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Date : 20030731

Dossier : T-1181-01

Référence : 2003 CF 938

OTTAWA (ONTARIO), LE 31e JOUR DE JUILLET 2003

Présent :         L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                  BACARDI & COMPANY LIMITED

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                                                    HAVANA CLUB HOLDING S.A.

                                                                                   

                                                                                                                                               Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Cet appel porte sur une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) en date 3 mai 2001 rejetant l'opposition de la demanderesse, Bacardi & Company Limited, à l'encontre de la demande de la défenderesse, Havana Club Holding S.A., visant à enregistrer la marque HAVANA CLUB Dessin (la nouvelle marque), basé sur l'emploi de celle-ci au Canada depuis au moins 1990 par elle ou par ses prédécesseurs en titre, Cubaexport et H.R.L., en liaison avec du rhum.

[2]                 Pour faciliter la compréhension de la présente décision, il est utile de rappeler ici que la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, (la Loi) permet à une personne, intéressée ou non, de s'opposer à une demande d'enregistrement en produisant une déclaration d'opposition dans le délai prévu au paragraphe 38(1). Plus particulièrement, aux termes du paragraphe 38(2), cette opposition peut être fondée sur l'un ou plusieurs des motifs suivants :

           a)          La demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 30 : alinéa 38(2)a).

L'article 30 précise les informations que doit contenir une demande. Si une marque de commerce a été employée au Canada, le requérant doit notamment indiquer la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé celle-ci en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande : alinéa 30b). D'autre part, le requérant doit également déclarer qu'il est convaincu qu'il a le droit d'employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande : alinéa 30i);

           b)          La marque de commerce n'est pas enregistrable : alinéa 38(2)b).


Il faut se référer à l'article 12 qui précise les situations où une marque de commerce n'est pas enregistrable. Notamment, une marque de commerce qui crée de la confusion avec une marque de commerce déposée n'est pas enregistrable : alinéa 12(1)d). Néanmoins, le paragraphe 15(1) prévoit une exception dans le cas où le requérant est propriétaire de toutes ces marques (appelées marques de commerce liées);

           c)          Le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement : alinéa 38(2)c).

Ce motif d'opposition se rattache aux articles 16 à 23 qui traitent des personnes ayant droit à l'enregistrement d'une marque de commerce, y compris une marque de certification;

           d)          La marque de commerce n'est pas distinctive : alinéa 38(2)d).

Est « distinctive » au sens où l'entend l'article 2, une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.


[3]                 La demanderesse a fondé son opposition devant le registraire sur tous les motifs énumérés plus haut, sauf le troisième. Dans son mémoire, la demanderesse prétend maintenant que la défenderesse ne serait pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la nouvelle marque (voir les paragraphes 15, 39-46, 48 et 51 du mémoire de la demanderesse). À l'audience, il a toutefois été précisé que la demanderesse ne poursuivait plus ce motif d'opposition supplémentaire. En tout état de cause, la demanderesse ne peut soulever en appel un motif d'opposition qui n'a pas été énoncé dans sa déclaration d'opposition : alinéa 38(3)a); Molson Breweries v. Pernod Ricard S.A. (1995), 64 C.P.R. (3d) 356, à la p. 357 (C.A.F.); et Édutile Inc. c. Assoc. pour la protection des automobilistes (C.A.), [2000] 4 C.F. 195, à la p. 209.

[4]                 En l'occurrence, les moyens d'opposition soulevés devant le registraire peuvent ainsi être résumés :

           a)          La demande ne serait pas conforme à l'alinéa 30b) en ce que ni la défenderesse ni ses prédécesseurs en titre n'auraient employé la nouvelle marque en liaison avec du rhum depuis au moins 1990 (le premier motif d'opposition);

           b)          La demande ne serait pas conforme à l'alinéa 30i) puisqu'en raison des faits énoncés dans l'opposition, la défenderesse ne pouvait pas être convaincue qu'elle a le droit d'employer la nouvelle marque au Canada en liaison avec du rhum (le deuxième motif d'opposition);


           c)          La nouvelle marque ne serait pas enregistrable suivant l'alinéa 12(1)d) en ce qu'elle crée de la confusion avec la marque de commerce déposée HAVANA CLUB (enregistrement no UCA003512) (la marque déposée) (le troisième motif d'opposition); et

           d)          La nouvelle marque ne serait pas distinctive au sens de l'article 2 (le quatrième motif d'opposition).

