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Date : 20010309

Dossier : IMM-6338-99

Référence neutre : 2001 CFPI 155

ENTRE :

                                       YU QIU TENG et

                                     DARCY LAMBERT

demandeurs

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent des visas de l'ambassade du Canada à Pékin, en République populaire de Chine. L'agent des visas avait refusé la demande de Yu Qiu Teng (Mme Teng) pour un visa de visiteur au Canada. Se fondant sur les renseignements dont il disposait, il a exprimé l'avis que Mme Teng ne serait pas une visiteuse authentique, en ce sens qu'elle ne quitterait pas le Canada à la fin de la visite projetée, parce qu'elle n'avait pas de liens suffisants avec la Chine pour garantir son retour dans ce pays. La décision dont le contrôle est demandé porte la date du 27 septembre 1999.

RAPPEL DES FAITS

[2]                  Le demandeur, Darcy Lambert (M. Lambert), est un ressortissant et un résident du Canada. Il est le père de trois enfants et il est séparé de leur mère depuis 1993 et divorcé depuis le printemps de 1999. Dans un affidavit produit en cette affaire, il déclare ce qui suit :[TRADUCTION] J'ai lié connaissance avec la demanderesse Yu Qiu Teng après avoir pris des dispositions pour que mes enfants correspondent avec son enfant comme mode d'échanges culturels. La correspondance a débuté en août 1997. J'y ai moi-même participé.

Par notre correspondance et nos appels téléphoniques, j'ai appris à connaître Yu Qiu Teng au point que nous avons développé une relation. J'ai décidé de l'inviter à me visiter parce que nous voulions faire plus ample connaissance.

Nous avions parlé mariage, mais nous ne voulions pas prendre une décision définitive sans d'abord nous rencontrer et passer quelque temps ensemble. Je savais qu'une fois qu'elle serait ici pour une visite, alors si nous décidions de nous marier elle pourrait avec mon parrainage demander l'autorisation de rester au Canada.

Voici donc succinctement décrites les circonstances qui ont conduit M. Lambert à inviter Mme Teng à visiter le Canada, ainsi qu'à la demande de Mme Teng pour un visa de visiteur et au rejet de cette demande.

[3]                Mme Teng, qui à tous les moments pertinents était elle aussi divorcée, a un enfant.


[4]                  Quelques jours seulement avant l'audition prévue de cette demande de contrôle judiciaire, l'avocat du défendeur a confirmé à la Cour et à l'avocat des demandeurs que :[TRADUCTION] ... au 22 février 2001, la demande de résidence permanente [au Canada] de la demanderesse [Mme Teng] et de sa fille mineure au titre de la catégorie de la famille a été approuvée. En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire liée à sa demande précédente de visa de visiteur est aujourd'hui théorique.

Malgré ce qui précède, l'audition de cette demande de contrôle judiciaire a débuté comme prévu.

CARACTÈRE THÉORIQUE DE LA DEMANDE

[5]                  L'avocat des demandeurs a admis à l'ouverture de l'audience de cette demande de contrôle judiciaire que la demande était devenue théorique, mais il a fait valoir que la Cour devrait néanmoins instruire la demande et rendre une décision. À l'appui de cette position, il s'est appuyé considérablement sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Nemsila[1], dans lequel M. le juge Stone, s'exprimant pour la Cour, écrivait, au paragraphe [10] :Le présent appel a été pleinement débattu sur le fond les 19 et 20 février 1997. En avril 1997, avant que le jugement puisse être rendu, l'appelant est décédé. À l'invitation de la Cour, les avocats inscrits au dossier ont déposé des observations écrites sur la question de savoir si, malgré le décès de l'appelant, la Cour devait rendre un jugement sur le fond de l'appel.


La Cour a fait observer que, puisque « tout l'objet des procédures... » consistait à déterminer si M. Nemsila pouvait être expulsé, son décès rendait la question « spéculative » .

