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Date : 20030529

Dossier : T-2007-02

                                       Référence neutre : 2003 CFPI 670

ENTRE :

             Melvin Wanderingspirit, Delphine Beaulieu,

             Toni Heron, Raymond Beaver et Sonny McDonald

   en leur qualitéde conseillers de la Première Nation Salt River

                      no 195, élus le 30 août 2002

                                    

                                                               demandeurs

                                    

ET :

            Victor Marie Chef incontesté, et Norman Starr

    membre incontestédu Conseil de bande dûment élu, Nora Beaver,

     David Gowans, Connie Benwell, Michel Bjornson, Harvey Lepine,

et Don Tourangeau, censément élus conseillers de la bande lors d'une réunion tenue le 3 novembre 2002, et Jeannie Marie-Jewell, agissant à titre de gestionnaire intérimaire de la bande.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur l'élection tenue le 3 novembre 2002 par la Première nation Salt River no 195 (PNSR) lors d'une assemblée spéciale tenue par certains membres de la bande au cours de laquelle les demandeurs, tous conseillers dûment élus de la PNSR, ont censément été démis de leurs fonctions de conseillers de la bande pour être remplacés par les défendeurs Nora Beaver, David Gowans, Connie Benwell, Norman Starr, Michel Bjornson, Harvey Lepine et Don Tourangeau.

[2]                 Les demandeurs souhaitent obtenir une déclaration à l'effet qu'ils représentent les conseillers dûment élus de la PNSR, une ordonnance de la nature d'un certiorari annulant l'élection tenue le 3 novembre 2002 lors d'une assemblée spéciale au cours de laquelle ont censément été remplacés les conseillers dûment élus au mois d'août 2002 et finalement une injonction interdisant aux défendeurs de se présenter à titre de conseillers dûment élus de la bande et leur interdisant de gérer les biens et les affaires de la PNSR.

[3]                 Le Chef et les conseillers de la PNSR sont élus selon la coutume et ils ne sont assujettis à aucune ordonnance en vertu de l'article 74 de la Loi sur les Indiens ou du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens. Les élections se tiennent habituellement à tous les deux ans.

[4]                 Les demandeurs allèguent que, lors de l'assemblée du 3 novembre 2002, contrairement à la coutume de la bande, le vote ne s'est pas déroulé par scrutin secret; aucun avis n'a été transmis à l'ensemble des membres pour les informer qu'il y aurait élection de nouveaux conseillers; l'assemblée était désordonnée et perturbée et que, dans les faits, Jeannie Marie Jewell a mené l'assemblée sans égard pour les procédures et la coutume ayant prévalu depuis des années pour l'élection des dirigeants de la PNSR.


[5]                 Il a été convenu dès le départ que la réparation demandée ne s'appliquerait pas au défendeur Victor Marie, chef de la bande, ni à Norman Starr, un membre du conseil de bande dûment élu lors de l'élection du mois d'août 2002.

[6]                 La Première nation Salt River no 195 constitue une bande autochtone située à Fort Smith dans les T.N.-O qui compte environ 550 membres dûment enregistrés dont 170 résident dans la ville de Fort Smith, d'autres dans la périphérie, et approximativement 100 résident dans chacune des villes de Yellowknife et d'Edmonton.

[7]                 Il importe de mentionner que la PNSR a conclu, le 13 novembre 2001, avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada, une convention de règlement de ses droits fonciers. À la suite de discussions, la PNSR a signé, le 4 mars 2002, un contrat de fiducie avec la Compagnie Trust Royal, laquelle agit à titre de fiduciaire. Certaines sommes d'argent, totalisant plus de 60 000 000 $, acceptées par la PNSR et versées par le gouvernement du Canada à titre de règlement de la revendication relative aux droits fonciers, sont actuellement détenues en fiducie en vertu du contrat de fiducie. En passant, qu'il me soit permis de souligner que plusieurs activités bénéfiques ont été mises de l'avant par le Conseil de bande demandeur et que l'utilisation de ces très importantes sommes d'argent est devenu un enjeu majeur entre les diverses factions de la PNSR.