[5]                 Les parties reconnaissent que dans les matières tombant dans le champ d'expertise du registraire, les décisions de celui-ci devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter, du moins lorsqu'aucune preuve additionnelle n'est apportée en appel : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.), [2000] 3 C.F. 145 au para. 51; voir également : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan (2003), 223 D.L.R. (4th) 577 aux paras. 46-56 (C.S.C.); The College of Physicians and Surgeons of British Columbia c. Dr. Q, (2003), 223 D.L.R. (4th) 599, aux paras. 34-35 et 41 (C.S.C.); et Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 aux paras. 54-62 et 78-80.

[6]                 D'autre part, je note qu'aucune preuve additionnelle n'a été apportée par les parties, comme le permet le paragraphe 56(5) de la Loi.

[7]                 Les premier et quatrième motifs d'opposition ont été rejetés par le registraire parce qu'ils ne sont pas étayés par la preuve au dossier. Malgré les reproches généraux formulés dans son mémoire, la demanderesse ne m'a pas démontré le caractère déraisonnable de cette conclusion factuelle qui relève de l'expertise spécialisée du registraire. D'ailleurs, les plaidoiries orales n'ont pas porté sur cet aspect de la décision. Je conclus donc qu'il n'y a aucun motif justifiant la réformation de la décision du registraire de rejeter les premier et quatrième motifs d'opposition.

[8]                 D'autre part, après un examen assez poussé, je conclus que les motifs donnés par le registraire, pris dans leur ensemble, étayent sa décision de rejeter également les deuxième et troisième motifs d'opposition. La décision du registraire m'apparaît raisonnable dans les circonstances. En outre, sa conclusion qu'il n'a pas compétence pour se prononcer sur la validité de l'enregistrement de la marque déposée m'apparaît à tous égards correcte en droit et pareillement conforme à la jurisprudence.

[9]                 Il est acquis que la Loi permet l'enregistrement d'une marque de commerce qui serait par ailleurs considérée comme créant de la confusion avec une marque de commerce déposée lorsque le requérant est propriétaire des deux marques. Le paragraphe 15(1) se lit comme suit :


15. (1) Nonobstant l'article 12 ou 14, les marques de commerce créant de la confusion sont enregistrables si le requérant est le propriétaire de toutes ces marques, appelées « marques de commerce liées » .

15. (1) Notwithstanding section 12 or 14, confusing trade-marks are registrable if the applicant is the owner of all such trade-marks, which shall be known as associated trade-marks.



[10]            En l'espèce, la défenderesse s'appuie sur le fait qu'elle est la propriétaire inscrite de la marque déposée ainsi qu'en fait foi le registre des marques de commerce (le registre). Rappelons que celui-ci est tenu sous la surveillance du registraire tel que le prévoit l'article 26 de la Loi. Or, selon l'article 54, l'inscription dans le registre fait foi de la qualité de propriétaire. La défenderesse estime donc s'être déchargée du fardeau d'établir son droit à l'enregistrement de la nouvelle marque.


[11]            Au contraire, la demanderesse fait valoir que l'inscription du nom de la défenderesse au registre à titre de propriétaire serait sans effet légal. Selon la demanderesse, dans le cadre d'une procédure d'opposition, le registraire peut ignorer cette inscription et la tenir pour invalide. En effet, selon ses prétentions, la défenderesse ne serait pas la véritable propriétaire de la marque déposée car son titre et celui de ses prédécesseurs serait vicié. S'appuyant notamment sur les arrêts Lecouturier v. Rey, [1910] A.C. 262 (H.L. (Eng.)) et Laane & Balster v. Estonian State Cargo and Passenger Steamship Line, [1949] S.C.R. 530, la demanderesse soumet que les tribunaux ne donneront pas effet sur leur territoire aux dispositions d'une loi de nature pénale adoptée par un pays étranger dont l'objet est d'exproprier sans compensation un actif pouvant se trouver à l'extérieur de ce pays; ce qui serait le cas en l'espèce puisque la République de Cuba, le 13 octobre 1960, aurait nationalisé, par expropriation forcée, les actifs de différentes sociétés, incluant ceux de la société Jose Arechabala S.A. (l'inscrivant original) dont le nom apparaissait au registre comme propriétaire de la marque déposée depuis le 11 juillet 1934. Ainsi, selon la demanderesse, le registraire n'avait pas le pouvoir et n'aurait pas dû modifier, comme il l'a fait le 24 septembre 1963, l'inscription au registre pour y substituer le nom de la société nationalisée, soit Jose Arechabala S.A. Nacionalizada, à celui de l'inscrivant original. Argumentant que la propriété d'une marque déposée constitue un actif intangible, la demanderesse soumet donc que la défenderesse ne s'est pas déchargée du fardeau d'établir son droit à l'enregistrement de la nouvelle marque, car rien dans le dossier du registraire n'indique qu'une indemnité ait été versée aux personnes affectées par cette expropriation forcée.

