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Date : 20190514


Dossier : T‑1537‑18

Référence : 2019 CF 671

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MAJOR JOHN S. BEDDOWS

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  En 2012, le demandeur, le major John S. Beddows, a été déployé à titre d’officier du renseignement dans le cadre de l’opération ROTO 2 des Forces canadiennes à Kaboul, en Afghanistan. Il a été rapatrié de l’Afghanistan vers le Canada en vertu d’une ordonnance rendue le 9 mai 2013. Le 26 mai 2014, le demandeur a déposé un grief à l’encontre de l’ordonnance de rapatriement qui, au moment de la présente audience, n’était toujours pas réglé.

[2]  La présente demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, concerne un deuxième grief déposé par le demandeur en février 2017. Dans ce deuxième grief, il demande le remboursement de tous les frais juridiques associés aux instances de contrôle judiciaire qui, en novembre 2016, ont mené au renvoi, par la Cour d’appel fédérale, du premier grief pour nouvel examen par le chef d’état‑major de la Défense [le CEMD]. Dans une lettre datée du 3 juillet 2018, le CEMD a conclu que ce deuxième grief ne pouvait être considéré comme valide parce qu’il se rapportait au dossier du premier grief, lequel se trouvait toujours devant l’autorité de dernière instance pour réexamen, conformément à l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale.

I.  Contexte

[3]  La procédure de règlement des griefs des Forces canadiennes comporte généralement deux niveaux : l’autorité initiale [AI] et l’autorité de dernière instance [ADI], soit le CEMD ou son ou sa délégué(e).

[4]  L’AI qui a examiné le premier grief du demandeur l’a rejeté dans une lettre datée du 5 novembre 2014 pour les raisons suivantes : (1) il n’avait pas été déposé dans le délai de six mois prévu par la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5, dans sa version modifiée [la Loi] et par les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [les ORFC]; et (2) il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’étudier le grief parce que le retard dans le dépôt de celui‑ci n’était pas attribuable à un événement imprévu, inattendu ou qui échappait au contrôle du demandeur. Le CEMD a confirmé cette décision dans une lettre datée du 18 février 2015.

[5]  Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du CEMD. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un autre ADI. Elle a ordonné que l’on accepte ses motifs concernant le retard du dépôt du grief et lui a accordé des dépens de 2 000 $.

[6]  En appel, la Cour d’appel fédérale (Canada (Procureur général) c Beddows, 2016 CAF 294 [Beddows, ci‑après]) a confirmé la décision de la présente Cour, même si elle n’avait pas appliqué la norme de la décision raisonnable en révisant la décision du CEMD (Beddows, au paragraphe 25). La Cour d’appel a renvoyé l’affaire au CEMD pour qu’il la réexamine, mais n’a pas ordonné qu’elle soit entendue par une ADI différente (parce que le CEMD en poste avait changé) ou que l’on accepte les explications du demandeur concernant le retard dans le dépôt du grief. Elle n’a pas non plus ordonné de dépens relativement à l’appel ou à la demande de contrôle judiciaire.

[7]  Dans son deuxième grief, le demandeur demande :

[traduction] … [1] le remboursement de tous les frais juridiques et dépens associés à mon appel accueilli à la Cour fédérale pour une ordonnance judiciaire en ma faveur, et la comparution subséquente à titre de défendeur à la Cour d’appel fédérale pour obtenir son ordonnance judiciaire en ma faveur, ce qui représente un montant de 19 216,95 $, et [2] la modification de l’article 12 de la Directive [DOAD 2017‑1, Processus de règlement des griefs militaires], afin d’autoriser le remboursement des frais juridiques d’un plaignant à la réception d’une ordonnance judiciaire de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême du Canada en sa faveur.

[8]  Le demandeur a modifié son grief en mars 2017, afin d’abaisser le montant réclamé à titre de frais juridiques à 17 310,95 $. Huit jours après cette modification, le commandant du demandeur a conclu qu’il ne pouvait pas agir à titre d’AI, car il ne détenait pas le pouvoir de régler le grief. Il a donc transmis le dossier de grief au Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes [le DGAGFC].

[9]  Le DGAGFC a envoyé une lettre au demandeur en octobre 2017 pour lui demander de faire une description claire de « la décision, de l’acte ou de l’omission de l’administration des affaires des Forces canadiennes » qui l’avait lésé (comme l’exige l’alinéa 7.08(2)a) des ORFC). Le demandeur lui a répondu aussi par lettre au mois de novembre 2017, en précisant qu’il était [traduction« lésé par la décision administrative déraisonnable du chef de l’état‑major de la Défense (CEMD) dans son rôle à titre d’autorité de dernière instance (ADI) de rejeter son grief initial », et que [traduction« la nature des erreurs commises par le CEMD en tant qu’ADI a été soulignée par les juges de la Cour d’appel fédérale […] ». Le demandeur a de plus mentionné qu’il avait engagé des dépenses [traduction« en raison de la décision administrative déraisonnable du CEMD en tant qu’ADI […] ».

