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Date : 20031023

Dossier : T-568-03

Référence : 2003 CF 1242

Ottawa (Ontario), le jeudi 23 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

MERCK & CO. INC. et MERCK FROSST CANADA & CO.

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans le contexte d'un avis de demande d'interdiction présentée sur le fondement du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/193-133 (le Règlement), les demanderesses Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada & Co. (Merck) demandent une ordonnance portant radiation de la totalité ou d'une partie de 10 des 14 affidavits déposés par la défenderesse Apotex Inc. (Apotex), pour les motifs suivants :


(1)      que les affidavits allèguent, à l'appui des allégations d'invalidité, des faits et des documents nouveaux non mentionnés dans l'avis d'allégations d'Apotex (plus particulièrement, des publications et des articles concernant l'antériorité et des résultats d'expériences menées par Apotex) et qu'ils sont accompagnés d'éléments de preuve non pertinents, soit le dossier de certaines demandes de brevet censé établir l'antériorité;

(2)      que les affidavits tentent de mettre en preuve les résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sans qu'un préavis n'ait été donné aux demanderesses et sans qu'elles n'aient eu la possibilité d'y assister;

(3)      que, contrairement à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (la Loi sur la preuve au Canada), les défendeurs tentent de mettre en preuve plus de cinq témoignages d'experts sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de la Cour.

Argument préliminaire d'Apotex concernant le caractère prématuré


[2]                Apotex a fait valoir avec vigueur que, dans son ensemble, la requête de Merck doit être rejetée parce qu'elle est prématurée en ce que, sauf circonstances extraordinaires, il appartient au juge saisi de la demande au fond de décider si, en raison de leur contenu, des affidavits doivent être radiés ou écartés en partie. (Voir par exemple Janssen Pharmaceutica Inc. et al. c. Apotex Inc. et al. (1998), 82 C.P.R. (3d) 574 et Apotex Inc. c. Bayer AG et al. (1998), 83 C.P.R. (3d) 127.)

[3]                Je suis d'accord avec le principe général ainsi énoncé et j'ajouterais que même si les observations suivantes formulées dans P.S. Partsource Inc. c. Canadian Tire Corp. (2001), 11 C.P.R. (4th) 386 (C.A.F.) s'appliquent tout particulièrement lorsqu'il y a objection fondée sur la pertinence, je ne vois aucune raison de ne pas l'appliquer généralement en matière de recevabilité :

[18]     Je tiens toutefois à souligner que les plaideurs ne doivent pas prendre l'habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d'une partie d'un affidavit et ce, peu importe le degré de notre Cour, surtout lorsque la question porte sur la pertinence. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles où l'existence d'un préjudice est démontrée et que la preuve est de toute évidence dénuée de pertinence que ce type de requête est justifié. Lorsqu'elle est fondée sur le ouï-dire, cette requête ne doit être présentée que lorsque le ouï-dire soulève une question controversée, lorsque le ouï-dire peut être clairement démontré ou lorsqu'on peut démontrer que le fait de laisser au juge du fond le soin de trancher la question causerait un préjudice.

1)          C'est en gardant ces principes à l'esprit que j'examinerai les motifs invoqués par Merck pour obtenir la radiation totale ou partielle des affidavits, soit en me demandant s'il est manifeste que la preuve est irrecevable ou non pertinente et s'il peut être établi qu'il serait préjudiciable de laisser au juge appelé à statuer sur la demande au fond le soin de trancher la question.


Allégations ne figurant pas dans l'avis d'allégation et dossiers de demandes de brevet

[4]                En réponse à la prétention de Merck selon laquelle certaines publications invoquées dans les affidavits d'Apotex ne figuraient pas dans son avis d'allégations et ne peuvent donc pas appuyer la demande, Apotex soutient qu'elle n'a pas voulu établir d'autres cas d'antériorité, mais donner suite à une question soulevée par Merck quant à la date à laquelle une publication mentionnée expressément dans l'avis d'allégation a été rendue publique pour la première fois. L'examen des documents en cause montre que cet argument est de prime abord fondé, et il s'agit donc clairement d'une question que le juge du fond devrait trancher. De même, les résultats des expériences effectuées par Apotex paraissent étayer un énoncé qui figure clairement dans son avis d'allégations et que conteste Merck dans ses actes de procédure.

