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Date : 20001109

Dossier : T-1663-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 9 novembre 2000

EN PRÉSENCE DE :      M. LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                               RYSZARD FRANKOWSKI

demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            FREDERICK E. GIBSON         

J.C.F.C.                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001109

Dossier : T-1663-99

ENTRE :

                               RYSZARD FRANKOWSKI

demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un fonctionnaire du ministre défendeur refusant d'accorder au demandeur une preuve de citoyenneté canadienne, savoir un certificat de citoyenneté. Le fonctionnaire déclare ceci :

[traduction]


La Loi sur la citoyenneté canadienne, en vigueur du 1er janvier 1947 au 14 février 1997, conférait le privilège de la citoyenneté à une personne née au Canada ou, si elle était née hors du Canada d'un père canadien marié ou d'une mère canadienne célibataire si sa naissance était inscrite en conformité des règlements. M. Frankowski est né en Pologne de parents polonais et il n'a donc pas obtenu la citoyenneté du fait de sa naissance.

Dans la lettre de décision, il est aussi précisé que le demandeur en l'instance a aussi fait une demande pour obtenir la citoyenneté canadienne, en même temps qu'il faisait une demande pour obtenir un certificat de citoyenneté. Cette demande a aussi été rejetée, une décision qui a fait l'objet d'une demande séparée de contrôle judiciaire que la Section de première instance a rejetée le 4 août 2000[1].

[2]                La décision soumise au présent contrôle, savoir le refus de délivrer une preuve de citoyenneté canadienne au demandeur, est datée du 20 août 1999.

LE CONTEXTE


[3]                L'historique qui suit est tiré en grande partie du dossier du tribunal déposé à la Cour, ainsi que des mémoires déposés au nom du demandeur et du défendeur. Le demandeur est seul à avoir déposé un affidavit pertinent en l'instance, affidavit qui a été souscrit le 13 octobre 1999. Le contenu significatif consiste en deux paragraphes, le premier attestant que le demandeur a présenté une demande de preuve de citoyenneté canadienne et le second que cette demande a été rejetée. Au début de l'audience en l'instance, la Cour a exprimé ses préoccupations quant au fait que la preuve déposée devant elle était inadéquate. Je traiterai de ce sujet plus longuement plus tard dans mes motifs.

[4]                Le demandeur est né en Pologne de parents polonais le 20 janvier 1958. Il est arrivé au Canada avec ses parents à titre d'immigrant reçu ou de résident permanent le 25 mai 1964. Il avait donc six ans lors de son arrivée au Canada. À la date de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur n'était retourné en Pologne qu'une fois depuis son arrivée et seulement pour une courte visite.

[5]                Les parents du demandeur semblent n'avoir jamais fait de demande de citoyenneté canadienne pour celui-ci, nonobstant le fait qu'ils avaient droit de le faire après cinq années de résidence et avant que le demandeur atteigne sa majorité. De la même façon, après avoir atteint sa majorité, le demandeur n'a pas fait de demande de citoyenneté canadienne avant le 21 décembre 1998. C'est à cette date qu'il a déposé les demandes qui se sont soldées par le rejet soumis au contrôle en l'instance, ainsi que par le rejet de sa demande de citoyenneté canadienne.

[6]                Le demandeur a été déclaré coupable de trafic de stupéfiants dans les trois ans précédant sa demande de citoyenneté canadienne. C'est sur cette base que sa demande de citoyenneté canadienne a été rejetée. Il semble que ce n'était pas la première fois que le demandeur était déclaré coupable de trafic de stupéfiants.


[7]                Un avis portant que le demandeur est un danger pour le public au Canada a été délivré à son sujet le 18 novembre 1998, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration[2].

[8]                Peu de temps après que la décision soumise au contrôle ait été rendue, une mesure de renvoi a été délivrée à l'encontre du demandeur et il a été renvoyé en Pologne le 19 juin 2000.

LA RÉPARATION DEMANDÉE

[9]                Dans cette demande de contrôle judiciaire, le demandeur s'appuie sur l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés[3] (la Charte), le demandeur sollicite l'annulation de la décision contestée et le renvoi de sa demande de preuve de citoyenneté canadienne au défendeur en précisant qu'au vu de la Charte, le demandeur est un citoyen du Canada.


LE CADRE LÉGISLATIF

[10]            Au cours des plaidoiries, l'avocat du demandeur et l'avocate du défendeur se sont appuyés sur la Loi sur la citoyenneté canadienne[4], législation qui était applicable tant au moment où le demandeur est né qu'à celui où il est arrivé au Canada. Les paragraphes 5(1) et (2) de la Loi sont rédigés comme suit :


5. (1) A person born after the 31st day of December 1946 is a natural-born Canadian citizen,

    (a) if he is born in Canada or on a Canadian ship       or

    (b) if he is born outside of Canada elsewhere             than on a Canadian ship, and

       (i) his father, or in the case of a child born out of wedlock, his mother, at the time of that person's birth, is a Canadian citizen, and

       (ii) the fact of his birth is registered in accordance with the regulations, within two years after its occurrence or within such extended period as the Minister may authorize in special cases.