[6]                  M. le juge Stone poursuit ainsi au paragraphe [11] :Il reste, néanmoins, à examiner si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre un jugement. ... Il ressort clairement de l'arrêt Borowski, précité, que la Cour est habilitée à rendre jugement. Dans cet arrêt, le juge Sopinka, s'exprimant au nom de la Cour, a décrété que la question du caractère théorique doit être abordée en deux temps. Il faut d'abord se demander si le « différend concret et tangible » a disparu. Dans l'affirmative - comme dans le cas du décès de l'appelant - l'appel devient purement théorique. C'est à ce moment que le tribunal doit décider s'il exercera ou non son pouvoir discrétionnaire pour entendre et régler l'appel. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire « à exercer de façon judiciaire selon les principes établis » ...[2]                                                                           [citations omises]

[7]                  Les trois « principes établis » mentionnés par M. le juge Sopinka dans l'arrêt Borowski sont énumérés de la manière suivante par M. le juge Stone au paragraphe [12] :Le premier est que la capacité des tribunaux de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire.

...

Le deuxième est lié à l'économie des ressources judiciaires.

...

Le troisième oblige les tribunaux à prendre en considération leur fonction véritable dans l'élaboration du droit.


[8]                Sur le premier principe, la nécessité d'un contexte contradictoire, l'avocat des demandeurs a fait valoir que les questions dont la Cour était saisie lors de l'audition de cette affaire étaient bien définies et présentaient une certaine importance. Des dossiers de demande avaient été déposés par les deux parties, ainsi que des cahiers de jurisprudence et de doctrine. Les avocats des deux parties étaient présents devant moi. Un contexte contradictoire existait.

[9]                Sur le deuxième principe, c'est-à-dire le souci d'économie des ressources judiciaires, l'avocat des demandeurs a fait valoir que, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, et surtout au fait qu'il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rejetant une demande de visa de visiteur qui soulève des questions d'importance publique dont certaines sont propres aux contrôles des demandes de visas de visiteurs, contrôles dont la Cour n'est pas souvent saisie, l'économie des ressources judiciaires n'empêchait pas d'utiliser ces ressources, si limitées soient-elles, pour entendre la demande et en disposer.

[10]            Sur le troisième principe, c'est-à-dire la conscience qu'a la Cour de sa fonction juridictionnelle, l'avocat des demandeurs a fait valoir que la Cour avait parfaitement compétence pour entendre cette demande de contrôle judiciaire et en disposer.

ANALYSE


[11]            Je rappelle qu'il n'a pas été contesté devant moi que cette demande de contrôle judiciaire était théorique. La question sur laquelle il me restait à statuer le 27 février 2001 était de savoir si je devrais ou non, malgré le caractère théorique de la demande, l'instruire néanmoins et en disposer.

[12]               Sur le premier principe au regard duquel une telle décision devrait être rendue, c'est-à-dire le fait que la capacité de la Cour de trancher des litiges a sa source dans le système contradictoire, M. le juge Sopinka écrivait, aux pages 358 et 359 de l'arrêt Borowski, précité :L'exigence du débat contradictoire est l'un des principes fondamentaux de notre système juridique et elle tend à garantir que les parties ayant un intérêt dans l'issue du litige en débattent complètement tous les aspects. Il semble que cette exigence puisse être remplie si, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeure. Par exemple, même si la partie qui a engagé des procédures en justice n'a plus d'intérêt direct dans l'issue, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire.

[13]            Je suis convaincu qu'ici les demandeurs, ceux qui ont engagé les procédures, n'ont plus un intérêt direct dans l'issue de cette demande de contrôle judiciaire. Cela étant dit, leur avocat a informé la Cour que M. Lambert, si ce n'était que lui, était si outré par le rejet de la demande de visa de visiteur présentée par Mme Teng, un rejet opposé non pas une fois, mais deux, bien que la Cour n'ait été saisie que d'un seul de ces rejets, qu'il était néanmoins prêt à maintenir la demande de contrôle judiciaire dans l'intérêt d'autres personnes qui pourraient un jour se trouver dans la même situation que celle dans laquelle lui et Mme Teng s'étaient trouvés.


[14]            Je suis convaincu que, malgré la disparition du litige actuel, le débat contradictoire demeurerait si je devais entendre cette demande de contrôle judiciaire et prononcer sur elle. Il est satisfait à ce principe.

[15]               Le second principe, c'est-à-dire l'économie des ressources judiciaires, est, j'en suis persuadé, déterminant. S'agissant de ce principe, M. le juge Sopinka écrivait dans l'arrêt Borowski, précité, à la page 360 :... La triste réalité est qu'il nous faut rationner et répartir entre les justiciables des ressources judiciaires limitées. Le fait que les litiges actifs qui reçoivent une autorisation de pourvoi en cette Cour représentent une faible proportion du nombre total des demandes présentées témoigne de cette réalité. La saine économie des ressources judiciaires n'empêche pas l'utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d'un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient.

