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                                                                                                                                            Date : 20031010

                                                                                                                                       Dossier : T-1872-02

                                                                                                                            Référence : 2003 CF 1181

ENTRE :

                                                THE NEW BRUNSWICK ABORIGINAL

                                                                 PEOPLES COUNCIL

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                                              BRIAN D. BRUCE, c.r., un arbitre nommé en

                               application du paragraphe 243(1) du Code canadien du travail,

                                                                     et GAIL BROWN

                                                                                                                                                       défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 18 octobre 2002 dans laquelle Brian D. Bruce, c.r., un arbitre (l'arbitre) nommé en application de l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), a conclu que les relations de travail entre le demandeur et ses employés relevaient de la compétence fédérale comme faisant partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées pour les Indiens.


[2]         Le demandeur est une société constituée en vertu du droit provincial, à titre d'organisme à but non lucratif, chargée de négocier pour les personnes d'ascendance autochtone dont certaines ont le statut d'Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 (la Loi). En 2002, la défenderesse Gail Brown (Mme Brown) a déposé contre le demandeur une plainte pour congédiement injuste fondée sur le Code. À l'audience d'arbitrage, le demandeur a soulevé une objection préliminaire portant que l'arbitre n'avait pas compétence pour entendre l'affaire parce que les relations de travail entre le demandeur et Mme Brown relevaient de la compétence provinciale et non de la compétence fédérale.

[3]         L'arbitre a conclu que les relations de travail entre le demandeur et ses employés relevaient de la compétence fédérale.

[4]         La disposition pertinente de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, appendice II, no 5 (la Constitution), est rédigée comme suit :

91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

[. . .]

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,-

[. . .]

24. Indians, and Lands reserved for the Indians.


[5]         Je conviens avec les parties que, compte tenu de l'arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 1222, la norme de contrôle applicable en l'espèce est la décision correcte.

[6]         Le point de départ de l'analyse visant à déterminer la compétence dans une affaire comme la présente a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Four B Manufacturing Limited c. Les Travailleurs unis du vêtement d'Amérique et al., [1980] 1 R.C.S. 1031, aux pages 1045 et 1047 :

À mon avis, les principes établis pertinents à cette question peuvent être résumés très brièvement. En ce qui a trait aux relations de travail, la compétence législative provinciale exclusive est la règle, la compétence fédérale exclusive est l'exception. L'exception comprend, principalement, les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale [...]

Le critère fonctionnel est une méthode particulière d'application d'une règle plus générale, savoir, que la compétence fédérale exclusive en matière de relations de travail n'existe que si l'on peut établir qu'elle fait partie intégrante de sa compétence principale sur une autre matière fédérale: l'arrêt Stevedoring [[1955] R.C.S. 529].

[7]         Suivant ce raisonnement, le demandeur prétend que ses relations de travail relèvent de la compétence exclusive de la province du Nouveau-Brunswick parce qu'il ne se livre pas à des activités de nature fédérale. En outre, le demandeur cite l'arrêt Delgamuukw c. British Columbia, [1997] 3 R.C.S. 1010, où la Cour suprême du Canada a appliqué l'arrêt Four B, précité, et a conclu qu' « [u]ne loi provinciale valide peut s'appliquer aux Indiens s'il s'agit d'une loi d'application générale et non d'une loi touchant leur quiddité indienne ou indianité, leur statut ou leurs valeurs fondamentales » . Selon le demandeur, la loi provinciale sur les relations de travail ne touche pas ses employés en tant qu'Indiens, parce qu'elle n'a aucune incidence sur les valeurs fondamentales et la culture autochtones.


[8]         La défenderesse, pour sa part, soutient que les faits de l'affaire Four B peuvent être distingués d'avec ceux de la présente espèce, puisque l'affaire Four B mettait en cause une entreprise privée exerçant ses activités dans la province d'Ontario, entreprise régie à juste titre par la loi provinciale. Selon elle, l'affaire la plus pertinente sur ce point est l'arrêt Le Conseil de la bande de Tobique c. Sappier, (1988), 87 N.R. 1. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'un organisme financé par le gouvernement fédéral qui fournit des services sociaux aux enfants indiens et à leurs familles vise le bien-être des Indiens et fournit des services sociaux aux Indiens, et relève donc de la compétence fédérale. La défenderesse soutient que, suivant le raisonnement de cet arrêt, lorsqu'un organisme vise le bien-être des Indiens et qu'il fournit des services sociaux aux Indiens ou, autrement dit, qu'il a un rapport avec leur « quiddité indienne » , ses relations de travail sont régies par les lois fédérales, comme l'affirme la juge Desjardins au paragraphe 14 :