    (2) A person who is a Canadian citizen under paragraph (1)(b) ceases to be a Canadian citizen upon the date of the expiration of three years after the day on which he attains the age of twenty-one years, unless he

    (a) has his place of domicile in Canada at such date; or

   (b) has, before such date and after attaining the age of twenty-one years, filed, in accordance with the regulations, a declaration of retention of Canadian citizenship.


5. (1) Une personne née après le 31 décembre 1946 est un citoyen canadien de naissance,

    a) si elle est née au Canada ou sur un navire             canadien; ou

    b) si elle est née hors du Canada ailleurs que              sur un navire canadien, et si

        (i) son père ou, dans le cas d'un enfant né hors du mariage, sa mère, au moment de la naissance de cette personne, était un citoyen canadien, et si

       (ii) le fait de sa naissance est inscrit, en conformité des règlements, au cours des deux années qui suivent cet événement ou au cours de la période prolongée que le Ministre peut autoriser en des cas spéciaux.

     (2) Une personne qui est un citoyen canadien aux termes de l'alinéa (1)(b) cesse d'être un citoyen canadien à la date d'expiration de trois années après le jour où elle a atteint l'âge de vingt et un ans, à moins

     a) qu'elle n'ait son lieu de domicile au Canada         à pareille date; ou

     b) que, avant pareille date et après avoir atteint          l'âge de vingt et un ans, elle n'ait produit, en             conformité des règlements, une déclaration de           rétention de citoyenneté canadienne.


[11]            Personne n'a prétendu devant moi que le demandeur aurait été un « citoyen canadien de naissance » au sens de ces dispositions de la loi.


[12]            Au moment où le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, la législation pertinente se trouvait aux paragraphes 3(1) et 4(1), ainsi qu'à l'article 8 de la Loi sur la citoyenneté[5], qui sont rédigés comme suit :


3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

(a) the person was born in Canada after February 14, 1977;

(b) the person was born outside Canada after February 14, 1977 and at the time of his birth one of his parents, other than a parent who adopted him, was a citizen;

(c) the person has been granted or acquired citizenship pursuant to section 5 or 11 and, in the case of a person who is fourteen years of age or over on the day that he is granted citizenship, he has taken the oath of citizenship;

(d) the person was a citizen immediately before February 15, 1977; or

(e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.


3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

a) née au Canada après le 14 février 1977;

b) née à l'étranger après le 14 février 1977 d'un père ou d'une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance;

c) ayant obtenu la citoyenneté -- par attribution ou acquisition -- sous le régime des articles 5 ou 11 et ayant, si elle était âgée d'au moins quatorze ans, prêté le serment de citoyenneté;

d) ayant cette qualité au 14 février 1977;

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l'alinéa 5(1)b) de l'ancienne loi.


...


...


4. (1) For the purposes of paragraph 3(1)(a), every person who, before apparently attaining the age of seven years, was found as a deserted child in Canada shall be deemed to have been born in Canada, unless the contrary is proved within seven years from the date the person was found.


4. (1) Pour l'application de l'alinéa 3(1)a), l'enfant abandonné trouvé au Canada avant l'âge apparent de sept ans est réputé être né au Canada sauf preuve du contraire faite dans les sept ans qui suivent la date à laquelle il a été trouvé.


...


...


8. Where a person who was born outside Canada after February 14, 1977 is a citizen for the reason that at the time of his birth one of his parents was a citizen by virtue of paragraph 3(1)(b) or (e), that person ceases to be a citizen on attaining the age of twenty-eight years unless that person

(a) makes application to retain his citizenship; and

(b) registers as a citizen and either resides in Canada for a period of at least one year immediately preceding the date of his application or establishes a substantial connection with Canada.


8. La personne qui, née à l'étranger après le 14 février 1977, possède la citoyenneté en raison de la qualité de citoyen reconnue, à sa naissance, à son père ou sa mère au titre de l'alinéa 3(1)b) ou e), la perd à l'âge de vingt-huit ans sauf si :

a) d'une part, elle demande à conserver sa citoyenneté;

b) d'autre part, elle se fait immatriculer comme citoyen et soit réside au Canada depuis un an à la date de la demande, soit démontre qu'elle a conservé avec le Canada des liens manifestes.



[13]            Au cours des plaidoiries, on a fait état des dispositions suivantes de la Charte :


6. (1) Every citizen of Canada has the right to enter, and remain in and leave Canada.

(2) Every citizen of Canada and every person who has the status of a permanent resident of Canada has the right

(a) to move to and take up residence in any province; and

(b) to pursue the gaining of a livelihood in any province.