[5]                Enfin, en ce qui concerne la pertinence des dossiers de demandes de brevet, il appert que même si ceux-ci ne sont généralement pas recevables pour établir la portée d'un brevet, ils peuvent parfois l'être pour clarifier l'intention de l'inventeur (Novartis AG c. Apotex Inc. (2001), 15 C.P.R. (4th) 417, page 442). Étant donné que Merck n'a pas établi qu'elle subirait un préjudice si le soin de statuer sur la recevabilité de ces dossiers de demandes de brevet était laissé au juge du fond, sa demande s'y rapportant est prématurée, et la question sera tranchée lors de l'audition de la demande au fond.


Résultats d'expériences effectuées pendant l'instance sans qu'un avis n'ait été donné à la partie adverse

[6]                Merck prétend qu'il existe une règle de preuve bien établie voulant que la preuve d'expériences menées par une partie sans que la partie adverse n'ait été invitée à y assister et à observer leur déroulement est irrecevable. Elle cite à l'appui Omark Industries (1960) Ltd. c. Gouger Saw Chain Co. et al. (1964), 45 C.P.R. 169, Merck & Co. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (3d) 133 et Halford c. Seed Hawk Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 189.

[7]                Je remarque que toutes ces affaires ont pour objet une action et que la décision relative à la recevabilité a été rendue par le juge du procès lors de l'audience sur le fond. La règle n'y est pas présentée comme une règle de preuve, mais comme une règle de pratique de la Cour visant à assurer l'équité entre les parties et à faire en sorte que la preuve soit complète et valable par l'exclusion de résultats d'essais que la partie adverse ne peut raisonnablement contester au moyen d'un contre-interrogatoire parce qu'elle ne dispose pas de données suffisantes sur le déroulement des expériences.

[8]                Il existe une différence fondamentale entre une action, où la preuve peut faire l'objet d'une communication préalable complète, et la procédure sommaire prévue par le Règlement.


[9]                Lorsqu'elle est possible, la communication préalable permet de prendre connaissance de la preuve dont dispose l'autre partie, de sorte qu'aucune des parties ne soit prise au dépourvu au procès et que chacune puisse y présenter une preuve complète. Il convient donc de décourager les essais effectués à huis clos en vue d'en présenter les résultats au procès parce qu'ils vont à l'encontre des objectifs visés par la procédure de communication préalable. De plus, la procédure et les règles qui régissent le déroulement de l'action comportent des délais et une marche à suivre permettant aux parties d'effectuer, moyennant un préavis, des expériences contrôlées. Cela inclut le besoin compréhensible d'une partie de procéder à des essais privés avant de décider si elle les invoque au procès ou si elle réoriente sa preuve dans le cas où ils se révéleraient insatisfaisants.

[10]            La procédure sommaire se veut au contraire expéditive. La possibilité de connaître à l'avance les faits et la preuve dont dispose la partie adverse et la nécessité d'assurer qu'une preuve complète est présentée à la Cour ne sont ni des considérations primordiales pour ce genre de procédure ni de nature à favoriser la réalisation de son objectif. Les règles régissant le déroulement d'une procédure sommaire ne se prêtent pas non plus au déroulement d'expériences conjointes ou supervisées. En pratique, les parties à une demande faite en vertu du Règlement n'ont qu'à peine le temps nécessaire pour effectuer des expériences susceptibles (ou non) d'être probantes ou d'étayer leur thèse. Je soupçonne que dans bien des cas, les expériences menées font partie intégrante de l'élaboration de la stratégie de litige. Exiger qu'un préavis et la possibilité d'assister aux essais soient donnés à la partie adverse exercerait une trop grande pression sur le calendrier d'instruction et pourrait contraindre une partie à choisir entre ouvrir son dossier de litige à l'adversaire ou renoncer à présenter un élément de preuve susceptible d'être crucial.


[11]            Assurer l'équité entre les parties et empêcher qu'un élément puisse être mis en preuve sans qu'un contre-interrogatoire valable ne puisse avoir lieu doit cependant demeurer une considération, et il se peut que, dans les cas qui s'y prêtent, une décision s'impose relativement à la recevabilité ou à l'exclusion. J'arrive toutefois à la conclusion qu'il n'existe aucune règle générale d'irrecevabilité des essais menés ex parte et pendente lite dans le cadre d'une procédure sommaire.

