la conclusion de l'agente des visas selon laquelle l'expérience qu'il avait acquise dans les affaires n'était pas transférable au Canada et sur le fait que l'agente des visas doutait qu'il soit en mesure de participer à l'exploitation de l'entreprise au Canada. Le refus de l'agente des visas était fondé sur le fait que le demandeur n'avait pas personnellement connaissance des aspects financiers et techniques du projet canadien, ce qui a amené l'agente à se préoccuper de la [TRADUCTION] « transférabilité de son expérience au Canada » .


[12]            Le demandeur soutient que sa façon de procéder, lorsqu'il s'agit d'investir des fonds au Canada en trouvant un associé canadien et en laissant celui-ci accomplir presque tout le travail relatif au plan d'entreprise assurera probablement plus facilement, en ce qui les concerne, le succès de l'entreprise. C'est ce que ferait toute personne d'affaires prudente eu égard aux circonstances.

[13]            Selon le demandeur, il n'y a rien dans la définition de l' « entrepreneur » qui exige que le demandeur établisse un plan d'entreprise ou qu'il soit au courant, sur tous les points, de la planification qui sous-tend le plan d'entreprise. Le fait que le demandeur n'est pas au courant de certains détails n'est pas rationnellement lié à la capacité de celui-ci de participer à l'entreprise à titre d'investisseur ou de directeur. L'agente des visas a commis une erreur en fondant sa décision sur ces questions.


[14]            Le demandeur soutient qu'à supposer que sa capacité d'établir une entreprise et d'y investir des fonds ne soulève aucune question, le Règlement sur l'immigration, DORS/78-172 (le Règlement) exige simplement qu'il participe à certains égards à la gestion de l'entreprise. La gestion donne à entendre que la personne en cause participe simplement d'une certaine façon à l'exploitation de l'entreprise et qu'elle peut occuper une vaste gamme de postes au sein de la société. En l'espèce, le demandeur a prouvé qu'il avait de l'expertise lorsqu'il s'agissait de diriger et de gérer plusieurs entreprises commerciales rentables, y compris une équipe de hockey russe. Le demandeur compte participer à la direction de l'école de hockey au Canada et il établira des liens et des contacts qui permettront à l'école de retenir les services de joueurs de hockey bien connus pour enseigner. Il s'agit d'un poste de responsabilité qui peut être considéré comme une activité de gestion.

[15]            Le demandeur soutient qu'afin d'appartenir à la catégorie de l'entrepreneur, il n'est pas nécessaire qu'il participe aux aspects financiers ou autres aspects techniques de l'entreprise. Il invoque l'arrêt Hui c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 96, où la Cour d'appel fédérale a conclu que la définition de l'entrepreneur n'introduisait pas l'exigence relative aux antécédents en affaires. Le demandeur invoque également la décision Kabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 171, où la Cour a statué que l'agent des visas avait tort d'accorder trop d'importance à la connaissance de l'industrie de la construction et du régime fiscal canadien dans la catégorie des entrepreneurs.

Prétentions du défendeur

[16]            Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas intervenir dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire d'origine législative si ce pouvoir a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle, et si l'on ne s'est pas fondé sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la loi (To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.) (QL); Kuo-Ting c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1997] A.C.F no 569 (C.A.)).


[17]            Le défendeur affirme que le libellé même de la définition de l' « entrepreneur » montre clairement que la capacité du demandeur d'établir une entreprise au Canada ainsi que sa connaissance du marché et de l'entreprise mêmes dans lesquels il se propose de s'engager et les recherches y afférentes sont des considérations pertinentes. (Dina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1304 (1re inst.) (QL); Dhamee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 109 (1re inst.) (QL); Ng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 346 (1re inst.) (QL); Cho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 808 (1re inst.) (QL); Hao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 296 (1re inst.) (QL); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1566 (1re inst.) (QL); Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 453 (1re inst.) (QL)).