(3) The rights specified in subsection (2) are subject to

(a) any laws or practices of general application in force in a province other than those that discriminate among persons primarily on the basis of province of present or previous residence; and

(b) any laws providing for reasonable residency requirements as a qualification for the receipt of publicly provided social services.

(4) Subsections (2) and (3) do not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration in a province of conditions of individuals in that province who are socially or economically disadvantaged if the rate of employment in that province is below the rate of employment in Canada.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

...

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

...

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

                                                                                     

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le

droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils

n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de

résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services

sociaux publics.

(4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour objet d'interdire les lois, programmes ou activités

destinés à améliorer, dans une province, la situation d'individus défavorisés socialement ou

économiquement, si le taux d'emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

...

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

...

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la

même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.


(2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à

améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur

origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs

déficiences mentales ou physiques.

...

...

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

...

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis

par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal

estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

...

32. (1) This Charter applies

(a) to the Parliament and government of Canada in respect of all matters within the authority of Parliament including all matters relating to the Yukon Territory and Northwest Territories; and

(b) to the legislature and government of each province in respect of all matters within the authority of the legislature of each province.

(2) Notwithstanding subsection (1), section 15 shall not have effect until three years after this section comes into force.

32. (1) La présente charte s'applique :

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement,

y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de

cette législature.

(2) Par dérogation au paragraphe (1), l'article 15 n'a d'effet que trois ans après l'entrée en vigueur du

présent article.


LA QUESTION EN LITIGE

[14]            Dans l'avis d'une question constitutionnelle, signifié aux procureurs généraux du Canada, des provinces et territoires et déposé à la Cour le 18 août 2000, l'avocat du demandeur décrit de la façon suivante la question posée dans cette demande de contrôle judiciaire :

[traduction]

Le demandeur veut mettre en cause la portée trop limitative de la Loi sur la citoyenneté, du fait qu'elle ne donne pas le droit à la citoyenneté canadienne à tous les enfants qui arrivent au Canada en qualité de résidents permanents avant d'avoir atteint l'âge de sept ans.

...

Voici le fondement juridique de la question constitutionnelle :

               Selon le demandeur, la Loi sur la citoyenneté viole trois dispositions différentes de la Charte : la garantie de la sécurité de la personne en conformité avec les principes de justice fondamentale, article 7 de la Charte; la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, article 12 de la Charte; et la garantie d'égalité et de protection indépendamment de toute discrimination fondée sur l'origine nationale, article 15 de la Charte.

[15]            Pour l'essentiel, ce que l'avocat du demandeur soutient c'est qu'il y a lieu de postuler l'existence d'une disposition additionnelle qui s'ajouterait au paragraphe 3(1) de la Loi sur la citoyenneté, qui ferait que les personnes comme le demandeur, ou les personnes dans une situation semblable, savoir les enfants qui arrivent au Canada comme immigrants reçus ou résidents permanents avec leurs parents avant d'atteindre l'âge de sept ans, seraient présumés être des citoyens canadiens sauf preuve du contraire faite dans les sept ans qui suivent la date de leur arrivée. Une telle disposition accorderait au demandeur et aux personnes dans une situation semblable les mêmes privilèges qui sont accordés aux enfants abandonnés et trouvés au Canada par le paragraphe 4(1) de la Loi sur la citoyenneté.


[16]            Dans le mémoire présentant ses arguments, déposé avant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], l'avocat du demandeur soutient aussi que le terme « citoyen » que l'on trouve à l'article 6 de la Charte devrait recevoir une signification plus large que celle que lui accorde la Loi sur la citoyenneté. Dans l'arrêt Solis, le juge Rothstein, J.C.A., déclare ceci au nom de la Cour aux paragraphes 2 à 6 :

La première question certifiée est la suivante :

Le mot « citoyen » de l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés a-t-il un sens différent de celui qui lui est reconnu par la loi? Dans l'affirmative, un avis fondé sur le paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration va-t-il à l'encontre d'un droit reconnu par l'article 6?

L'appelant était un résident permanent aux termes de la Loi sur l'immigration, mais n'était pas un citoyen au sens de la Loi sur la citoyenneté ... .Se fondant sur le paragraphe 6(1) de la Charte, qui permet à un citoyen de rester au Canada, l'appelant prétend qu'aux fins de la Charte, il était un citoyen. Autrement dit, malgré le fait qu'il n'était pas un citoyen au sens de la Loi sur la citoyenneté, il avait un droit indépendant fondé sur la Charte d'être considéré comme un citoyen, en grande partie en raison de ses liens familiaux et de ses racines au Canada. Selon l'appelant, ce droit de common law d'être considéré comme un citoyen s'ajoute aux dispositions législatives sur la citoyenneté contenues dans la Loi sur la citoyenneté, mais ne les remplace pas.