[12]            En outre, au paragraphe 6 de sa déclaration d'opposition, la demanderesse allègue être devenue propriétaire de la marque déposée aux termes d'une entente qui serait intervenue le 18 avril 1997 avec la société Jose Arechabala International Limited, qui, elle-même, aurait acquis la propriété de l'enregistrement de l'inscrivant original le 17 avril 1997. Dans sa décision, le registraire indique toutefois qu'aucun élément de preuve n'a été produit à cet égard. Cette conclusion factuelle n'a pas été attaquée en appel car la demanderesse prétend qu'elle n'avait pas à faire la preuve de son droit de propriété allégué. Il incombait plutôt à la défenderesse de prouver qu'elle est propriétaire de la marque déposée.


[13]            En l'espèce, le registraire a conclu qu'il n'a pas compétence pour statuer sur la validité de l'enregistrement no UCA003512 autrement que pour reconnaître que la défenderesse est la propriétaire actuelle de la marque déposée. Essentiellement, le registraire considère que l'enregistrement d'une marque de commerce doit être accepté à sa face même dans les procédures d'opposition. Aux yeux du registraire, la question fondamentale est de savoir s'il a la compétence voulue pour corriger les erreurs qui peuvent être contenues dans le registre des marques de commerce sans réellement modifier celui-ci. Il conclut que dans le cas présent cette compétence appartient de façon exclusive à la Cour fédérale en vertu de l'article 57 de la Loi, et que tant que le registre n'est pas modifié de la manière prévue à cette disposition, il ne peut ignorer l'enregistrement no UCA003512 existant au nom de la défenderesse. Selon le registraire, agir autrement équivaudrait à usurper la compétence exclusive de la Cour fédérale. Car celui-ci ne peut faire de fait ce qu'il ne peut faire de droit : « [s]i, en l'espèce, l'opposante souhaite se fonder sur sa prétendue propriété de l'enregistrement no UCA003512, elle doit obtenir de la Cour fédérale que celle-ci modifie la propriété de cet enregistrement » . Considérant l'article 57, l'économie générale de la Loi, ainsi que la jurisprudence de cette Cour, cette dernière conclusion m'apparaît non seulement raisonnable mais également bien fondée en droit.

[14]            L'article 57 se lit comme suit :


57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

(2) Personne n'a le droit d'intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d'interjeter appel.

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.


[15]            De toute évidence, la décision du registraire respecte l'assignation des compétences prévues à la Loi. Elle est, en outre, conforme avec la présomption (réfutable il est vrai) établie au paragraphe 54(3) voulant qu' « [u]ne copie de l'inscription de l'enregistrement d'une marque de commerce, ... fait foi des faits y énoncés et de ce que la personne y nommée comme propriétaire est le propriétaire inscrit de cette marque de commerce aux fins et dans la région territoriale qui y sont indiquées » .

[16]            L'article 15 permet l'enregistrement des marques de commerce créant de la confusion qui sont la propriété de la même personne. C'est le cas en l'espèce. Le fait que le paragraphe 15(1) utilise le terme « propriétaire » plutôt que l'expression « propriétaire inscrit » n'a pas pour effet de contraindre le propriétaire inscrit à démontrer que son titre de propriété est valide, d'autant plus que, dans le cas présent, le registraire a déjà accepté de reconnaître le transfert de la marque déposée en faveur des prédécesseurs en titre de la défenderesse. D'autre part, le requérant qui demande l'enregistrement d'une nouvelle marque de commerce ne peut pas être considéré comme le « propriétaire inscrit » de cette marque de commerce liée tant que le registraire n'a pas délivré le certificat de son enregistrement. L'émission d'un tel certificat est prévu à l'article 40.


