Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031017

Dossier : T-541-02

Référence : 2003 CF 1204

Entre :

                          ANDRÉTREMBLAY

                                                           Demandeur

Et :

                       SA MAJESTÉLA REINE

                                 et

                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                          Défendeurs

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 La Cour est saisie d'un appel de l'ordonnance du Protonotaire Morneau, rendue le 1er novembre 2002, rejetant la requête en radiation de l'action du demandeur présenté par les défendeurs.


[2]                 Le demandeur a été membre des Forces armées canadiennes (les "Forces") du 1er janvier 1962 au 9 octobre 1969 et du 28 septembre 1991 au 31 mars 1999. Cette dernière date est le jour où il a été mis à la retraite par les Forces dû à l'âge obligatoire de la retraite prévu par les Ordres royaux applicables aux Forces canadiennes (les "Ordres royaux").

[3]                 Le 28 mars 2002, le demandeur a déposé sa déclaration, recherchant plusieurs remèdes.

[4]                 Le 25 avril 2002, les défendeurs ont présenté une requête en radiation. Après l'audition de cette requête, le protonotaire a ordonné, le 7 juillet 2002, que le demandeur produise une nouvelle déclaration amendée. Le 29 juillet 2002, le demandeur a donc déposé une déclaration amendée dans laquelle il demande à la Cour: d'ordonner sa réintégration dans son emploi, d'ordonner une compensation pour le salaire qu'il a perdu, de déclarer les dispositions des Ordres royaux sur l'âge obligatoire de retraite ainsi que les articles 15(1)b) et c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, contraires aux articles 1 et 15 de la Charte Canadienne des droits et libertés, [partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11], et donc inopérants.

[5]                 Le 26 septembre 2002, les défendeurs ont soumis une requête en radiation d'action amendée, laquelle a été entendue le 21 octobre 2002.


[6]                 Dans sa décision datée du 1er novembre 2002, le protonotaire a rejeté le premier moyen de radiation soulevé par les défendeurs à l'effet que l'action du demandeur était prescrite à la date de son dépôt vu l'expiration du délai de six mois stipulé au paragraphe 269(1) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, (ci-après "LDN"). Le protonotaire a plutôt adopté l'approche suggérée par le demandeur:

Suivant le demandeur, son action ici recherche directement la Couronne, pour des actes législatifs, et non pas indirectement pour les gestes d'un préposé. En vertu de cette approche, il est allégué que les tribunaux, et spécialement la décision de la Cour supérieure du Québec dans l'arrêt Michel Boulay c. Procureur général du Canada (référence***) alliée à la décision Scaglione v. McLean, [[1998] O.J. no. 800], reconnaissent que la Couronne, ou l'État, ne peut se prévaloir de la prescription du paragraphe 269(1) lorsqu'elle est recherchée directement et qu'au surplus, dans des circonstances telles que les nôtres, l'alinéa 24a) de la Loi sur la responsabilité de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, telle qu'amendée, n'est pas disponible pour faire profiter indirectement la Couronne de la prescription du paragraphe 269(1).

[7]    Le deuxième moyen de radiation soulevé par les défendeurs, à l'effet que le demandeur se devait de présenter ses conclusions en déclaration d'inopérabilité et en réintégration dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et non dans le cadre d'une action, a aussi été étudié puis rejeté par le protonotaire.

[8]    Les questions suivantes sont pertinentes:


1.          Le protonotaire a-t-il erré quant à la prescription de l'action du demandeur?

2.          Le protonotaire a-t-il excédé sa compétence en ordonnant au demandeur de déposer une déclaration ré-amendée?

3.          Le protonotaire a-t-il erré en jugeant que le demandeur devait procéder par déclaration plutôt que par voie d'un contrôle judiciaire?

[9]                 Il a été établi dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, que la Cour ne doit pas intervenir dans les décisions discrétionnaires d'un protonotaire, sauf a) lorsqu'elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur un fausse appréciation des faits, ou b) lorsque le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause. Dans un tel cas, la Cour n'est pas liée par l'opinion du protonotaire et reprendra l'affaire de novo, exerçant son propre pouvoir discrétionnaire.