[12]            Vu les faits et les circonstances qui m'ont été communiqués relativement à cette requête, il appert ce qui suit :

(1)         Dans son avis d'allégation, Apotex allègue que de l'AMT est produit lorsque l'alendronate monosodique est obtenu à l'aide d'un certain procédé.

(2)         Dans ses affidavits, Merck nie que ce soit le cas.

(3)         Les résultats d'essais qu'Apotex tente de mettre en preuve établiraient la véracité de son allégation.

(4)         L'affidavit dans lequel sont présentés les résultats ne fait pas seulement état des résultats des essais. Il semble donner le détail des étapes et des méthodes suivies et il s'accompagne du carnet de labo.

(5)         Merck n'a ni allégué ni tenté d'établir que les faits et les données présentés par Apotex sont insuffisants pour lui permettre de procéder à de véritables contre-interrogatoires à l'égard de ces essais. Elle a préféré s'en tenir à l'application d'un prétendu principe général d'irrecevabilité.


[13]            Par conséquent, rien ne me permet même de décider si les résultats des essais doivent ou non, pour quelque motif, y compris l'absence d'équité ou l'impossibilité d'un contre-interrogatoire, être exclus au stade préliminaire. La requête de la demanderesse est donc rejetée au motif qu'elle est prématurée.

L'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada

[14]            Merck et Apotex ont respectivement déposé les affidavits de deux et de neuf témoins experts.

[15]            Le texte de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada est le suivant :

Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d'interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d'opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

Where, in any trial or other proceeding, criminal or civil, it is intended by the prosecution or the defence, or by any party, to examine as witnesses professional or other experts entitled according to the law or practice to give opinion evidence, not more than five of such witnesses may be called on either side without the leave of the court or judge or person presiding.

[16]            Il semble y avoir deux courants jurisprudentiels opposés en ce qui concerne l'interprétation d'une disposition comme l'article 7.


[17]            Suivant le premier courant (Buttrum c. Udell (1925), 57 O.L.R. 97 (C.A.); Rex c. Barrs, [1946] 2 D.L.R. 655 (C.A.); B.C. Pea Growers Ltd. c. City of Portage La Prairie (1964), 49 D.L.R. (2d) 91 (C.A. Man.) et Bank of America Canada c. Mutual Trust Co. (1998), 18 R.P.R. (3d) 213 (C.O., Div. gén.); modifié relativement à une autre question dans (2000), 30 R.P.R. (3d) 167 (C.A. Ont.); confirmé dans (2002), 49 R.P.R. (3d) 1 (C.S.C.)), si l'on interprète strictement le libellé clair de la loi, la limite s'applique à chacune des parties, peu importe le nombre de questions de fait appelant le témoignage d'un expert.

[18]            Le deuxième courant (In re Scamen et al. c. Canadian Northern R. Co. (1926), 6 D.L.R. 142 (C.S. Alb.) et Fagnan c. Ure Estate, [1958] R.C.S. 377) veut que la limitation du nombre de témoins experts s'applique à chacun des sujets pour lesquels un témoignage d'opinion est présenté.

[19]            Dans un certain nombre de décisions, dont deux de la Cour, qui sont examinées plus loin, les tribunaux ont opté pour l'interprétation privilégiée dans Fagnan.

[20]            J'estime que l'interprétation préconisée dans In re Scamen, puis confirmée par la Cour suprême du Canada dans Fagnan, ne vaut que pour la formulation particulière de la loi albertaine alors en cause, et que la juste interprétation de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada doit être celle que lui a donnée la Cour d'appel de l'Ontario dans Bank of America, c'est-à-dire que la limitation s'applique à l'affaire en entier, et non à chaque question de fait.


