Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20031022

Dossier : IMM-1376-03

Référence : 2003 CF 1239

Ottawa, Ontario, le 22 octobre 2003

Présent : L'honorable juge Blais

ENTRE :

                         MOHAMED AMINE BOUBARAK

                                                                Demandeur

                                    et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

                                    

                                                                Défendeur

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

FAITS

[1]                 Le 3 mars 2003, M. Mohamed Amine Boubarak [le requérant], a déposé une demande d'autorisation d'un contrôle judiciaire. Le requérant est représenté dans cette affaire par le procureur Me Jean Baillargeon. La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 12 février 2003, par le commissaire Me Michel Jobin de la Commission de l'Immigration et du Statut de réfugié, qui rejetait la demande de statut de réfugié du demandeur (requérant dans la présente requête).


[2]                 Selon la règle 10 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés (RCF-IPR), le demande d'autorisation doit être en état dans les 30 jours suivant le dépôt de la demande, ce qui signifiait, en l'occurrence, que la date limite de signification et de dépôt était le 2 avril 2003.

[3]                 Le procureur du requérant a fait parvenir au huissier, le 2 avril 2003, le dossier du demandeur. Le huissier l'a déposé à la Cour et signifié au ministre de l'Immigration et de la Citoyenneté [ l'intimé] le lendemain, soit le 3 avril 2003.

[4]                 Bien que déposé au greffe de la Cour fédérale, le dossier du demandeur n'a pas été déposé au dossier du demandeur puisqu'il était hors délai et son dépôt n'avait pas été autorisé par la Cour.

[5]                 Le 29 avril 2003, ayant été informé de l'absence d'un dossier pour appuyer la demande d'autorisation d'un contrôle judiciaire, j'ai rendu une ordonnance pour rejeter la demande, vu l'absence de dossier.


[6]                 Le procureur du requérant a été informé le 26 mai 2003 de cette ordonnance. Dès le 28 mai 2003, le procureur a déposé une requête en réexamen en vertu de la règle 397 des Règles de la Cour fédérale (1998) [les Règles] à laquelle il a joint son propre affidavit, où il allègue les faits suivants :

Ni lui ni le huissier chargé de la signification du dossier à la Cour n'ont été informés du fait que la Cour n'acceptait pas le dossier remis un jour trop tard. Il avait fait signifié le dossier au huissier le 2 avril 2003 pour dépôt le même jour. Ce n'est que le 26 mai 2003 qu'il a été informé de la décision de la Cour de rejeter la demande d'autorisation.

[7]                 La présente requête vise le réexamen de l'ordonnance rendue le 29 avril 2003.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le requérant

[8]                 Le requérant demande à la Cour de reconsidérer la décision que j'ai rendue le 29 avril 2003, qui rejetait la demande d'autorisation d'un contrôle judiciaire, vu l'absence du dossier à l'appui de cette demande.

[9]                 Il allègue qu'en vertu de la règle 397 des Règles, la Cour peut réexaminer l'ordonnance du 29 avril 2003 puisqu'une erreur a été commise, soit le dépôt le 3 avril 2003 alors que le dossier avait été envoyé le 2 avril 2003, qui n'est attribuable ni au requérant ni à son procureur.

[10]            Le requérant subirait un grave préjudice s'il était forclos de présenter son mémoire de demande. De plus, la signification du dossier a été faite en bonne et due forme, avec un seul jour de retard.

[11]            Le requérant demande donc à la Cour de considérer le dépôt du dossier de demande effectué le 3 avril 2003 comme étant valable et fait à l'intérieur des délais prescrits.

L'intimé

[12]            L'intimé reproche à la requête déposée un grand nombre de défauts qui viennent entacher la requête et la rendent irrecevable.

[13]            Ni la règle 397 qu'invoque le requérant, ni d'ailleurs la règle 399, ne permettent la présente requête. La règle 397 permet un réexamen, mais les conditions en sont très limitées : soit que l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui la justifient, soit qu'une question qui aurait dû être traitée a été oubliée. De plus, la règle 397 exige que la demande de réexamen soit présentée dans les 10 jours de la décision contestée, à moins d'obtenir l'autorisation de la Cour de proroger ce délai.

[14]            La règle 399, quant à elle, ne s'applique pas non plus puisqu'il ne s'agit ni d'une décision sur requête ex parte, ni d'une décision rendue en l'absence des parties pour les raisons prévues à 399; de plus, il n'y a ni fraude ni faits nouveaux découverts après que l'ordonnance ait été rendue.