[8]                 Le règlement est survenu après de nombreuses années de négociation entre les conseils de bande précédents et Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

[9]                 James Schaeffer, un ancien chef de la PNSR élu le 3 février 2000, est demeuré en poste jusqu'au mois d'août 2002, lorsqu'il a alors été remplacé par le chef Victor Marie. Dans son affidavit, il mentionne que l'entente intervenue avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada a été ratifiée par un vote de la PNSR tenu en décembre 2001. Toutefois, la signature finale et la mise en oeuvre ne sont intervenues que le 22 juin 2002. En conséquence, le conseil de bande a prolongé la durée de son mandat, qui se serait autrement terminé en février, afin d'assurer la continuité pour mener l'entente jusqu'à sa conclusion finale. Les élections ont donc été reportées au 30 août 2002. Il affirme sous serment que la prolongation de son mandat ne constituait pas une élection, mais représentait plutôt une solution pragmatique afin d'assurer la mise en oeuvre de l'entente.

La séquence des événements menant à l'élection du 3 novembre 2002


[10]            Au mois d'août 2002, à la suite d'élections tenues selon la coutume, le chef Victor Marie a été élu en compagnie du conseiller et défendeur Norman Starr et de tous les demandeurs ayant également été élus à titre de conseillers. Ils sont officiellement entrés en fonction et ont débuté la gestion des affaires de la bande. Peu après les élections, le chef Victor Marie embauche sa soeur Jeannie Marie Jewell à titre de gestionnaire intérimaire de la bande. La rémunération pour ses services est fixée à 300 $ par jour et à 86 $ par heure supplémentaire.

[11]            Peu après avoir débuté dans ses nouvelles fonctions, il est allégué que Jeannie Marie Jewell a pris plusieurs initiatives sans l'autorisation du conseil de bande. Lors d'une réunion tenue le 9 octobre 2002, et en raison des inquiétude des membres du conseil concernant sa gestion des affaires de la bande, tous les membres du conseil, à l'exception du chef Victor Marie, ont décidé de mettre fin à son emploi par une résolution adoptée à cet effet.

[12]            Au cours d'une pause déjeuner, le chef Victor Marie s'est présenté à celle qui, à l'époque, représentait l'agente financière intérimaire pour l'informer de son congédiement. Après la reprise de la réunion, les conseillers ont informé le chef qu'eux seuls avaient le pouvoir de congédier des employés. Le chef Victor Marie, se sentant réprimandé, a quitté la réunion et a refusé d'y revenir.

[13]            Le chef Victor Marie n'a pas respecté la résolution du conseil de bande limogeant sa soeur Jeannie Marie Jewell. En conséquence, une motion de non confiance envers le chef a été présentée et une résolution afin de le révoquer de ses fonctions a été adoptée.


[14]            À la suite de ces incidents, le chef a continué d'occuper les bureaux du conseil de bande. Il a changé les serrures sur les portes et a empêché les conseillers dûment élus de s'y présenter. Ils se sont néanmoins réunis et les conseillers ont appris que Jeannie Marie Jewell avait toujours accès aux bureaux et aux dossiers de la bande. Le 17 octobre 2002 les conseillers ont formellement adopté une résolution déclarant leur intention de révoquer le chef de ses fonctions. Ils ont fait circuler parmi les membres de la bande une lettre décrivant sommairement leurs préoccupations au sujet du chef et da sa soeur Jeannie Marie Jewell.

[15]            Un avis officiel a été rédigé et transmis aux membres de la bande. Il a également été annoncé à la radio et à la télévision locale qu'une assemblée devait se tenir au Uncle Gabes' Friendship Centre de Fort Smith, le 3 novembre 2002, et que l'ordre du jour était le suivant :

1) Prière d'ouverture - Lena Paul

2) Mot de bienvenue - Raymond Beaver

3) RCB du 9 octobre 2002 - révocation du chef Victor Marie

[16]            À la suite de cet avis officiel, la défenderesse Jeannie Marie Jewell a communiqué avec des membres de la bande à Yellowknife et à Edmonton. Elle a retenu les services d'organisateurs à chaque endroit afin qu'ils recrutent des appuis pour le chef et qu'ils encouragent les membres à se présenter à l'assemblée du 3 novembre 2002. Elle a également pris les arrangements nécessaires afin de noliser un avion en provenance de Yellowknife et des autobus en provenance d'Edmonton afin que les membres de la bande puissent venir à Fort Smith participer à l'assemblée afin d'appuyer son frère, le chef Victor Marie.

