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Date : 20030725

 

Dossier : T-185-03

 

Référence : 2003 CF 922

 

 

ENTRE :

 

                                                   ROYAL ROADS UNIVERSITY

 

                                                                                                                                    demanderesse

 

                                                                          - et -

 

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                      défenderesse

 

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MacKAY

 

 

[1]        Dans la présente action introduite par la demanderesse en janvier 2003, les deux parties cherchent à obtenir une ordonnance de jugement sommaire après le dépôt de la défense de Sa Majesté la Reine.

 

[2]        La demanderesse est une université constituée selon les lois de la province de la Colombie‑Britannique. Au printemps 1999, l’université a adopté et employé le slogan « You can get there from here » dans sa campagne publicitaire concernant ses services éducatifs. À partir du 29 mai 1999, ce slogan a été employé dans des annonces de journaux, dans des revues ainsi qu’à la télévision et à la radio. L’université a fait évaluer l’efficacité de ce slogan, et les personnes chargées de ce travail se sont dit convaincues que l’emploi du slogan contribuait à la promotion des programmes de l’université.


[3]        Placements Épargne Canada, organisme spécialisé de Sa Majesté la Reine, est responsable de la création, du marketing et de la gestion des produits d’épargne et de placements au détail pour le gouvernement du Canada. Cet organisme commercialise les obligations d’épargne du Canada  (les OÉC) et les obligations à prime du Canada (les OPC) auprès de la population canadienne sous la marque « Nouvelles obligations d’épargne du Canada ». Cette marque a été largement employée dans toutes ses campagnes de marketing depuis l’automne 1999. L’organisme a commencé à employer le slogan « You can get there from here » (« Vous pouvez y arriver ») dans sa campagne de marketing de 2001‑2002 pour promouvoir la vente des « Nouvelles obligations d’épargne du Canada ». Le slogan a été employé dans des messages publicitaires télévisés produits au début de 2001 et diffusés d’octobre à décembre 2001, puis lors de la campagne de marketing visant la promotion des ventes de 2002‑2003 et dans la publicité imprimée qui a été préparée en mars 2002 et distribuée en juillet de cette même année.

 

[4]        Les OÉC et les OPC de la défenderesse, commercialisées sous la marque « Nouvelles obligations d’épargne du Canada », ont figuré dans la publicité sous cette marque et ont fait, le 8 septembre 1999, l’objet d’une annonce dans le Journal des marques de commerce en tant que marque officielle conformément à l’alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce.

 


[5]        En décembre 2001, des représentants de la demanderesse ont remarqué que Placements Épargne Canada employait le slogan « You can get there from here » pour commercialiser ses obligations. L’université a par la suite présenté au registraire des marques de commerce une demande pour sa marque et, le 29 mai 2002, ce dernier a donné un avis public d’adoption de la marque « You can get there from here » par l’université en vertu de l’alinéa 9(1)n)(ii) de la Loi sur les marques de commerce. En septembre 2002, l’université a formellement avisé la défenderesse de la publication de sa marque officielle et a lui demandé de cesser d’employer cette marque. Après que la défenderesse a refusé d’obtempérer, la demanderesse a introduit son action par voie de déclaration.

 

[6]        Dans un affidavit souscrit à l’appui de la demande de jugement sommaire de la défenderesse, le vice‑président des services de marketing de l’organisme gouvernemental note que la défenderesse n’a pas inclus le slogan en litige, « You can get there from here », dans le matériel publicitaire de sa campagne de marketing visant la promotion des ventes de 2003‑2004 et qu’elle n’avait pas l’intention de l’employer dans cette campagne.

 

[7]        Dans sa demande de jugement sommaire, la demanderesse cherche à obtenir une injonction interdisant à la défenderesse d’employer la marque officielle de l’université « You can get there from here », une ordonnance de destruction de tous les produits emportant contrefaçon contenant cette marque, et l’adjudication des dépens. Dans sa déclaration, elle demandait également des dommages‑intérêts, réparation qu’elle ne cherche plus à obtenir. La défenderesse cherche, dans sa demande de jugement sommaire, à obtenir un jugement rejetant la totalité de la demande de la demanderesse et l’adjudication des dépens de sa requête.

 

Le contexte législatif

 

[8]        Les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce (la Loi), L.R.C. (1985), ch. T‑13, modifiée, sont les suivantes :

 

3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de cette marque au Canada.

 

3. A trade-mark is deemed to have been adopted by a person when that person or his predecessor in title commenced to use it in Canada or to make it known in Canada or, if that person or his predecessor had not previously so used it or made it known, when that person or his predecessor filed an application for its registration in Canada.