[15]            Par ailleurs, l'intimé soutient que l'affidavit présenté à l'appui de la requête doit être entièrement radié, aux termes de la règle 82 des Règles. Cette règle prévoit qu'un procureur ne peut à la fois être l'auteur d'un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. Si l'affidavit est radié, la requête doit être rejetée pour vice de fond.

[16]            Enfin, la requête n'explique pas pourquoi il n'y a pas eu demande de prorogation de délai avant le 26 mai 2003, malgré le fait que le procureur savait ou aurait dû savoir dès le 3 avril 2003 que son dossier avait été déposé en retard.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]            La décision rendue le 29 avril 2003 peut-elle être annulée, et la Cour peut-elle permettre la signification et le dépôt du dossier de demande hors délai?


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES                                          

Règles de la Cour fédérale (1998)


Principe général

3. Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

General principle

3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.




Réexamen

397. (1) Dans les 10 jours après qu'une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l'ordonnance, telle qu'elle était constituée à ce moment, d'en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

a) l'ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

Erreurs

(2) Les fautes de transcription, les erreurs et les omissions contenues dans les ordonnances peuvent être corrigées à tout moment par la Cour.

Annulation sur preuve prima facie

399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l'une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n'aurait pas dû être

rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui n'a pas comparu par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis insuffisant de l'instance.

Annulation

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue;

b) l'ordonnance a été obtenue par fraude.

Effet de l'ordonnance

(...)

397. (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

Mistakes

(2) Clerical mistakes, errors or omissions in an order may at any time be corrected by the Court.

399. (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Setting aside or variance

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

(b) where the order was obtained by fraud.

(...)


Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés



MISE EN ÉTAT DE LA DEMANDE D'AUTORISATION

10. (1) Le demandeur met sa demande d'autorisation en état en se conformant au paragraphe (2) :

a) s'il indique dans sa demande qu'il a reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant le dépôt de sa demande;

b) s'il indique dans sa demande qu'il n'a pas reçu les motifs écrits du tribunal administratif, dans les 30 jours suivant la réception soit de ces motifs, soit de l'avis envoyé par le tribunal administratif en application de l'alinéa 9(2)b).

(2) Le demandeur signifie à chacun des défendeurs qui a déposé et signifié un avis de comparution un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l'ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

a) la demande d'autorisation,

b) la décision, l'ordonnance ou la mesure, s'il y a lieu, visée par la demande,      

c) les motifs écrits donnés par le tribunal administratif ou l'avis prévu à l'alinéa 9(2)(b), selon le cas,

d) un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l'appui de sa demande,

e) un mémoire énonçant succinctement les faits et les règles de droit invoqués par le demandeur à l'appui du redressement envisagé au cas où l'autorisation serait accordée,

et le dépose avec la preuve de la signification.

PERFECTING APPLICATION FOR LEAVE

10. (1) The applicant shall perfect an application for leave by complying with subrule (2)

(a) where the application sets out that the applicant has received the tribunal's written reasons, within 30 days after filing the application; or

(b) where the application sets out that the applicant has not received the tribunal's written reasons, within 30 days after receiving either the written reasons, or the notice under paragraph 9(2)(b), as the case may be.

(2) The applicant shall serve on every respondent who has filed and served a notice of appearance, a record containing the following, on consecutively numbered pages, and in the following order

(a) the application for leave,

(b) the decision or order, if any, in respect of which the application is made,

(c) the written reasons given by the tribunal, or the notice under paragraph 9(2)(b), as the case may be,

(d) one or more supporting affidavits verifying the facts relied on by the applicant in support of the application, and

(e) a memorandum of argument which shall set out concise written submissions of the facts and law relied upon by the applicant for the relief proposed should leave be granted,

and file it, together with proof of service.



DÉLAIS

21. (...)

(2) Les délais prévus aux présentes règles ne peuvent être modifiés que par ordonnance d'un juge ou d'un protonotaire.   


TIME LIMITS

21. (...)

(2) No time limit prescribed by these Rules may be varied except by order of a judge or prothonotary.


Charte canadienne des droits et libertés

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.


Canadian Charter of Rights and Freedoms

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


ANALYSE

[18]            La présente demande est irrecevable, parce que la Cour excéderait sa compétence en l'accueillant. Une telle décision n'est jamais facile à prendre, parce qu'elle nous oblige à confronter la raison d'être des Règles, qui sont censées servir la justice, et le droit du justiciable à l'équité. Dans le cas qui nous occupe, un requérant perd la chance de présenter à la Cour sa demande de contrôle judiciaire. Il est privé d'un droit en raison du manque de diligence de son avocat.


