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Date : 20030616

Dossier : T-283-00

Référence neutre : 2003 CFPI 752

                                          ACTION DE DROIT MARITIME, IN REM CONTRE

                                               LE NAVIRE « GERTRUDE OLDENDORFF »

                                                                     ET IN PERSONAM

ENTRE :

                                                           GOODMAN YACHTS LLC

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                      PENGUIN BOAT INTERNATIONAL LIMITED,

MARITIME CLAIMS & SERVICES PTE. LTD.,

RICHARD HOWE,

NEW RESOLUTION SHIPPING CORP.,

EGON OLDENDORFF,

                          et les propriétaires du navire « GERTRUDE OLDENDORFF »

                                       et autres personnes intéressées dans ledit navire

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 L'action à l'origine de cette requête concerne la perte de certaines pièces du yacht Paesano, transporté sur le pont du Gertrude Oldendorff depuis Singapour, pour livraison à Vancouver (Colombie-Britannique).

[2]                 La requête vise à une ordonnance d'outrage au tribunal de premier niveau, en application de la règle 467, à l'encontre des défenderesses New Resolution Shipping Corp. (New Resolution) et Egon Oldendorff. Si elle est rendue, l'ordonnance obligerait ces sociétés à comparaître devant un juge pour entendre la preuve de l'outrage. Le deuxième niveau de la procédure est en quelque sorte analogue au procès d'une infraction criminelle, mais l'on doit garder à l'esprit qu'il s'agit d'une procédure pour outrage civil, laquelle comporte un aspect quasi criminel, mais n'est pas une procédure portant sur un outrage de nature criminelle.

[3]                 Le présumé outrage découle de la perte, à Vancouver, de plusieurs articles de matériel d'arrimage, d'une partie du berceau qui soutenait le Paesano sur le pont du Gertrude Oldendorff, et de plusieurs pièces du yacht Paesano que, à la requête de la demanderesse, la Cour avait ordonné le 22 février 2000 aux défenderesses New Resolution et Egon Oldendorff de retenir et de préserver. En conformité avec ladite ordonnance, les avocats de New Resolution et de Egon Oldendorff ont pris des dispositions, par l'entremise de leurs commissaires d'avaries, pour que les restes soient placés par Western Stevedoring dans un entreposage fermé à clé. En l'espèce, la défenderesse Penguin Boat International Ltd. (Penguin Boat) n'a apporté aucun commencement de preuve de la violation délibérée et récalcitrante de l'ordonnance de préservation, commencement de preuve qui est nécessaire pour que puisse être rendue l'ordonnance qui donnera ouverture à l'instruction pour refus d'obtempérer.


AUTRES FAITS

[4]                 Parmi les autres faits à signaler, la présente action a été introduite le 15 février 2000, désignant Penguin Shipyard comme défenderesse. Ce n'est que le 24 novembre 2001 qu'une déclaration modifiée a été déposée, désignant comme défenderesse Penguin Boat International Ltd. Les commissaires d'avaries des diverses autres parties avaient alors déjà examiné les restes, dont la Cour avait ordonné l'entreposage dans les locaux de Western Stevedoring, à ses entrepôts de Lynnterm, Vancouver Nord, ils avaient pris des photographies et vraisemblablement ils avaient remis des rapports.

[5]                 Depuis son intervention vers le début de 2002, l'avocat de Penguin Boat avait tenté d'obtenir une inspection des restes qui étaient entreposés à Vancouver, mais n'avait pu obtenir des commissaires d'avaries qu'ils s'entendent tous sur une date pour l'inspection qui devait avoir lieu. L'avocat de Penguin Boat a finalement obtenu une ordonnance d'inspection le 22 mai 2002. Malheureusement, l'inspection n'a pas eu lieu, car il semble que les restes dont la Cour avait ordonné la préservation à Vancouver ont été égarés par Western Stevedoring, par inadvertance, au cours d'un nettoyage ordinaire du secteur auquel avait procédé Western Stevedoring, qui, n'ayant rien entendu sur cette affaire pendant quelque temps, a présumé que le matériel entreposé n'avait plus aucune utilité.