[17]            Après avoir été mis au courant de cette initiative, les conseillers ont annulé les transports nolisés. Néanmoins, Jeannie Marie Jewell et ses soeurs ont informé les organisateurs dans les deux villes, Yellowknife et Edmonton, qu'elles paieraient personnellement les transports nolisés ainsi que les frais de chambres d'hôtel à Fort Smith.

[18]            À la suite de l'élection censément tenue le 3 novembre 2002, au cours de laquelle les conseillers demandeurs ont été démis de leurs fonctions, il appert, selon la preuve, que les transports nolisés ont été payés à même les fonds de la bande, que les organisateurs à Yellowknife et à Edmonton ont reçu 1 700 $ chacun, que les factures d'hôtel ont été payées et que les personnes qui se sont déplacées à Fort Smith afin de participer à l'assemblée ont reçu un jeton de présence de 100 $. En fait, les sommes déboursées à même les fonds de la bande se situaient entre 20 000 $ et 24 000 $.

[19]            Dans l'un de ses affidavits assermentés présentés dans le cadre des présentes procédures, Jeannie Marie Jewell se décrit de la façon suivante :

[traduction]

J'ai été la première femme autochtone au Canada présidente d'une Assemblée législative, ayant été nommée à ce poste de présidente par tous les membres de l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest.

J'ai également été la première Indienne visée par le traité dénié à occuper divers postes au conseil des ministres du gouvernement territorial à titre de ministre des Services sociaux, ministre du Personnel, ministre de la Condition féminine, ministre responsable de la Commission des accidents du travail et ministre responsable de la Commission du transport routier.

J'ai été membre du conseil municipal de la ville de Fort Smith ainsi que membre du conseil de bande de la Première nation Salt River.


[20]            Jeannie Marie Jewell a déjà connu beaucoup de succès sur la scène politique et il s'agit sans contredit d'une personne très talentueuse. Visiblement, elle peut exercer une influence considérable sur son milieu et cela a été démontré de façon évidente au cours des événements précédant l'assemblée du 3 novembre 2003 ainsi qu'au cours de l'assemblée même tenue au Uncle Gabe's Friendship Centre.

[21]            Pour ce qui est de l'énoncé des faits survenus au cours de l'assemblée, la Cour s'est appuyée sur la preuve fournie par Clayton J. Burke, un résidant de Fort Smith. Ce dernier a agi à titre de président de l'assemblée et a fourni, dans le cadre de la procédure en l'espèce, un affidavit assermenté signé en date du 16 décembre 2002.

[22]            Voici un bref résumé expliquant comment M. Burke a été choisi à titre de président de l'assemblée. Il habite sur la Réserve mais il n'est pas membre de la bande. Il est un homme d'affaires très respecté, bien accepté par les divers groupes exprimant des idées divergentes sur la gestion des affaires de la bande. Il a par le passé été invité à présider plusieurs assemblées de la PNSR. Les conseillers l'ont invité à présider l'assemblée et il a accepté par courtoisie pour les membres de la bande. Dans son affidavit, il déclare sous serment qu'il ne possède aucune allégeance ou ne ressent aucune animosité envers quelque groupe que ce soit de la PNSR. J'accepte sans réserve sa preuve. Son affidavit est corroboré par les notes qu'il a prises au cours de l'assemblée ainsi que par la transcription d'un enregistrement audio effectué pendant l'assemblée.


[23]          Je résume brièvement l'affidavit. L'assemblée a débuté vers 14 h pour se terminer vers 19 h 30, le dimanche 3 novembre 2002. L'ordre du jour, qui avait été transmis avec l'avis de l'assemblée, était affiché dans le foyer du Uncle Gabe's Friendship Centre.