Nous convenons avec le professeur Hogg que la notion de citoyenneté n'a pas un sens différent de celui que lui reconnaît la loi. Le concept de citoyenneté est une création du droit législatif fédéral. La Loi sur la citoyenneté est assujettie aux dispositions prépondérantes de la Charte, de sorte que si un tribunal arrive à la conclusion qu'une disposition de la Loi sur la citoyenneté contrevient à la Charte, il existe une réparation fondée sur la Charte. Toutefois, l'appelant en l'espèce ne conteste pas la Loi sur la citoyenneté à ce titre. Il affirme seulement qu'il existe un autre concept de citoyenneté, fondé sur la Charte. Pour les motifs exposés précédemment, nous ne pouvons accepter cet argument.

La réponse à la question 1 est que le mot « citoyen » de l'article 6 de la Charte n'a pas un sens différent de celui que lui reconnaît la loi.

Comme la réponse à la première partie de la question 1 est négative, il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième partie de celle-ci.                                                                                                           [les références ne sont pas reproduites]


[17]            Au vu de cette décision, on a abandonné l'argument présenté au nom du demandeur voulant que le terme « citoyen » à l'article 6 de la Charte aurait un sens différent de celui qui lui est reconnu par la loi. Toutefois, comme je l'ai déclaré plus tôt, le demandeur conteste en l'instance la Loi sur la citoyenneté comme telle. Par conséquent, l'argument voulant que la portée trop limitative de la Loi sur la citoyenneté viole la Charte est maintenu.

ANALYSE

La question de fond

           1)         L'omission du législateur

[18]            Dans l'arrêt Vriend c. Alberta[7], la Cour suprême du Canada a examiné la question de savoir si l'article 32 de la Charte fait obstacle à l'examen d'une violation de la Charte lorsque la question se pose par suite d'une omission du législateur. Au paragraphe 61 de leurs motifs, les juges Cory et Iacobucci déclarent ceci :

La constitutionnalité de l'IRPA est contestée pour le motif qu'elle ne protège pas des droits garantis par la Charte, c'est-à-dire en raison de sa portée trop limitative. Le seul fait que la Loi soit contestée pour sa portée trop limitative ne devrait pas nécessairement rendre la Charte inapplicable. Si l'omission n'était pas assujettie à la Charte, la loi trop limitative, rédigée de façon à simplement omettre une catégorie plutôt qu'à l'exclure expressément, serait à l'abri de toute contestation fondée sur la Charte. Si ce point de vue était jugé valable, la forme et non le fond déterminerait si la loi peut être contestée, ce qui serait illogique, mais surtout injuste. Par conséquent, lorsque, comme en l'espèce, la contestation vise une loi adoptée par la législature qui est trop limitative en raison d'une omission, l'art. 32 ne devrait pas être interprété comme faisant obstacle à l'application de la Charte.

Je suis convaincu qu'on pourrait dire la même chose lorsque la contestation porte sur une loi du Parlement, comme c'est le cas ici.


           2)         La rétroactivité / la rétrospectivité

[19]            L'avocate du défendeur soutient que ce que le demandeur essaie d'obtenir ici est qu'on applique la Charte à sa situation de façon rétroactive ou rétrospective. La Cour suprême du Canada a longuement traité de cette question dans l'arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d'État)[8], une affaire où M. Benner contestait au moyen de la Charte l'application de la Loi sur la citoyenneté à son cas, les faits de cette affaire ressemblant d'une certaine façon aux faits en l'instance. Comme le demandeur en l'instance, M. Benner était né hors du Canada. Né en 1962 du mariage d'une mère canadienne et d'un père américain, M. Benner a grandi en Californie et il est venu au Canada en 1986, soit à l'âge de 24 ans. On lui a refusé la citoyenneté canadienne. Au nom de la Cour, le juge Iacobucci déclare ceci aux paragraphes 39 et suivants :

Les mots « rétroactivité » et « rétrospectivité » , bien que fréquemment utilisés dans le domaine de l'interprétation des lois, peuvent porter à confusion. ...

...

La Charte ne s'applique pas rétroactivement et notre Cour a déclaré, à de nombreuses reprises, qu'elle ne pouvait pas s'appliquer rétrospectivement : ...

...


Parallèlement, toutefois, notre Cour a rejeté un critère rigide de détermination des situations particulières dans lesquelles l'application de la Charte serait rétrospective, préférant apprécier chaque affaire selon le contexte factuel et législatif qui lui est propre, en portant son attention sur la nature du droit garanti par la Charte qui est en cause. Une situation comportant des événements antérieurs à l'entrée en vigueur de la Charte n'entraînera pas toujours l'application rétrospective de la Charte. ...

...

L'article 15 [de la Charte] ne peut être invoqué pour contester un acte précis et isolé survenu avant l'entrée en vigueur de la Charte. Par exemple, il ne peut être invoqué pour attaquer une déclaration de culpabilité antérieure à la Charte : ... Toutefois, un texte de loi qui a simplement pour effet d'imposer à une personne une incapacité ou un statut discriminatoires en cours n'est pas à l'abri d'un examen fondé sur la Charte pour l'unique raison qu'il a été édicté avant le 17 avril 1985. Si ce texte continue aujourd'hui d'imposer ses effets aux nouveaux demandeurs, il est susceptible d'examen en regard de la Charte : ...