[21]            Dans In re Scamen, la Cour suprême de l'Alberta était appelée à interpréter l'article 10 de l'Alberta Evidence Act, 1910, 2e sess., ch. 3. Le libellé de cette disposition est presque identique à celui de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, mais il existe une différence cruciale entre les deux. La loi albertaine ne conférait pas à la cour le pouvoir discrétionnaire de permettre la présentation d'un plus grand nombre de témoignages d'experts lorsque l'affaire le justifiait. Dans les circonstances, il n'est pas étonnant que la cour se soit sentie obligée de forcer le sens de ce qui me paraît être une disposition claire, de manière à supprimer une contrainte qu'elle jugeait déraisonnable et inapplicable. La cour précise en effet qu'elle doit donner au libellé de la loi [traduction] « une juste interprétation, de façon à la rendre raisonnable et applicable lorsque les termes employés le justifient » . Dans Fagnan, appelée à interpréter le même article 10 de l'Alberta Evidence Act, la Cour suprême du Canada a appliqué le résultat obtenu dans In re Scamen, mais pas nécessairement parce qu'elle croyait que l'interprétation était la bonne. En effet, le bien-fondé des interprétations concurrentes ne fait l'objet d'aucun examen indépendant, pas plus que ne sont discutées les décisions Buttrum c. Udell et Rex c. Barrs rendues dans l'intervalle et dans lesquelles des dispositions semblables ont été interprétées de manière contradictoire. La Cour suprême signale plutôt que, depuis son interprétation dans In re Scamen, l'article 10 a été réédicté ipsissimis verbis, de sorte que s'applique le principe selon lequel le législateur est censé avoir voulu sanctionner cette interprétation.

[22]            À l'opposé, lorsqu'ils ont été directement appelés à interpréter des dispositions limitant le nombre d'experts, mais permettant que l'autorisation soit donnée d'appeler à la barre un plus grand nombre de ces témoins, les tribunaux ont toujours statué que la limite s'appliquait à la preuve d'une partie dans son ensemble : Buttrum c. Udell (interprétant l'Ontario Evidence Act, R.S.O. 1914, ch. 76); Rex c. Barrs (interprétant la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1927, ch. 59); B.C. Pea Growers (interprétant la Manitoba Evidence Act, R.S.M. 1954, ch. 75) et Bank of America c. Canada (interprétant à nouveau la Loi sur la preuve de l'Ontario, L.R.O. 1990, c. E.23).


[23]            Dans toutes ces décisions, une distinction a été établie entre le résultat obtenu dans In re Scamen et, plus tard, dans Fagnan, au motif que la loi albertaine ne prévoyait l'exercice d'aucun pouvoir discrétionnaire. Comme la Cour d'appel de l'Ontario l'a dit succinctement dans Bank of America (à la page 290) : [traduction] « Scamen et Fagnan doivent être reléguées au cabinet des curiosités parce qu'il s'agit de décisions obsolètes imputables à une particularité historique de la loi albertaine d'alors » .

[24]            Qu'en est-il alors des deux décisions récentes de la Cour appliquant le dispositif de l'arrêt Fagnan selon lequel cinq experts peuvent être entendus par sujet ou question de fait?

[25]            J'estime que ni Eli Lilly & Co. c. Novopharm, (1997) 73 C.P.R. (3d) 371 ni Glaxosmithkline Inc. et al. c. Apotex Inc. et al. (non publié, 4 septembre 2003, juge Pinard, T-876-02) ne me lient quant à savoir laquelle des deux interprétations concurrentes de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada est la bonne. Il semble que, dans ces affaires, la Cour n'a pas été directement appelée à décider de la juste interprétation de l'article 7. Les faits, l'analyse et la décision révèlent plutôt que, dans les deux cas, il a été présenté à la Cour que le dispositif de Fagnan s'appliquait, la question étant de savoir comment le principe de cinq experts par sujet devait s'appliquer compte tenu des faits de l'espèce.


[26]            Dans Eli Lilly, chacune des parties, y compris la demanderesse, avait annoncé le témoignage de plus de cinq experts. La Cour devait décider si, dans une affaire où il y avait trois défendeurs et où trois actions étaient instruites simultanément sans qu'il n'y ait eu jonction des instances, la règle s'appliquait à chacun des « côtés » , à chacune des « parties » ou à chacun des défendeurs. Lorsqu'elle affirme que les tribunaux ont conclu que l'article 7 limite à cinq le nombre de témoins par sujet ou par question de fait, la juge Reed cite, sans plus d'analyse, Buttrum c. Udell, In re Scamen, Fagnan et Pea Growers (entre autres) en donnant à penser que, selon elle, ces décisions appuient cette interprétation, alors que ce n'est manifestement pas le cas. De toute évidence, la question de savoir quel courant jurisprudentiel devait être suivi et si l'article 7 limitait le nombre d'experts à cinq par côté ou à cinq par sujet ne lui a pas été soumise et n'a pas été tranchée.