[24]            Selon la perception de M. Burke, l'assemblée a [traduction] « de façon évidente été perturbée et détournée de son but » par les partisans du chef Victor Marie.

[25]            Tel qu'il l'explique, le but de l'assemblée consistait à tenir un vote, au moyen d'un scrutin secret, à l'égard de la proposition visant à ratifier la résolution du conseil de bande pour révoquer Victor Marie de ses fonctions de chef. Lorsque la proposition a été présentée à l'assemblée, le chahut a débuté. Les partisans de Victor Marie étaient assis d'un côté de la salle et ils ont commencé à crier et à chahuter alors que les conseillers du conseil de bande tentaient d'expliquer pourquoi l'assemblée avait été convoquée. La situation est rapidement devenue hors contrôle. Avant que le vote n'ait lieu, plusieurs membres de la PNSR ont quitté l'assemblée, indignés.

[26]            Monsieur Burke a perdu le contrôle de l'assemblée et Jeannie Marie Jewell a alors pris les commandes. Il a tenté de ramener l'ordre et on lui a alors dit qu'il serait remplacé s'il persistait dans cette démarche. Il était bien conscient que l'assemblée avait été détournée de son but mais il n'a pas quitté car il croyait que cela aurait été un geste peu courtois.


[27]            Les partisans du chef Victor Marie ont refusé d'utiliser les bulletins de vote et les urnes fournis par le conseil de bande. Certaines personnes estimaient que les bulletins de vote portaient à confusion - Faut-il voter affirmativement afin d'appuyer la résolution ou est-ce le contraire? Sans même tenter d'offrir la moindre explication, Jeannie Marie Jewell est intervenue et a demandé un vote à main levée. Elle a alors suggéré que chaque groupe se place d'un coté ou de l'autre d'une ligne apparaissant sur le sol afin d'indiquer son appui ou son opposition à la proposition de révocation du chef. M. Burke affirme sous serment que, pendant ce temps, au moins 50 membres de la bande ont quitté la salle sans participer au vote.

[28]            Finalement, il a été convenu que les personnes qui souhaitaient voter se présentent à la table principale afin de faire connaître leur choix quant à savoir si elles étaient pour ou contre la proposition. Le résultat : 65 membres étaient en faveur de la proposition et 85 membres étaient contre. Une fois les résultats connus, les partisans du chef ont commencé à chahuter les personnes ayant voté en faveur de la proposition. À ce moment plus de la moitié des personnes présentes ont quitté, y compris les membres du conseil de bande, à l'exception de M. Starr.

[29]            Après cet incident, il ne restait plus dans la salle de réunion qu'une cinquantaine de partisans du chef. Au cours de la dernière partie de l'assemblée, d'autres propositions ont été présentées. Selon la perception de M. Burke, les résultats du reste de l'assemblée dépendaient de la voyoucratie.


[30]            À la lecture des affidavits déposés à l'appui de la présente requête, dont celui de M. Burke et d'autres participants à l'assemblée ainsi que d'anciens membres du conseil de bande et de résidants de la communauté, il appert qu'environ 200 membres étaient présents au début de l'assemblée. Après le rejet de la proposition visant à révoquer le chef Victor Marie, Jeannie Marie Jewell a, de façon évidente, pris le contrôle de l'assemblée. Elle a présenté une proposition visant à retirer le mandat du conseil légitimement élu au mois d'août 2002. La proposition a été adoptée. Par la suite, sept nouveaux conseillers devaient être élus. La proposition a été adoptée. Chaque nouveau conseiller de la bande a été mis en nomination individuellement par voie de proposition et était alors élu. Il a par la suite été proposé que le conseil de bande paie les jetons de présence, les frais de chambre d'hôtel, de repas, et de déplacement par automobile, par autobus ou par avion pour toutes les personnes venues de l'extérieur de la ville. Cette proposition a été adoptée.

[31]            Quelques autres propositions accessoires ont été adoptées, notamment la suggestion de développer une politique pour l'adoption d'un nouveau code électoral et celle voulant que le chef et les conseillers occupent leurs fonctions pour des mandats de deux ans.

[32]            Toutes les propositions, y compris l'élection de nouveaux conseillers, sauf la résolution visant à révoquer le chef, ont été votées à mains levées.