[10]  Dans une lettre datée du 3 juillet 2018, le CEMD, agissant à titre d’ADI, a conclu que le grief était irrecevable et, par conséquent, qu’il n’avait pas à aborder les mesures correctives demandées. Le CEMD n’a pas accepté le grief parce qu’il se rapportait au premier dossier de grief dont il était lui‑même toujours saisi aux fins de réexamen. Le CEMD fait remarquer que le premier grief a été contesté dans toute la mesure permise par la Loi; et que, compte tenu de l’article 29.15 de la Loi (qui prévoit qu’une décision d’une ADI est définitive et exécutoire, sous réserve du contrôle judiciaire), une ADI n’a pas le pouvoir de réviser l’une de ses propres décisions antérieures.

II.  Questions en litige

[11]  Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur soulève quatre questions :

  1. Le refus d’examiner le premier grief (une décision jugée déraisonnable par la Cour d’appel fédérale) est en soi une décision pouvant faire l’objet d’un grief puisqu’il s’agit d’une décision distincte du CEMD, et qu’il s’agit donc d’un « acte » distinct en vertu de l’article 29 de la Loi;

  2. Le CEMD n’a pas motivé suffisamment son rejet du deuxième grief;

  3. Le CEMD a manqué à son obligation d’agir « avec célérité » et « équitablement »;

  4. Le CEMD s’est appuyé à tort sur une politique du Conseil du Trésor du Canada pour rejeter le deuxième grief.

[12]  Lors de l’audience de la présente affaire, le demandeur a soulevé deux questions supplémentaires : l’une concernant les lacunes dans le dossier certifié du tribunal; et une seconde voulant qu’il y ait eu un manquement à l’équité procédurale puisque l’affaire aurait dû être renvoyée au Comité externe d’examen des griefs militaires.

[13]  N’ayant pas été informé à l’avance, le défendeur s’est opposé à ce que le demandeur soulève ces nouvelles questions. À mon avis, le défendeur soulève une objection valide au sujet de ces deux nouvelles questions. À cet égard, la Cour suprême du Canada a souligné ce qui suit dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 :

[22]  … Elle n’avait invoqué l’inobservation du délai ni devant le commissaire ni devant sa déléguée. Elle ne l’a même pas fait dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, invoquant la question pour la première fois en plaidoirie. L’ATA pouvait certainement demander le contrôle judiciaire, mais elle ne pouvait contraindre la cour à examiner la question. Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. [citations omises].

[23]  En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif, mais qu’elle ne l’a pas été [citations omises].

[14]  En l’espèce, si le demandeur voulait soulever ces nouvelles questions, il aurait dû en aviser le défendeur avant l’audience. Il a eu tout le temps voulu pour ce faire. Ces questions ne seront donc pas examinées plus en profondeur.

[15]  Le défendeur affirme que les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision qu’a rendue le CEMD à titre d’ADI était‑elle raisonnable?

  2. Le CEMD a‑t‑il suffisamment motivé sa décision?

  3. La Cour peut‑elle être saisie de la question de savoir si l’ADI a rendu sa décision avec célérité dans le cadre du premier grief?

[16]  À mon avis, il n’y a qu’une seule question à trancher : la décision du CEMD de rejeter le second grief était‑elle raisonnable?

III.  Norme de contrôle

[17]  Il est bien établi que les décisions relatives aux griefs mettant en cause des membres des Forces canadiennes portent sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, et que leur révision est donc assujettie à la norme de la décision raisonnable (Walsh c Canada (Procureur général), 2016 CAF 157, au paragraphe 9; Moodie c Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 51; Zimmerman c Canada (Procureur général), 2011 CAF 43, au paragraphe 21).

[18]  Le processus de règlement des griefs dans les Forces canadiennes est tel que le CEMD est hautement spécialisé dans la prise de décisions dans le contexte militaire. Il mérite donc un haut niveau de déférence (François c Canada (Procureur général), 2017 CF 154, au paragraphe 32, et Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32, aux paragraphes 75 et 77).

[19]  La norme de la décision raisonnable exige d’un tribunal qui révise une décision administrative de s’attarder « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47). Les motifs répondent aux critères « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 16).