[19]            Les Règles existent pour permettre au système de fonctionner. Elles prévoient une certaine latitude. Il arrive qu'on rate une échéance, qu'un document ne soit pas déposé, qu'une demande ne soit pas parfaitement mise en forme. La Cour a certainement le pouvoir de pardonner les erreurs humaines, afin de permettre que les Règles ne posent pas obstacle à la solution juste et équitable des problèmes dont elle est saisie. Mais la Cour ne peut faire l'impossible. Elle ne peut déroger aux Règles au point de les vider de leur sens. Le poids des erreurs commises dans le présent dossier finit par faire pencher la balance. Voyons d'abord pourquoi la demande est irrecevable; nous aborderons ensuite brièvement la question d'équité.

[20]            Une première erreur est commise lorsque le dossier n'est pas déposé et signifié dans les 30 jours du dépôt de la demande d'autorisation, comme le prévoit la règle 10 des RCF-IPR. Le procureur du requérant sait que le dossier doit être mis en état le 2 avril 2003. Il charge un huissier le 2 avril 2003 de déposer le dossier et de le signifier à l'intimé. Le dossier n'est déposé et signifié que le 3 avril 2003.

[21]            Le procureur sait ou devrait savoir, dès le 3 avril 2003, lorsqu'il reçoit la preuve de signification du huissier, que le dossier est un jour en retard. Pourtant, deuxième erreur, il ne fait rien pour demander une prolongation de délai pour permettre l'acceptation du dossier. La règle 21 des RCF-IPR est pourtant claire : aucune prorogation ne peut être accordée sans l'autorisation d'un juge ou d'un protonotaire de la Cour.

[22]            Troisième erreur, il ne s'inquiète pas de ce qui arrive au dossier - a-t-il été accepté ou non par la Cour? La Cour est appelée à se prononcer, le 29 avril 2003, sur la demande d'autorisation. Faute de dossier, la demande d'autorisation est rejetée.

[23]            Apprenant le 26 mai 2003 l'existence de l'ordonnance qui rejette la demande d'autorisation, le procureur du requérant agit cette fois avec diligence et célérité : le 28 mai 2003, une requête en réexamen est déposée à la Cour.

[24]            Malheureusement, les erreurs continuent. À l'appui de la demande, le procureur dépose son propre affidavit, allant ainsi à l'encontre de la règle 82 des Règles. La règle 82 prévoit qu'on peut lui faire exception, à condition d'obtenir l'autorisation de la Cour. Le procureur ne demande pas cette autorisation.

[25]            Le procureur invoque comme moyen pour faire annuler l'ordonnance du 29 avril 2003 la règle 397 des Règles. Cette règle prévoit une requête en réexamen dans les 10 jours de l'ordonnance; encore une fois, le délai ne peut être écarté que sur autorisation de la Cour. La règle 397, telle que rédigée et interprétée par la jurisprudence, est d'une portée assez étroite. Le procureur n'indique pas dans son mémoire comment elle doit s'appliquer à l'espèce.

[26]            Enfin, le procureur n'indique pas comment on devrait appliquer au requérant le critère développé par la jurisprudence qui permet de justifier une prorogation de délai.

[27]            Le requérant invoque la règle 397, en alléguant tout simplement qu'il y a eu erreur. Toutefois, l'erreur dont traite la règle 397 s'entend au sens de l'erreur qui se glisse par inadvertance dans une rédaction. Le dépôt du dossier avec un jour de retard n'est pas une erreur; il s'agit d'un défaut. La règle 397 ne vise pas à corriger le défaut d'une partie.

[28]            L'alinéa 397(1) b) ne sert pas non plus au requérant. Cette disposition prévoit qu'un réexamen est possible lorsqu'une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. Dans l'affaire Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dhaliwal-Williams, [1996] A.C.F. no 730, le juge Noël statue que le fait de ne pas avoir été informé d'un document envoyé au greffe (une lettre où l'avocate de l'intimée faisait part de son intention de répondre à l'avis de requête) lui permet de réouvrir la décision qu'il avait rendue sur une prorogation de délai.