[6]                 Personne ne sait quand le matériel qui était conservé à Vancouver a été égaré. L'avocat de Penguin Boat n'a reçu avis de la perte que par une lettre du 8 août 2002 envoyée par l'avocat de Egon Oldendorff.

[7]                 Afin que Penguin Boat soit dans la meilleure position possible, les parties qui voulaient faire examiner par les commissaires d'avaries les restes conservés en entrepôt à Vancouver ont remis aux avocats de Penguin Boat des doubles de leurs constats, d'où étaient gommées la section opinion et la section recommandation. L'avocat de New Resolution Shipping Corp. est même allé un peu plus loin en remettant à Penguin Boat non seulement les photographies annexées à son constat, mais également toutes les photographies prises par son commissaire d'avaries.

[8]                 Au pire, la perte de la possibilité d'inspecter les matériels dont l'entreposage à Vancouver avait été ordonné pouvait se révéler problématique pour Penguin Boat lorsqu'elle voudrait préparer une défense informée et efficace; au mieux, Penguin Boat a subi un préjudice. Cependant, cela ne constitue pas un commencement de preuve donnant ouverture à une procédure d'outrage. Avant d'expliquer cette conclusion, j'ajouterais que, même si une instruction pour outrage devait avoir lieu, elle n'offrirait pas à Penguin Boat un redressement utile, ni ne deviendrait un précédent utile.

ANALYSE


[9]                 Le fardeau qui repose sur Penguin Boat, par cette requête à l'encontre de New Resolution Shipping Corp. et de Egon Oldendorff, est que Penguin Boat doit, selon la règle 467(3), convaincre la Cour « ... qu'il existe une preuve prima facie de l'outrage reproché » . Une preuve prima facie (ou commencement de preuve) est [traduction] « l'établissement d'une présomption légale qui peut être réfutée » : A Dictionary of Modern Legal Usage, 2e édition, Garner, Oxford University Press, 1995. Dans The Oxford Companion to the Law, Oxford : Clarendon Press, 1980, Walker définit une preuve prima facie comme une preuve qui suffit à exiger une réponse. The Oxford Companion to the Law fait ensuite observer que :

[traduction] Une preuve prima facie est une preuve qui suffit à établir un fait en l'absence d'une preuve contraire, mais qui n'est pas concluante.

Je crois donc que le point de départ est que la preuve prima facie dont parle la règle 467(3) est une preuve autorisée par des faits que l'on peut tenir pour avérés, sous réserve d'une preuve contraire. Cependant, ces définitions ne disent rien sur la nature de la preuve à produire.

[10]            Comme je le disais en examinant la jurisprudence dans l'affaire Telus Mobilité c. Syndicat des travailleurs des télécommunications (2002), 220 F.T.R. 291 (C.F. 1re inst.), aux pages 295 et suivantes, le demandeur doit produire un commencement de preuve du refus délibéré et récalcitrant d'obtempérer à l'ordonnance en question :


[10]       Pour obtenir une ordonnance d'exposé de moyens, le requérant doit apporter un commencement de preuve du caractère délibéré et récalcitrant du refus d'obéissance à l'ordonnance considérée. Il s'agit de la norme fixée par le juge Muldoon dans le jugement Imperial Chemical Industries c. Apotex Inc. (1989), 25 F.T.R. 47, page 53. Plus récemment, le juge Pinard, dans le jugement Chic Optic Inc. c. Hakim Optical Laboratory Ltd. (2001), 13 C.P.R. (4th) 283, page 286, s'appuyant sur le jugement Imperial Chemical et le jugement Frank c. Bottle (1994), 68 F.T.R. 242, dans lequel le juge en chef adjoint Jerome avait rendu une ordonnance d'exposé de moyens pour cause de conduite délibérée et récalcitrante, a défini la norme comme le refus délibéré de se conformer à une ordonnance judiciaire. Le critère est donc celui du commencement de preuve d'une désobéissance volontaire.