[16]               Dans l'arrêt Nemsila, précité, au paragraphe [15], à propos de ce principe et du passage précédent tiré de l'arrêt Borowski, M. le juge Stone écrivait :Comme nous l'avons vu, il est possible de répondre à cette préoccupation « si cela n'empêche pas l'utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles [...] lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient » . Dans Borowski, précité, le juge Sopinka a présenté trois situations différentes où il pouvait être possible de répondre à cette préoccupation. La première est qu'il est quasi impossible de le faire « dans les cas où la décision de la Cour aura des effets concrets sur les droits des parties même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l'action » . Deuxièmement, « il peut être justifié de consacrer des ressources judiciaires à des causes théoriques qui sont de nature répétitive et de courte durée » . Le juge Sopinka met en garde contre le fait d'entendre un appel, même dans les affaires de ce genre, lorsqu'il déclare :

Le simple fait, cependant, que la même question puisse se présenter de nouveau, et même fréquemment, ne justifie pas à lui seul l'audition de l'appel s'il est devenu théorique. Il est préférable d'attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu'il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d'être résolu.


La troisième situation, « assez imprécise » est celle où :

[...] se pose une question d'importance publique qu'il est dans l'intérêt public de trancher. Il faut mettre en balance la dépense de ressources judiciaires et le coût social de l'incertitude du droit.                                                                  [citations omises]

[17]            En l'espèce, si je devais admettre la demande de contrôle judiciaire, ma décision n'aurait aucun effet concret sur les droits des parties.

[18]            S'agissant de la seconde situation où il est possible de répondre à la préoccupation concernant l'économie des ressources judiciaires, du moins pour les questions dont la Cour est saisie dans la présente affaire et qui ne se posent qu'à l'occasion de contrôles judiciaires de décisions de rejeter des demandes de visas de visiteurs, j'admets que les questions « ... sont de nature répétitive et de courte durée » . Cela étant dit, je suis convaincu que l'avertissement lancé par M. le juge Sopinka et cité par M. le juge Stone dans l'extrait qui précède devrait ici être observé.

[19]            Je ne suis pas convaincu que, dans chaque cas où se poseront les questions soulevées dans la présente affaire, ces questions auront toujours disparu avant que le contrôle judiciaire ne soit finalement résolu, en tout cas au niveau de la section de première instance de la Cour.


[20]            S'agissant de la troisième situation où il peut être répondu à la préoccupation concernant l'économie des ressources judiciaires, c'est-à-dire la présence d'une question ou de questions d'importance publique qu'il est dans l'intérêt public de trancher, les questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire ont été énoncées ainsi dans le dossier de demande des demandeurs :

           -           d'abord, l'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a cru deviner l' « intention » qu'avait Mme Teng lorsqu'elle voulait se rendre au Canada en tant que visiteuse. Sur cet aspect, parfois appelé « intention double » , l'avocat des demandeurs a cité le jugement Mittal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], où M. le juge Lutfy, ce qu'il était alors, cite au paragraphe [13] un extrait des motifs que j'avais rédigés dans l'affaire Wong (Tuteur à l'instance) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[4] : ... la question générale n'est pas de savoir si le requérant est un immigrant éventuel, mais plutôt de déterminer s'il est un immigrant illégal éventuel.

                      

           -           deuxièmement, l'obligation pour un visiteur éventuel de la République populaire de Chine d'obtenir un visa équivaut-elle à une discrimination fondée sur la nationalité?


           -           troisièmement, les agents des visas de l'ambassade du Canada à Pékin se livrent-ils systématiquement à une discrimination à l'endroit des demandeurs de visas de visiteur, comme Mme Teng, qui sont des ressortissants de la République populaire de Chine?

           -           quatrièmement, Mme Teng a-t-elle été injustement discriminée sur la base de son état matrimonial ou de sa situation de famille?

           -           cinquièmement, quelle est la signification du mot « personne » à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[5], et plus particulièrement, ce mot englobe-t-il les personnes à l'étranger qui ne sont ni des citoyens canadiens ni des résidents permanents et dont les intérêts sont touchés par l'application d'une loi du Canada telle que la Loi sur l'immigration[6]? et

           -           finalement, quels sont les redressements qui s'imposent, au vu des faits dont est saisie la Cour, dans cette demande de contrôle judiciaire.


