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     IMM-3079-96

OTTAWA (ONTARIO), le 2 octobre 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

     Yu Yi TSAI, domicilié et résidant au no 81-24,

     rue Cheng-Nan, Nan-Ning Li, Ching-Shui Town,

     Taichung Hsien, Taïwan,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION, a/s Sous-procureur

     général du Canada, Ministère de la Justice,

     dont les bureaux sont situés au Complexe Guy-Favreau,

     200, boul. René-Lévesque ouest, Tour est, 5e étage,

     dans la ville de Montréal, province de Québec,

     intimé.

     Contrôle judiciaire de la décision en date du 16 juillet 1996 par laquelle Gregory Chubak, deuxième secrétaire de la section de l'immigration de l'Ambassade du Canada à Séoul, en Corée, a rejeté la demande de résidence permanente du requérant.         

     O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision en date du 16 juillet 1996 de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas d'un autre bureau des visas pour réexamen.

                                 Yvon Pinard

                                         Juge

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     IMM-3079-96

ENTRE :

     Yu Yi TSAI, domicilié et résidant au no 81-24,

     rue Cheng-Nan, Nan-Ning Li, Ching-Shui Town,

     Taichung Hsien, Taïwan,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION, a/s Sous-procureur

     général du Canada, Ministère de la Justice,

     dont les bureaux sont situés au Complexe Guy-Favreau,

     200, boul. René-Lévesque ouest, Tour est, 5e étage,

     dans la ville de Montréal, province de Québec,

     intimé.

     Contrôle judiciaire de la décision en date du 16 juillet 1996 par laquelle Gregory Chubak, deuxième secrétaire de la section de l'immigration de l'Ambassade du Canada à Séoul, en Corée, a rejeté la demande de résidence permanente du requérant.         

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

     Le requérant demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 16 juillet 1996 par laquelle Gregory Chubak, deuxième secrétaire de la section de l'immigration de l'Ambassade du Canada à Séoul, en Corée (l'" agent des visas "), a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du requérant dans la catégorie des investisseurs.

     Dans sa lettre de refus, l'agent des visas a déclaré ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
         À mon avis, vous ne correspondez pas à la définition du terme investisseur parce que vous n'avez pas exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise commerciale. Malgré que vous possédiez une expérience considérable, le poste très élevé que vous occupez actuellement, bien qu'étant un poste de gestionnaire, ne satisfait pas à la définition susmentionnée. En dépit de votre participation à la comptabilité de J. C. Wang and Co. et des fonctions importantes que vous exercez dans cette entreprise, ces fonctions de cogestion ne sont pas suffisantes pour être considérées comme l'exploitation, le contrôle ou la direction d'une entreprise pour l'application de la Loi et du Règlement sur l'immigration. Comme vous l'avez expliqué et précisé à l'entrevue, vous êtes simplement l'un des trois cadres supérieurs dont les décisions concernant l'exploitation, la direction et le contrôle sont consensuelles et, en dépit de la participation sensiblement plus importante de vos deux collègues, ces décisions requièrent l'intervention et l'approbation de tous pour être effectivement exécutoires.         

     Dans la récente affaire To c. Canada (22 mai 1996), A-172-93, la Cour d'appel fédérale a examiné la norme de contrôle applicable à la décision d'une agente des visas de rejeter une demande de résidence permanente dans la catégorie des entrepreneurs. Le juge Stone a déclaré ce qui suit aux pages 2 et 3 :

         La demande d'entrée au Canada de l'appelant à titre d'" entrepreneur " [...] immigrant originaire de Hong Kong a donné lieu à une décision discrétionnaire de la part de l'agente d'immigration, décision qui devait être prise en fonction de critères précisés dans la loi. L'appelant avait l'intention d'établir une entreprise au Canada. Le fait qu'il était " en mesure " de le faire était l'un des critères applicables.         
         En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef adjoint Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 3 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour :         
         C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.                 
         À notre avis, ces conditions, dans la mesure où elles s'appliquent, ont été remplies en l'espèce. Par conséquent, aucune raison n'a été établie pour modifier la décision de la Section de première instance.         

                         [Non souligné dans l'original.]

     Comme il est mentionné dans l'affaire To, il peut y avoir des motifs d'intervention judiciaire lorsqu'un agent des visas se fonde sur des considérations inappropriées ou superflues, limitant de ce fait son pouvoir discrétionnaire. Le requérant en l'espèce soutient que l'agent des visas a intégré l'exigence d'un [TRADUCTION] " contrôle opérationnel absolu " dans la définition du terme " investisseur "1. Il convient de rappeler que l'investisseur est ainsi défini au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 :

         2. (1) Dans le présent règlement,         
     [...]
     " investisseur " Immigrant qui satisfait aux critères suivants :         
         a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;         
         b) il a fait un placement minimal depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;         
         c) il a accumulé par ses propres efforts :         
             (i) un avoir net d'au moins 500 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), b)(i), c)(i) ou (ii), d)(i) ou (ii) ou e)(i) ou (ii) de la définition de " placement minimal ",         
             (ii) un avoir net d'au moins 700 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(iii), b)(ii), c)(iii), d)(iii) ou e)(iii) de la définition de " placement minimal ".         