(Page 295)

Ainsi que je le disais, ce doit être un refus délibéré d'obtempérer à une ordonnance judiciaire, c'est-à-dire une désobéissance à première vue délibérée. Dans l'affaire Telus Mobilité, je faisais ensuite observer que, même si le caractère intentionnel faisait partie du critère, il n'en résultait pas automatiquement l'obligation d'établir la mens rea. Au contraire, « l'élément "volonté délibérée" ne vise qu'à exclure la désobéissance fortuite, ou la désobéissance accidentelle et involontaire : voir l'arrêt Glazer c. Union Contractors Ltd. (1960), 25 D.L.R. (2d) 653 (C.S. C.-B.), aux pages 658 et 676, confirmé (1960), 34 W.W.R. 193 (C.A. C.-B.) » . Penguin Boat doit donc établir davantage qu'une simple inobservation.


[11]            La notion d'inobservation d'une ordonnance judiciaire en tant que refus délibéré d'obtempérer à une ordonnance a été examinée dans une décision non publiée, Whyte c. Le Sandpiper VI, 16 mai 2002, dossier T-257-01, 2002 CFPI 572. Dans cette affaire, madame le juge Heneghan, qui avait affaire au deuxième niveau d'une procédure d'outrage, disait qu'elle n'était pas persuadée que l'inobservation d'un mandat d'arrêt fût le résultat d'une intention consciente et délibérée de ne pas obtempérer à l'ordonnance. Selon elle, un demandeur, qui avait introduit la procédure d'outrage, ne s'était pas acquitté du fardeau de la preuve. Le juge Heneghan a reconnu que les sujets de la future ordonnance d'outrage, qui étaient présents, n'avaient pas témoigné et n'y étaient pas tenus. Elle est arrivée à cette conclusion malgré l'emploi d'équipements rattachés à la drague qui avait été saisie.

[12]            Dans le cas qui nous occupe, l'avocat de Penguin Boat a certainement établi qu'il existait une ordonnance de conservation et que les restes du berceau, des agrès d'arrimage et de plusieurs pièces du yacht lui-même ne peuvent plus être inspectés. Mais il n'a pas pour autant établi un mépris délibéré pour l'ordonnance de conservation, ni un refus intentionnel et récalcitrant d'obtempérer à l'ordonnance, ni une intention consciente et délibérée d'ignorer l'ordonnance. Ce qui est arrivé ici est très regrettable, mais Penguin Boat n'a pas apporté un commencement de preuve montrant que la destruction a été volontaire ou délibérée. Ce qui est arrivé semble avoir été plutôt une désobéissance accidentelle et involontaire, dépourvue de l'élément indispensable de préméditation. Si je m'exprime ainsi, c'est surtout en raison de ce que Penguin Boat n'a pas établi, mais en accordant un poids négligeable à la preuve par ouï-dire, produite par affidavit, de l'élimination insouciante des restes par Western Stevedoring.

[13]            L'avocat de Penguin Boat soulève divers points, à titre de preuves contraires, dont j'examinerai plusieurs. Il doute que les sujets de l'ordonnance proposée d'outrage puissent prendre une part active et intervenir à ce stade préliminaire. D'abord, la présentation ex parte de la requête, selon la règle 467(2), au premier niveau de la procédure d'outrage, est simplement facultative. La signification d'un avis est d'ailleurs recommandée, à défaut de quoi, à la conclusion de la procédure de premier niveau, le résultat pourrait être la clôture : je me référerais ici aux observations de madame le juge Reed dans l'affaire Nguyen c. Canada (MCI) (1996), 122 F.T.R. 282 (C.F. 1re inst.), à la page 290. Deuxièmement, limiter les sujets de la procédure d'outrage au rôle d'observateurs serait non seulement une source de contrariété, mais également un gaspillage de temps et de ressources, et ce serait contraire à la justice naturelle, dont la signification d'un avis et la tenue d'une audience font partie, car il est également un principe de justice naturelle selon lequel nul ne doit être condamné sans avoir été entendu.