[20]  La norme de la décision correcte s’applique aux allégations de manquements aux règles d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La Cour doit déterminer si le processus suivi pour en arriver à la décision faisant l’objet du contrôle a respecté le niveau d’équité requis dans les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115). Le cadre analytique n’est pas tant celui de la décision correcte ou raisonnable que les principes de l’équité et de la justice fondamentale.

[21]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier. » (Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74). Comme l’a fait observer récemment la Cour d’appel fédérale : « […] même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54).

IV.  Observations des parties

(1)  Demandeur

[22]  De l’avis du demandeur, le paragraphe 29(1) de la Loi est rédigé en termes généraux et permet la présentation de griefs fondés sur des actes ou des omissions. Il affirme que c’est la décision déraisonnable du CEMD de rejeter son premier grief qui lui a causé préjudice, et que la responsabilité de l’indemniser incombe donc au CEMD. N’eût été la décision déraisonnable du CEMD de rejeter le grief, il n’aurait pas engagé de frais juridiques. Selon le demandeur, les dépens engagés dans le cadre du processus de règlement des griefs des Forces canadiennes peuvent être compensés au moyen de paiements à titre gracieux, lesquels sont distincts des dépens adjugés par les tribunaux. L’adjudication des dépens par les Cours fédérales ne remplace pas cette réparation.

[23]  Le demandeur soutient que le CEMD n’a pas suffisamment motivé sa décision, car il n’a pas expliqué comment il en est arrivé à sa conclusion selon laquelle le second grief ne soulevait pas une question pouvant donner matière à grief. Le demandeur invoque l’article 8.8 des Directives et ordonnances administratives de la Défense 2017‑1 et affirme qu’en l’absence d’une méthode analytique clairement exprimée, la conclusion du CEMD selon laquelle l’objet du deuxième grief avait déjà était traité dans le cadre d’une autre procédure est déraisonnable.

[24]  Le demandeur fait remarquer que, bien qu’il n’y ait pas de délai prescrit par la loi à l’intérieur duquel le CEMD doit trancher un grief, l’article 29.11 de la Loi exige du CEMD qu’il agisse « avec célérité dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent ». De l’avis du demandeur, l’expression « avec célérité » impose absolument un délai urgent au CEMD pour qu’il tranche les griefs, et le défaut du CEMD d’agir rapidement dans le traitement des griefs est nécessairement injuste.

[25]  Le demandeur affirme que le CEMD s’est appuyé à tort sur la politique du Conseil du Trésor sur l’aide juridique et l’indemnisation mentionnée dans la lettre de la DGAGFC. Le demandeur fait remarquer que le pouvoir discrétionnaire du CEMD dans l’administration, la conduite et la gestion du processus de règlement des griefs en vertu de l’article 29 de la Loi est absolu et établi par la loi. Ainsi, les politiques du Conseil du Trésor ne devraient aucunement s’appliquer à lui.

(2)  Défendeur

[26]  Selon le défendeur, « la décision, l’acte ou l’omission » que le demandeur conteste par grief est la décision de l’ADI de rejeter le premier grief. Compte tenu de l’article 29.15 de la Loi, le défendeur affirme qu’une ADI ne peut pas examiner l’une de ses décisions antérieures. Le défendeur ajoute que le recours approprié pour un membre des Forces canadiennes insatisfait d’une décision d’une ADI consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire, une mesure dont le demandeur s’est prévalu.

[27]  Le défendeur affirme également que le succès du demandeur devant la Cour d’appel fédérale ne saurait donner lieu à un nouveau grief. Le processus de contrôle judiciaire était la procédure par laquelle le demandeur pouvait exiger des dépens. Contrairement aux arguments du demandeur, le défendeur affirme que l’un des objectifs des dépens devant les tribunaux est l’indemnisation partielle de la partie qui a obtenu gain de cause. De l’avis du défendeur, le demandeur a cherché à faire réviser la décision de la Cour d’appel sur la question des dépens devant le CEMD. Selon le défendeur, cette stratégie n’est pas permise puisqu’elle équivaut à une attaque indirecte de la décision de la Cour d’appel fédérale.

[28]   Le défendeur affirme que la réparation que le demandeur a tenté d’obtenir dans le second grief était celle‑là même dont la Cour d’appel fédérale était saisie, soit l’adjudication des dépens. Le demandeur ne peut pas contourner l’ordonnance de cette cour en formulant sa demande cette fois sous le couvert d’un paiement à titre gracieux plutôt que sous l’angle de l’adjudication des dépens.

[29]  De l’avis du défendeur, rien ne suggère que le CEMD s’est appuyé sur la politique du Conseil du Trésor, et il n’y avait d’ailleurs aucune raison de le faire.

