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                                                                                                                            Date :    20030820

                                                                                                                        Dossier :    T-238-03

                                                                                                              Référence : 2003 CFPI 993

Ottawa (Ontario), le 20 août 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                       ESCO CORPORATION et

                                                                ESCO LIMITED

                                                                                                                              demanderesses

                                                                          - et -

                                             QUALITY STEEL FOUNDRIES LTD.

                                                                                                                                  défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La défenderesse voudrait que le cabinet Dimock Stratton Clarizio, s.r.l. (Dimock) cesse d'occuper pour les demanderesses parce que Me Michael Crinson, un jeune associé, a déjà travaillé en 1999 pour le compte de la défenderesse dans le cadre d'une demande de brevet d'invention alors qu'il faisait partie d'un autre cabinet d'avocats.

[2]         Le critère à appliquer pour savoir si Dimock devrait cesser d'occuper est celui de savoir si un membre du public raisonnablement informé serait convaincu qu'il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels si Dimock est autorisée à continuer à occuper pour les demandeurs en l'espèce (Martin c. Gray, [1990] 3 R.C.S. 1235).


[3]         Parce que la réponse à cette question dépend dans une large mesure du contexte, je vais d'abord examiner en détail les faits pertinents.

Les faits

[4]         En décembre 1998, par l'intermédiaire de M. Netterville, la défenderesse a retenu les services du cabinet d'avocats Borden Ladner Gervais s.r.l. (BLG) pour préparer et déposer une demande de brevet au Canada et dans d'autres pays et pour agir comme conseiller juridique pour leur invention. La demande de brevet no 2274236, intitulée [traduction] « Ensemble de fixation d'une dent à un adaptateur » (la demande), a été préparée et déposée le 10 juin 1999 auprès du Bureau canadien des brevets. Me Christine Collard, agente de brevets principale et avocate chez BLG, qui était chargée de ce dossier, a effectué presque tout le travail.

[5]         Le 24 novembre 1999, M. Netterville a tenté de joindre Me Collard à son bureau pour lui demander d'apporter une modification à la demande de brevet. Comme Me Collard était absente pendant presque tout le mois de novembre, on a transmis sa demande à un jeune avocat, Me Crinson, qui pourrait peut-être l'aider. Me Crinson travaillait à ce moment-là chez BLG (alors Scott et Aylen) comme agent de brevets en formation et avocat récemment admis au barreau. S'il s'occupait essentiellement de contentieux, il consacrait néanmoins environ 20 % de son temps aux demandes de brevet. La raison pour laquelle il a été choisi pour « remplacer » Me Collard durant l'absence de cette dernière reste obscure. En effet, rien n'indique qu'il se soit jamais occupé de la demande de la défenderesse ou de toute autre affaire la concernant avant le 24 novembre.


[6]         Quoi qu'il en soit, Me Crinson a répondu à l'appel de M. Netterville et, au cours de leur bref entretien téléphonique (de 19 à 24 minutes selon le relevé de temps), M. Netterville a essayé de lui décrire les caractéristiques novatrices qu'il voulait inclure dans la demande de brevet. Il appert toutefois, selon l'affidavit de M. Netterville, que Me Crinson avait de la difficulté à se représenter les caractéristiques que celui-ci lui décrivait. Il a été convenu alors que M. Netterville lui ferait parvenir une lettre dans laquelle il trouverait une description schématique des caractéristiques qui, à son avis, pouvaient faire l'objet d'un brevet.

[7]         Cette lettre confidentielle, datée du 25 novembre 1999, n'a pas été déposée, mais son contenu est décrit d'une façon générale dans les affidavits de Me Collard et de M. Netterville. Celle-ci contenait (i) les dessins faits à l'ordinateur du produit de la défenderesse, désigné comme la coiffe MAGLOK qui comprend une pièce d'usure, un adaptateur et un verrou servant à fixer la pièce d'usure à l'adaptateur; (ii) les schémas et la description du dispositif de verrouillage MAGLOK; (iii) la formulation proposée d'une revendication concernant les caractéristiques du produit; (iv) un exposé sur les stratégies éventuelles à adopter pour le brevetage de l'invention. Me Collard précise dans son affidavit que la plupart de ces renseignements demeurent encore aujourd'hui confidentiels.