[27]            Dans Glaxosmithkline c. Apotex, le juge Pinard a rendu une ordonnance sans l'accompagner de motifs distincts. Il ressort des conclusions que la requête de Glaxosmithkline a été rejetée essentiellement parce qu'elle n'avait pas été présentée au bon moment. Dans la mesure où la question de l'application de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada y est abordée, il s'agit d'un examen incident où seul le jugement Eli Lilly est invoqué à l'appui et qui semble résulter de la prémisse adoptée par Glaxosmithkline elle-même selon laquelle Apotex aurait présenté plus de cinq témoignages d'expert par sujet.

[28]            J'ajouterais que si l'issue du litige n'avait pas été aussi clairement dictée par l'analyse de la jurisprudence citée devant moi et si j'avais dû interpréter le texte de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada d'une manière juste et raisonnable, je serais arrivée au même résultat.

[29]            Il serait difficile d'exprimer avec plus d'éloquence que le juge Ferguson dans Buttrum c. Udell (aux pages 98 et 100) les raisons pour lesquelles il en est ainsi :


[traduction] Il n'est pas difficile de satisfaire aux exigences de la disposition et, à mon avis, il vaut mieux que la partie qui omet de demander l'autorisation d'appeler à la barre plus de trois témoins experts assume les conséquences de sa propre négligence que de voir ressurgir l'abus auquel la loi vise à remédier.

...

Je ne puis trouver dans le texte de la loi quelque ambiguïté ou élément qui nous permette de donner à la loi la portée et l'effet restreints que lui a attribués la Cour suprême de l'Alberta dans In re Scamen c. Canadian Northern Railway Co. (1912), 6 D.L.R. 142 ou, en l'espèce, le juge de première instance. Avec égards, je crois que le remède proposé par ces instances est pire que le mal. Il vaut mieux limiter à trois de chaque côté le nombre des témoins experts entendus au cours d'un procès, sous réserve de l'autorisation du tribunal d'en appeler d'autres à la barre, que de le limiter seulement en fonction du nombre de questions de fait qui sont soulevées pendant l'instance ou qui, selon les prétentions raisonnables de l'avocat, pourraient l'être. Si cette dernière interprétation était retenue, le juge de première instance ne pourrait refuser d'entendre de tels témoins parce que, avant d'entendre leurs témoignages, il ne pourrait pas vraiment savoir à quelle question de fait ils se rapportent ni s'il s'agit d'un « témoignage d'opinion » , de sorte que la loi serait sans effet ou accroîtrait la difficulté, le coût et la durée de l'instance.

[30]            Les difficultés, les coûts et les délais auxquels fait allusion cet extrait ont été illustrés dans les affaires où les tribunaux ont tenté d'appliquer la limite à chacune des questions de fait. Dans la mesure où l'abus auquel la loi est censée remédier joue dans le cadre d'une action, l'on comprend qu'il soit encore plus crucial d'empêcher le recours abusif à la preuve d'expert dans le cadre d'une instance qui se veut sommaire, telle la demande d'interdiction prévue par le Règlement.


[31]            Apotex a prétendu que, de toute manière, l'article 7 ne s'applique que lorsque les témoins seront interrogés de vive voix à l'audience et que seul le juge qui entend la demande au fond ou instruit l'instance a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser l'audition de témoignages d'opinion supplémentaires. Selon moi, l'article 7 n'établit pas de telles restrictions. Au mieux, la disposition se prête à deux interprétations, et je dois lui donner [traduction] « une juste interprétation, de façon à la rendre raisonnable et applicable lorsque les termes employés le justifient » , comme il a été statué dans In re Scamen.

[32]            De toute évidence, l'article 7 est une disposition de portée générale, qui ne s'applique pas qu'aux procès: « dans un procès ou autre procédure pénale ou civile » - « in any trial or other proceeding, criminal or civil » . Dans le cadre d'une procédure sommaire, l'on dépose un affidavit au lieu de procéder à un interrogatoire principal, et le contre-interrogatoire se déroule hors la présence du tribunal, mais les règles de preuve s'appliquent par ailleurs également aux deux modes de présentation de la preuve. Dans le cas de la preuve d'expert, la règle veut qu'un préavis relatif au contenu du témoignage soit donné à la partie adverse bien avant l'audience ou le procès pour lui permettre de s'y préparer adéquatement en préparant soigneusement le contre-interrogatoire ou en présentant une contre-preuve au besoin. Lors d'un procès, la partie dépose au préalable l'affidavit ou la déclaration de l'expert et, dans le cadre d'une procédure sommaire, elle produit un affidavit.