 


 

9. (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

 

 

 

[...]

 

 

 

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

 

 

 

[...]

 

 

 

(ii) d’une université,

 

 

 

[...]

 

 

 

à l’égard duquel le registraire, sur la demande de... l’université... a donné un avis public d’adoption et emploi; [...]

 

 

 

 

 

9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

...

 

 

 

 

 

(n) any badge, crest, emblem or mark

 

 

 

...

 

 

 

(ii) of any university, or

 

 

 

...

 

 

 

in respect of which the Registrar has, at the request of ... the university ... given public notice of its adoption and use;...

 

 

 

 

 

 

11. Nul ne peut employer relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque adoptée contrairement à l’article 9 ou 10 de la présente loi [...].

 

 

11. No person shall use in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark adopted contrary to section 9 or 10 of this Act...

 

[9]        La demanderesse prétend avoir droit, en vertu de principes bien établis de la common law, à l’emploi exclusif de la marque puisqu’elle l’a adoptée et employée avant que la défenderesse ne l’emploie. Elle n’a pas présenté d’argumentation à l’appui de ces droits et ils ne seront pas examinés de façon plus approfondie dans les présents motifs. À l’audience, les arguments de la demanderesse n’ont porté que sur les intérêts de l’université protégés par la Loi.

 


[10]      La demanderesse a également fait valoir que même si l’emploi de la marque par la défenderesse avant le 29 mai 2002, jour de la publication de l’avis de l’adoption de cette marque en tant que marque officielle de l’université, ne contrevient pas à l’alinéa  9(1)n)(ii) de la Loi, l’emploi ultérieur de cette marque par la défenderesse enfreint les articles 9 et 11 de la Loi. Selon la demanderesse, l’entreprise de la défenderesse commercialise chaque année une nouvelle série d’obligations pour la population canadienne. Chaque nouvelle série annuelle a un taux de rendement différent et vraisemblablement des numéros d’identification différents : il s’agit donc d’un produit nouveau disponible pendant un temps limité seulement. Par conséquent, la distribution du matériel publicitaire de la défenderesse après le 29 mai 2002 pour être employé dans la publicité des obligations émises en 2002‑2003, constituait un nouvel emploi de la marque officielle de la demanderesse par la défenderesse.

 

[11]      La défenderesse fait valoir que son emploi antérieur de la marque, emploi qui a précédé la date de la publication de la marque officielle, lui a conféré le droit de continuer à l’employer pour ses produits. Selon elle, ceux‑ci sont, d’année en année, essentiellement semblables : ce n’est, mis à part des marques d’identification, que le taux d’intérêt qui distingue les séries annuelles. Dans leurs argumentations, les deux avocats ont comparé les OÉC et les OPC à des hypothèques qui sont renouvelées périodiquement. L’avocate de la demanderesse a cependant fait valoir qu’une nouvelle hypothèque était constituée lors de chaque renouvellement, alors que l’avocat de la défenderesse a soutenu que si les seules conditions susceptibles de changer lors d’un renouvellement avaient trait aux taux d’intérêt et aux paiements qui les reflètent, l’hypothèque restait, dans son essence, le même produit jusqu’à la fin de son remboursement.

 


[12]      À mon avis, la comparaison de l’hypothèque n’est pas particulièrement utile. Je préfère examiner les circonstances de l’espèce au regard des dispositions pertinentes de la Loi. Selon l’interprétation que je fais de l’article 3, il est clair que la demanderesse est réputée avoir adopté la marque en question en 1999, alors que la défenderesse a adopté et employé la même marque à partir de 2001. La défenderesse n’a pas contrevenu à l’alinéa 9(1)n)(ii) en adoptant la marque à une date ultérieure tant et aussi longtemps qu’elle a employé cette marque avant le 29 mai 2002. Le juge MacGuigan de la Cour d’appel a réglé cette question dans l’arrêt Assoc. olympique canadienne c. Allied Corp., [1990] 1 C.F. 769, pages 774 et 775 (C.A.). Il a aussi dit, dans une remarque incidente, que la publication et l’enregistrement d’une marque officielle ne sont pas la même chose, de sorte qu’en l’espèce, si l’emploi antérieur de la marque par la défenderesse ne contrevenait pas à l’alinéa 9(1)n)(iii) [disposition comparable à l’alinéa 9(1)a)(ii)], il ne justifie pas celle‑ci d’enregistrer la marque après la présentation par la demanderesse de la demande d’avis d’adoption en tant que marque officielle. Une fois que l’avis est publié, l’utilisateur de la marque officielle a préséance sur tous les autres utilisateurs, mais pas sur celui qui établit qu’il a adopté et employé la marque avant la publication de l’avis.