[8]         L'entretien téléphonique du 24 novembre 1999 a été noté par Me Crinson dans le relevé de temps avec la simple mention [traduction] « T.C. et Quality Steel. Objet : Modification de la demande de brevet » . Comme Me Crinson n'a porté aucun autre travail sur le relevé après cette date, la preuve ntablit pas clairement s'il a pris le temps de lire la lettre de M. Netterville et d'en comprendre le contenu.

[9]         Dans son affidavit, Me Collard déclare qu'elle a eu à son retour au bureau une « longue conversation » avec Me Crinson au sujet du dispositif de verrouillage, qui semble être la caractéristique inventive la plus importante de la demande de brevet. Cependant, ni l'un ni l'autre n'a inscrit cette conversation sur le relevé de temps, de sorte qu'il est impossible de connaître la date exacte où cette conversation a eu lieu.


[10]       Dans son affidavit, M. Netterville déclare avoir parlé à un employé de BLG le 26 novembre, mais ne pas se rappeler exactement s'il s'agissait de Me Crinson. Il semble présumer qu'il a parlé à Me Crinson, car il a terminé sa lettre du 25 novembre 1999 en précisant qu'il avait hâte de s'entretenir avec ce dernier de son invention plus tard dans la journée.

[11]       Me Crinson a quittéBLG en février 2000 et a commencé à travailler chez Dimock.

[12]       À la fin de juillet 2002, les demanderesses ont fait appel à Dimock au sujet d'une action éventuelle en contrefaçon contre la défenderesse concernant trois de leurs brevets, à savoir les brevets canadiens nos 2076019 (le brevet 019), 2067818 (le brevet 818) et 2238644 (le brevet 644). Ces brevets ont tous trait à des dents amovibles de godet d'excavateur et concernent divers produits fabriqués et distribués par la défenderesse. Le brevet 019 est le seul qui soit pertinent dans la présente requête, en particulier la revendication 24 que la défenderesse est censée avoir violée (la seule revendication dont il est fait mention dans la déclaration des demanderesses) en fabriquant et en vendant la coiffe MAGLOK.

[13]       Entre le 31 juillet et le 6 août 2002, Dimock, conformément à sa politique en matière de conflits d'intérêts, a envoyé à tous les membres de son personnel un courriel pour s'enquérir des conflits d'intérêts possibles. Me Crinson a reçu cette demande de renseignements et l'a examinée. Comme il n'avait pas souvenir d'avoir eu affaire à la défenderesse, il a supprimé le courriel, concluant qu'il n'y avait pas matière à conflit d'intérêts.


[14]       Dimock a accepté le dossier sur cette base et deux avocats, Mes Ron Dimock et Pamela Adams, se sont vu confier le dossier. Me Dimock s'est entretenu pendant plusieurs mois avec Me Collard au sujet des allégations de contrefaçon de brevet et a examiné la possibilité d'un règlement. En février 2003, Dimock a intenté l'action dans le présent dossier. Environ trois semaines plus tard, le 12 mars 2003, BLG a informé Dimock par écrit du conflit d'intérêts qui mettait en cause Me Crinson et exigé que les demanderesses changent immédiatement leurs avocats inscrits au dossier.

[15]       Jusque-là , le dossier de Dimock avait été conservé dans le bureau de Me Pamela Adams. Une fois le conflit d'intérêts possible mis au jour, le dossier a été mis sous clé et la consultation d'information liée à ce dossier sur le réseau informatique a été restreinte. Me Crinson n'avait plus accès aux bureaux de Mes Ron Dimock et de Pamela Adams et tous les membres du personnel ont été informés du conflit et de la nécessité de tenir Me Crinson à lcart[1].

Questions en litige

[16]       La défenderesse soutient que toute personne raisonnable conclurait que des renseignements confidentiels seraient divulgués parce qu'il existait des liens suffisamment importants entre le premier mandat qui avait été confié à Me Crinson alors qu'il travaillait au sein du cabinet BLG et l'action en contrefaçon pour faire jouer la présomption qu'il avait été mis au courant de faits confidentiels. De plus, Dimock ne peut invoquer les mesures prises pour empêcher que Me Crinson ne divulgue les renseignements confidentiels parce que : (i) ces mesures ont été prises après coup, c'est-à -dire plusieurs mois après l'acceptation du mandat; (ii) ces mesures comportaient de nombreuses lacunes car elles ne satisfaisaient pas à toutes les consignes de l'Association du Barreau canadien sur les « dispositifs d'isolement » .