[18]            L'agente des visas a la compétence voulue pour interroger le demandeur au sujet d'un plan d'entreprise viable ayant fait l'objet de recherches (Chiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1460 (1re inst.) (QL); Saadat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 39 (1re inst.) (QL); Bakhshaee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1002 (1re inst.) (QL)). Le demandeur n'a pas pu répondre d'une façon satisfaisante aux questions que l'agente des visas lui a posées sur ce point. L'agente des visas peut à bon droit demander au demandeur des éléments de preuve indiquant qu'il a effectué certaines recherches au sujet de son projet d'entreprise. Étant donné le manque de connaissances du demandeur dans ce domaine, l'agente des visas disposait d'un fondement suffisant pour exercer son pouvoir discrétionnaire à l'encontre de l'octroi de la demande. Les connaissances que le demandeur possède au sujet de l'entreprise proposée et les préparatifs qu'il a faits à cet égard sont clairement pertinents.

Points litigieux

[19]            L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en refusant la demande, puisqu'elle n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve, qu'elle a fait des inférences déraisonnables et qu'elle a tenu compte de questions non pertinentes en mettant l'accent sur le fait que le demandeur n'était pas au courant des détails du projet d'entreprise lorsqu'elle a tenu compte de la capacité du demandeur de participer à la gestion de l'entreprise au Canada?

Analyse

Contexte législatif

[20]            Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-122, définit l'entrepreneur comme suit :



« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, etb) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

"entrepreneur" means an immigrant

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;


La norme de contrôle

[21]            La question de savoir quelle est la norme de contrôle à appliquer aux décisions des agents des visas fait l'objet de certains débats au sein de la Cour.

[22]          Certains juges ont appliqué l'approche de la décision raisonnable simpliciter en suivant la décision rendue par Madame le juge Reed dans l'affaire Hao, précitée. Dans cette décision, le juge Reed a appliqué l'approche pragmatique et fonctionnelle énoncée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; elle a conclu qu'étant donné l'absence d'une clause privative et la présence d'un droit d'appel prévu par la loi, la balance penche du côté de la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[23]            Dans la décision Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 985 (1re inst), Monsieur le juge O'Keefe a analysé comme suit la norme de contrôle des décisions des agents des visas en utilisant l'approche pragmatique et fonctionnelle, au paragraphe 20 :

1. Il n'y a pas de clause privative et il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation avant de pouvoir présenter une demande de contrôle judiciaire [...] Ces faits tendent à indiquer que la Cour doit faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de l'agent des visas.


2. En l'espèce, l'auteur de la décision est un agent d'immigration qui a été désigné par le ministre en vertu du paragraphe 109(2) de la Loi. Comme l'agente d'immigration est, dans le cas qui nous occupe, postée à l'extérieur du Canada, elle est désignée sous l'appellation d'agente des visas. Les agents des visas examinent régulièrement des demandes de visa et possèdent de vastes connaissances spécialisées dans ce domaine. Ces facteurs tendent eux aussi à indiquer que la Cour doit faire preuve d'une plus grande retenue à l'égard de la décision de l'agent des visas.

3. Aux termes de l'article 11 et de l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, l'agent des visas doit décider si le demandeur remplit les conditions requises pour obtenir un visa pour entrer au Canada. L'agent des visas dispose d'un large pouvoir discrétionnaire, mais il doit se guider sur l'annexe I. Il s'ensuit selon moi que la décision de l'agent des visas a droit à une plus grande retenue de la part de la Cour, mais pas à une retenue totale.

4. Le débat en l'espèce porte sur la constatation des faits et sur l'application de ces faits aux balises proposées par le Règlement. Ainsi, la question est une question mixte de droit et de fait et, pour cette raison, le degré de retenue judiciaire qu'il convient d'appliquer est celui du caractère raisonnable simpliciter.