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s'agit-il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s'agit-il simplement d'apprécier l'application contemporaine d'un texte de loi qui a été édicté avant l'entrée en vigueur de la Charte?

Je suis bien conscient que cette distinction n'est pas toujours aussi nette qu'on le souhaiterait, car bien des situations peuvent raisonnablement être considérées comme mettant en jeu à la fois des événements précis et isolés et des conditions en cours. ...

...

L'idée que des droits se cristallisent au moment de la naissance me crée certaines difficultés, particulièrement dans le contexte de l'art. 15. Cette situation suggérerait que chaque fois qu'une personne née avant le 17 avril 1985 subirait les effets discriminatoires d'une mesure législative, ces effets seraient à l'abri des contestations fondées sur la Charte. Comme la couleur de notre peau est déterminée à notre naissance, suivant cette logique, des droits attribués en fonction de la couleur de la peau par une loi particulière « se cristalliseraient » donc à ce moment. Selon la thèse avancée par l'intimé, les personnes nées avant l'entrée en vigueur de l'art. 15 seraient donc dans l'impossibilité d'invoquer la Charte pour contester l'application, même récente, d'une telle mesure législative. En fait, le Parlement du Canada ou une législature pourraient soustraire des lois discriminatoires à tout examen en disposant qu'elles s'appliquent uniquement aux personnes nées avant 1985.


Il est préférable, selon moi, de caractériser la situation de l'appelant en disant qu'il s'agit d'un statut ou d'une condition en cours. Depuis sa naissance, il est un enfant né hors du Canada, avant le 15 février 1977, d'une mère canadienne et d'un père non canadien. Il s'agit tout autant d'un « statut » que le sont le fait d'avoir la peau d'une certaine couleur ou celui d'appartenir à une origine ethnique ou religieuse donnée : c'est un état de fait en cours. Les personnes dans la situation de l'appelant continuent aujourd'hui d'être privées du droit à la citoyenneté qui est conféré d'office aux enfants nés d'un père canadien.

...

Bien que je sois d'accord pour affirmer que la mention d'une date dans une mesure législative puisse tendre à indiquer que celle-ci s'attache d'avantage à un « événement » qu'à un « statut » , ce fait à lui seul ne saurait être déterminant. Il faut également tenir compte de la nature de la caractéristique en cause. Comme je l'ai dit précédemment, il y a une différence entre les caractéristiques acquises à la naissance (par exemple la race), et celles qui découlent d'un acte quelconque, accompli plus tard dans la vie (par exemple l'état de personne divorcée). J'estime que les caractéristiques immuables acquises à la naissance sont, en général, plus susceptibles d'être qualifiées à juste titre de « statut » que celles résultant de la décision d'accomplir un acte, par exemple, le choix de contracter mariage ou de divorcer. ...                                                                                                                                    [les références et citations, ainsi que certaines parties du texte, ne sont pas reproduites]

[20]            Utilisant cette analyse, je suis convaincu que ce qui est en cause ici, comme dans l'arrêt Benner, c'est le « statut » du demandeur, plutôt que la date de sa naissance hors du Canada ou que son âge lorsqu'il est arrivé au Canada, qui sont des événements précis. Bien que l'analyse de l'arrêt Benner faisait suite à une contestation qui ne portait que sur l'article 15, aux fins de la présente instance je crois qu'il y a lieu de l'appliquer aux arguments présentés en vertu des articles 7 et 12 de la Charte.

           3)         La violation de l'article 7 de la Charte


[21]            Quant à l'allégation que la portée trop limitative de la Loi sur la citoyenneté violerait les droits du demandeur à la liberté et à la sécurité protégés par la Charte, je suis convaincu que l'argument présenté au nom du demandeur est extrêmement faible et qu'il ne peut être retenu.

[22]            L'avocat du demandeur soutient que la liberté et la sécurité de ce dernier ont été violées du fait que la Loi sur la citoyenneté ne reconnaît pas son droit à la citoyenneté en sa qualité d'enfant arrivé au Canada en compagnie de ses parents et à titre d'immigrant reçu ou de résident permanent avant d'avoir atteint l'âge de sept ans, le privant ainsi de son droit de rester au Canada et se soldant par son renvoi du Canada. Selon l'avocat, ceci constituerait une perturbation arbitraire et non justifiée de sa vie au Canada.