[14]            L'avocat de Penguin Boat affirme que, eu égard à l'ordonnance de conservation, le fait que les articles dont la conservation avait été ordonnée n'existent plus constitue le commencement de preuve exigé. Cependant, cette manière de voir oublie qu'il faut un refus délibéré, volontaire ou récalcitrant d'obtempérer à l'ordonnance, et cet aspect n'a pas été démontré par Penguin Boat, qui avait l'obligation de le démontrer.


[15]            Le troisième argument avancé par l'avocat de Penguin Boat est que la preuve qui a été faite de la destruction ou de la perte des articles conservés était un ouï-dire, c'est-à-dire une lettre de Western Stevedoring annexée à un affidavit produit sous serment au nom de Egon Oldendorff. Assurément, une preuve par ouï-dire, remplaçant le témoignage d'une personne bien informée se trouvant sur les lieux, ne conviendrait pas au dernier niveau d'une procédure d'outrage. D'ailleurs, dans la présente affaire, je ne donne qu'un poids négligeable à l'avis de Western Stevedoring, et je ne suis pas tenu de lui accorder un poids quelconque, parce qu'il revient à la partie qui allègue un outrage de faire davantage que seulement établir l'ordonnance, la connaissance de l'ordonnance et un simple résultat. Comme je l'ai dit, il faut apporter le commencement de preuve d'un refus volontaire et délibéré d'obtempérer à l'ordonnance de la Cour.

CONCLUSION

[16]            Ce qui s'est produit dans la présente affaire est, le moins que l'on puisse dire, très regrettable. Penguin Boat, à défaut d'une autre solution, devra se contenter des photographies existantes, des constats et de certains agrès et restes d'équipements qui sont encore conservés en Californie. Adopter l'autre approche, c'est-à-dire rendre une ordonnance obligeant New Resolution et Egon Oldendorff à comparaître pour entendre la preuve de l'outrage et y répondre par la défense qu'ils pourraient avoir, ne serait d'aucune utilité, car non seulement n'existe-t-il aucun commencement de preuve d'un refus délibéré ou volontaire d'obtempérer à l'ordonnance, une intention consciente de ne pas s'y conformer, mais encore un constat d'outrage ne serait d'aucune utilité.


[17]            Il y a finalement la question des dépens. Assurément, ce qui est arrivé est grave et mérite d'être reconnu. On ne peut en effet reprocher à Penguin Boat de porter à l'attention de la Cour une situation très regrettable. Si l'ordonnance de conservation avait été suivie de résultats, l'avocat de Penguin Boat n'aurait jamais été entraîné dans cette digression. Bien que Penguin Boat ait mal évalué la force de ses arguments, c'est là un cas où il convient de rompre avec la pratique habituelle selon laquelle les dépens devraient suivre l'issue de la cause, et de montrer du discernement, en n'adjugeant pas de dépens en faveur ou à l'encontre d'aucune des parties.

                                                                                                                                     « John A. Hargrave »            

                                                                                                                                                    Protonotaire                     

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 16 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-283-00

INTITULÉ :                                            Goodman Yachts LLC c.

Penguin Boat International Limited et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 17 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                           le 16 juin 2003

COMPARUTIONS:

Roger Watts

John W Bromley

H Peter Swanson

Nils E Daugulis

Vincent M Prager

POUR LA DEMANDERESSE

POUR LES DÉFENDEURS, Maritime Claims & Services Pte. Ltd. et Richard Howe

POUR LE DÉFENDEUR, Egon Oldendorff

POUR LA DÉFENDERESSE, New Resolution Shipping Corp.

POUR LA DÉFENDERESSE, Penguin Boat International Limited

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McEwen, Schmitt & Co.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Bromley Chapelski

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Bernard et Associés

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Bull Housser & Tupper

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Stikeman Elliot

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

POUR LES DÉFENDEURS, Maritime Claims & Services Pte. Ltd. et Richard Howe

POUR LE DÉFENDEUR, Egon Oldendorff

POUR LA DÉFENDERESSE, New Resolution Shipping Corp.

POUR LA DÉFENDERESSE, Penguin Boat International Limited


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