[24]            Le juge O'Keefe a donc conclu que la norme de contrôle qui s'applique à la décision qu'un agent des visas prend au sujet d'une demande de résidence permanente est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[25]            Toutefois, un autre type de raisonnement veut que l'on applique la norme de contrôle beaucoup plus rigoureuse énoncée dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Dans la décision Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 998 (1re inst.), Monsieur le juge MacKay a appliqué l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité. Voici ce qu'il dit au paragraphe 8 :


À mon avis, la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent des visas appelé à évaluer l'expérience d'un immigrant éventuel au regard d'une profession en particulier est bien établie. Ainsi que la Cour suprême du Canada l'a statué dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, une cour ne s'ingérera pas dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi simplement parce qu'elle aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans que l'on se fonde sur des considérations inappropriées ou étrangères, les cours ne devraient pas modifier la décision. En outre, la décision rendue dans cette affaire est essentiellement une décision de fait (voir l'arrêt rendu au nom de la Cour d'appel par M. le juge Mahoney dans Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 121 N.R. 241, 12 Imm. L.R. (2d) 161, [1991] A.C.F. no 8 (QL) (C.A.)). Lorsque la décision en question est une décision de fait, la Cour n'interviendra que si elle conclut que la décision est manifestement déraisonnable ou, en d'autres mots, comme le prévoit l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications, si la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire (voir les propos de M. le juge McKeown dans Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1131, [2001] A.C.F. no 1562 (1re inst.) (QL).

[26]            La Cour d'appel fédérale a également appliqué l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd., précité, en ce qui concerne la norme de contrôle qui s'applique aux décisions de l'agent des visas. La Cour a dit ce qui suit, dans l'arrêt To, précité, au paragraphe 3 :

En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef adjoint Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[27]            De plus, la Cour est autorisée à examiner la décision en vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui est ainsi libellé :

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_:

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

[...]

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

...

[28]            En particulier, l'alinéa 18.1(4)d) permet à la Cour d'intervenir si la décision a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont l'office disposait.

[29]            Eu égard aux faits de la présente espèce, le demandeur devrait avoir gain de cause, et ce, que la Cour applique la norme de la décision raisonnable simpliciter, la norme de la décision manifestement déraisonnable ou la norme de la décision abusive et arbitraire.

Analyse


[30]            La préoccupation de l'agente des visas ne semble pas se rapporter à l'intention ou à la capacité du demandeur d'investir des fonds dans l'entreprise proposée, ou à la viabilité économique de l'entreprise elle-même telle qu'elle est définie dans le plan d'entreprise. La préoccupation de l'agente semble avoir été liée au fait que le demandeur n'avait pas fait de recherches indépendantes et au fait qu'il n'avait pas pu répondre aux questions financières et techniques détaillées qui lui étaient posées au sujet du projet. L'agente a directement établi un lien entre ces lacunes et le fait que le demandeur ne pouvait pas investir avec succès des fonds dans l'entreprise ou qu'il n'était pas en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de l'entreprise. Il est abusif et arbitraire d'exiger pareil lien direct.

[31]            L'agente des visas a exigé à tort que le demandeur connaisse personnellement le commerce envisagé et qu'il ait fait des recherches indépendantes à ce sujet. En effet, cette exigence n'est pas prévue par la Loi. Dans le cas du demandeur, il s'agissait d'une interprétation abusive du Règlement applicable à la définition de l'entrepreneur. En outre, cette décision ne tenait pas compte du plan d'entreprise soumis par le demandeur et de la réalité en ce qui concerne l'entreprise que le demandeur se proposait de lancer avec un associé canadien.