Historique et procédure électorale suivie par la PNSR

[33]            Selon la preuve fournie par affidavit ainsi que les documents produits à l'appui, il semble que la procédure électorale suivie par le conseil de bande de la PNSR pour les élections a presque toujours été la même depuis à peu près 1990. James Scheaffer, un ancien chef, déclare sous serment qu'avant l'élection du mois d'août 2002 une résolution du conseil de bande a été adoptée et un avis d'élection donné environ un mois avant la tenue de l'élection et qu'on a transmis par la même occasion l'information requise pour les personnes désireuses de soumettre leur candidature. De nouveaux avis ont été affichés environ deux semaines avant la date de l'élection, indiquant la date, l'heure et le lieu de l'assemblée ainsi que la liste des candidats. Parlant de sa propre élection en février 2000, il confirme que l'élection s'est déroulée au moyen d'un scrutin secret, une méthode de votation utilisée depuis le milieu des années 1990. Il déclare sous serment que, depuis plusieurs années, trois éléments essentiels s'appliquent au moment de chaque élection : a) un avis d'élection est donné au moins un mois avant la tenue de l'élection; b) tous les candidats doivent être des résidants de Fort Smith depuis au moins un an et c) le vote s'effectue au moyen d'un scrutin secret.

[34]            Selon M. Scheaffer, le vote par scrutin secret est en vigueur depuis au moins 1992. La preuve documentaire provenant du Salve River Journal de juin 1990 confirme que des avis publics officiels étaient publiés au sujet des élections.

[35]            M. Ken Laviolette, un membre de la PNSR résidant de Fort Smith et ancien conseiller déclare qu'au début des années 1990, les élections se tenaient tous les deux ans au moyen d'un vote à main levée lors d'une assemblée générale qui se déroulait habituellement au début de l'été, aux alentours de la date anniversaire du Traité. Même à cette époque, un avis d'élection était donné indiquant le nom des candidats et à quel poste ils se présentaient. Il confirme qu'au cours des années 1990 le chef et les conseillers ont mis en place un nouveau système de scrutin secret qui est, depuis, devenu partie intégrante de la coutume en matière d'élection. Il confirme également que, selon la coutume, il est nécessaire de donner un avis indiquant la date, l'heure et le lieu de l'élection ainsi que le nom des candidats, ceux-ci doivent être des résidants de Fort Smith et le vote doit se dérouler par scrutin secret.

[36]            Raymond Beaver, qui a été chef de la PNSR de 1981 à 1986 et conseiller pendant de nombreuses années, confirme que, même à l'époque où les assemblées avaient lieu aux alentours de la date anniversaire du Traité, tous les membres étaient au courant qu'une élection aurait lieu au cours de l'assemblée. Il se souvient que tous les membres recevaient un avis avant l'élection. Il affirme sous serment que la PNSR a commencé à utiliser le mode de scrutin secret au début des années 1990 et que cette pratique a fait partie de la coutume pour toutes les élections tenues depuis ce temps.


[37]            Dans le cadre de la présente procédure, plusieurs procès-verbaux et résolutions de la PNSR remontant à 1992 ont été produits. Une résolution en date du 15 juin 1994 confirme qu'une élection s'est tenue le 13 juin de la même année et que l'élection et les candidatures ont été rendues publiques. Une résolution du conseil de bande du 16 mai 1995 confirme que les mises en candidature aux postes de chef et de conseillers se terminaient le 12 mai 1995, que l'élection s'est déroulée le 15 mai et que le tout a été rendu public. Une résolution du conseil de bande du 26 mai 1997 confirme que l'élection pour cette année-là s'est tenue le 11 septembre, que l'avis d'élection indiquant la date de clôture des mises en candidature devait être affiché 30 jours avant la date prévue de l'élection et que l'élection se déroulerait par scrutin secret. Une résolution du conseil de bande du 12 mai 1998 confirme que les mises en candidature aux postes de chef et de conseillers ont été rendues publiques, qu'elles se sont terminées le 1er mai 1998 et que l'élection s'est tenue le 8 mai 1998. Une résolution du conseil de bande du 7 octobre 1999 confirme l'élection de trois nouveaux conseillers au moyen d'un scrutin secret. Une résolution du conseil de bande du 3 février 2000 confirme qu'un avis public a été donné, de la part du conseil, que les mises en candidatures se terminaient le 28 janvier 2000 et que l'élection s'est déroulée le 3 février 2000.