     Dans l'affaire Cheng c. Canada (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 162, le juge Cullen a conclu que la décision d'une agente des visas de rejeter la demande du droit d'établissement du requérant dans la catégorie des investisseurs devait être annulée au motif que l'agente avait " intégré des exigences supplémentaires aux critères d'admissibilité au programme des investisseurs, soit l'exploitation ou la responsabilité de l'exploitation d'une société dans son ensemble ". Il convient de citer le passage pertinent de l'affaire Cheng , qui figure à la page 166 :

         Je ne crois pas que l'agente ait respecté la politique expresse en l'espèce. Il ne s'agit pas là d'une erreur qui justifie en soi le renvoi du dossier pour réexamen (voir Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 41 F.T.R. 118 (C.F. 1re inst.)). Toutefois, à la lecture du raisonnement exprimé dans la lettre qu'elle a adressé au requérant le 19 novembre 1993 et de l'affidavit qu'elle a signé le 28 mars 1994, je crois qu'elle a intégré des exigences supplémentaires aux critères d'admissibilité au programme des investisseurs, soit l'exploitation ou la responsabilité de l'exploitation d'une société dans son ensemble. En effet, si elle a conclu que le requérant était en charge de l'exploitation d'une partie intégrante, rentable, de l'entreprise, il aurait dû satisfaire aux critères d'admissibilité, en l'absence d'autres facteurs. En l'espèce, le seul facteur que je peux ainsi discerner est l'exigence additionnelle qu'il ait exploité l'entreprise dans son ensemble. Cela signifie que seules les quelques personnes qui se situent à la tête de la hiérarchie de l'entreprise pourraient être admissibles, alors que celles qui occupent des postes comportant de grandes responsabilités concrètes ne le seraient pas.         
         Cette interprétation stricte de la définition du terme "investisseur" n'est pas compatible avec les politiques d'Immigration Canada énoncées dans le Règlement ou exposées dans les lignes directrices. Je ne vois aucune intention d'obliger le requérant à exploiter une entreprise ou un commerce lui appartenant en exclusivité. Cette interprétation est manifestement erronée et l'ajout d'un tel critère constitue une erreur de droit qui vicie l'exercice de la compétence de l'agente d'immigration et justifie le renvoi du dossier à un agent d'immigration différent afin qu'il le réexamine. En imposant ses propres critères à la définition du terme "investisseur" dans le cas du requérant, l'agente a essentiellement limité son pouvoir discrétionnaire. En outre, tant que de nouvelles lignes directrices ne sont pas mises en place, les parties visées par une politique ont le droit d'être traitées de façon uniforme, et de ne pas se voir imposer arbitrairement l'ajout d'un critère par chaque agent d'immigration.         

     [...]

         En l'espèce, l'agente a tenu compte de l'ensemble de la preuve produite pour prendre une décision qu'elle a fondée, en partie, sur une interprétation erronée du droit. Elle n'a pas de ce fait porté atteinte à l'équité procédurale à laquelle le requérant avait droit. Toutefois, lors du réexamen de son dossier, le requérant devra avoir l'occasion d'expliquer pourquoi il est admissible du fait qu'il a acquis de l'expérience en qualité de cadre supérieur d'une société par actions.         

                         [Non souligné dans l'original.]

     À mon avis, l'agent des visas en l'espèce a commis une erreur semblable à celle qu'a commis l'agente des visas dans l'affaire Cheng en intégrant l'exigence d'un " contrôle opérationnel absolu " de J. C. Wang and Company par le requérant. L'agent des visas a manifestement considéré la prise des décisions fondamentales touchant l'exploitation et la direction par consensus par un comité de direction composé de trois membres, dont le requérant, comme un facteur empêchant de conclure que le requérant avait " exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise ". Selon mon interprétation de la définition du terme " investisseur ", il n'existe aucune exigence portant qu'un requérant appartenant à cette catégorie doit avoir exercé un pouvoir décisionnel exclusif ou définitif au sein d'une personne morale. À mon avis, l'agent des visas a interprété cet aspect de la définition du terme investisseur de façon indûment restrictive. Le simple fait que le style de gestion d'une personne morale repose sur la prise de décision par consensus ne veut pas forcément dire que le requérant n'exerçait aucune fonction importante au sein de cette personne morale. Il ressort en réalité de la preuve que le requérant était l'une des trois seules personnes chargées de prendre des décisions définitives sur l'orientation générale de la personne morale.

     Par conséquent, la décision de l'agent des visas est annulée au motif que celui-ci a intégré des critères inappropriés et superflus à la définition du terme investisseur, de sorte qu'il a limité son pouvoir discrétionnaire et commis une erreur de droit. L'affaire est donc renvoyée à un autre agent des visas d'un autre bureau des visas pour réexamen.

     Il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il convient de certifier une question.

                                 Yvon Pinard

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 2 octobre 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-3079-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          YU YI TSAI c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 24 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD en date du 2 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Julius Grey                          POUR LE REQUÉRANT

M. Daniel Latulippe                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Grey Casgrain                          POUR LE REQUÉRANT

Montréal (Québec)

M. George Thomson                      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Paragraphe 14 de l'affidavit de Gregory Jeno Chubak.

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