[29]            En l'espèce, la Cour n'a pas été informée que le dossier était arrivé avec un jour de retard. Cet élément d'information aurait pu jouer dans la décision. Toutefois, la raison pour laquelle la Cour n'en a pas été saisie en temps voulu est, encore une fois, le manque de diligence du procureur du requérant à s'assurer que la Cour disposait des renseignements nécessaires pour sa décision. Si une demande de prorogation de délai avait été faite, la Cour en aurait été saisie au moment de rendre l'ordonnance du 29 avril 2003.

[30]            La règle 397 ne sert pas à porter à l'attention du juge un élément d'information que l'avocat a oublié au moment de l'audition. Elle vise plutôt la situation où le juge, pour quelque raison, ne tient pas compte d'un facteur important au moment de sa décision, alors que ce facteur figurait déjà dans le dossier - Boateng v. Canada (Min. of Employment & Immigration) [1990] F.C.J. No. 472 :

In my opinion, the failure of a party to include available material does not give rise to jurisdiction to reconsider a decision finally disposing of a matter. That rule contemplates oversight on the part of the Court, not a party, (...)

[31]            Dans l'affaire Vinogradov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 647, le juge Mackay rejette la demande de prorogation de délai qui est présentée après l'ordonnance qui rejette la demande d'autorisation du contrôle judiciaire, parce qu'il n'y a pas d'explication satisfaisante du retard mis par le requérant pour demander la prorogation de délai. Au moment de trancher, le juge MacKay n'a pas les renseignements qui pourraient justifier la prorogation. La règle 337 à l'époque, aujourd'hui la règle 397, ne lui permet pas d'accorder la prorogation après le fait. Je crois que le raisonnement s'applique en l'espèce également.


[32]            Dans sa décision, le juge MacKay mentionne l'affaire Ansomah c. Canada, non publiée, no du greffe 90-A-1261, 25 avril 1990 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d'appel avait rejeté une demande de prorogation du délai fixé pour présenter le dossier à l'appui d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire, pour le simple motif que la demande de prorogation était postérieure au rejet de la demande d'autorisation.

[33]            L'autre règle qui prévoit l'annulation est la règle 399, mais ici encore, la règle s'applique difficilement aux circonstances de l'espèce. Il ne s'agit pas d'une requête ex parte, il ne s'agit pas d'un cas où la partie ne comparaît pas faute d'avis, ni d'un cas de fraude ou de faits nouveaux survenus après l'ordonnance. Le fait pour la Cour d'être informée après le fait que le dossier était en retard d'une journée ne constitue pas un fait nouveau. Encore une fois, il était connu au moment du jugement du 29 avril 2003, et il n'a pas été porté à l'attention de la Cour en raison du manque de diligence de l'avocat.


[34]            Je ne crois pas qu'il soit nécessaire pour disposer de la demande de soulever le problème posé par l'affidavit. Rappelons tout simplement la règle 82 qui énonce bien clairement que « sauf autorisation de la Cour, un avocat ne peut être à la fois l'auteur d'un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. » Dans l'affaire Martineau c. Ministre du Revenu national, [2002] A.C.F. no 111, j'ai eu l'occasion de traiter du problème de l'affidavit du procureur à l'instance. La règle existe; pour y déroger, il faut de solides motifs. Nul n'est avancé ici.

[35]            La tentative du requérant de faire réexaminer la décision du 29 avril 2003 doit échouer, parce que la demande de réexamen n'entre tout simplement pas dans le pouvoir de la Cour. La Cour n'a pas compétence pour se prononcer sur le réexamen, puisqu'aucune règle ni article ne lui donne compétence pour le faire.

Les Règles ne peuvent servir à corriger le défaut de respecter les échéances. La décision du 29 avril 2003 se fondait sur les faits, ou plutôt une absence de faits. Il n'en tenait qu'au requérant de saisir la Cour d'une demande de prorogation de délai à ce moment-là.

[36]            Par ailleurs, si l'affaire est vue dans la perspective d'une demande de prorogation de délai, rappelons le critère énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, [1999] A.C.F. no 846, pour déterminer si un demandeur devrait avoir droit à une prorogation de délai :

¶ 3       Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

1. une intention constante de poursuivre sa demande;

2. que la demande est bien fondée;                          

3. que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et                         

4. qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai.


¶ 4       Pour décider si l'explication du demandeur justifie ou non que soit accordée la prorogation de délai nécessaire, il faut se fonder sur les faits de chaque affaire particulière.

