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Date : 20041021

Dossier : T-1533-02

Référence : 2004 CF 1467

ENTRE :

                                  KA-NEE-KA-NEET (LAWRENCE AGECOUTAY),

CHEF INHÉRENT TRADITIONNEL

des NATIONS ANISHINABE

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

SA MAJESTÉLA REINE DU CHEF DU CANADA

et ROBERT NAULT, en sa qualitéde MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

et MARC LA FRENNIERE, en sa qualitéde SOUS-MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

                                                                                                                                      défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                 Les présents motifs résultent du paragraphe 385(2) des Règles, qui concerne la gestion des instances. Selon cette disposition, le juge responsable de la gestion de l'instance ou le protonotaire peut ordonner ce qui, en fait, est un examen de l'état de l'instance, semblable à celui que prévoit l'article 382. Dans un examen de l'état de l'instance selon l'article 382, la Cour peut, entre autres mesures, obliger un demandeur à exposer les raisons pour lesquelles une procédure ne devrait pas être rejetée pour cause de retard : voir l'alinéa 382(2)a). Selon le paragraphe 380(2), l'examen de l'état de l'instance se fait sur la base de prétentions écrites, sauf directives contraires de la Cour. Nous avons ici précisément affaire à un tel examen de l'état de l'instance.

LES FAITS

[2]                 Par avis de demande déposé le 19 septembre 2002, le demandeur, en tant que chef inhérent des nations Anishinabe, de la réserve Turtle Island, avec une adresse à Regina (Saskatchewan), sollicite un mandamus qui obligerait la Couronne à lui payer des rentes, et à payer aux nations Anishinabe des rentes accrues, exigibles ou devant être payés dans l'avenir.

[3]                 Le chef inhérent, Ka-Nee-Ka-Neet, également appelé Lawrence Agecoutay, agit en son propre nom. Comme il est un plaideur profane, les procédures et les délais fixés dans les Règles de la Cour fédérale lui ont causé de la difficulté. Le 13 mai 2003, il obtenait une prorogation du délai fixé pour le dépôt de ses affidavits.

[4]                 En juillet 2003, la Couronne déposait une requête en radiation de l'instance, requête à laquelle le demandeur a répondu par une requête en jugement sommaire. Comme les documents de cette requête en jugement sommaire constituaient une réponse inadéquate et ne présentaient pas la forme requise, ils ont été retournés au demandeur par ordonnance du 24 juillet 2003 : le demandeur avait une semaine pour signifier et déposer un dossier adéquat de réponse à la requête. Le demandeur n'a pas répondu à la requête en radiation déposée par la Couronne.


[5]                 Le 4 décembre 2003, la requête de la Couronne en radiation, requête restée sans opposition, était rejetée même si « la demande du demandeur est sans doute malheureusement mal fondée... » . La Cour a jugé que la situation n'était pas une situation exceptionnelle où la Cour, se fondant sur l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (CAF), prononcerait la radiation d'une procédure de contrôle judiciaire. La Cour a expliqué que la Couronne pourrait, avec plus d'à-propos, présenter son argument à l'éventuelle audition de l'affaire au fond. Cependant, une gestion spéciale fut ordonnée. Par ordonnance du 11 février 2004, le juge en chef a ordonné que l'instance soit une instance à gestion spéciale.

[6]                 La première conférence de gestion de l'instance s'est déroulée par téléphone le 14 mai 2004. Le demandeur avait alors remis des contre-interrogatoires écrits à la Couronne, auxquels la Couronne comptait répondre en juin 2004, le délai de dépôt du dossier du demandeur selon l'article 309 des Règles devant courir à compter de la réception des réponses aux contre-interrogatoires écrits. En l'occurrence, le dossier du demandeur devait être déposé le 28 juin 2004.


[7]                 Au cours d'une conférence de gestion de l'instance tenue le 5 juillet 2004, j'ai accordé au demandeur un délai supplémentaire, jusqu'au 19 juillet 2004, pour le dépôt de son dossier. Durant cette conférence de gestion de l'instance, M. Agecoutay a indiqué qu'il souhaitait introduire, contre la Couronne en tant que fiduciaire, une procédure selon l'article 46 du Code criminel, qui concerne la haute trahison, ce qui pourrait expliquer son manque apparent d'intérêt dans la procédure introduite devant la Cour fédérale.