[32]            Le demandeur est un homme d'affaires qui réussit très bien en Russie; il a de l'expertise lorsqu'il s'agit de jouer au hockey et d'enseigner le hockey. Pendant qu'il effectuait un séjour au Canada, le demandeur a rencontré un homme d'affaires canadien qui avait de l'expérience et qui réussissait dans les affaires. Ensemble, ils ont décidé d'ouvrir une entreprise dans le cadre de laquelle on assurerait un enseignement de première qualité en ce qui concerne le hockey. Les deux hommes devaient investir des capitaux. Le demandeur devait contribuer son expertise et les contacts qu'il avait établis dans ce sport. Étant donné que l'associé canadien avait de l'expérience dans les affaires au Canada, le demandeur s'en remettait à l'expertise de celui-ci sur toutes les questions se rapportant aux aspects techniques et financiers de l'entreprise. Cependant, des détails étaient donnés sur ces points dans le plan d'entreprise soumis par le demandeur.

[33]            Toutefois, l'agente des visas a décidé que le fait que le demandeur n'avait pas fait de recherches indépendantes au sujet de l'entreprise qu'il envisageait d'exploiter au Canada démontrait qu'il n'était pas en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante. L'affidavit et le contre-interrogatoire de l'agente des visas montrent que cette conclusion était fondée sur le fait que le demandeur ne pouvait pas répondre aux questions relatives au financement, au budget et à des questions plus techniques se rapportant à l'entreprise. Le défendeur soutient que la capacité d'établir une entreprise exige des connaissances personnelles relatives aux pratiques commerciales au Canada ainsi que des connaissances relatives au marché particulier auquel le demandeur se propose d'accéder et qu'il faut également effectuer des recherches à cet égard.

[34]            Je ne suis pas d'accord avec le défendeur pour dire que le fait que le demandeur n'a pas effectué de recherches indépendantes et qu'il ne connaît pas ce domaine indique qu'il n'est pas en mesure d'établir une entreprise au Canada. Il s'agit d'une considération non pertinente dans le contexte de la présente affaire.


[35]            Les décisions sur lesquelles le défendeur se fonde peuvent faire l'objet de distinctions par rapport à la présente espèce parce que, dans ces affaires-là, les demandeurs n'avaient aucun associé ayant de l'expertise dans les affaires au Canada et n'avaient pas présenté un plan d'entreprise détaillé viable à ce sujet.

[36]            Ce qui est plus important, c'est le fait que dans aucun des cas, les demandeurs ne s'étaient lancés dans une entreprise avec un homme d'affaires canadien chevronné. En l'espèce, il est parfaitement sensé que l'associé qui vit au Canada et qui a énormément d'expérience dans les affaires au Canada soit celui qui se charge des recherches et de la planification relatives au projet général ainsi que des finances et de la planification. Cependant, l'expertise du demandeur et la contribution qu'il se propose d'apporter à l'entreprise sont tout aussi importantes. Le demandeur doit s'occuper de tous les aspects de l'entreprise qui se rattachent au hockey. Il a dans ce domaine de l'expérience et des contacts qui seront cruciaux aux fins de la réussite à long terme de l'entreprise. La Loi exige simplement une capacité de gérer certains aspects de l'entreprise. Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que la gestion n'a pas nécessairement à se rapporter à l'exploitation et aux finances de l'entreprise. En l'espèce, la tâche que le demandeur se propose d'accomplir, à savoir s'occuper de l'entreprise pour ce qui est du hockey et de son enseignement, satisfait à l'exigence de la définition de l'entrepreneur sur le plan de la gestion.


                                                    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision du 19 février 2001 est infirmée et l'affaire est renvoyée pour être réexaminée par un agent des visas différent.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                       Date : 20030428

                                       Dossier : IMM-2057-01

ENTRE :        

IOURI IAKOVLEV

(YURI YAKOVLEV)

                                                                demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                  


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-2057-01

INTITULÉ :                                                                     IOURI IAKOVLEV (YURI YAKOVLEV)

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 27 mars 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge James Russell

DATE DES MOTIFS :                                                  le 28 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. Lorne Waldman                                                           pour le demandeur

Mme Mielka Visnic                                                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lorne Waldman                                                           pour le demandeur

Avocat

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Mme Mielka Visnic                                                             pour le défendeur

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.