[17]            Or, il est acquis que l'enregistrement d'une marque de commerce, autre qu'une marque de commerce projetée, est toujours opéré au nom de l'auteur de la demande ou de son cessionnaire : paragraphes 40(1) et (4). Du même souffle, aux termes du paragraphe 48(3), « [l]e registraire inscrit le transfert de toute marque de commerce déposée, une fois que lui ont été fournis une preuve du transfert qu'il juge satisfaisante et les renseignements qu'exigerait l'alinéa 30g) dans une demande, par le cessionnaire, d'enregistrer cette marque de commerce » . On retrouvait des dispositions similaires dans la Loi sur la concurrence déloyale, S.C. 1932, ch. 38.

[18]            En l'occurrence, il ressort de l'historique de l'enregistrement no UCA003512 que, suite à la preuve de changement de titre qu'il a alors acceptée, le 24 septembre 1963, le registraire a inscrit le nom de la société Jose Arechabala S.A. Nacionalizada comme propriétaire de la marque déposée. Par la suite, Cubaexport et H.R.L., et enfin la défenderesse, ont successivement été les propriétaires inscrits de la marque déposée. Conformément au paragraphe 46(4), ledit enregistrement est toujours en vigueur. Aucune demande de rectification du registre n'a été présentée en vertu de l'article 57. Il n'y a eu aucune procédure devant le registraire en vertu de l'article 45. Aucune action ou procédure n'a été prise par l'inscrivant original ou toute autre personne intéressée en vertu de l'article 55 contre la défenderesse ou ses prédécesseurs en titre. Il n'y a eu aucun appel ou demande de contrôle judiciaire à l'encontre des décisions du registraire d'accepter le transfert de propriété en 1963, et par la suite, de renouveler l'enregistrement de la marque déposée, en 1964, puis à tous les quinze ans, au nom des prédécesseurs en titre de la défenderesse.


[19]            Faut-il par ailleurs le rappeler, le registraire, puisqu'il est créé par une loi, n'a aucun pouvoir inhérent. Pour déterminer l'étendue de ses pouvoirs, il faut donc se référer aux dispositions de la Loi qui lui attribuent sa compétence : Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O'Keefe, [1983] 2 C.F. 71, à la p. 78 (C.A.F.). En l'espèce, je ne trouve aucune disposition dans la Loi qui, soit expressément, ou de façon nettement implicite, autorise le registraire à déclarer que la demanderesse serait dorénavant propriétaire de la marque déposée. Il ne peut non plus réviser ou annuler l'une de ses décisions à moins d'y être expressément autorisé par la Loi.

[20]            Or, en matière d'opposition, il est bien établi que la seule marque de commerce « en procès » est celle qui fait l'objet de l'opposition : Consumers Distribution Co. Ltd. v. United Consumers Club, Inc. (1991), 35 C.P.R. (3d) 259, à la p. 271 (C.F. 1re inst.); et Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. v. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128, à la p. 134 (C.F. 1re inst.). Par analogie, voir également Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.); Maple Leaf Mills Ltd. v. The Quaker Oats Co. of Canada Ltd. (1984), 82 C.P.R. (2d) 118, à la p. 127 (C.F. 1re inst.); et Renaud Cointreau & Cie v. Cordon Bleu International Ltd. (2000), 193 F.T.R. 182, aux paras. 38-39 (C.F. 1re inst.), qui illustrent l'application d'un principe général du droit des marques de commerce selon lequel l'enregistrement d'une marque de commerce est valide lorsqu'il est inscrit au registre, et ce, tant qu'il n'est pas modifié ou radié par l'autorité compétente.


[21]            Dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 38(8) circonscrit la compétence, au demeurant très limitée, dévolue au registraire. Cette disposition énonce clairement qu' « [a]près avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l'opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs » (mon souligné). Le registraire ne peut que repousser les demandes d'enregistrement ou encore rejeter les oppositions. Ainsi, la suggestion dans la décision du registraire à l'effet que son prédécesseur n'aurait pas dû reconnaître en 1963 le transfert de la marque déposée est sans effet juridique et ne peut lier la Cour qui a compétence exclusive pour décider d'une demande présentée selon l'article 57 ou pour réviser une décision rendue par le registraire.