[17]       Les demanderesses soutiennent que rien ne permet de penser que des « renseignements confidentiels pertinents » ont été transmis. En tout état de cause, les renseignements pertinents qui ont été divulgués sont maintenant de notoriété publique. Qui plus est, compte tenu de la nature et de l'ampleur du travail exécuté par Me Crinson et du fait qu'il ne se souvient de rien de ce qui concerne la défenderesse et qu'il n'aura pas l'occasion de se rafraîchir la mémoire, un membre du public raisonnablement informé serait convaincu que les renseignements confidentiels ne seront pas utilisés.

Analyse

[18]       Pour appliquer le critère posé dans l'arrêt Martin c. Gray, précité, il faut répondre à deux questions. Premièrement, la Cour doit décider si l'avocat a appris, grâce à ses rapports professionnels antérieurs en tant qu'avocat, des faits confidentiels qui ont rapport avec l'objet du litige. En second lieu, il faut se demander s'il y a un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment de l'ancien client.

[19]       En ce qui concerne la première question, le juge Sopinka a, dans l'arrêt Martin c. Gray, précité, adopté le critère du « lien important » appliqué par les tribunaux américains. Il a précisé que les tribunaux canadiens pouvaient appliquer la présomption que des renseignements confidentiels ont été communiqués lorsque l'existence de ce lien est établie par la partie qui cherche à faire déclarer inhabile l'avocat ou son cabinet[2]. Mais la méthode canadienne diffère de l'approche américaine parce qu'au Canada, la présomption est réfragable alors qu'aux États-Unis, elle est irréfragable.


[20]       La Cour suprême du Canada n'a pas eu à analyser plus à fond le concept du « lien important » parce que, dans l'affaire dont elle était saisie, l'avocat qui était allé travailler pour un nouveau cabinet avait fait beaucoup de travail pour la partie adverse dans la même instance judiciaire et que le lien était évident.

[21]       Suivant l'interprétation que j'en fais, ce concept oblige le tribunal à rechercher les similitudes qu'offrent les situations factuelles et les questions juridiques en cause dans les deux mandats, de même que la nature du travail exécuté par l'intéressé. Par exemple, si les deux mandats ne présentent aucune similitude sur le plan des faits ou du droit, l'avocat pourrait quand même avoir créé des liens si étroits avec son client en lui prodiguant des conseils d'ordre général pour qu'on puisse conclure qu'il existe entre eux un lien important. L'inverse est aussi vrai.

[22]       En ce qui concerne la seconde question, selon mon interprétation des principes de droit applicables, les collègues de l'avocat en cause peuvent quand même intervenir dans le dossier s'ils démontrent, au moyen de preuves claires et convaincantes, qu'un citoyen raisonnablement informé et éclairé ne conclurait pas que les renseignements confidentiels dont l'avocat en cause a pris connaissance ou est présumé avoir pris connaissance seront probablement divulgués grâce aux mesures prises par le cabinet pour empêcher leur divulgation. Le genre de mesures qui sont susceptibles de convaincre le public devraient pouvoir être vérifiées de façon indépendante et être mises en place avant que toute possibilité de divulgation ne se présente. Parmi ces mesures, mentionnons ce qu'on appelle souvent les « murailles de Chine » et les « cônes de silence » .

[23]       Le fondement du critère établi par la Cour suprême du Canada est que l'intégrité du système judiciaire et la confiance du public envers la justice revêtent une importance fondamentale, mais que le principe ne doit pas être appliqué de façon rigide au point de priver un plaideur de son droit à l'avocat de son choix et de porter atteinte à la mobilité professionnelle des avocats.


[24]       Dans la foulée de l'arrêt Martin c. Gray, précité, l'Association du Barreau canadien a mis sur pied un groupe de travail chargé dtudier ces questions. Les lignes directrices élaborées par ce groupe de travail ont été publiées dans un rapport intitulé « L'inhabileté en matière de conflit d'intérêts : la cause Martin c. Gray et les dispositifs d'isolement » . L'Association a adopté ces lignes directrices en août 1993 par la résolution 93-07-A. Voici le texte intégral de la résolution et des lignes directrices.