[33]            Que ce soit dans le contexte d'un procès ou d'une procédure sommaire, permettre à une partie de présenter, sans autorisation préalable, un plus grand nombre de témoins que celui prévu, laissant au juge présidant l'audience le soin de décider si leurs témoignages seront tous recevables (ou, sinon, lesquels seront pris en compte) exigerait dans les faits de la partie adverse qu'elle se prépare à réfuter tous les éléments de preuve présentés. Cela écarterait, du moins pour les parties, tout avantage censé découler de la règle. Pis encore, selon la manière dont la partie adverse aura préparé sa contre-preuve, l'exclusion subséquente de certains éléments de la preuve donnera vraisemblablement lieu à un désaccord quant à savoir quels éléments de la contre-preuve visaient à réfuter la preuve exclue et doivent de ce fait être écartés. À l'instar de la conclusion tirée dans In re Scamen, le remède sera pire que le mal. Le risque d'abus est le même que la preuve soit présentée de vive voix à l'audience ou au moyen d'un affidavit et de contre-interrogatoires, et l'on peut le gérer efficacement en appliquant l'article 7 à toute étape de l'instance, y compris la procédure sommaire.

[34]            Même s'il y aura manifestement des cas où la décision finale de permettre ou non la présentation de plus de cinq témoignages d'experts devra à juste titre être laissée au juge qui entendra l'affaire au fond, je conclus que l'interprétation et l'application appropriées de l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada exigent que la partie qui compte faire entendre plus de cinq experts soit tenue d'obtenir l'autorisation de le faire au plus tard au moment de présenter le premier témoignage supplémentaire. Étant donné qu'Apotex n'a pas demandé au préalable l'autorisation de déposer plus de cinq affidavits d'experts et n'a même pas donné suite à la requête de Merck en demandant l'autorisation de le faire, Apotex ne peut invoquer que les témoignages de cinq experts.

[35]            Quoi qu'il en soit, la règle établie à l'article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, même si, strictissimi juris, cette disposition ne s'applique pas à la procédure sommaire, est très claire quant au nombre d'experts qu'exige raisonnablement l'instruction d'une affaire, l'abus étant présumé lorsque ce nombre est dépassé. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ces lignes directrices à une procédure sommaire comme celle considérée en l'espèce, et j'arrive à la conclusion que, sauf circonstances spéciales dont la preuve incombe à la partie qui les invoque, il est abusif de déposer plus de cinq affidavits d'experts. Apotex n'a pas établi l'existence de telles circonstances spéciales.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

(1)         Apotex a dix jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer un avis des cinq affidavits qu'elle retient parmi ceux des Drs Allen W. Rey, Juliet Compston, Eli Shefter, Michael J. Cima, Peter J. Stang, Roger Newton, Robert Allan McClelland, Graham Russell ou Robert S. Langer.

(2)         Les affidavits non retenus seront radiés.

(3)         Le délai imparti pour effectuer les contre-interrogatoires courra à compter du dépôt de cet avis par Apotex.

« Mireille Tabib »

                                                

   Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-568-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Merck & Co. Inc. et Merck Frosst Canada & Co.

c.

Ministre de la Santé et Apotex Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   14 octobre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       Madame la protonotaire Mireille Tabib

DATE DES MOTIFS :                         23 octobre 2003

ONT COMPARU :

Peter Wilcox - Toronto (Ontario)                                   POUR LES DEMANDERESSES

Andy Radhakant - Toronto (Ontario)

Andrew Brodkin - Toronto (Ontario)                             POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

Nathalie Butterfield - Toronto (Ontario)   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patrick E. Kierans & Peter R. Wilcox                            POUR LES DEMANDERESSES

Ogilvy Renault - Toronto (Ontario)

H.B. Radomski & Andrew R. Brodkin                           POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC.

Goodmans s.r.l. - Toronto (Ontario)                             


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