[23]            Pendant plusieurs années après l'arrivée du demandeur au Canada avec ses parents, et après l'expiration de la période d'attente prescrite, les parents du demandeur auraient pu faire une demande de citoyenneté pour leur fils et rien dans la preuve qui est présentée à la Cour vient indiquer que la demande n'aurait pas été accueillie favorablement. De la même façon, après que le demandeur eut atteint l'âge de la majorité et avant qu'il ne soit déclaré coupable d'actes criminels, il aurait pu faire sa propre demande de citoyenneté canadienne. Encore une fois, il n'y a rien dans la preuve déposée à la Cour qui pourrait m'amener à conclure que cette demande n'aurait pas obtenu une réponse favorable. En fait, c'est la conduite criminelle du demandeur qui fait qu'il ne peut obtenir le statut de citoyen canadien et non le lieu de sa naissance ou la nationalité de ses parents. Ce ne sont donc pas le lieu de sa naissance et la nationalité de ses parents qui auraient mis en cause sa liberté et sa sécurité, mais bien son incurie ainsi que la conduite criminelle qui a fait l'objet de sa déclaration de culpabilité.

[24]            Au vu des circonstances exposées dans la preuve présentée à la Cour, je suis convaincu que dans la mesure où les droits du demandeur à la liberté et à la déclaration auraient été mis en cause, et je ne suis pas convaincu qu'ils l'aient été, le résultat serait conforme aux principes de justice fondamentale[9]. Comme on le voit dans l'arrêt Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens[10], dont les faits sont très différents, ce n'est pas le fait que le législateur n'ait pas accordé le droit à la citoyenneté canadienne aux personnes comme le demandeur qui aurait pu le priver de sa liberté et de sa sécurité, mais plutôt sa propre incurie et celle de ses parents ainsi que les activités criminelles et les déclarations de culpabilité qui en découlent, ainsi que les autres procédures[11] en vertu de la Loi sur l'immigration[12].


           4)         La violation de l'article 12 de la Charte

[25]            Je suis convaincu qu'on pourrait dire essentiellement la même chose au sujet de la prétendue violation de l'article 12 de la Charte.

[26]            L'avocat du demandeur a soutenu que la portée trop limitative de la Loi sur la citoyenneté, qui permet de nier le droit à la citoyenneté du demandeur, un enfant qui n'avait pas atteint l'âge de sept ans à son arrivée au Canada en qualité d'immigrant reçu ou de résident permanent, constituait indirectement une forme de traitement cruel et inusité en sanctionnant une conduite négligente assimilable à un traitement cruel du demandeur du fait que ses parents n'ont pas demandé la citoyenneté pour lui. L'avocat soutient qu'une telle conduite négligente, qui allait à l'encontre de l'intérêt bien compris de l'enfant au vu des faits en l'instance, a fait que celui-ci a été la victime d'une discrimination fondée sur la nationalité de ses parents qui s'est en définitive soldée par son renvoi.

[27]            Dans l'arrêt Chiarelli, précité, le juge Sopinka déclare, au nom de la Cour, aux pages 735 et 736 :

La norme générale à appliquer pour déterminer s'il y a violation de l'art. 12 est énoncée par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans le passage suivant tiré de l'arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, à la p. 1072 :


Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à ... l'arrêt Miller et Cockriell ... à se demander « si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. » En d'autres termes, bien que l'État puisse infliger une peine, l'effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

L'expulsion d'un résident permanent qui, en commettant une infraction criminelle punissable d'au moins cinq ans de prison, a délibérément violé une condition essentielle pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, ne saurait être considérée comme incompatible avec la dignité humaine. Au contraire, c'est précisément le fait de permettre que les personnes ayant pu entrer au Canada sous condition violent délibérément et impunément ces conditions qui tendrait vers l'incompatibilité avec la dignité humaine.

[28]            En l'instance, comme dans l'arrêt Chiarelli, le renvoi du demandeur vient sanctionner non pas l'infraction qui a fait l'objet de sa déclaration de culpabilité, mais plutôt la violation d' « ...une condition essentielle pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada... » . Il n'a pas été renvoyé à cause du lieu de sa naissance ou de la nationalité de ses parents, ou du fait que la Loi sur la citoyenneté n'accorde pas aux personnes qui sont dans la situation du demandeur un droit à la citoyenneté canadienne. En fait, il a été renvoyé parce qu'il n'était pas citoyen canadien, statut dont la responsabilité n'incombe pas au législateur ou à l'État, mais bien à ses parents et à lui-même, suivi du fait qu'il a délibérément violé une condition essentielle pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada comme résident permanent.          

[29]            Au vu des faits en l'instance, je conclus qu'il n'y a pas eu violation de l'article 12.


5)         La violation de l'article 15 de la Charte

[30]            Je vais maintenant examiner l'allégation qu'il y aurait eu violation de l'article 15 de la Charte. En examinant cette question, je tiendrai compte du cadre d'analyse s'appliquant à une allégation de discrimination en vertu de l'article 15 qui nous est fourni dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[13], plus particulièrement au paragraphe 88, à la page 549, des motifs de la décision de la Cour suprême. Dans ce paragraphe, le juge Iacobucci déclare ceci :

               ...

                     

               (4)           En termes généraux, l'objet du par. 15(1) est d'empêcher qu'il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l'imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu'êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération.