ATTENDU QUE la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans la cause Martin c. Gray a résolu plusieurs des problèmes qui surviennent lors des transferts d'avocats entre cabinets juridiques qui représentent des parties ayant des intérêts opposés;

ATTENDU QUE la Cour suprême du Canada a, à l'issue de son jugement majoritaire dans l'affaire Martin c. Gray, demandé à l'Association du Barreau canadien dlaborer des directives qui permettraient à un cabinet juridique, aux prises avec une situation identique à celle de Martin c. Gray, dviter la sanction d'inhabilité;

ATTENDU QUE l'Association du Barreau canadien a formé un groupe de travail chargé de répondre à la demande exprimée par la Cour suprême du Canada;

ATTENDU QUE ledit Groupe de travail a préparé un rapport datéde février 1993 intitulé « L'inhabilitéen matière de conflits d'intérêts : La cause Martin c. Gray et les dispositifs d'isolement » .

QU'IL SOIT RÉSOLU QUE l'Association du Barreau canadien adopte le rapport du Groupe de travail et exhorte notamment à ce que :

1.          L'utilisation de dispositifs d'isolement soit autorisée dans des circonstances adéquates afin que les cabinets juridiques aux prises avec des conflits d'intérêts du type Martin c. Gray ne soient pas rendus inhabiles;

2.         Les cabinets juridiques, en décidant de la pertinence de l'utilisation de mécanismes d'isolement comme solution susceptible de résoudre leur problème de conflit, soient guidés par les facteurs suivants :

i)          le moment de la mise en place de l'isolement;

ii)          la taille du cabinet (le nombre d'avocats mais aussi l'espace occupé, le nombre de bureaux et le nombre de spécialités);

iii)         le nombre d'avocats inhabiles;

iv)         les particularités de l'isolement;

v)          la nature de la relation de l'avocat isolé avec le cabinet actuel;

vi)         l'importance du lien entre l'ancienne représentation et l'affaire actuelle;

vii)        le délai entre les deux affaires;

viii)        la nature de la participation d'un avocat inhabile à l'ancienne affaire.

3.         Les cabinets juridiques prévoyant l'installation de mécanismes d'isolement mettent en application les trois premières des directives suivantes, envisagent de mettre en oeuvre le reste des directives et instaurent celles qui conviennent spécifiquement à la situation de conflit qu'ils vivent.


i)          La personne isolée ne devrait participer d'aucune façon à la représentation du client du nouveau cabinet.

ii)          La personne isolée ne doit discuter de l'affaire du client actuel ni des renseignements reliés à la représentation de l'ancien client.

iii)         Aucun membre du nouveau cabinet ne doit discuter de l'affaire du client actuel ou de la représentation antérieure avec la personne isolée.

iv)         L'affaire du client actuel ne devrait être discutée qu'au sein du groupe restreint du cabinet qui s'occupe du dossier.

v)          Les dossiers du client actuel, y compris les dossiers informatisés, doivent être séparés physiquement des dossiers réguliers du nouveau cabinet, identifiés de façon particulière et ntre accessibles qu'aux avocats et au personnel de soutien du nouveau cabinet qui s'occupent de l'affaire ou qui en ont besoin pour d'autres motifs précis et approuvés.

vi)         Aucun membre du nouveau cabinet ne doit montrer à la personne isolée des documents relatifs à la représentation en cours.

vii)        Les mesures prises par le nouveau cabinet pour isoler la personne qui change de cabinet doivent être énoncées dans un document écrit expliquant la politique à tous les avocats et au personnel de soutien du nouveau cabinet et comportant un avertissement que la violation de la politique résultera en des sanctions pouvant aller jusqu'au congédiement.

viii)        Les membres du cabinet devraient fournir des affidavits établissant qu'ils ont observé et continueront d'observer tous les éléments de l'isolement.

ix)         L'actuel et l'ancien clients devraient être avisés que la personne isolée est maintenant membre du nouveau cabinet qui représente le client actuel.

x)         L'actuel et l'ancien clients devraient être avisés des mesures adoptées par le nouveau cabinet pour s'assurer qu'il n'y a pas mauvais usage des    renseignements confidentiels.

xi)         Le bureau ou le lieu de travail de la personne isolée doit être situé loin des bureaux ou lieux de travail de ceux qui s'occupent de l'affaire du client actuel.

xii)        Lorsque la personne isolée est un avocat ou une avocate, il ou elle devrait travailler avec des associés et du personnel de soutien différents de ceux qui s'occupent de l'affaire du client actuel.

xiii)       Il faut tâcher par tous les moyens d'obtenir le consentement éclairé de l'ancien client à la représentation du client actuel par le nouveau cabinet.