[38]            Un énoncé de politique contenu dans une résolution du conseil de bande du 8 février 2002 confirme, et je cite : [traduction] « Les coutumes et les traditions de la PNSR exigent que l'élection des dirigeants se fasse de manière démocratique, juste et honnête » . La résolution mentionne également que la prochaine élection sera menée en vertu d'une constitution et d'un code électoral. La politique préélectorale a été rédigée le 30 août 2002 et est contenue au livre des procès-verbaux dans lequel sont enregistrées toutes les résolutions et les activités quotidiennes de la PNSR. Il y est écrit que la politique proposée respecte les coutumes suivies par la PNSR en ce qui concerne les élections. La date de l'élection est rendue publique tout comme la période de mises en candidature et la date de clôture des mises en candidature. À la suite de la clôture des mises en candidature, le comité électoral distribue un avis indiquant le nom des candidats à l'élection. Le vote se déroule par scrutin secret. Bien que cela n'ait pas été officiellement et formellement approuvé par l'ensemble des membres et bien que cette politique contiennent beaucoup plus de précisions et de règles de procédure, je n'ai que résumé l'essentiel de ce qui reflète l'intention de la PNSR.

[39]            S'appuyant sur ces faits, les demandeurs ont introduit la présente demande à la Cour afin qu'une ordonnance soit émise concernant l'élection censément tenue le 3 novembre 2002 afin de la faire déclarer nulle et sans effet, le tout fondé sur le fait qu'elle s'est déroulée de façon contraire à la coutume de la PNSR pour ce qui est de l'élection des membres du conseil de bande et qu'elle contrevient aux principes d'équité et de justice naturelle. Ils demandent également qu'une ordonnance soit émise afin de déclarer les demandeurs et Norman Starr conseillers dûment élus de la Première Nation Salt River.


[40]            Avant de me pencher sur le bien-fondé de la demande, je souhaite écarter l'argument des défendeurs à l'effet que Clayton Burke aurait dû être inclus comme partie à la demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas d'accord avec cette prétention. M. Burke n'est pas membre de la bande. On lui a demandé de participer à l'assemblée du 3 novembre 2002 à titre de président de l'extérieur. Il n'a pas rendu de décision ou tranché de questions lors de l'assemblée, ayant simplement pris des notes sur le déroulement de cette assemblée. En résumé, il ne s'agit pas d'un décideur à l'égard duquel la Cour a juridiction dans le cadre de ses fonctions de contrôle judiciaire.

[41]            La question fondamentale à résoudre pour la Cour est claire. La Loi sur les Indiens prévoit deux méthodes possibles pour l'élection d'un grand chef et des conseillers de la bande. La première méthode consiste en la procédure établie par l'article 74 de la Loi alors que la deuxième méthode est selon la coutume de la bande selon laquelle les membres de la bande déterminent eux-mêmes qui peut voter ainsi que la procédure électorale à suivre. Dans la cause Bone c. Conseil de bande indienne de Sioux Valley No 290 [1996] 3 C.N.L.R. 54, le juge Strayer déclare :

Sauf si elle est définie par ailleurs dans le cas d'une bande donnée, la « coutume » doit inclure, à mon sens, des pratiques touchant le choix d'un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font l'objet d'un large consensus.

[42]            Afin d'être considéré comme une coutume, [traduction] « la pratique concernant une question ou une situation particulière visée par cette règle doit être clairement établie, d'usage généralisé et suivi de façon constante et consciencieuse par une majorité de membres de la collectivité, démontrant ainsi un "large consensus" quant à son application » [1].