[30]  Le défendeur affirme que les motifs de la décision du CEMD étaient clairs et intelligibles et expliquent pourquoi cette décision a été rendue. Le défendeur souligne que le CEMD a bien cerné la nature exacte du grief déposé par le demandeur et que ce dernier a reconnu que ce nouveau grief visait précisément à contester la décision initiale par laquelle l’ADI avait rejeté le premier grief.

[31]  Selon le défendeur, il est difficile de déterminer quel retard le demandeur cherchait à contester par grief – s’agissait‑il de celui qu’a nécessité le rejet du premier grief, ou du temps qui s’est écoulé depuis qu’il a été retourné pour nouvel examen par la Cour d’appel fédérale? Selon le défendeur, le demandeur n’a soulevé aucune question concernant le délai depuis le jugement de la Cour d’appel fédérale, et il est maintenant forclos de le faire puisqu’un tribunal ne peut pas réviser une question qui n’a pas été présentée au décideur. Si l’argument du demandeur concerne un retard perçu dans le processus décisionnel concernant son premier grief, il a déjà eu l’occasion de soulever l’équité procédurale relativement à cette décision dans le cadre de sa demande précédente de contrôle judiciaire.

V.  Analyse

[32]  Le demandeur veut que les Forces canadiennes paient pour les frais juridiques qu’il a engagés lors des procédures de révision judiciaire. Il n’y a toutefois aucune loi, aucune politique ou aucun autre texte qui confère aux Forces canadiennes le droit ou le pouvoir discrétionnaire de payer les frais juridiques engagés à la suite d’un grief qui a donné lieu à des procédures en révision judiciaire.

[33]  La Cour d’appel fédérale a conclu que les dépens n’étaient pas appropriés. La question des dépens ne peut pas être réexaminée par la Cour car, à mon avis, le jugement de la Cour fédérale a autorité de la chose jugée à l’égard de celle‑ci. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le deuxième grief constitue une attaque indirecte contre le premier grief qui, au moment de l’audience de la présente demande, n’était toujours pas réglé. Dans l’arrêt Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594, la Cour suprême a expliqué la nature d’une attaque indirecte de la façon suivante :

8.  Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins d’être infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement. Lorsqu’on a épuisé toutes les possibilités d’appel et que les autres moyens d’attaquer directement un jugement ou une ordonnance, comme, par exemple, les procédures par brefs de prérogative ou celles visant un contrôle judiciaire, se sont révélés inefficaces, le seul recours qui s’offre à une personne qui veut faire annuler l’ordonnance d’une cour est une action en révision devant la Haute Cour, lorsqu’il y a des motifs de le faire. …

[34]  Il est vrai, comme le fait remarquer avec justesse le demandeur, que l’article 29.11 de la Loi exige que le CEMD agisse « avec célérité » dans le cadre du processus de règlement des griefs « dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent ». La Cour fait remarquer que l’ancien CEMD a tranché le premier grief du demandeur dans une lettre datée du 18 février 2015, soit environ neuf mois après que le demandeur eut déposé le grief. Plus de deux ans se sont maintenant écoulés depuis que la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au CEMD pour réexamen. S’agit‑il d’un exemple de célérité?

[35]  Bien que le mot « célérité » évoque quelque chose qui est fait de manière rapide, vite, prompte ou efficace, la Cour ne peut pas émettre d’hypothèses sur les raisons du délai dans le réexamen du premier grief par le CEMD. Elle n’est tout simplement pas au fait de toutes les circonstances et raisons de ce délai. Tout ce que la Cour peut dire à cet égard, c’est que le réexamen devrait avoir lieu plus tôt que tard.

VI.  Conclusions

[36]  En conclusion, j’estime qu’il était raisonnable pour le CEMD de conclure que la demande de remboursement des frais juridiques du demandeur ne pouvait pas faire l’objet d’un grief. Le CEMD a clairement énoncé les raisons pour lesquelles il n’a pas donné droit au grief du demandeur. Ses motifs étaient justifiables, transparents et intelligibles, et sa conclusion fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

[37]  Chacune des parties a demandé des dépens à l’égard de la présente requête. Le défendeur a eu gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle et a donc droit aux dépens. Le demandeur devra payer au défendeur une somme forfaitaire de 500 $ à titre de dépens dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT dans le dossier T‑1537‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et que le demandeur devra payer au défendeur une somme forfaitaire de 500 $ à titre de dépens dans les 30 jours suivant la date du présent jugement.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juillet 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1537‑18

 

INTITULÉ :

MAJOR JOHN S. BEDDOWS c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 février 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Boswell

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Major John S. Beddows

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jennifer Bond

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

OTTAWA (ONTARIO)

 

Pour le défendeur

 

 

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