           


[25]       Le Barreau du Haut-Canada, l'organisme légalement chargé de régir la profession d'avocat en Ontario (le cabinet Dimock se trouve à Toronto), a lui aussi adopté de nouvelles règles intitulées « Obligation dviter les conflits d'intérêts / Action contre des clients » . Le paragraphe 2.04(5) du Code de déontologie professionnelle (1er novembre 2000) prévoit :

2.04 (5) Si l'avocat ou l'avocate a déjà représenté un client ou une cliente et a alors obtenu des renseignements confidentiels pertinents dans une nouvelle affaire, son associé ou associée, un professionnel salarié ou une professionnelle salariée peut agir dans cette nouvelle affaire contre l'ancien client ou l'ancienne cliente si, selon le cas :

a) l'ancien client ou l'ancienne cliente consent à ce que l'associé, l'associée le professionnel salarié ou la professionnelle salariée agisse ainsi;

b) le cabinet décide que son intervention dans l'affaire sert l'intérêt de la justice, en tenant compte de tous les faits pertinents, notamment de ce qui suit :

(i) la suffisance ou l'opportunitédes mesures prises pour faire en sorte que les renseignements confidentiels concernant l'ancien client ou l'ancienne cliente ne soient pas divulgués à l'associé, à l'associée, au professionnel salarié ou à la professionnelle salariée qui s'occupe de l'affaire;

(ii) ltendue du préjudice causé à n'importe quelle partie;

(iii) la bonne foi des parties;

(iv) la disponibilité d'un autre avocat ou d'une autre avocate capable de s'occuper de l'affaire;

(v) l'intérêt public.

[26]       Ces nouvelles consignes ne renvoient pas aux Lignes directrices de l'Association du Barreau canadien, mais on constate, à la lecture de la décision Ford Motor Co. of Canada c. Osler, Hoskin & Harcourt, (1996) 27 O.R. (3d) 181, à la page 199, que peu de temps après l'adoption de ces lignes directrices, le Barreau du Haut-Canada a inséré les observations suivantes dans ldition de 1995 de son Code de déontologie professionnelle :

Les lignes directrices à la fin de ce commentaire, qui sont une adaptation du rapport du groupe de travail de l'Association du Barreau canadien intitulé « L'inhabiletéen matière de conflit d'intérêts : la cause Martin c. Gray et les dispositifs d'isolement » (février 1993), tiennent lieu de liste de contrôle des divers facteurs à considérer. Dans certains cas, il suffira de retenir quelques-unes des lignes directrices, alors que dans d'autre cas, retenir l'ensemble des lignes directrices s'avérera insuffisant. [Non souligné dans l'original]


[27]       Il y a lieu de signaler que la question qui se pose en l'espèce n'est pas celle de savoir s'il y a une « possibilité théorique » que Me Crinson ait été mis au courant de renseignements confidentiels se rapportant au second mandat qui lui a été confié mais plutôt que la Cour doit « envisager de façon réaliste » [3] la possibilité que des renseignements confidentiels ont été communiqués à Me Crinson alors qu'il travaillait au sein du cabinet BLG.

[28]       Ainsi que je l'ai déjà mentionné, je ne suis pas entièrement convaincue que Me Crinson a lu en détail la lettre de M. Netterville. Je suis toutefois prête à lui imputer la connaissance du contenu de cette lettre, qui lui était adressée. Quant à la conversation que Me Collard a eue avec Me Crinson, Me Collard n'a pas précisé quand elle avait eu lieu, notamment à cause de l'absence de mention au relevé de temps. La Cour n'a aucune raison de douter qu'une conversation a effectivement eu lieu et qu'il y a été question du dispositif de verrouillage qui semble être une caractéristique essentielle de l'invention décrite dans la demande, mais je conclus qu'il n'y a aucune possibilité réaliste qu'ils aient discuté d'autres sujets que ceux qui étaient mentionnés dans la lettre du 25 novembre, compte tenu du fait que la preuve ne permet pas de penser que Me Crinson était censé effectuer d'autre travail dans ce dossier.