[43]            En l'espèce, il existe une preuve non équivoque à l'effet que la Première nation Salt River possédait une coutume électorale bien établie. Les pratiques constantes comprenaient des élections à intervalles d'environ deux ans, des avis d'élection, la clôture des mises en candidature avant la tenue des élections, des élections par scrutin secret, un conseil composé d'un chef et de six ou sept conseillers et l'exigence voulant que les membres soient âgés de dix-huit ans afin de pouvoir voter.

[44]            La preuve présentée à la Cour montre clairement que ces pratiques n'ont pas été suivies lors de l'élection censément tenue le 3 novembre 2002. Cet événement s'est déroulé suivant une procédure totalement incompatible avec la coutume contemporaine de la bande puisqu'il n'y a eu aucun avis préalable informant les membres de la tenue d'une élection, il n'y a pas eu de période de mises en candidature et le vote ne s'est pas déroulé par scrutin secret. De plus, cette « élection » très inhabituelle s'est déroulée au cours d'une assemblée à laquelle ne participaient que cinquante ou soixante membres, sur une possibilité de plus de cinq cents électeurs.


[45]            Il est vrai que la « coutume » n'est pas statique et qu'elle peut évoluer. Toutefois, tout changement requiert un large consensus des membres de la bande. Tant et aussi longtemps que la coutume établie n'a pas été modifiée, elle continue de s'appliquer. Une élection menée en suivant une procédure incompatible avec la coutume préexistante sera, en conséquence, non valide à moins de faire la preuve que la coutume préexistante a été modifiée à la suite d'un large consensus des membres de la bande. Un tel consensus requiert plus qu'une majorité simple. Cela exige une expression très claire du désir des membres de la bande d'être régis par de nouvelles règles.

[46]            Il n'existe absolument aucune preuve à l'effet qu'il y aurait eu un large consensus de la PNSR pour modifier la coutume électorale qui a été constamment suivie depuis l'époque où Jerry Paulette occupait les fonctions de chef au début des années 1990, coutume qui a également été suivie lors de l'élection du mois d'août 2002. Les défendeurs soutiennent que, parce que la coutume de la PNSR n'a pas été codifiée, il n'existerait donc aucune règle d'application continue en matière d'élection. Ils reconnaissent que les coutumes et les traditions exigent la tenue d'élections démocratiques, justes et honnêtes, mais ils soutiennent qu'une décision prise par une majorité simple d'un groupe de quarante électeurs réunis dans une assemblée convoquée par le conseil de bande, peu importe l'objet de l'assemblée, a préséance sur toute coutume préexistante. Selon les défendeurs, vingt et un électeurs dans un groupe de quarante personnes présentes à une assemblée pourraient décider de tenir une élection sur-le-champ.


[47]            Il s'agit d'une position erronée qui s'appuie sur une mauvaise conception du sens de l'expression « coutume » . Une coutume électorale n'a pas à être codifiée ou écrite de quelque manière que ce soit. La coutume peut être établie selon des pratiques électorales non écrites suivies de manière constante au cours des élections précédentes, dans la mesure où elles ne sont pas contestées par les membres de la bande. De plus, une « coutume » au sens de la Loi sur les Indiens est un ensemble de droits qui s'appliquent tant et aussi longtemps qu'ils n'ont pas été modifiés par une procédure établie. En effet, contrairement à ce que prétendent les défendeurs, les pratiques électorales habituelles de la PNSR ne peuvent être modifiées selon les besoins du moment à une assemblée au cours de laquelle il n'était pas prévu de discuter d'une telle question puisqu'aucun avis n'avait été donné à cet effet.

[48]            Non seulement l'élection des défendeurs censément tenue le 3 novembre 2002 n'a pas été menée selon les coutumes électorales de la PNSR, le processus dans son ensemble violait les principes les plus fondamentaux de justice naturelle et d'équité. Il est impératif qu'un avis raisonnable soit donné aux membres d'une Première nation concernant l'élection de ses dirigeants. Lorsqu'aucun avis n'est donné, cela a pour effet de priver de leurs droits de vote les électeurs qui ne sont pas présents à l'endroit et à l'heure fixés pour l'élection. C'est précisément ce qui s'est passé en l'espèce. La volonté des membres de la PNSR est exprimée par leur adhésion, tout au long des années 1990, aux principes d'équité et de démocratie, notamment par la tenue d'élections au moyen d'un scrutin secret après qu'un avis ait été donné à cet effet. Ce qui s'est produit le 3 novembre 2002 est l'expression de la volonté d'un petit groupe de dissidents de la PNSR qui a profité de l'absence de la grande majorité des membres. En tenant une élection sans préavis, ils ont effectivement privé les membres absents de leur droit de vote.