[8]                 Le dossier du demandeur n'avait pas été déposé le 17 août 2004, date de la conférence suivante de gestion de l'instance. J'ai donc dit au demandeur et à l'avocat de la Couronne qu'il y aurait une ordonnance de gestion de l'instance donnant avis d'un nouvel examen de l'état de l'instance. Cette ordonnance, datée du 17 août 2004, donnait au demandeur jusqu'à la fermeture du greffe le 17 septembre 2004 pour signifier et déposer des observations écrites expliquant pourquoi, dans un examen de l'état de l'instance, la procédure ne devrait pas être rejetée pour cause de retard. Afin que le demandeur puisse avoir quelque idée de la marché à suivre, l'ordonnance indiquait les conditions qui devaient être remplies dans un examen de l'état de l'instance, conditions exposées dans la décision Baroud c. Canada (1998), 160 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.).

[9]                 Le demandeur n'a rien déposé en réponse à l'avis d'examen de l'état de l'instance, mais les défendeurs ont tiré avantage d'une occasion explicite de déposer une réponse et c'est ce qu'ils ont fait le 29 septembre 2004, ayant signifié au demandeur une copie de cette réponse.

EXAMEN


[10]            L'absence manifeste d'intérêt de la part du demandeur dans cette procédure, ou son intention manifeste de ne pas pousser plus loin cette procédure, est d'ailleurs l'objet d'un commentaire de la protonotaire Tabib dans son ordonnance du 13 mai, qui accordait au demandeur une prorogation initiale du délai à l'intérieur duquel il devait déposer des affidavits au soutien de sa demande. Le demandeur se voyait alors accorder une prorogation de délai, mais la protonotaire Tabib s'exprimait sur le retard de trois mois entre une directive du 21 novembre 2002, qui obligeait le demandeur à solliciter une prorogation de délai, et le dépôt de la requête en prorogation de délai :

[traduction] Aucune explication n'est donnée cependant du délai ultérieur de trois mois qui s'est écoulé entre la date de la directive donnée par le protonotaire Hargrave et la date de dépôt de la présente requête. La période inexpliquée d'inaction met sérieusement en doute l'affirmation du demandeur selon laquelle il a toujours eu l'intention de faire avancer l'instance.

Ce retard, doublé d'une intention manifeste de ne pas pousser plus loin la présente demande, persiste aujourd'hui.

[11]            Dans la décision Baroud c. Canada (précitée), le juge Hugessen exposait un critère en deux volets à l'usage de la Cour pour l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, selon l'article 382 des Règles, de décider s'il convient de rejeter une procédure pour cause de retard ou plutôt de la laisser suivre son cours. Ce même critère en deux volets, que j'examinerai maintenant, est également applicable à un examen provisoire de l'état de l'instance effectué selon l'article 385. Le juge Hugessen expose ainsi le critère :


[4]         En décidant de la façon dont elle doit exercer le large pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de la règle 382 à la fin d'un examen de ltat de l'instance, la Cour doit, à mon avis, se préoccuper principalement de deux questions :

1)          Quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas avancé plus vite et justifient-elles le retard qui a eu lieu?

2)          Quelles mesures le demandeur propose-t-il maintenant pour faire avancer l'affaire?

[5]         Les deux questions sont clairement en corrélation en ce sens que s'il existe une excuse valable justifiant que l'affaire n'ait pas progressé plus rapidement, il n'est pas probable que la Cour soit très exigeante en requérant un plan d'action du demandeur. D'autre part, si aucune raison valable n'est invoquée pour justifier le retard, le demandeur devrait être disposé à démontrer qu'il reconnaît avoir envers la Cour l'obligation de faire avancer son action. De simples déclarations de bonne intention et du désir d'agir ne suffisent clairement pas. De même, le fait que la défenderesse puisse avoir été négligente et ne stre pas acquittée de ses obligations procédurales est, dans une grande mesure, sans rapport : la principale obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, à un examen de ltat de l'instance, la Cour lui demandera des explications.