               (5)           Il doit absolument y avoir un conflit entre l'objet ou les effets de la loi contestée et l'objet du par. 15(1) pour fonder une allégation de discrimination. L'existence d'un tel conflit doit être établie au moyen de l'analyse de l'ensemble du contexte entourant l'allégation et le demandeur.

               ...


[31]            Personne n'a contesté en l'instance le droit du législateur d'établir une distinction entre, d'une part, les personnes nées au Canada et celles nées hors du Canada d'un parent citoyen canadien, et, d'autre part, les personnes nées hors du Canada de parents qui ne sont pas citoyens canadiens. On n'a pas non plus contesté que le demandeur se situait dans cette dernière catégorie, savoir les personnes nées hors du Canada de parents qui ne sont pas citoyens canadiens. Plutôt, je considère que l'argument présenté au nom du demandeur se limite à ceci : le demandeur, une personne née hors du Canada de parents qui ne sont pas citoyens canadiens et qui a accompagné ses parents au Canada à titre d'immigrant reçu ou de résident permanent alors qu'il n'avait pas atteint l'âge de sept ans, fait l'objet d'une discrimination par rapport à un enfant abandonné de moins de sept ans trouvé au Canada.

[32]            Je suis convaincu que cette distinction n'est pas fondée sur une caractéristique personnelle, non plus qu'elle omettrait de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur en l'instance se trouverait déjà dans la société canadienne. Je suis aussi convaincu que la différence de traitement en cause n'est fondée sur aucun des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur des motifs analogues.


[33]            Finalement, la différence de traitement entre les personnes qui sont dans la situation du demandeur et les enfants abandonnés du même âge n'impose pas un fardeau au demandeur ni ne le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion qu'un individu comme le demandeur est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération qu'un enfant abandonné du même âge. En fait, le demandeur et les personnes qui sont dans sa situation ont plutôt le distinct avantage par rapport aux enfants abandonnés d'avoir eu les soins et l'appui de leurs parents. On peut présumer que c'est sur cette base que le législateur a introduit une distinction, plutôt que sur la base d'une quelconque caractéristique personnelle.

[34]            Les faits soumis à la Cour en l'instance se distinguent clairement de ceux de l'arrêt Benner, précité, où l'on a conclu à l'existence d'une discrimination interdite par le paragraphe 15(1) de la Charte. La distinction n'était pas entre le demandeur dans Benner et des personnes qui avaient des parents dans une situation semblable, mais bien entre des personnes nées hors du Canada d'un parent canadien selon que le parent ayant la citoyenneté canadienne était la mère ou le père.

[35]            En conséquence, je conclus qu'il n'y a pas eu de discrimination envers le demandeur qui constituerait une violation du paragraphe 15(1) de la Charte.

           6)         La violation de la Charte - justification en vertu de l'article premier


[36]            Si j'avais conclu à une discrimination qui violait la Charte, il aurait fallu que je procède à une analyse pour déterminer si cette discrimination pouvait être justifiée au vu de l'article premier de la Charte. La question n'a pas été débattue devant moi de façon distincte. Étant donné mes conclusions jusqu'ici, je ne suis pas tenu d'aborder cette question et je ne le ferai pas.

UNE QUESTION DE PROCÉDURE

[37]            Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans mes motifs, le seul affidavit ayant un certain contenu déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celui du demandeur. Après avoir déclaré qu'il est en fait le demandeur, ce dernier atteste tout simplement que :

[traduction]

...

2.             J'ai demandé une preuve de citoyenneté au registraire de la citoyenneté canadienne. Cette demande fait partie de la documentation déposée au Greffe [de la Cour] par le tribunal, en vertu de l'article 318 des Règles de la Cour fédérale.

3.             Ma demande de preuve de citoyenneté a été rejetée. Cette décision se trouve dans la documentation déposée au Greffe [de la Cour] par le tribunal, en vertu de l'article 318 des Règles de la Cour fédérale.

               ...

Le défendeur n'a déposé aucun affidavit.


[38]            Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur présente cinq paragraphes relatant les faits, chacun pouvant être vérifié par un renvoi au dossier du tribunal. On ne trouve pas de tels renvois. Dans le mémoire présentant les arguments du défendeur, on trouve six paragraphes relatant les faits, dont cinq comportent des renvois au dossier du tribunal. Étant donné ceci, il est heureux qu'il n'y ait pas eu de contestation à l'audience quant aux faits qui sous-tendent cette demande tels qu'on les trouve énoncé au dossier du tribunal.

[39]            En vertu des anciennes Règles de la Cour fédérale[14], l'article 1603(1) précisait qu'en même temps qu'elle déposait l'avis de requête dans une affaire comme celle dont la Cour est saisie en l'instance, la partie requérante devait déposer « ...un ou plusieurs affidavits qui confirment les faits sur lesquels elle se fonde » . En vertu de l'ancienne Règle, l'affidavit en l'instance aurait été jugé fort inadéquat.