[37]            En l'espèce, on ne peut dire qu'il existe une explication raisonnable justifiant le délai. Le procureur du requérant savait, ou aurait dû savoir, que le dossier avait été déposé avec un jour de retard. Plutôt que de prendre les devants, et demander la prorogation de délai, il espère contre tout espoir que le dossier est accepté malgré tout. C'est ce que laisse entendre son affidavit - ni le huissier, ni l'avocat, ni le requérant n'ont reçu d'indication de la Cour que le dossier n'avait pas été accepté. Mais la responsabilité incombait à l'avocat de veiller à ce que le dossier soit en état. Il ne l'a pas fait.

[38]            Une ordonnance définitive a été rendue le 29 avril 2003 qui rejetait la demande d'autorisation du contrôle judiciaire. Je ne vois rien ni dans les Règles ni dans les faits qui m'autoriserait à modifier cette ordonnance.

[39]            Le résultat est malheureux. Son procureur étant en défaut d'avoir respecté les délais et la procédure, le requérant est privé d'un recours. Waldman dans Immigration Law and Practice (Buttersworth Canada 1992, incl. Service Issues 1993-2003) envisage cette éventualité, et met en garde les avocats et requérants :

§ 11.88 It is essential that counsel apply for an extension of time to file the record before the expiry of the prescribed time period. Otherwise, the court may well proceed without the supporting material and the application could be dismissed. Once the application is dismissed, the court would not have the jurisdiction to extend the time as the matter would have been finally disposed of.


§ 11.89 Counsel should be cognizant of the serious consequences that will befall an applicant if the application is not perfected within the time prescribed by the rules. As noted above, the Federal Immigration and Refugee Protection Rules provide that, if a party fails to comply with any of the time limits prescribed, the Court may, without further notice, dispose of the application. If no material is filed in support of an application for leave, then the court would have no alternative but to dismiss the application. This could lead to serious consequences of the applicant and to his or her counsel.

[40]            Reste le problème de l'équité pour le requérant. Celui-ci doit-il être puni pour l'incompétence de son avocat? Je ne crois pas avoir à régler ce problème dans le cadre de la présente demande, dont la disposition est claire. Je crois, toutefois, qu'il est important de dire quelques mots sur l'enjeu du recours perdu par le manque de diligence de l'avocat.

[41]            Dans l'arrêt Chin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1033, Mme le juge Reed écrit au paragraphe 10 :

L'avocat et le client ne font qu'un. Il est trop facile pour l'avocat de justifier son inobservation des règles en alléguant que son client n'est nullement responsable du retard et que si une prolongation de délai n'est pas accordée, il subira un préjudice.

[42]            Dans cette affaire, le juge Reed a refusé d'accorder une prolongation de délai pour le dépôt d'un dossier à l'appui d'une demande d'autorisation, parce qu'elle a jugé frivole le motif de l'avocat.


[43]            Dans l'arrêt Mathon c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 707, toutefois, le juge Pinard fait état de la protection qu'accorde l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés à ceux qui revendiquent le statut de réfugié, protection reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Singh c. MEI, [1985] 1 R.C.S. 177.

[44]            Reprenant les termes du juge Dickson dans l'arrêt R. c. Bid M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, qui assimile les principes de justice fondamentale aux « préceptes fondamentaux non seulement de notre processus judiciaire, mais aussi des autres composantes de notre système juridique » (p. 513), le juge Pinard enchaîne,

Je suis d'avis que "les préceptes fondamentaux de notre processus judiciaire et des autres composantes de notre système juridique" comportent, pour une personne qui revendique le statut de refugié selon la Loi sur l'immigration de 1976, le droit d'être représenté par un avocat compétent et diligent, si elle le désire, et le droit à une audition pleine et entière.

[45]            Il se peut que d'autres recours existent pour le requérant. Dans la présente requête, cependant, pour les motifs exposés plus haut, la Cour n'a pas compétence pour modifier l'ordonnance rendue le 29 avril 2003.

[46]            En conséquence, le demandeur ne m'a pas convaincu du bien fondé de sa requête.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-          La présente requête en réexamen soit rejetée;

-          Le tout sans frais.

                  Pierre Blais                       

   J.C.F.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                                                                  IMM-1376-03

INTITULÉ :                                        MOHAMED AMINE BOUBARAK

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                              ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

REQUÊTE ÉCRITE DÉCIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE:    L'honorable juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                                               22 octobre 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR:

Me Jean Baillargeon

POUR L'APPELANT/

DEMANDEUR

Me Édith Savard

POUR L'INTIMÉ/

DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

                                                                                                                                                                       

Me Jean Baillargeon

POUR L'APPELANT/

DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

POUR L'INTIMÉ/

DÉFENDEUR


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