[49]            Pour tous ces motifs, la supposée révocation des demandeurs de leurs fonctions de conseillers de la PNSR lors de l'assemblée des membres tenue le 3 novembre 2002 est nulle et sans effet. La supposée élection des défendeurs Nora Beaver, David Gowan, Connie Benwell, Norman Starr, Michel Bjornson, Harvey Lepine et Don Tourangeau lors de cette assemblée est également nulle et sans effet. Les demandeurs et Norman Starr sont les conseillers dûment élus de la Première nation Salt River. Bien que les demandeurs ait demandé à la Cour d'interdire à Jeannie Marie Jewell de pénétrer dans les bureaux ou tout autre bâtiment de la PNSR, la Cour n'a pas juridiction pour émettre une telle ordonnance dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Le conseil de bande actuel a déjà présenté une proposition à ce sujet et c'est maintenant à eux de régler ce cas à l'interne. Le tout avec dépens en faveur des demandeurs.


[50]            Le 10 janvier 2003, la Cour ordonnait que le compte en fiducie géré par RBC Investissements, Services autochtones de Winnipeg au Manitoba, soit gelé jusqu'à nouvel avis de la Cour. La Cour a de plus alors ordonné que deux comptes bancaires de société, soit le 4991NT Ltd. et le 4992NT Ltd. ouverts à la succursale de la Banque de Montréal de Fort Smith, T.N.-O., demeurent également gelés jusqu'à ce qu'une nouvelle ordonnance de la Cour soit émise à ce sujet. Il a été de plus ordonné que les transactions dans divers autres comptes bancaires détenus par le conseil de bande, à la Banque de Montréal, succursale de Fort Smith, T.N.-O., soient limitées et que seuls les paiements pour les salaires et certaines autres transactions soient autorisés. Cette ordonnance demeure en vigueur jusqu'à l'expiration du délai d'appel, trente jours à compter de la date de la présente ordonnance. Dans l'éventualité où les parties auraient besoin d'obtenir des autorisations particulières concernant ces paiements autorisés, elles pourront présenter une demande à cet effet à la Cour et des conférences téléphoniques pourront être organisées afin d'assurer la bonne gestion des affaires de la bande.

        « P. Rouleau »

                Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 29 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :     T-2007-02

INTITULÉ :

Melvin Wanderingspirit, Delphine Beaulieu, Toni Heron, Raymond Beaver and Sonny McDonald en leur qualité de conseillers de la Première nation Salt River no 195, élus le 30 août 2002

- et -                                           

Victor Marie chef incontesté, et Norman Starr membre incontesté du conseil de bande dûment élu, Nora Beaver, David Gowans, Connie Benwell, Michel Bjornson, Harvey Lepine et Don Tourangeau, censément élus conseillers de la Bande lors d'une réunion tenue le 3 novembre 2002 et Jeannie Marie-Jewell, agissant à titre de gestionnaire intérimaire de la Bande

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 23 avril 2003

DATE DES MOTIFS :                       Le 29 mai 2003

COMPARUTIONS :

Christopher Harvey, c.r. et                                             POUR LES DEMANDEURS

Kevin G. O'Callaghan

Robert A. Philp, c.r.                                                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacKenzie Fujisawa

Bureau 1600 - 1095, rue Pender Ouest

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6E 2M6                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Fasken Martineau DuMoulin

Bureau 2100 - 1075, rue Georgia Ouest

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6E 3G2                                                                                        POUR LES DEMANDEURS


Philp Law Office

114 - 7, rue St. Anne

St. Albert (Alberta)

T8N 2X4                                                                           POUR LES DÉFENDEURS



[1] Francis c. Mohawk Council of Kanesatake, 2003 FCTR 115 au paragraphe 36.

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