(Page 92)

J'ai cité textuellement cet extrait de la décision Baroud afin de bien faire ressortir les propos suivants du juge Hugessen : « ... la principale obligation de voir à ce que l'affaire se déroule normalement incombe au demandeur et, àun examen de ltat de l'instance, la Cour lui demandera des explications » . Il appartient donc au demandeur d'expliquer pourquoi sa demande ne devrait pas être rejetée.

[12]            La Couronne reconnaît qu'elle demeure d'avis que la réclamation du demandeur n'est pas défendable, mais elle se contente de faire observer que le demandeur n'a pas présenté d'arguments et que l'on ne saurait donc contester qu'il ne s'est pas acquitté de la charge qui reposait sur lui.


[13]            Le demandeur n'a rien fait pour me convaincre que cette procédure devrait suivre son cours. Cependant, au vu du dossier de la Cour, notamment les directives et les pièces de correspondance relatives à la gestion de l'instance, et l'absence de toute intention explicite du demandeur d'aller de l'avant, je ne suis pas convaincu que l'instance devrait suivre son cours. Elle est donc rejetée pour cause de retard.

DÉPENS

[14]            Je passe maintenant à la question des dépens. Dans la décision Merck & Co. c. Novopharm Ltd. (1998), 152 F.T.R. 74 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson écrivait, à la page 79, que, avec l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), les dépens d'une demande devenaient payables selon l'appréciation de la Cour, sans que des motifs particuliers soient nécessaires. Le paragraphe 400(2) des Règles précise que les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.


[15]            Des dépens peuvent être adjugés après rejet d'une procédure pour cause de retard, dans un examen de l'état de l'instance. Ce principe est exposé par la juge Reid dans la décision Sax c. Chomyn (1999), 173 F.T.R. 318 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, l'avocat des défendeurs faisait observer que les défendeurs s'étaient conduits loyalement, qu'ils avaient engagé des frais et qu'ils n'étaient nullement tenus de montrer le chemin au demandeur dans son procès ni d'engager d'autres frais au-delà de ceux qui l'étaient déjà, pour tenter de faire aboutir la procédure. On peut établir un parallèle avec la présente instance : la Couronne a tenté de donner satisfaction au demandeur, en particulier durant la gestion de l'instance, et elle a également engagé des frais substantiels, notamment en essayant de faire radier l'affaire, un exercice qui aurait probablement donné des résultats : la décision David Bull Laboratories (précitée) a été un obstacle à la radiation de la présente demande, parce qu'il n'y avait pas de circonstances exceptionnelles, mais simplement, pour citer la protonotaire Tabib dans son ordonnance du 4 décembre 2003, une demande « malheureusement mal fondée » .

[16]            Dans la décision Sax c. Chomyn (précitée), la partie défenderesse avait été condamnée à payer 1 500 $ à titre de dépens, somme qui avait été consignée au tribunal comme caution judicatum solvi. La partie défenderesse avait aussi obtenu les dépens de la requête par laquelle elle avait demandé que les dépens lui soient adjugés. Dans la présente affaire, la Couronne obtiendra ses dépens.

[17]            Je ne vois aucune utilité à prolonger l'instance par une taxation des dépens. Au lieu de cela, la Couronne obtiendra ses dépens selon une somme forfaitaire, après un calcul quelque peu approximatif fait d'après le tarif B, pour la préparation et le dépôt de dossiers et de documents, pour la préparation des conférences de gestion de l'instance et la présence à telles conférences, et pour ses conclusions, utiles, sur l'examen de l'état de l'instance, soit 14 unités à 110 $ l'unité : en chiffre rond, les dépens payables sur-le-champ par le demandeur à la Couronne sont de 1 500 $.

                                                                                                                        « John A. Hargrave »          

                                                                                                                                       Protonotaire                 

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 21 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR PIÈCES, SANS LA COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                           T-1533-02

INTITULÉ :                                           Ka-Nee-Ka-Neet (Lawrence Agecoutay) c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada et autres

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                         le 21 octobre 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

(Pas d'observations déposées)

Karen Jones

DEMANDEUR

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Agecoutay

Regina (Saskatchewan)

Morris A Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Saskatoon (Saskatchewan)

DEMANDEUR, en son propre nom

POUR LES DÉFENDEURS

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