[22]            Ce qui est clair également, c'est que sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce donne au propriétaire, sauf si son invalidité est démontrée, le droit de l'employer exclusivement au Canada en liaison avec les marchandises et les services apparaissant à l'enregistrement : article 19. Or, l'invalidité de la marque déposée n'a pas été démontrée et, d'ailleurs, la demanderesse n'a jamais prétendu que la marque déposée serait invalide pour l'un des motifs prévus à l'article 18.

[23]            Les deux parties ont fait référence au fardeau de preuve qui incombe respectivement au requérant et à l'opposant suite à une demande d'enregistrement. Ayant examiné attentivement la décision du registraire ainsi que les preuves et les observations soumises par les parties, rien ne me permet de conclure que le registraire ait mal interprété ou mal appliqué les principes applicables en l'espèce.

[24]            Mais il y a davantage. Au-delà des effets juridiques d'une inscription au registre, selon la preuve au dossier, le prédécesseur de la défenderesse, soit la société Jose Arechabala S.A. Nacionalizada, a bel et bien acquis un droit de propriété sur les actifs de l'inscrivant original, incluant la marque déposée. La question n'est donc pas de déterminer si le prédécesseur de la défenderesse était propriétaire de la marque déposée mais plutôt de définir quels sont les effets de ce titre de propriété à l'extérieur de la République de Cuba (dans la mesure où les personnes affectées par l'expropriation n'ont pas été indemnisées). La nature même des questions qui se soulèvent plus de quarante ans après l'expropriation des actifs de l'inscrivant original en 1960 confirme l'absence d'expertise à cet égard du registraire. Le respect des limites juridictionnelles commande que la portée au Canada d'une loi étrangère dont l'invalidité (ou le caractère inopérant) est aujourd'hui soulevée, soit déterminée judiciairement dans un cadre où toutes les parties intéressées auront eu l'opportunité de se faire entendre.


[25]            D'autre part, en vertu du paragraphe 57(1), la Cour fédérale a compétence exclusive pour décider d'une demande présentée selon cette disposition. Au passage, le paragraphe 57(2) n'accorde aucune compétence nouvelle au registraire, mais précise simplement qu'une demande selon l'article 57 ne constitue pas un moyen alternatif pour en appeler d'une décision du registraire lorsqu'un appel peut par ailleurs être interjeté à la Cour en vertu de l'article 56. De façon générale, sous réserve d'un appel validement présenté en vertu de l'article 56, la Cour fédérale a également compétence exclusive pour entendre une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision du registraire : articles 18, 18.1 et 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7. Bref, quelque soit l'angle sous lequel on examine la question, le registraire n'a pas compétence pour statuer sur la validité de l'enregistrement no UCA003512, autrement que pour reconnaître que la défenderesse est la propriétaire actuelle de la marque déposée et que les marques en cause dans ce litige sont des marques liées.

[26]            Aussi, je suis d'avis que suite à son examen de la preuve, le registraire pouvait raisonnablement conclure que la demande de la défenderesse satisfait aux exigences de la Loi, que la nouvelle marque est enregistrable, que la défenderesse est la personne ayant droit à l'enregistrement et que la nouvelle marque est distinctive. En conséquence, la décision du registraire de rejeter l'opposition de la demanderesse ne m'apparaît pas déraisonnable ni mal fondée en droit.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l'appel déposé par la demanderesse à l'encontre de la décision du registraire en date du 3 mai 2001 rejetant l'opposition de la demanderesse à l'enregistrement de la marque HAVANA CLUB Dessin (dossier 845,949), soit rejeté avec dépens.

                                                                                               __________________________________

                                                                                                                                                                 Juge                                


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1181-01

INTITULÉ :                                         BICARDI & CO. LTD. c. HAVANA CLUB HOLDING S.A.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA, ONTARIO

DATE DE L'AUDIENCE :              26 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                       L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                      31 JUILLET 2003

COMPARUTIONS:                         

ME ROBERT MacDONALD                                                     POUR LA DEMANDERESSE

ME MONIQUE COUTURE

ME BARRY GAMACHE                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                

GOWLING, LAFLEUR, HENDERSON                                    POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

LÉGER ROBIC RICHARD                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

MONTRÉAL (QUEBEC)

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