[21]            Manifestement, les questions posées au nom des demandeurs sont importantes, et certaines d'entre elles se posent uniquement, ou à tout le moins plus souvent, dans les demandes de contrôle judiciaire de décisions d'agents des visas concernant des demandes de visas de visiteur.

[22]               Un avis de question constitutionnelle a été signifié aux procureurs généraux et déposé auprès de la Cour le 16 février 2001. Cet avis est rédigé en partie ainsi :[TRADUCTION]

LES DEMANDEURS ont l'intention de contester la validité constitutionnelle de l'obligation pour tout visiteur qui est ressortissant d'un pays non énuméré à l'annexe II du Règlement sur l'immigration d'obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

LES DEMANDEURS ont également l'intention de contester la validité constitutionnelle de l'obligation pour tout visiteur qui est ressortissant chinois d'obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.    

[23]               La mise en balance de la dépense de ressources judiciaires par rapport au coût social de l'incertitude me conduit à conclure que la dépense de ressources judiciaires l'emporte sur le coût social. Je reviens à l'extrait des motifs de M. le juge Sopinka dans l'arrêt Borowski, précité, extrait qui apparaît au paragraphe [15] des présents motifs et que je répète ici par commodité :... La triste réalité est qu'il nous faut rationner et répartir entre les justiciables des ressources judiciaires limitées. Le fait que les litiges actifs qui reçoivent une autorisation de pourvoi en cette Cour représentent une faible proportion du nombre total des demandes présentées, témoigne de cette réalité. La saine économie des ressources judiciaires n'empêche pas l'utilisation de ces ressources, si limitées soient-elles, à la solution d'un litige théorique, lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient.


[24]            Comme c'est le cas à la Cour suprême du Canada, selon ce qu'indique M. le juge Sopinka, le nombre de litiges actuels à l'égard desquels la Cour fédérale accorde l'autorisation de présenter des demandes de contrôle judiciaire selon la Loi sur l'immigration constitue un faible pourcentage de ceux qui sont refusés. Encore une fois comme à la Cour suprême du Canada, et bien qu'à la Cour fédérale le critère de l'octroi de l'autorisation soit bien établi en droit, cette réalité suffit, j'en suis convaincu, à mettre en relief la « triste réalité [selon laquelle] il nous faut rationner et répartir entre les justiciables des ressources judiciaires limitées » . Le critère établi en droit fait suffisamment appel au discernement pour permettre à la « triste réalité » d'influer consciemment ou non sur le résultat de certaines demandes d'autorisation. Je suis convaincu que cette préoccupation l'emporte sur le coût social de la non-audition et de la non-résolution de cette demande de contrôle judiciaire.


[25]               Je passe finalement au troisième principe qui concerne l'obligation pour un tribunal de prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit. À cet égard, M. le juge Stone écrivait dans l'arrêt Nemsila, précité, au paragraphe [18] :... le législateur a envisagé que la responsabilité de procéder à un contrôle en appel devrait être confiée à la présente Cour, en première instance. Les questions soulevées dans le présent appel, qui sont des questions d'interprétation légale, relèvent de la fonction classique d'élaboration du droit de la présente Cour. Néanmoins, cette dernière n'est pas l'arbitre ultime du différend qui se pose dans le présent appel. Ce rôle revient à la Cour suprême du Canada. Ce fait soulève en soi les préoccupations exprimées... contre le fait de rendre jugement. Dans des décisions comme Borowski, précité, et un arrêt subséquent : Tremblay c. Daigle, il ne pouvait être question d'un appel subséquent. Par contraste, indépendamment de la question de savoir si le présent appel a été tranché en faveur ou à l'encontre de la position de l'appelant, le décès de ce dernier signifie que les avocats n'ont pu avoir d'instructions sur le fait de solliciter ou de refuser une demande éventuelle d'autorisation d'appel devant la Cour suprême du Canada ou de faire valoir le bien-fondé d'un appel devant cette Cour. Est également absent, en l'espèce, un intervenant qui pourrait fournir à ce stade-ci le contexte contradictoire nécessaire. Dans leur argumentation, les trois intervenants ont adopté des positions tout à fait contraires à celles de l'appelant.                                                                                                                                                                        [citations omises]    

[26]            Il demeure ici une partie d'intérêt qui pourrait faire appel de la décision de la Cour, mais la Cour reste néanmoins le premier degré, sur un ensemble possible de trois, pour la résolution des questions dont elle est saisie. Il est clair que le législateur voulait que la responsabilité du contrôle judiciaire des décisions comme celle dont la Cour est aujourd'hui saisie incombe à cette Cour en première instance, mais il est clair aussi qu'une décision de cette Cour serait loin de régler définitivement les questions.