1.    Le protonotaire a-t-il erré quant à la prescription de l'action du demandeur?

[10]            Le protonotaire a déterminé que l'article 269(1) de la LDN était inapplicable en l'espèce puisque l'action du demandeur vise directement la Couronne pour les actes législatifs et non pas indirectement pour les gestes d'un préposé de la Couronne. Considérant la jurisprudence, je suis d'avis que cette conclusion est correcte.

[11]            Contrairement à ce que prétendent les défendeurs, le protonotaire n'a pas déclaré l'article 269 de la LDN inopérable, mais bien inapplicable. De toute façon, il n'est pas sans rappeler que ce sont les défendeurs qui se sont prévalus de l'article 269 et non le demandeur.

[12]            Le représentant des défendeurs soutient aussi que le protonotaire a erré dans son interprétation de l'article 269 de la LDN. Il prétend que le texte même du paragraphe 269(1) de la LDN prévoit que cet article peut être invoqué dans plusieurs circonstances, en non simplement dans les cas de fautes ou de négligence de la part de préposés de la Couronne:



269. (1) Les actions pour un acte accompli en exécution - ou en vue de l'application - de la présente loi, de ses règlements, ou de toute fonction ou autorité militaire ou ministérielle, ou pour une prétendue négligence ou faute à cet égard, se prescrivent par six mois à compter de l'acte, la négligence ou la faute en question ou, dans le cas d'un préjudice ou dommage, par six mois à compter de sa cessation.

269. (1) No action, prosecution or other proceeding lies against any person for an act done in pursuance or execution or intended execution of this Act or any regulations or military or departmental duty or authority, or in respect of any alleged neglect or default in the execution of this Act, regulations or any such duty or authority, unless it is commenced within six months after the act, neglect or default complained of or, in the case of continuance of injury or damage, within six months after the ceasing thereof.


Puisque la présente action découle de l'application d'un règlement de la LDN, soit le règlement prévoyant la mise à la retraite du demandeur, elle se prescrit par six mois à compter de la retraite.

[13]            Or, en l'espèce, le demandeur met en faute le texte législatif lui-même et non l'acte de quiconque. En fait, le demandeur reconnaît que l'ensemble du processus s'est déroulé en conformité avec la LDN. De plus, il est vrai que l'État peut faire valoir l'alinéa 24a) de la Loi sur la responsabilité civil de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. ch. C-50, mais seulement si l'État était poursuivi pour la faute d'une personne visée au paragraphe 269(1) de la LDN. L'État ne peut s'approprier les moyens de défense de personnes qui ne sont pas visées par l'action.


[14]            À mon avis, l'analyse discrétionnaire du protonotaire est basée sur de bons principes et il était raisonnable qu'il conclut que la dynamique dans le cas présent est différente de celle prévalant dans l'arrêt Scaglione v. McLean, [1998] O.J. no. 800 et que les défendeurs ne peuvent se prévaloir du paragraphe 269(1) de la LDN via l'alinéa 24a) de la Loi sur la responsabilité de l'État et le contentieux administratif.

2.    Le protonotaire a-t-il excédé sa compétence en ordonnant au demandeur de déposer une déclaration ré-amendée?

[15]            Les défendeurs prétendent que le protonotaire a excédé sa compétence en ordonnant au demandeur de déposer une déclaration ré-amendée afin que ce dernier identifie précisément dans sa déclaration d'action les divers remèdes recherchés par sa procédure, sans qu'aucune requête n'ait été déposée à cet effet.

[16]            Cette ordonnance du protonotaire découle, à mon avis, de sa conclusion quant à la troisième question en litige, soit que l'affaire procède par action et non par contrôle judiciaire. Je vais donc adresser la prochaine question d'abord.

3.    Le protonotaire a-t-il erré en jugeant que le demandeur devait procéder par déclaration plutôt que par voie d'un contrôle judiciaire?