[40]            Dans Dicom Express Inc. c. Dissanayake[15], Mme le juge McGillis était saisie d'une situation où la requérante n'avait pas déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire des affidavits qui confirmaient les faits sur lesquels elle se fondait, comme il fallait le faire alors. Elle a donc conclu que :

Puisque la requérante a complètement omis de déposer le moindre affidavit confirmant les faits invoqués dans cette affaire comme le lui impose la Règle 1603(1) des Règles de la Cour fédérale, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Je suis convaincu que nous aurions obtenu le même résultat si les anciennes Règles étaient toujours en vigueur.


[41]            L'article 306 des Règles de la Cour fédérale de 1998[16], qui a remplacé l'article 1603(1), est rédigé comme suit :


306. Within 30 days after issuance of a notice of application, an applicant shall serve and file its supporting affidavits and documentary exhibits.


306. Dans les 30 jours suivant la délivrance de l'avis de demande, le demandeur dépose et signifie les affidavits et les pièces documentaires qu'il entend utiliser à l'appui de la demande.


[42]            Il est clair qu'un demandeur doit toujours déposer et faire signifier un ou plusieurs affidavits, mais il n'est plus nécessaire qu'ils « confirment les faits sur lesquels il se fonde » . Ceci étant dit, sauf lorsque l'affidavit ou les affidavits d'un demandeur sont, comme c'est le cas ici, clairement pro forma, on comprend difficilement pourquoi les affidavits ne viendraient pas confirmer les faits qui fondent la demande. Si les faits en l'instance avaient été contestés sur un point important, il aurait été beaucoup plus difficile de trancher cette demande de contrôle judiciaire. En fait, il aurait pu être impossible de trancher l'affaire au fond.

[43]            Il serait de bonne pratique que les affidavits déposés en vertu de l'article 306 des Règles viennent confirmer, chaque fois que c'est possible et dans la mesure du possible, les faits qui fondent la demande.


CONCLUSION

[44]            Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45]            À la fin de l'audience portant sur cette demande de contrôle judiciaire, on a noté que : premièrement, la justification possible en vertu de l'article premier de la Charte n'avait pas été examinée de façon approfondie à l'audience; deuxièmement, on ne voyait pas clairement quelle réparation le demandeur cherchait à obtenir; et, troisièmement, la question des dépens n'avait pas été abordée.

[46]            Au vu de ma décision, et du paragraphe 35 de mes motifs, portant que je ne suis pas tenu d'examiner la question d'une justification en vertu de l'article premier de la Charte et donc que je n'y procéderai pas, et étant donné le fait que je rejette la demande de contrôle judiciaire, les questions portant sur une justification en vertu de l'article premier ou sur la réparation qui pourrait être accordée au demandeur ne sont plus pertinentes. Il ne reste que la question des dépens.

[47]            Ces motifs sont définitifs et je les ai signés. Une ordonnance sera prononcée sans délai rejetant la demande de contrôle judiciaire. Les avocats sont invités à échanger et fournir à la Cour toutes leurs prétentions quant aux dépens et ce, dans les dix (10) jours


de la date de cette ordonnance. Si ces prétentions sont effectivement présentées dans les délais, une ordonnance supplémentaire portera sur les dépens.

              FREDERICK E. GIBSON          

J.C.F.C.                   

Ottawa (Ontario)

Le 9 novembre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                T-1663-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Ryszard Frankowski c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 29 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                                     9 novembre 2000

ONT COMPARU

M. David Matas                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Mme Nalini Reddy                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

David Matas

Avocat et procureur

Winnipeg (Manitoba)                                                                 POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LE DÉFENDEUR



[1]         [2000] J.C.F. no 1253 (Q.L.) (C.F. 1re Inst.).

[2]         L.R.C. (1985), ch. I-2.

[3]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

[4]         L.R.C. (1970), ch. C-19.

[5]         L.R.C. (1985), ch. C-29.

[6]         [2000] J.C.F. no 407 (Q.L.) (C.A.) : demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada déposée le 29 mai 2000, no de référence 27947.

[7]         [1998] 1 R.C.S. 493, à la p. 533.

[8]         [1997] 1 R.C.S. 358, aux p. 381 à 387 et [1997] 3 R.C.S. 389.

[9]         Au sujet de l'interprétation du concept « principes de justice fondamentale » , voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 R.C.S. 711, aux p. 732 et 733.

[10]       (1992), 142 N.R. 173 (C.A.F.).

[11]       Voir Ponnampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1996] J.C.F. no 897 (Q.L.) (C.F. 1re Inst.), au par. 8.

[12]       Précité, note 2.

[13]       [1999] 1 R.C.S. 497.

[14]       C.R.C. 1978, ch. 663.

[15]       [1996] J.C.F. no 1291 (Q.L.) (C.F. 1re Inst.).

[16]       DORS/98 - 106.

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