[29]       Pour ce qui est de la conversation du 26 novembre (voir le paragraphe 10), la preuve est quelque peu insuffisante. M. Netterville ne dit pas si cette conversation a été brève ou longue. Je n'accorde pas beaucoup d'importance à cette conversation à cause : i) de l'absence d'inscription dans le relevé de temps qui permettrait dtablir un lien entre Me Crinson et ce second appel; ii) de l'absence dléments de preuve indiquant que des renseignements complémentaires (c.-à -d. des renseignements différents de ceux qui se trouvaient dans la lettre du 25 novembre) ont été communiqués par M. Netterville au cours de sa conversation du 26 novembre.


[30]       La défenderesse ne prétend pas que les questions juridiques soulevées dans l'action en contrefaçon de brevet se rapportent de quelque façon que ce soit à un des points de droit examinés par Me Crinson. En tout état de cause, il ressort de la déclaration et de la défense versées au dossier que les trois principales questions juridiques pertinentes sont les suivantes : (i) peut-on considérer que la coiffe MAGLOK contrefait le brevet 019; (ii) le brevet 019 est-il invalide en raison de ltat antérieur de la technique exposée dans la défense; (iii) la revendication 24 est-elle invalide parce que sa portée est trop vaste, puisqu'elle revendique plus que ce qui a été inventé, et plus particulièrement parce qu'elle est censée s'appliquer à des pièces d'usure sans ouverture munie d'un verrou et d'un élément rigide servant à les verrouiller à l'adaptateur. Or, la preuve ne permet pas de conclure qu'il existe une possibilité réaliste que Me Crinson ait abordédes questions juridiques semblables lors de sa brève intervention dans le dossier de la défenderesse alors qu'il travaillait chez BLG.

[31]       Cependant, la défenderesse soutient qu'il existe une similarité entre les situations de fait relatives aux deux mandats, car, pour répondre à la première question de droit mentionnée dans l'action en contrefaçon, les demanderesses doivent démontrer que la coiffe MAGLOK comprend tous les éléments décrits dans la revendication 24. Cette revendication est ainsi conçue :

[TRADUCTION]

Une pièce d'usure amovible servant à protéger le bord d'attaque d'un excavateur comprenant une pièce métallique monobloc ayant, vue de côté, une forme généralement en U, soit une paire de jambes espacées l'une de l'autre et raccordées à l'avant par un pont, chacune desdites jambes ayant une surface interne, une surface externe et une extrémité arrière, et au moins l'une desdites jambes ayant une ouverture dans sa surface externe espacée de ladite extrémité arrière de ladite jambe dotée d'une fente longitudinale généralement en T qui se prolonge jusqu l'extrémité arrière de ladite jambe de façon à se loger en glissant sur un bossage profilé complémentaire prévu sur l'excavateur et ladite ouverture communiquant avec ladite fente en T pour recevoir un élément de verrouillage contre une surface arrière de ladite ouverture et une surface arrière du bossage pour empêcher ladite pièce d'usure de se séparer du bossage.


[32]       La technologie utilisée n'est pas complexe. La revendication ne porte pas sur un procédé ou des composés chimiques. Le brevet 019 est un brevet de mécanique. La revendication 24 fait principalement référence à la forme des éléments. Comme il est mentionné dans la défense et à première vue, le type de dispositif de verrouillage ne semble pas pertinent.

[33]       La coiffe MAGLOK est vendue sur le marché actuellement et on peut difficilement comprendre pourquoi une personne considérant le produit seul ou conjointement avec les dessins du brevet 019 et ceux publiés avec la demande de brevet ne pourrait évaluer de façon convenable tous les éléments pertinents par rapport à l'allégation de contrefaçon.

[34]       Néanmoins, la défenderesse soutient qu'il faut présumer que M. Crinson possédait bel et bien des données confidentielles pertinentes en raison des renseignements sur la coiffe MAGLOK qui lui ont été transmis et qui sont exposés en détail dans les dessins joints à la lettre du 25 novembre 1999.

[35]       Comme je l'ai déjà signalé, dans son affidavit, après avoir énuméré les quatre types de renseignements que contenait la lettre du 25 novembre 1999, Me Collard affirme qu'une « grande partie » de ces renseignements sont toujours confidentiels[4]. Malheureusement, elle n'a pas été contre-interrogée pour déterminer quelle partie de ces renseignements sont encore confidentiels. Je crois que je puis tenir pour acquis que la stratégie de brevetage serait encore confidentielle, de même que le libellé de la revendication, compte tenu du fait que la demande n'a pas encore été accueillie et que la version qui a été publiée ne renferme peut-être pas les modifications qui ont été discutées en novembre 1999. Mais, comme il a déjà été dit, même s'ils sont confidentiels, ces renseignements ne sont pas utiles en l'espèce.