[17]            Dans sa décision, le protonotaire a indiqué qu'il était manifeste qu'avant même de prétendre à des dédommagements et à sa réintégration, le demandeur devait obtenir en premier lieu ses déclarations d'inopérabilité. Le protonotaire a jugé que des déclarations d'inopérabilité dirigées contre des textes législatifs peuvent s'obtenir dans les circonstances par voie d'action. Il en est venu à cette conclusion en déterminant « [qu']il est reconnu en jurisprudence que la Couronne n'est pas un « office fédéral » ... » et que « [d']autre part, la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à son article 2, définit le terme « réparation » comme incluant une déclaration. Suivant le paragraphe 17(1) et l'article 48 de cette même loi, une demande de déclaration contre la Couronne s'institue par action. »

[18]            Bien que la demande de réintégration du demandeur est un remède pouvant s'obtenir par le biais d'une demande de contrôle judiciaire, il n'a pas semblé opportun au protonotaire de radier ce remède. Il a déterminé que les remèdes premiers du demandeur ressortent plus de l'action, que la demande de réintégration pouvait être décidée après avoir tranché le litige principal et que la Cour pouvait en disposer au mérite dans le cadre de la disposition de l'action. À cet effet, il s'est basé sur les propos du juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Sweet et al. v. Canada (1999), 249 N.R. 17, en page 25 et 26:

[14] (...)Once it is ascertained that a given proceeding falls into one or the other of the two categories (judicial review and action), the duty of the Court is to determine which is the applicable category and to allow the proceeding to continue in that way. Means must be found by counsel and by the Court to address the issue intelligently and with a sense of practicality.


(...)

[17] It seems to me that in a case where many different sorts of relief are claimed, some of which require an action and some of which require judicial review, the proper course is to determine which relief it makes more sense to decide first, then to determine whether the procedure taken is the proper one with respect to that relief and, if not, to allow the party to correct it with appropriate amendments.

[19]            Les défendeurs prétendent que le protonotaire a erré en ordonnant de procéder ainsi. Il allègue qu'en fait cette Cour a décidé à de nombreuses reprises qu'une demande de jugement déclaratoire doit se faire par voie de demande de contrôle judiciaire et non par une déclaration, et ce, même en matière constitutionnelle. Je crois qu'il y a lieu d'examiner la jurisprudence citée par les défendeurs afin d'élucider la question.

[20]            Dans l'arrêt Raza c. Canada, [1999] 2 F.C. 185, le Juge Muldoon devait se prononcer à savoir si, dans le cadre d'une demande en contrôle judiciaire, la Cour pouvait se pencher sur la validité d'une disposition législative. Celui-ci a décidé qu'en vertu de l'article 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour avait une telle autorité et que le demandeur n'était pas obligé de procéder par déclaration.


[21]            Dans l'arrêt Sivaraj c. Canada (1996), 107 F.T.R. 64, aux paragraphes 5 et 6, la juge Tremblay-Lamer a tenu les propos suivants:

Dans leurs déclarations respectives, les requérants cherchent à obtenir un jugement déclarant que la décision du ministre de les renvoyer au Sri Lanka va à l'encontre de la Charte. Ils soutiennent que la seule voie de droit qui leur soit ouverte est l'action puisque, en cas de contrôle judiciaire, la Cour ne pourrait pas juger l'affaire au regard de la Charte.

Je n'accepte pas cette assertion. Au contraire de ce qui se passait dans l'affaire Tétreault-Gadoury, le ministre n'a pas étéappeléen l'espèce à juger inconstitutionnelle une disposition de la Loi. Cela eût-il étéle cas, et si la loi organique n'habilitait pas l'office fédéral à se prononcer sur la constitutionnalitédes dispositions de la Loi, alors il serait vrai que la Cour n'aurait pas, en cas de contrôle judiciaire, compétence pour connaître d'un tel chef de demande, lequel ne pourrait être instruit que par voie d'action. Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.