[27]            Je suis convaincu que l'obligation pour la Cour de prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit requiert que les questions dont est saisie la Cour soient décidées dans le contexte d'un litige actuel. Si les questions dont je suis saisi étaient soumises à la Cour d'appel fédérale, voire d'une manière plus persuasive, à la Cour suprême du Canada, ma réponse aux deuxième et troisième principes pourrait bien être différente. Mais tel n'est pas le cas. Ici, les questions sont soumises à la section de première instance de la Cour fédérale du Canada, qui est la première étape du contrôle judiciaire de décisions comme celle visée ici par la demande de contrôle. Je suis convaincu que la nécessité pour la Cour de prendre en considération sa fonction véritable dans l'élaboration du droit, combinée à la préoccupation pour l'économie des ressources judiciaires, m'oblige à conclure que cette Cour devrait s'en tenir à sa fonction première, celle du contrôle judiciaire de décisions qui donnent lieu à un litige actuel, et qu'elle devrait, pour les cas qui à mon sens ne sont rien d'autre que des renvois, s'en remettre aux dispositions expresses de la loi en la matière.

CONCLUSION


[28]            Au regard de la brève analyse qui précède, je décide de refuser d'entendre cette demande de contrôle judiciaire. Des ressources importantes ont été investies dans la présentation de la demande jusqu'à son instruction, mais cet investissement est nettement moindre que ce ne serait le cas si le caractère théorique était apparu au moment de l'intervention de la Cour suprême du Canada ou de la Cour d'appel fédérale. Vu les dispositions actuelles en matière d'utilisation des années-personnes, les ressources de cette Cour, au niveau de la section de première instance, sont distribuées avec parcimonie. Il faut en toute priorité orienter ces ressources vers les matières où il subsiste un litige actuel. Certaines des questions soulevées par cette demande de contrôle judiciaire sont des questions de grande importance, mais je suis convaincu que toute décision rendue par cette Cour sur ces questions conduirait presque immanquablement à la certification d'une question et à un appel devant la section d'appel de la Cour fédérale, avec les conséquences que cela comporterait pour cette section de la Cour fédérale sur le plan des ressources additionnelles requises. Finalement, je suis convaincu que la résolution de ces questions devrait être réservée aux cas où il existe une question actuelle à trancher, même si un tel cas ne se présentera sans doute pas de sitôt et pourra avoir perdu de son actualité lorsque la demande pertinente de contrôle judiciaire sera en état d'être jugée.

[29]            Cette demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée en raison de son caractère théorique.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[30]            À la fin de l'audience, j'ai indiqué aux avocats ce que serait ma décision et je leur ai dit que les motifs suivraient. L'avocat des demandeurs m'a demandé de rédiger mes motifs et de les communiquer aux avocats pour qu'ils examinent l'opportunité de faire certifier une question grave de portée générale. J'ai accepté de le faire. Les présents motifs leur seront remis. Les avocats auront quatorze (14) jours à compter de la date de ces motifs pour présenter des conclusions sur la certification d'une question. Si l'une ou l'autre des parties décide de recommander la certification d'une question, alors l'avocat de l'autre partie aura le nombre restant de jours de ce délai pour répondre à la recommandation de certification.


DÉPENS

[31]            Il ne sera pas adjugé de dépens.

          « Frederick E. Gibson »             

                  J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

9 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6338-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Yu Qiu Teng et autre

et

Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 27 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE GIBSON

EN DATE DU                                     9 mars 2001

ONT COMPARU :

Davis Matas                                                      POUR LES DEMANDEURS

Aliyah Rahaman                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                                      POUR LES DEMANDEURS

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         (1997), 214 N.R. 383 (C.A.F.).

[2]         La référence de l'arrêt « Borowski » est Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

[3]         (1998), 147 F.T.R. 285.

[4]         (1997), 39 Imm. L.R. (2d) 78 (C.F., 1re inst.).

[5]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. (1985), appendice II, no 44), annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[6]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

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