[36]       Si une partie des renseignements techniques transmis au sujet de la coiffe MAGLOK en général et au sujet du mécanisme de verrouillage en particulier sont encore confidentiels, est-ce à cause de la façon dont ils ont été transmis à Me Crinson, c'est-à -dire par des croquis faits sur place plutôt que par les croquis joints à la demande de brevet? Ou est-ce plutôt parce qu'ils illustraient des caractéristiques que l'on ne retrouvent pas dans le produit vendu sur le marché ou qui ne pouvaient être découvertes sur inspection du produit?

[37]       Malgré les réserves qu'elle a exprimées, la Cour est disposée à accorder le bénéfice du doute à la défenderesse. Je conclus donc qu'il existe une possibilité réaliste que des renseignements confidentiels pertinents portant sur les caractéristiques techniques de la coiffe MAGLOK ont été transmis à Me Crinson. Toutefois, les liens qui existent entre le travail juridique que Me Crinson avait auparavant effectué pour la défenderesse et son mandat actuel chez Dimock ne permettent pas à la Cour de présumer de façon réaliste que d'autres sortes de renseignements confidentiels pertinents ont été transmis à Me Crinson.

[38]       Je vais maintenant aborder la seconde question.

[39]       À l'audience, la défenderesse a soutenu énergiquement que les mesures prises par le cabinet Dimock pour assurer la confidentialité étaient insuffisantes notamment parce que le cabinet en question n'avait pas adopté de politique écrite au sujet du recours aux « murailles de Chine » , qu'il n'existait pas dléments de preuve démontrant clairement que les étudiants ou le personnel de soutien du cabinet Dimock qui travaillaient avec Mes Ron Dimock et Pamela Adams staient engagés à ne pas travailler avec Me Crinson, qu'aucun engagement officiel n'avait été signé et, surtout, que les mesures avaient été prises trop tard étant donnéque le cabinet Dimock avait accepté ce mandat de nombreux mois avant que le conflit d'intérêts ne soit découvert.


[40]       J'ai attentivement examiné la preuve à la lumière des principes adoptés par le Barreau du Haut-Canada et des lignes directrices élaborées par le Groupe de travail de l'Association du Barreau canadien au sujet des conflits d'intérêts et des dispositifs d'isolement. Certes, ces principes et lignes directrices ne lient pas la Cour mais, comme il a déjà été précisé dans d'autres affaires, elles ont quand même droit à un certain respect.

[41]       J'ai examiné tous les précédents invoqués par les parties ainsi que d'autres décisions dans lesquelles les tribunaux ont appliqué les principes posés dans l'arrêt Martin c. Gray. Comme on pouvait s'y attendre, il s'agit de cas d'espèce. J'estime qu'aucune de ces affaires ne porte sur des faits qui sont véritablement comparables à ceux de la présente espèce. Dans certaines d'entre elles, les avocats en cause avaient aussi oublié les renseignements qui leur avaient été communiqués, mais ils avaient pris une part plus active à un premier mandat qui était étroitement lié à la seconde affaire. Il y avait des souvenirs à raviver, surtout dans le cas d'avocats qui se proposaient d'agir également dans le second dossier. D'autres affaires concernaient le retard qu'accusait la mise en place de « murailles de Chine » alors qu'il y avait des renseignements confidentiels importants à protéger et que le cabinet d'avocats était au courant des risques de conflit d'intérêts ou aurait dû ltre.

[42]       En l'espèce, je conclus qu'en juillet 2002, Me Crinson ne possédait effectivement aucun renseignement confidentiel se rapportant à la présente action qu'il pouvait divulguer à ses collègues du cabinet Dimock. Pour en arriver à cette conclusion, je ne me fonde pas uniquement sur l'affidavit dans lequel Me Crinson affirme effectivement qu'il n'a jamais eu de rapports avec la défenderesse et qu'il ne se souvient pas en avoir eu, mais aussi sur des éléments de preuve circonstanciels qui corroborent cette déclaration ainsi que sur le simple bon sens.