[...] Les services sociaux fournis par l'organisme visent le bien-être des Indiens de la bande de Tobique de la même façon que s'il s'agissait de services de santé ou d'éducation. Ils s'appliquent aux Indiens en tant qu'Indiens. Ils ont un rapport avec la " quiddité indienne " (motifs du juge Beetz dans l'affaire Four B, précitée, à la p. 1047). L'organisme vise non seulement le bien-être des enfants, mais de façon plus expresse celui des enfants indiens: voir l'article 5 de l'entente. Ce sont à la fois l'intégrité physique et l'intégrité culturelle des jeunes qui sont prises en compte. Pour cette raison, les services sociaux font partie intégrante de la compétence fédérale primaire sur les Indiens (paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867). Les relations de travail de l'organisme suivent le même régime puisque l'organisme est une entité qui relève de l'autorité du Conseil de bande et qui est vouée exclusivement aux Indiens et au bien-être des Indiens sur la réserve. Ceci s'applique nonobstant le fait que l'organisme peut, en vertu d'une délégation, s'acquitter en tout ou en partie des responsabilités du ministre des Services sociaux en application de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille et sur les relations familiales (P.E.I. Potato Marketing Board v. Willis, [1952] 2 R.C.S. 392; Coughlin v. The Ontario Highway Transport Board, [1968] R.C.S. 569; La Reine c. Smith, [1972] R.C.S. 359).


[9]         Contrairement à ce qu'il prétend, je suis convaincu que le demandeur en l'espèce se livre à des activités de nature fédérale. Les activités du demandeur touchent clairement la « quiddité indienne » de ses membres, même si nombreux d'entre eux n'ont pas le statut d'Indien inscrit. Les objectifs du demandeur, prévus dans sa constitution et ses règlements administratifs, sont énoncés comme suit :

[traduction]

2.              Voici les objectifs de la société :

A.             Aider les personnes d'ascendance autochtone (les Autochtones de l'Amérique du Nord) du Nouveau-Brunswick à constituer une organisation locale afin d'améliorer leurs conditions de vie générales.

B.             Collaborer avec tous les niveaux de gouvernement et les organismes des secteurs public et privé afin d'améliorer les possibilités sur les plans social, de l'enseignement et de l'emploi pour les personnes d'ascendance autochtone du Nouveau-Brunswick.

C.             Favoriser et renforcer l'identité et la fierté culturelles chez les personnes d'ascendance autochtone du Nouveau-Brunswick.

D.             Informer le grand public des besoins particuliers des personnes d'ascendance autochtone du Nouveau-Brunswick et des efforts qu'elles déploient afin de participer pleinement à la vie économique, sociale et politique de la province.

E.             Collaborer avec toutes les autres organisations autochtones dont les objectifs sont semblables à ceux de la présente société.

F.             Par-dessus tout, travailler ensemble à la confirmation de nos droits ancestraux à titre de personne autochtone du Nouveau-Brunswick.

[10]      L'un des principaux objectifs de la société est, comme le dit l'arbitre à la page 8 de sa décision, « de faire respecter les droits issus de traités et de faire reconnaître le statut des personnes ayant actuellement perdu leurs droits conférés par la Loi sur les Indiens » . Je suis d'accord avec l'arbitre lorsqu'il conclut que cet objectif, combiné à la position principale du demandeur suivant laquelle les membres d'ascendance autochtone ont droit aux mêmes avantages que ceux accordés aux membres qui ont un statut en vertu de la Loi, et au fait que le demandeur est financé principalement par le gouvernement fédéral, implique que, de par sa fonction première, le demandeur relève de la compétence fédérale sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » .


[11]      Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

_ Yvon Pinard _

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                        T-1872-02

INTITULÉ :                                                     THE NEW BRUNSWICK ABORIGINAL PEOPLES COUNCIL

c.

BRIAN D. BRUCE, c.r., un arbitre nommé en application du paragraphe 243(1) du Code canadien du travail, et GAIL BROWN

LIEU DE L'AUDIENCE :                              FREDERICTON (NOUVEAU-BRUNSWICK)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 16 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Devin W. Maxwell                                              POUR LE DEMANDEUR

Jamie C. Eddy                                        POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Burchell Green Hayman Parish              POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Patterson Palmer Law                           POUR LES DÉFENDEURS

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

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