 

[13]      Au cours de l’argumentation, les parties ont convenu qu’il faut se demander, dans la présente affaire, si l’emploi de la marque par la défenderesse après le 29 mai 2002 portait sur un même produit vendu avant et après cette date.

 

[14]      Je suis d’avis que l’alinéa 9(1)n)(ii) empêche l’adoption d’une marque par une autre personne après la publication d’un avis de marque officielle - en l’espèce, l’adoption d’une marque officielle de l’université demanderesse « relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement ». La défenderesse a exploité la même entreprise tant avant qu’après le 29 mai 2002, entreprise qui commercialisait des OÉC et des OPC sous la marque officielle « Nouvelles obligations d’épargne du Canada ». Les produits vendus par la défenderesse avant et après cette date étaient essentiellement semblables, bien que les séries annuelles aient pu avoir, pendant les années en cause, des taux d’intérêts et des numéros d’identification différents. À mon avis, l’adoption et l’emploi de la marque par la défenderesse avant la publication de la marque de la demanderesse en tant que marque officielle ne constituait pas une violation de l’alinéa 9(1)n)(ii), et cette publication n’a pas entraîné de changements dans l’entreprise de la défenderesse, qui a continué d’employer la marque dans sa publicité en 2002-2003.

 


[15]      En fait, la position de la défenderesse est à certains égards comparable à celle de la demanderesse. Cette dernière emploie la marque en question pour promouvoir divers cours, qui peuvent changer tous les ans et même plus souvent. On ne peut invoquer ces changements pour soutenir que la revendication de la marque officielle par la demanderesse ne peut viser que les cours offerts au moment de la publication de l’avis de la marque et ce, parce que l’essence de l’« entreprise » ou de l’activité liée à l’emploi de la marque par la demanderesse est, à mon sens, la fourniture de cours théoriques par le biais de méthodes innovatrices.

 

[16]      J’ai noté, dans une autre affaire, que la protection accordée par l’article 9 à l’égard d’un emploi antérieur d’une marque officielle ne s’étend pas à la commercialisation d’un produit nouveau et différent mis au point après la publication de la marque (voir Magnotta Winery Corporation et al. c. Vintners Quality Alliance, [2001] CFPI 1491). Si l’on tient pour acquis qu’il s’agit d’un énoncé exact du droit, je distingue les circonstances de l’espèce en statuant que les séries annuelles d’obligations, constituées d’obligations essentiellement semblables mais dont les taux d’intérêts diffèrent, ne sont pas des nouveaux produits de l’entreprise de la défenderesse.

 

[17]      Par conséquent, je rejette la demande de jugement sommaire de la demanderesse, j’accueille la demande de jugement sommaire de la défenderesse et je rejette l’action de la demanderesse.

 

[18]      Les deux parties ont demandé que leur soient adjugés les dépens, bien qu’elles s’entendent pour dire qu’ils suivent normalement l’issue de la cause. Sur le fondement de ce principe, j’adjuge les dépens à la défenderesse pour un montant que je fixe à 1500 $.

 


[19]      J’aimerais ajouter une remarque personnelle, à titre purement incident. Deux organismes qui servent le public de façons différentes et avec des programmes différents devraient être en mesure de prendre les dispositions nécessaires pour discuter des emplois envisagés d’une même marque, à laquelle j’estime qu’ils ont, en vertu de la Loi, tous deux droit jusqu’à un certain point, particulièrement dans la mesure où leurs programmes et produits respectifs sont différents et visent des consommateurs ou des auditoires qui, de façon générale, seront vraisemblablement distincts. Il est probable qu’à la longue l’emploi de la marque par la défenderesse, marque qui n’est pour elle qu’un slogan parmi tant d’autres, ait une importance moindre pour elle que pour l’université demanderesse.

« W. Andrew MacKay »

Juge

 

Vancouver (C.‑B.)

Le 25 juillet 2003

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Sandra Douyon de Azevedo, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE

 

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                   T-185-03

 

INTITULÉ :                                                  ROYAL ROADS UNIVERSITY c.

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                           Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          le 21 juillet 2003

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       le juge MacKAY

 

DATE DES MOTIFS :                                le 25 juillet 2003

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Natexa Verbrugge                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Sean Gaudet                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Verbrugge & Co. Law Corporation                 POUR LA DEMANDERESSE

Victoria (C.-B.)

 

Morris Rosenberg                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous‑procureur général du Canada

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