[43]       Monsieur Netterville affirme que Me Crinson n'a pas pu visualiser les éléments de la coiffe MAGLOK. Le fait qu'on ne trouve aucune autre inscription dans le relevé de temps laisse entrevoir que Me Crinson n'a pas consacré de temps ou du moins pas assez de temps pour assimiler les renseignements techniques inclus dans la lettre du 25 novembre 1999[5]. Il semble par ailleurs qu'il n'avait aucune raison de le faire, car rien ne permet de penser qu'il lui restait du travail à faire dans ce dossier. Rien ne permet non plus de conclure que Me Crinson a conservé une copie des croquis. Il n'est pas contesté qu'il n'a pas répondu à la demande de contrôle de conflit d'intérêts qui lui a été adressée à lté 2002 parce qu'il n'a aucun souvenir du dossier de la défenderesse.

[44]       L'inférence suivant laquelle les avocats se parlent et que les renseignements circulent dans un cabinet d'avocats, surtout s'il est de petite taille, ne peut peser dans la balance lorsqu'on évalue les mesures prises pour isoler l'avocat en cause que si celui-ci a effectivement quelque chose à dire ou à divulguer à ses collègues ou certains souvenirs importants à se remémorer. Ainsi que je l'ai déjà dit, en l'espèce, il est peu probable qu'il y ait des souvenirs à rafraîchir en ce qui concerne les renseignements techniques.

[45]       Je conclus par ailleurs que le cabinet Dimock a mis en place avec diligence sa politique de contrôle de conflits d'intérêts et que, dans le contexte actuel, il ne pouvait pas être au courant du risque de conflit d'intérêts avant de recevoir la lettre du cabinet BLG. Il y a lieu de souligner également que Me Collard n'a pas soulevé la question au cours des quelques mois où elle a été en rapport avec Me Dimock. Bien que ce facteur ne soit certainement pas déterminant, il fait quand même partie de la preuve circonstancielle.


[46]       Finalement, après avoir apprécié toutes les circonstances particulières de l'espèce, je suis convaincue qu'un membre du public bien informé serait persuadé que Me Crinson ne divulguera aucun renseignement confidentiel à quiconque travaille dans le présent dossier pour le compte des demanderesses.

                                                               ORDONNANCE

LA COUR :

1.          REJETTE la requête et N'ADJUGE aucuns dépens.

                                                                                                                        « Johanne Gauthier »                    

                                                                                                                                                    Juge                                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.                       


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-238-03

INTITULÉ:                                       ESCO Corporation et ESCO Limited

c. Quality Steel Foundries Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :               Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :             22 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                   LE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                     20 août 2003

COMPARUTIONS:

Me Ronald Dimock                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Me Kevin L. LaRoche                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Dimock Stratton Clarizio s.r.l.                                               POUR LA DEMANDERESSE

20, rue Queen, bureau 3202

Toronto (Ontario) M5H 3R3

Borden Ladner Gervais s.r.l.                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

100, rue Queen, bureau 1100

Ottawa (Ontario)    K1P 1J9



[1]            Me Pamela Adams n'ayant pas été contre-interrogée à cet égard, je tiens pour acquis que sa déclaration n'est pas contestée.

[2]               La défenderesse doit donc s'acquitter du fardeau de la preuve en ce qui concerne la première question. Ce fardeau est déplacé sur la demanderesse si les circonstances justifiant l'application de la présomption réfutable sont établies. Tandis que sur la seconde question, le fardeau de la preuve repose sur la demanderesse.

[3]           Chapters Inc. c. Davies, Ward & Beck LLP, 52 O.R. (3d) 566, à la page 573, citant la décision Westinghouse Electric Corp. c. Gulf Oil Corp., 588 F.2d 221 (1978)

[4]           Je préfère le témoignage de Me Collard sur ce point à celui du M. Netterville, car elle était mieux placée pour faire cette évaluation. L'affirmation à l'emporte-pièce de M. Netterville suivant laquelle tous les renseignements qu'il a communiqués à Me Collard et à Me Crinson dans le présent dossier constituent toujours des renseignements confidentiels n'est pas crédible lorsqu'on tient compte du fait que les renseignements que M. Netterville a communiqués à Me Collard ont nécessairement été utilisés jusqu'à un certain point pour rédiger la demande qui est ouverte à l'inspection publique depuis le 10 décembre 2000.

[5]               Comme je l'ai dit, je conclus que cette lettre renferme les renseignements les plus complets qui pouvaient être présumés avoir été transmis à Me Crinson.


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