[22]            A contrario, ces deux arrêts peuvent être interprétés comme accordant la possibilité de procéder par déclaration pour obtenir un jugement déclaratoire. De plus, dans l'affaire Chesters v. Canada (M.C.I.) (1997), 134 F.T.R. 151, le Protonotaire Giles a conclu comme suit:

En ce qui concerne les déclarations comme celle dont il est question à l'alinéa a), je remarque qu'elles auraient pour effet de rendre inopérante une disposition législative. Àpremière vue, l'alinéa a) ne vise pas un office fédéral. Il faut faire une distinction entre ce genre de déclaration et la déclaration visée à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, ne serait-ce que parce que le pouvoir central n'est pas autoriséà conférer une compétence exclusive à la Cour fédérale, puisque les tribunaux provinciaux ont également le droit de déclarer une disposition législative inconstitutionnelle ou de conclure qu'elle viole la Charte. De plus, pareille déclaration ne se rapporte pas à première vue à la contestation d'une décision d'un office fédéral, mais plutôt d'une disposition législative fédérale. Je conclus qu'une déclaration de ce genre peut être demandée dans une action. Comme il en a ci-dessus étéfait mention, l'alinéa b) se rapporte à la contestation de la décision d'un office et la déclaration ne devrait à bon droit être demandée que dans le cadre d'un contrôle judiciaire.


À mon avis, les alinéas b) et c) de la demande de réparation doivent être radiés. Les alinéas a) et d) peuvent à juste titre être maintenus dans une action visant à faire déclarer la disposition législative inopérante et à obtenir des dommages-intérêts (l'"action en dommages-intérêts"). (...)

[23]            Le protonotaire ne s'est peut-être pas basé sur cette jurisprudence, mais il a quelque peu adopté le même principe en déterminant que la Couronne, n'étant pas un « office fédéral » , n'est pas visée par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[24]            Étant donné la jurisprudence ci-haut citée et l'approche prise par le protonotaire, il m'est impossible de conclure que ce dernier a mal exercé son pouvoir discrétionnaire.

[25]            Je rejette donc le présent appel de la décision du Protonotaire Morneau dans cette affaire.


[26]            Le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale prescrit que les délais de prescription provinciaux doivent s'appliquer dans toute instance devant la Cour, sauf s'il existe une loi fédérale pertinente au sujet en cause. En l'espèce, il est évident, compte tenu du libellé sans équivoque du paragraphe 269(1) de la Loi sur la Défense nationale et de la jurisprudence y afférente qui s'est développée, que cela ne s'applique pas aux faits de la présente affaire. Par conséquent, le délai de prescription applicable est celui de la province de Québec et l'action du demandeur a été intentée avant l'expiration de ce délai de prescription.

[27]            Je ne souscris toutefois pas aux directives du protonotaire relativement à la gestion future de la présente affaire. M. Tremblay conteste la constitutionnalité de dispositions législatives fédérales et, par conséquent, il doit se conformer aux exigences énoncées à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.

[28]            Par conséquent, il est par les présentes ordonné que le demandeur devra préparer son Dossier conformément aux exigences des règles 60 à 71 des Règles de la Cour fédérale.

[29]            Il est également ordonné que le Dossier du demandeur devra contenir un résumé concis des faits, l'énumération des articles de la Loi faisant l'objet du débat, un récit des points en litige, un résumé concis des arguments ainsi qu'une liste de la jurisprudence. Le Dossier devra également contenir en annexe copie des lois, règlements, jurisprudence et doctrine à l'appui de la demande du prestataire.


[30]            Il est également ordonné que le demandeur signifie son Dossier aux défendeurs et le dépose auprès de la Cour dans les trente (30) jours de la date de la présente ordonnance.

[31]            Il est également ordonné que les défendeurs auront soixante (60) jours de la date de signification du Dossier du demandeur pour préparer, déposer et signifier leur Dossier en réponse.

[32]            Nonobstant le paragraphe 57(2), le demandeur doit se conformer au paragraphe 57(1) avant qu'une date d'audience ne soit fixée.

[33]            Les dépens suivront l'issue de la cause.

ligne

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 17 octobre 2003


                                       COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :              T-541-02

INTITULÉ :              ANDRÉ TREMBLAY

demandeur

ET

SA MAJESTÉ LA REINE ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                               MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 15 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :       L'HONORABLE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                    le 17 octobre 2003

COMPARUTIONS:

Me Alain Tremblay         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Chantal Sauriol

Me Marie-Ève Sirois-Vaillancourt      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Alain Tremblay

Montréal (Québec)          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE         

Me Chantal Sauriol

Me Marie-Ève Sirois-Vaillancourt       POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.